Les enfants d'Orion

La Nature
revue scientifique

La Nature, 1889(1), p127, 131 et 132, et 180
(revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l'industrie)

L'éclipse de Soleil du 1er Janvier 1889

ACADÉMIE DES SCIENCES

p127 : 17° année, n° 817, 26 janvier 1889

Séance du lundi 14 janvier 1889.
Présidence de M. DES CLOIZEAUX.
L'éclipse du 1er janvier. - Comme il l'avait annoncé, M. Janssen expose sommairement les résultats dès à présent fournis par l'observation faite en Californie de la dernière éclipse totale de soleil. On sait que la ligne d'ombre traversait le continent américain un peu au nord de San-Francisco et a été observée jusque dans le Pacifique. M. Pickreid (de Harward Collège) a organisé une expédition pourvue d'instruments beaucoup plus grands que ceux dont on fait d'habitude usage en semblables circonstances. On signale, par exemple, un 13 pouces grâce auquel de grandes photographies ont pu être prises.
Les plus intéressantes de ces images concernent la couronne et réservent certainement, pour le moment où on les étudiera, des découvertes précieuses. Il en est de même des vingt-cinq spectres, s'étendant du jaune à l'ultra-violet et dont la discussion permettra de décider si la couronne a définitivement une existence matérielle: auquel cas elle doit renfermer les raies frauenhofériennes réfléchies du soleil. Les observateurs ont porté leur attention sur les régions intra-mercurielles afin d'y rechercher les planètes qui s'y meuvent peut-être; mais rien de positif n'est résulté de cet examen. On a fait, par contre, la découverte inattendue d'une petite comète, tout au voisinage du soleil, exactement comme on l'avait fait en Egypte dans une occasion analogue, en 1882. En résumé, il y a, suivant M. Janssen, de grands motifs de se féliciter des opérations effectuées et il faut en même temps se préoccuper d'organiser des expéditions européennes en vue de l'éclipse qui aura lieu à la fin de la présente année dans la région de l'Orénoque.


L'ECLIPSE TOTALE DU SOLEIL DU 1er JANVIER 1889

La Nature, 1889(1), p131 et 132

L'éclipse totale du Soleil, du 1er janvier 1889 a été visible sur l'étendue d'une zone de plus de 5000 kilomètres de longueur, mais dont la largeur n'a nulle part dépassé 160 kilomètres, et qui s'étend depuis le lac Winnipeg dans le district de Manitoba (Dominion) jusqu'aux rives de l'océan Pacifique.
Loin de suivre l'exemple donné par le gouvernement russe, qui a mis plus d'un million à la disposition de M. Otto Struve, pour observer la grande éclipse de soleil du mois d'août 1887, le gouvernement fédéral a refusé d'accorder un crédit spécial pour observer ce magnifique phénomène, d'autant plus curieux qu'il se montre dans des circonstances analogues à la grande éclipse des montagnes Rocheuses, du 29 juillet 1878, que nous avons décrite et dessinée à cette époque (2) . Mais le goût des sciences est tellement répandu aux États-Unis que malgré cette abstention peu explicable, les stations ont été innombrables. Il n'est pas d'institution américaine qui n'ait envoyé quelque astronome étudier l'éclipsé de 1889, qu'ils ont comparée à celle du mois de juillet 1878, survenue dans des conditions analogues. M. le professeur Todd d'Hamherst College, a accepté la direction du service astronomique organisé pour le New-York Herald. La Western Union a mis à la disposition du grand journal américain une ligne longue de 3000 kilomètres, reliant les principales stations échelonnées le long de la ligne d'ombre totale.
Dans son numéro du 2 janvier, la feuille dirigée par M. Godon Bernett donnait au public le résumé de toutes les observations faites le matin de la journée précédente.
D'après les télégrammes transmis par le Herald, le temps a été très favorable dans la plupart des stations ainsi qu'au sommet du pic Hamilton où des photographies d'une éclipse partielle des 19/20 du disque ont été ob-tenues avec le plus grand télescope du monde.
Le nombre des photographies obtenues avec des télescopes de 8 et de 13 pouces a été prodigieux; on aura une multitude incroyable de photographies du phéno-mène. Dans certaines stations, comme celle de Cloven-dale, que l'on peut voir sur notre carte (fig. 1) les observateurs ont accompagné les photographies de (fin de la page 131)

(2) Voy. n° 276, du 14 septembre 1878, p. 241.





(début de la page 132) dessins à la main représentant les détails des parties les plus compliquées. On aura là des documents d'autant plus intéressants que les éclipses de cette nature sont rares. D'après le canon des éclipses d'OppoIzer, il n'y a eu d'éclipse totale le premier janvier que les années 1162, 660, 641, avant J:-C., 865 et 1405 après J.-C. 11 n'y en a pas eu une seule depuis l'année 1582, époque où l'on a adopté la réforme grégorienne, et il n'y en aura pas une seule pendant les deux ou trois siècles futurs auxquels s'appliquent ses calculs.
Autant qu'il est permis d'en juger à l'aide des documents que M. Janssen a résumés dans la séance de l'Académie des sciences du 14 janvier, les astronomes américains ne se sont que médiocrement préoccupés du soin de vérifier l'existence des raies sombres, que l'illustre directeur de l'Observaloire de Meudon a constatées dans le spectre des rayons extraordinaires. C'est pourtant seulement à cause de cette observation que l'on peut affirmer l'existence d'une matière lumineuse.
Il n'est pas inopportun de saisir cette occasion pour rappeler que c'est a partir de l'éclipse totale de 1842, visible à Montpellier, qu'Arago remit à la mode l'observation des phénomènes physiques qui accompagnent les éclipses de soleil. Les anciens astronomes n'y prêtaient aucune attention et les considéraient comme de simples jeux de lumière dus à l'action des rayons solaires traversant la haute atmosphère. Celle opinion ne tendrait-elle pas à reparaître si on ne constatait dans les phénomènes optiques accompagnant les éclipses que des apparences extraordinaires ? N'y aurait-il pas beaucoup d'esprits amateurs de la simplicité, qui seraient tentés de revenir aux idées qui ont été en vogue pendant tant de siècles ?
Il est bon d'ajouter que la couronne a offert, dans son ensemble, une remarquable analogie avec celle que l'on a observée en 1878. Toutefois, M. Pickering et les principaux observateurs remarquent qu'elle avait une étendue beaucoup plus grande ; elle était, dans certaines régions, accompagnée de rayons qui, s'ils eussent accompagné réellement le soleil, n'auraient pas eu moins de 3 200 000 kilomètres de longueur. Que de raisons puissantes pour désirer, comme t'a fait M. Janssen, que l'analyse spectrale fournisse un moyen de séparer les matières situées dans notre atmosphère, de celles qui sont réellement placées autour du soleil.
Autant que l'on en peut juger avant d'avoir en main les rapports américains, la recherche des petites planètes intra-mercurielles n'a pas été exécutée avec tout le soin et toute la précision dont elle est susceptible. On a cru d'abord avoir découvert une comète. Pareille trouvaille a été faite dans les temps anciens, et en Egypte lors de la grande éclipse de 1878. Ces incertitudes prouvent non seulement combien il y a de recherches à faire dans le voisinage du foyer de notre monde planétaire, mais encore combien il y a de chances pour que les objets remarquables qui s'y trouvent, échappent aux observateurs.
Les méthodes d'observation actuellement en usage ont été surtout perfectionnées par M. Janssen qui les a appliquées lui-même avec succès dans toutes les parties du monde, et c'est pour observer la grande éclipse de 1870 visible en Afrique, qu'il a exécuté son ascension du siège.
C'est à Paris, dans les ateliers de M. Feil, qu'ont été fondus les blocs de flint et de crown qui ont servi à fabriquer l'objectif de la grande lunette du mont Hamilton ; c'est d'après le conseil de Le Verrier que l'on a cherché le sommet d'une haute montagne pour y établir le plus grand observatoire du monde. Le choix du mont Hamilton n'a été déterminé qu'après de longues recherches auxquelles a pris part M. Lick, le fondateur de l'Observatoire (1). Il y a treize ans que ce bienfatieur des sciences et de l'humanité est mort. La fortune qu'il avait gagnée à l'aide de spéculations commerciales heureuses mais honnêtes s'élevait à 25 millions de francs, qu'il avait de son vivant consacrés, par acte authentique, à des objets utiles au progrès des sciences, ainsi qu'à des œuvres philanthropiques. La somme consacrée à l'observatoire du mont Hamilton a été de 3 500 000 francs. Il n'a été dépensé que 2 100 000 à construction de l'édifice et à l'achat des instruments. Il est resté un capital disponible de 1 400 000 francs dont la rente sert à l'entretien des astronomes.
Nous espérons que le gouvernement français fera observer à Cayenne la grande éclipse du 22 décembre prochain, qui sera encore plus belle, car la période de la totalité y sera sensiblement plus longue, et, par conséquent, la nuit y sera plus noire, plus favorable à des surprises de toute nature. Ce qui doit encourager l'Académie des sciences à provoquer l'envoi d'une expédition, c'est qu'en 1671 l'illustre Compagnie, à une époque où les voyages étaient beaucoup plus difficiles à exécuter, y envoya Richer, non pas dans le but d'y observer un phénomène si rare, mais uniquement pour y faire osciller le pendule.
W. DE FONVIELLE.

(1) Voy. Les travaux de l'Observatoire Lick, n° 812, du 22 décembre 1888, p. 49.

L'ECLIPSE TOTALE DE SOLEIL DU 1er JANVIER 1889
OBSERVÉE AUX ÉTATS-UNIS

La Nature 1889(1), p180
(revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l'industrie, 17° année, n° 820, 16 février 1889)

Nous avons donné précédemment quelques détails sur les observations qui ont été faites aux États-Unis de cet intéressant phénomène astronomique (1). Nous les complétons aujourd'hui en publiant une relation des résultats obtenus à Winnemucca (Nevada), par le célèbre astronome opticien M. J. A. Brashear. Cette relation a été adressée, sous forme de lettres, à MM. Henry, de l'Observatoire de Paris, qui ont bien voulu nous la communiquer pour La Nature.

(Extrait d'une lettre de M. Brashear à MM. Henry.)
J'ai pensé qu'il serait intéressant pour vous d'apprendre que je suis de retour de notre grande contrée occidentale, où je suis allé observer l'éclipse totale de soleil.

Je partis le 21 décembre, et j'atteignis Winnemucca (Nevada) le 31 du même mois ; le ciel était magnifique, et dans aucun de mes voyages, je n'ai vu encore un temps aussi beau que dans notre région occidentale. On reste souvent des mois entiers sans apercevoir un nuage, et le ciel se montre d'un bleu profond, superbe pour l'astronome. Le ciel de la Nevada est plus beau encore, si c'est possible, que celui de la Californie, et celui du Colorado est tout à fait splendide.
Tout avait été bien préparé pour l'observation de l'éclipse, et la ligne entière de centralité fut presque sans nuages, d'une extrémité à l'autre.
Le professeur Pickering avait son télescope photographique de 33 cm à Willows, plus un autre télescope de 20 cm, avec lesquels il prit un grand nombre de beaux négatifs, montrant les détails de la couronne avec la plus admirable netteté.
La Société photographique de San Francisco obtint 167 négatifs, la plupart très réussis. Tous les travaux spectroscopiques furent bons, et nous pouvons espérer de splendides résultats.
La mission de l'Observatoire Lick a eu beaucoup de succès à Baillett Springs, en Californie, et chaque station dont j'ai entendu parler a eu beau temps.
A Winnemucca, nous avions avec nous le Dr Elkin de Yale, le professeur Howe de Denver, et un grand nombre d'autres observateurs.
J'ai fait un croquis sur verre dépoli d'une petite portion de la couronne polaire australe et des protubérances, dont je vous envoie une copie sur papier au bromure, mais cette copie n'est pas aussi bonne que le dessin original. Je n'ai pu m'occuper des travaux spectroscopiques, mon temps étant employé à un autre genre d'observations.
J'irai à l'Observatoire Lick dans un jour ou deux. C'est un lieu semi-tropical des plus charmants. Fleurs, palmiers et arbres de grande beauté dans le milieu de janvier : le ciel y est aussi pur que les plus beaux ciels d'Italie




Nous reproduisons ci-dessus le beau dessin de M. J. A. Brashear, qui ne manquera certainement pas d'être apprécié à sa valeur par tous nos lecteurs.

(1) Voy. n° 817, du 26 janvier 1889, p. 131.

retour à "La Nature"

retour à la page d'accueil


Mise à jour : 05 août 2004