Novembre 1993
Observation de deux astéroïdes : #899 Jokaste et #182 Elsa

*Projet en commun au télescope spatial Hubble*

Par Gilbert St-Onge & Lorraine Morin CDADFS (Dorval).

Deux articles qui ont paru en résumé dans la revue Astronomie Québec Janvier-Février 1994 et Novembre-Décembre 1994.


Observation simultanée de deux astéroïdes : #899 Jokaste and #182 Elsa en collaboration avec Harald Schenk qui observait lui au télescope spatial Hubble afin de découvrir s'il y avait une coma de matière autour de ces astéroïdes. L'observation de Jokaste devait se faire entre le 17/10/93 et le 24/10/93 et celle de Elsa entre le 01/11/93 et le 17/11/93.

Les astéroides Jokaste/Elsa

Jokaste;

Nous avons utilisé une image DTC prise le 20-10-93 à 3h46.02 HAE, soit 7h46m2s UT
Une pose de 360 secondes à -40°C au SBIG ST-6, au foyer primaire d'un 310 mm f/6 Newton.

Nous avons fait 4 soirées d'observation de Jokaste :
* Une où nos images sont prises juste à l'est de Jokaste, ne nous montrant pas d'astéroïde.
* Deux autres soirées où la qualité atmosphérique était mauvaise, en plus de la présence de la Lune. Ces soirées nous montrent plus de nuages que d'étoiles sur nos photos.

* Seule la photo du 20-10-93 est raisonnable

Le 20-10-1993

L'analyse de cette image CCD

D'abord par les traitements habituels d'images pour tenter de mettre en évidence une coma près du disque de Jokaste : rien n'apparaît à l'écran !
Nous optons ensuite pour une analyse graphique.
Nous avons tracé des profils de Jokaste sous différents angles essayant d'y déceler des traces d'une coma sombre rattachée à Jokaste et ayant un signal plus fort que le bruit enregistré par le DTC.

Graphique 3D

Il montre le côté sud de l'astéroïde. On y voit, comme repère à gauche, une étoile à l'ouest de celui-ci. Ce graphique ne laisse voir aucune trace significative de coma !

Résultats d'observation

* On ne peut pas, à partir de cette observation du 20-10-93, confirmer la présence d'une coma près du disque de l'astéroïde #899 Jokaste. Aucune trace significative d'un disque ou d'une traînée de matière n'est observable près de cet astéroïde.
* Ces observations furent effectuées à l'aide d'un télescope de type Newton de 310 mm f/6, au foyer primaire de ce dernier, et les images analysées ont été prises par un CCD (ST-6) au foyer primaire du télescope. Aucun filtre n'a été utilisé; il s'agit donc d'observations en lumière instrumentale.

La preuve que l'objet analysé était bien Jokaste

Une photo CCD de la région où apparaissait Jokaste le 20 octobre 1993 fut prise le 12 novembre pour confirmer la validité de notre observation. Sur cette image du 12 novembre, on peut formellement constater l'absence de l'astéroïde. Donc, nos analyses de Jokaste sont correctes et portent bien sur l'astéroïde en question.
* On peut alors conclure en l'absence de coma observable avec les instruments et méthodes utilisés.

Le second astéroïde Elsa

Le 12 novembre 1993, nous essayons de photographier, pour la première fois, l'astéroïde Elsa. Le mauvais temps nous avait empêchés de le faire durant deux semaines.
Nos espoirs sont timides puisque les cartes de pointage ne sont plus utiles, l'astéroïde les ayant dépassées. Il nous faut alors travailler aux seules coordonnées sans aucune carte ayant suffisamment d'étoiles de faible magnitude et d'une résolution suffisante pour confirmer nos observations !

Le 13-11-1993


Surprise ! Sur la 2e photo de la soirée, nous trouvons un objet comateux diffus, de petite taille, soit une comète, soit Elsa ! * Les cartes et catalogue NGC ne mentionnent rien à ces endroits, aucun objet céleste ne semble avoir sa place là où on a trouvé quelque chose.

Le 21 novembre,
Nous photographions toute la région où devrait se trouver l'astéroïde. Il est certainement quelque part sur ces images mais elles n'ont pas encore été analysées et nous ne voyons pas d'objet avec une coma sur ces photos.

Le 23 novembre;
Le Dr serge Demers vérifie dans le réseau d'information du département de physique de l'Université de Montréal ; il n'y a rien à cet endroit.
* Le Palomar Sky Survey du Planétarium de Montréal nous a donné le renseignement : il s'agit d'une galaxie (anonyme).

Conclusion

Il nous reste à trouver, sur les images DTC, l'astéroïde en question. À première vue, il n'a pas de coma!

Deuxième texte qui porte sur l'astéroïde Elsa.

ELSA 182

On se rappelle le court résumé du numéro de janvier-février 1994, p.28 (Observation de deux astéroïdes). Depuis ce temps, les choses ont évolué. Le mauvais temps de l'automne 1993 au Québec nous a embêtés au plus haut point. Il nous a fallu nous installer à sept ou huit reprises avant d'avoir enfin une nuit favorable nous permettant des prises d'images de l'astéroïde Elsa #182.

- Elsa aurait dû être observé dans la semaine du 1er au 7 novembre 1993, mais il nous a fallu attendre au 13 décembre 1993 pour réussir enfin à faire des images.
- Ces images assez spectaculaires nous laissent apprécier toutes les informations scientifiques recueillies de celles-ci. Il faut souligner dès maintenant que deux de ces images ont été spécialement retenues pour analyse : il s'agit de deux poses de 1200 secondes, guidées sur l'astéroïde Elsa bien sûr. Une de ces poses est en lumière instrumentale sans filtre, et l'autre avec filtre Infra-Rouge qui a une bande passante de 830 nm et plus.

Voici maintenant l'histoire d'un projet pour lequel nous avons dépensé beaucoup d'énergie.

Comme on se souvient, ce projet se faisait à titre de collaboration à une recherche effectuée par Harald Schenk avec le télescope spatial Hubble. Nous devions (Nous étions 80 personnes de plusieurs pays) tenter de localiser des traces de coma (post-cométaire ou ?) près du disque des astéroïdes Jokaste 899 et Elsa 182, nous par des observations au sol et Harald Schenk au télescope spatial Hubble. Ce fut l'un des derniers projets de Hubble avant qu'il ne soit réparé !

- Les dernières nouvelles de M. Schenk nous laissaient entendre que pour l'astéroïde Jokaste personne n'avait pu voir de trace d'une coma mais que deux personnes pensaient avoir aperçu quelques signatures incertaines de possible coma près du disque de Jokaste en images CCD manipulées. Ces traces seraient de l'ordre des magnitudes 19,5 à 20 (?)
- Je dois dire que nous avons aussi élaboré sur des lueurs très faibles après certains traitements de Jokaste, mais rien ne semblait valoir la peine d'en parler. J'espère que leurs observations sont plus solides que la nôtre !!!
- M. Schenk nous a communiqué qu'il semblerait avoir peu de chance qu'Elsa soit entouré d'une coma; rien de solide semble l'appuyer. Même au télescope spatial Hubble, ils n'ont rien trouvé, aucune trace dans les spectres ! (On en parlera plus loin).

Nous voici rendus à Elsa #182

Une belle nuit pleine d'étoiles filantes d'une grande beauté : c'était les Géminides! Dans la nuit, j'ai vu 40 belles étoiles filantes et ce sans même les observer particulièrement, mon travail étant concentré sur Elsa.

En résumé, nous avons fait une première image pour identifier Elsa, puis après s'être assuré que le guidage était bien sur Elsa, une pose de 1200 secondes en lumière instrumentale (sans filtre) a été faite. Cette pose fut bien réussie; nous avions, à l'écran, un beau disque bien rond pour Elsa et de longues traînées pour les étoiles.
Ces photos furent effectuées au foyer primaire d'un télescope Schmidt-Casgrain de 200 mm f/10 ; le CCD utilisé était un ST-6 de SBIG à -40° C ; une série de 60 poses de 20 secondes furent accumulées évitant ainsi des allongements du disque de Elsa qui auraient pu rendre plus difficile l'examen de son entourage. (Voir la photo en bas).

Puis nous avons recommencé une autre série de poses de calibrage, cette fois à travers un filtre I.R. Ce filtre a une bande de 830 à 2700 nm. Nous avons fait au total 3 poses, la première de 200 secondes guidée sur les étoiles pour trouver Elsa, la deuxième de 280 secondes guidée sur Elsa pour vérifier notre guidage et la dernière de 1200 secondes, une addition de 60 poses de 20 secondes guidées sur l'astéroïde Elsa. Notre image résultante est bien guidée. Enfin nous avons eu une excellente nuit! Pour compléter ces images et pour nous donner des étoiles référence en I.R., quelques poses de M42 en I.R. avaient été exécutées auparavant. Ces photos seront utiles, comme celles de Elsa guidées sur les étoiles, pour servir de standard à nos analyses !


L'analyse des images recueillies nous laisse bien voir le déplacement angulaire de Elsa lors des accumulations des poses de 15 secondes. Les étoiles sont donc des grandes traînées de magnitude variant au gré des temps d'intégration.

En lumière intégrale (instrumentale), on peut très bien voir le disque de Elsa, mais les bruits du ciel légèrement lumineux et la difficulté à avoir un flat field convenable nous enlève tout espoir d'apercevoir une coma ou une traînée loin du disque de Elsa. Néanmoins on peut constater à l'analyse du disque

lui-même qu'il semble étiré (allongé) dans le sens de son mouvement mais à l'avant de ce dernier vers là où il se dirige, donc vers l'ouest!
De plus, le noyau de l'image instrumentale nous montre un très bon guidage. Il nous est impossible de déterminer si Elsa a ou n'a pas de coma à partir de ces images, mais cet étirement du disque (ou ?) correspond au côté opposé au Soleil de Elsa vu de la terre, là où il pourrait y avoir des matières s'il y avait une coma !

Notre programme de la soirée nous laissait une autre option : c'était l'image I.R

Un filtre I.R. fut utilisé au foyer primaire de télescope de 200 mm d'ouverture f/10 Schmidt-Casgrain. Ce filtre nous permet de capturer sur CCD les régions du spectre électromagnétique situées entre 820 et 2700 nanomètres. Ce qui nous permettait d'espérer capter les faibles énergies émises par des corps dont les températures se situaient à quelques centaines de degrés ou moins ! C'est possiblement le cas d'une coma près d'un astéroïde (?) On a supposé qu'une telle coma pourrait être formée de grandes quantités de poussière, celles-ci se frappant parfois les unes les autres; elles seraient aussi confrontées à une pression constante, interaction avec le milieu ambiant causée par le balayage des vents solaires. Il faut souligner que l'astéroïde Elsa était à une opposition rapprochée du Soleil quelques semaines auparavant et qu'il en était encore très près ! Donc ces poussières étaient sûrement brassées suffisamment pour s'échauffer quelque peu et émettre un peu de lumière en I.R.

De plus, une telle coma doit être composée de gaz et de plusieurs types de molécules comme dans les comètes. On peut même considérer qu'un astéroïde ayant une coma peut très bien être une comète ayant épuisé la majorité de ses matières (poussières, gaz, etc.) formant ces merveilleuses queues, et que seules quelques matières appauvries restent près du noyau de l'ex-comète classifiée maintenant comme un astéroïde ! On comprend donc pourquoi nos espoirs allaient dans le sens qu'en proche I. R. on pourrait déceler quelques énergies émises par l'ensemble des corpuscules oscillant les uns contre les autres (?)


Mais il nous fallait d'abord localiser l'astéroïde Elsa en ne sachant pas si on pourrait en détecter quelque trace en 20 secondes de pose (I.R.). Il a donc fallu activer le guidage sur un des trois uniques points assez lumineux que nous laissait voir notre pose, et espérer que Elsa soit l'un d'entre eux. (Sinon, il nous aurait été impossible de guider automatiquement sur Elsa !) Ce fut le cas, et il nous fut alors possible de sélectionner Elsa pour des poses de courte durée (20 sec X 60 poses)
Des poses de courte durée sont nécessaires pour l'I.Rouge si on veut éviter au maximum les bruits du ciel et des instruments ! Même qu'une température froide est la bienvenue. Ce fut le cas le 13 décembre 1993 où, pendant la nuit, il y a eu gel au sol. Donc des conditions acceptables pour une tentative Infra Rouge.

Nous avons pris trois images de Elsa en I.R. ce soir-là. Les deux premières furent de 200 et 280 secondes au total ; il s'agissait de deux poses de rodage pour s'assurer que tout marchait bien. La troisième fut une pose de 60 X 20 secondes (1200 secondes). Cette dernière est la plus intéressante, elle nous laisse voir ce qui peut (peut-être) être la signature d'une coma près de Elsa.

Voici un résumé de cette image
- D'abord il a fallu évaluer l'exactitude du guidage, ceci en examinant de près les traînées laissées par les étoiles dues au déplacement de Elsa (mouvement propre).
- Il a fallu estimer la qualité de l'optique du télescope utilisé en I. R., ce qui fut fait à partir de photos guidées sur les étoiles le même soir et aux mêmes configurations !
- Il a fallu estimer si les bruits du ciel et instrumental étaient acceptables; ce qui a pu être estimé sur les images conservées,
Et quelque part à travers tout un nombre de vérifications et estimations, on a pu constater la présence d'une déformation d'un genre pouvant suggérer une coma entourant Elsa.
À titre d'exemple, il est possible de dire que cette anomalie (?) s'étendait jusqu'à 18" d'arc du centre du disque de Elsa, de 12" à 18" selon les régions, d'une intensité lumineuse juste au-dessus du bruit du ciel environnant. (Les poses I.R. de 200 et 280 secondes ne nous révèlent même pas de trace de ce phénomène tant il requiert une longue pose !


La même image traitée pour nous permettre de mieux voir la présumée coma?



Donc il est fort important de prendre en considération le fait que nos images peuvent comporter un grand nombre d'incertitudes, par le simple fait que ce qui pourrait être une coma est tout juste au-dessus du seuil du bruit de fond !

Nous avons considéré important d'en faire quand même une analyse détaillée, au cas où! De plus, il faut constater la position de cette anomalie : elle se situe à l'ouest du mouvement apparent de Elsa qui, à ce moment-là était encore en rétrogradation. La position Terre, astéroïde et Soleil était favorable à une coma observable du côté ouest du disque de Elsa; on trouve une série locale et secondaire à l'Est- N-E.

En supposant que notre coma agisse comme les comas et les queues de comètes, on peut prédire que l'astéroïde à l'opposition aurait dû montrer une coma opposée à la Terre et à la fois au Soleil, à cause des pressions radiatives (en particulier des vents solaires) en provenance du Soleil opposé à la Terre vu de l'astéroïde ! Vu que nos images furent prises quelques semaines après l'opposition, la coma aurait dû, si elle existe, se trouver juste à l'ouest, un peu au N-O du disque de Elsa, vue de la Terre ! C'est bien ce que l'on retrouve sur nos images I.R. !

Voici les coordonnées du Soleil et de l'astéroïde pour appuyer cette prédiction :

Soleil 13 déc. 93 : A.D. 17h23.7 Déc. -23°11'
Elsa A.D. 04h 36.38 Déc. 19° 57' 58"

Ces coordonnées permettent de constater que le disque de l'astéroïde est vu du S-E. Il se trouve donc entre nous et le possible étirement de la coma. Seuls des excédents de la coma pourraient peut-être se laisser voir à l'O-N-O.
Ce manège appuie nos observations I.R. Il est donc possible que la coma soit presque totalement invisible à l'opposition d'un astéroïde ou!

Voici l'image IR traitée, on y voit la présumée coma!



On peut bien voir sur ces images traitées que Elsa est allongée. Un fait intéressant est que l'allongement de Elsa n'est pas directement sur l'axe de son mouvement propre (déplacement parmi le ciel étoilé).

Nous ne pouvons savoir si Elsa a une coma, mais nous savons que nos images I.R. de celui-ci suggèrent une forme plutôt compatible à une coma près de Elsa! Nous savons aussi que l'équipe du Hubble Space Telescope n'a pas trouvé de trace de OH près du disque de Elsa.

Photos et Graphiques:

- Photos de G. St-Onge & L. Morin

- Une photo de Arols Shank à l'ordi.

- Graphique est du HST

Ce type d'expérience pourrait très bien se répéter dans le futur pour tenter de conclure plus adéquatement notre énigme !!!

St-Onge & Morin

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