.Un regard neuf

Photographié en lumière ultra-violette le ciel donne parfois des images saisisantes

Par Gilbert St-Onge CDADFS Dorval

Un article a paru dans la revue Le Québec Astronomique de Janvier -Février 1990

Nos expériences astronomiques nous permettent de comprendre que la lumière qui nous arrive du ciel peut être décomposée en différentes longueurs d'onde. C'est pourquoi nous, qui sommes des amateurs, avons succombé à la tentation de photographier le ciel en ultra-violet

Quand Mario Émond m'a appris qu'il travaillait avec du film UV au labo du cégep, mes yeux ont dû faire plusieurs tours. Je lui ai tout de suite demandé de m'en fournir pour le tester au D19. Je voulais savoir s'il se développait normalement et s'il permettait des foyers normaux.

Ce film est le "Spectrum Analysis Film 1,, de Kodak, en 35 mm, noir et blanc bien sûr. Lors des cours, les étudiants s'en servent pour l'analyse spectrographique des métaux. Donc, il nous fallait trouver les propriétés de ce film pour en déduire ses possibilités astronomiques.

D'abord, nous voulions connaître sa courbe de sensibilité; des tests nous ont montré qu'à partir de 4250 À, ce film se tait. Il nous permet d'enregistrer tout ce qui est à moins de 4250 À, donc en véritable UV. Sa rapidité est d'environ 100 ou 150 ISO lorsqu'il est développé au D19 pendant 8 à 10 minutes à 20°C. La finesse du grain de ce film est très intéressante: elle nous permet d'agrandir énormément les images enregistrées sans pour autant perdre les détails.

L'activation lui donne des ailes

En plus, j'ai testé ce film à l'état normal, puis à l'état activé. Il se prête très bien à l'activation qui lui "donne des ailes". Il devient alors beaucoup plus rapide et, surtout, son spectre de sensibilité ne change pas : il se maintient toujours à 4250 À et moins. Pour l'activer, on procède de la même façon que pour les autres films; on le chauffe un peu moins mais les temps de chauffage restent les mêmes. Pour bien saisir à quel point l'activation augmente la sensibilité de ce film à capter l'UV, regardez les photos de l'étoile " A " du Cygne.

Si vous avez un réfracteur, oubliez l'ultra-violet car il est absorbé par le verre de votre télescope. De la Lune, je n'ai pu tirer rien d'autre qu'une très
légère lueur hors foyer, pour des temps de pose capables de surexposer même un 25 ISO! Par contre, lorsque l'on dispose d'un télescope à miroir. les images au foyer primaire sont excellentes, même que l'on peut faire des projections à l'oculaire et y obtenir des images. Donc, nous avons pu faire des photos de Jupiter et de Vénus sans aucun problème de grossissement.

Ce film est malheureusement à peu près introuvable. Nous avons contacté Kodak à Montréal, puis le bureau de Toronto; ce film s'achète seulement en caisses de 18 bobines de 100 pieds, à quelque chose comme 75 dollars la bobine. Il est, bien sûr, fabriqué aux États-Unis et il faut le payer sur livraison, aucun retour pour marchandise défectueuse ou autre raison n'étant permis.

Astronome cherche mécène!

Donc, si quelqu'un ouvre les boîtes, ou si elles sont endommagées durant leur transport, vous devez les garder, bonnes ou pas. Voilà pourquoi il est risqué d'en faire venir pour de pauvres amateurs comme nous. La solution serait de trouver une compagnie canadienne qui utilise ce film, et j'espère qu'elle voudra bien nous en vendre ou, mieux, nous en donner une bobine. Les compagnies qui analysent les métaux ou qui les transforment utilisent parfois ce film.

À cause de ces difficultés d'approvisionnement, nous devons pour l'instant réserver le film ultra-violet à des projets très précis. Il serait intéressant de faire le tour du ciel en UV, pour en faire une cartographie UV. Enfin, tous les objets galactiques ou extra-galactiques que nous pourrons photographier à plus fort grossissement le seront parce que ce film est très rare et qu'il nous faut l'utiliser sans perte.

Un autre aspect intéressant du film UV est qu'il peut être utilisé même si la Lune est présente. Puisqu'il

ne prend que l'UV, la lumière solaire réfléchie par la Lune ne nuit pas sensiblement aux photos d'objets assez lumineux. La Lune, en effet, absorbe la plupart des UV de la lumière solaire et ne réfléchit que les ondes lumineuses plus longues. À titre d'exemple, voyez la photo de M13 prise alors que la Lune était au ciel ouest.

En haut "A" du Cygne, le 28 mai 1988 une pose de 8 minutes sur pellicule Spectrum Analysis non activé. Et en dessous encore "A" du Cygne, le 12 juin 1988 pose de 16 minutes sur Spectrum Analysis activé..!

En dessous "A" de l'Aigle le 12 juin 1988 une pose de 7m.19s. sur Spectrum Analysis activé..!

Les planètes en ultra-violet

Nous avons bien sûr photographié Vénus. Celle-ci se présente assez bien. Dans certains cas, on y devine une forme en <V>, qui semble pénétrer dans le croissant. Nous avons ensuite photographié Jupiter à des focales de plus de F/40. Nous avons obtenu plusieurs photos de bonne qualité, permettant même de voir la tache rouge en UV. Ces photos présentent un intérêt certain, puisqu'on ne peut espérer voir souvent Jupiter en ultra-violet.

Nous avons aussi photographié la Lune en UV. Certaines de ces photographies n'avaient pas de problème à intriguer l'oeil, entre autres la région du cratère Clavius qui nous montre cette région sous un aspect différent de ce qu'on voit en lumière blanche.

À titre de comparaison, nous avons pris une photo de Clavius en UV, puis une autre, peu de temps après, avec un film à copie qui est fort en UV mais qui prend aussi toutes les autres bandes spectrales de la lumière blanche, avec toutefois un pic de sensibilité pour 5750 À. Regardez bien l'aspect général de la surface lunaire et surtout l'intérieur de Clavius, dans lequel bien des zones sombres apparaissent mieux en UV. La photo en UV a été prise avec un temps de pose de 1,5 seconde. Celle de l'autre film a été prise une heure plus tard avec le même instrument et à la même focale, avec un temps de pose de 2 secondes.

Pour ce qui est de Jupiter, les comparaisons sont faciles entre ces deux films. On voit bien que la texture de la surface du disque change énormément de l'ultra-violet à la lumière blanche.

Et le reste du catalogue

Pour terminer, voyons les résultats sur divers autres objets. Évidemment, " A " du Cygne est une étoile bien forte en UV, mais comparez-la à " A " de l'Aigle qui, elle, est une étoile plus forte dans le rouge. Même sur film activé elle reste petite, à peine plus grosse que les étoiles environnantes; pourtant, sa magnitude est 0,77, alors que celle de " A " du Cygne n'est que 1,26. Ce qui veut dire que " A " de l'Aigle est plus brillante en lumière visible.

Pour continuer nos comparaisons, regardons M13, l'amas globulaire d'Hercule, si bien connu. Comparons l'ultra-violet à du 2415 activé. L'aspect central reste semblable mais, là où ça devient intéressant, c'est lorsqu'on scrute en UV les étoiles qui entourent le noyau. Quant au 2415, il en montre des dizaines de magnitude supérieure et des centaines de magnitude inférieure.

J'espère que ces résultats vont encourager d'autres amateurs à expérimenter toutes les facettes possibles de l'astronomie d'aujourd'hui dans l'espoir de mieux comprendre et de contempler davantage ce bel Univers qui nous est donné sans même que nous ayons à le demander.

FIN

(À gauche)

En haut; Jupiter le 1987-09-29, une pose de 6 secondes, sur S. Analysis. En dessous d'elle, le cratère Clavius en 1,5 secondes sur S. Analysis.

(À gauche) Ci dessous; M13 le 1986-05-28, une pose de 12m.8s. sur S. Analys

(À droite)

En haut; Jupiter le 1987-12-29, pose de 0,5 secondes sur film à copie RX. En dessous d'elle, le cratère Clavius en 2 secondes sur filn à copie RX.

Ci dessous, M13 le 1986-07-14, une pose de 23m.20sec. sur TP2415 activé.

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