Eclipse totale de soleil en Chine - 22 juillet 2009

Dans le bus vers le site. Après un périple qui nous a fait passer par Pékin, Xi'an, Guilin et Hangzhou près de Shangaï, le moment de l'éclipse la plus longue du siècle approche. La tension est palpable dans le groupe de 40 personnes. Le climat est chaud et humide certes, mais jusqu'à présent, il nous a épargné la pluie, fréquente à cette époque sous ces latitudes. Nos accompagnateurs de l'AFA, Patrick et Christian, ainsi que Jacques (Shi en chinois) notre guide national 5 étoiles (il a tout fait pour que le voyage se déroule de la meilleure des façons), ont tout prévu pour l'observation, sauf une météo clémente. Jacques et nous, c'est un peu Ali baba et les 40 voleurs d'éclipse.

Bambou en Chine

La forêt de bambous

Le site de Moganshan se situe à l'écart des flux touristiques. Un envoutant paysage nous entoure. Pour seule végétation, des bambous géants donnent aux collines un aspect velouté qu'une main de géant issue de notre imagination débordante sous 35°C, se plait à caresser au cours de la délicate ascension du Mont Mogan. De splendides montagnes défilent derrière les vitres mais nous fixons régulièrement les bords de la route en espérant que le conducteur prenne la meilleure des trajectoires. Pour paraphraser l'humoriste BIGARD expliquant son premier saut en parachute avec un moniteur accroché à son dos, nous aimons soudainement et fortement ce chauffeur, dont nous nous rappelons difficilement le prénom, et qui tient dans ses mains la vie de 40 personnes sur les routes embrumées de Moganshan ! Après une montée éprouvante d'une heure et demie sur une route qui ne permet pas le croisement de deux bus, nous arrivons, un peu lassés de tous ces lacets, enfin, à notre hôtel.

A l'hôtel. Les accompagnateurs décident de faire un repérage pour le lendemain. Un briefing est ensuite improvisé dans le hall de l'hôtel pour nous présenter les trois options retenues. Démocratiquement, nous choisissons, unanimes, la solution de la terrasse d'un immeuble d'un particulier qu'il est possible de louer un euro par personne. Il n'y a pas de petit profit ! Ceci dit, 40 euros, pour cet habitant du village voisin, c'est une somme rondelette qui met sans aucun doute du beurre dans ses pousses d'épinards. Dans un pays où le revenu par habitant reste très faible malgré la croissance d'un PIB qui ferait rêver nos économistes les plus optimistes, nous faisons un heureux, ou plutôt un euro !

Nous passons la nuit dans une chambre un peu plus spartiate qu'à l'habitude mais toujours climatisée et dotée d'une TV ! Nous nous couchons, fatigués et anxieux du lendemain car le bulletin météo glané et décrypté péniblement au hasard d'une chaîne locale ne laisse rien présager de bon.

La première réaction à notre réveil est de tirer le rideau d'une des fenêtres de la chambre... Il pleut, le ciel est complètement bouché. Même si nous sommes sensibilisés au risque de mauvais temps (68% de risque de couverture nuageuse à cette époque et dans cette région), le choc est dur à encaisser. Personnellement, je reste serein et je me dis que l'éclipse n'est pas une fin en soi et que le voyage qui touche à sa fin est formidable dans son ensemble. L'observation de l'éclipse représente, en quelque sorte, le lychee sur le gâteau. Le petit déjeuner est expédié dans un silence quasi religieux. La déception se lit sur la mine des collègues qui avalent leur repas, un oeil rivé sur leur fourchette (leurs baguettes pour les plus courageux) et l'autre sur la lumière grise qui filtre à travers les rideaux défraichis des fenêtres de la salle à manger, elle aussi climatisée.

Les derniers hectomètres.La descente au village se fait, en ce qui nous concerne, à pied, histoire de profiter de l'ambiance si particulière de la forêt de bambous dont le diamètre nous rappelle, si besoin en est, que nous sommes bien sous climat subtropical. Il nous faut 20 mn de marche pour arriver au site d'observation, transpirant de bonheur, au sens propre comme au sens figuré, à l'idée d'assister à l'éclipse. Au diable le mauvais temps, c'est pour nous la première éclipse totale. Je savoure ce moment tant attendu après ces milliers de kilomètres parcourus en voiture , en train, en RER, en avion(s), en bus, en minibus et...à pied ! Il nous faut accomplir une dernière ascension pour atteindre la terrasse de la maison de notre hôte chinois. Car se tient là un escalier, que dis-je, une antique passerelle, qui me laisse dubitatif. Il faut dire que son aspect rouillé n'est guère engageant...

La passerelle et la terrasse

La passerelle et la terrasse

La terrasse. Arrivés à bon port, nous découvrons des collègues déjà installés. Je fus impressionné par leur matériel. Certains ont amené de France, une monture équatoriale ! Je reconnais là, la ferveur et la passion des vrais chasseurs d'éclipse dont certains en sont à leur cinquième éclipse totale. Respect ! L'heureux propriétaire de la terrasse a fourni des chaises et du thé, comme le veut la coutume. Il a sécurisé la plateforme avec une dérisoire banderole rouge à l'inscription qui demeure inconnue mais qui réussit, malgré tout, à nous tenir à l'abri d'une chute de 15 mètres sur l'asphalte en contrebas. Le ciel est définitivement bouché, les expressions des visages aussi. Qu'importe, l'instant devient pour moi et ma petite famille inoubliable, pour ne pas dire historique. « Une passerelle rouillée mais un grand bond en toute humilité ! » pour faire un clin d'oeil à Neil Armstrong dont nous fêtons à un jour prés les 40 ans de ses premiers pas sur la lune! (Nous sommes le 22 juillet).

Des chasseurs d'éclipse équipés

Des chasseurs d'éclipse équipés

09h20 : j'ai la gorge sèche, j'avale une tasse de thé vert.

09h30 : plus que 4 mn avant la totalité. Les esprits s'échauffent oubliant, pour un temps, les affres d'une météo peu coopérative. La lumière ambiante baisse à une vitesse prodigieuse. C'est magique, les oiseaux ne chantent plus. Seuls quelques grillons récalcitrants nient l'évènement en continuant leur bruit strident dans la forêt environnante.

Patrick ajuste la monture de sa lunette de 80 mm

Patrick ajuste la monture de sa lunette de 80 mm

09h34 : on y est, la bande de totalité de l'éclipse est sur nous, l'impression de nuit est accrue par l'épaisse couche nuageuse. Il fait sombre, très sombre, c'est surréaliste. On s'immobilise tous telles les statues de l'armée enterrée de Xi'an. Des voix s'élèvent dans l'obscurité : « C'est incroyable ». « C'est fou ». « On est parti pour 5 mn 40 ». On ne peut plus faire de photo sans flash, il fait nuit. J'immortalise l'instant en prenant en photo ma fille subjuguée par un événement que redoutaient les anciens et qu'aujourd'hui les calculs de mécanique céleste expliquent facilement sans pour autant en ôter la magie.

La terrasse d'observation

La terrasse d'observation

09h39 : la lumière revient plus vite que l'obscurité n'est tombée. C'est en tout cas ce que nous ressentons. L'ombre de la Lune s'en va à la vitesse de 3 000 km/h. Trop rapide pour nous, on décide de ne pas la suivre, on commence à remballer. A côté de moi, un gaillard d'1m90 est en pleurs. L'émotion, ajoutée à la fatigue, est passée par là. L'instant est fort. Certains sont amers d'avoir raté leur éclipse. Sincèrement, ce n'est pas mon cas. Je prends la chose avec philosophie. Ici et à cette époque, les chances d'une bonne météo sont minces. Il faut accepter la règle du jeu, c'est ainsi. Ainsi va la vie. Mais le moment est gravé à jamais dans mon esprit d'astron' homme amateur.

Au total, ce fut 5mn 40s en dehors du temps. Cela méritait bien 9 000 km. Il est temps de s'éclipser et de repasser sur cet escalier rouillé, redouté, légèrement brinqueballant et surplombant une fosse de plusieurs mètres où j'aperçus une vieille, une très vieille cuisinière à gaz. Un petit pont de 2 m de long qui nous a permis de passer dans une autre dimension, sur cette terrasse où le temps s'est figé durant l'éclipse d'un moment. Un petit pont pour un grand bond.

Fin de l'éclipse

Fin de l'éclipse (Zoom de 200 mn ouvert à 2.8, filtre astrosolar, sans pied)

C'est presque fini. Nous reprenons le chemin en sens inverse mais cette fois en minibus. Le temps gagné sera précieux car en arrivant plus vite à l'hôtel, les dieux chinois se montrent un peu plus cléments. Le ciel se dégage un peu et nous apercevons le soleil encore rogné par une lune infidèle qui quitte, doucement mais inexorablement, son compagnon d'un jour. Le mariage est consommé, le couple est fâché. Il faudra attendre le 10 juillet 2010 pour les voir se rabibocher du côté de cette île du Pacifique où l'on fête Pâques toute l'année. Mais j'aurais le temps de photographier l'instant de la séparation, avec un soleil quasi entier, fier de retrouver petit à petit ses prérogatives et sa position de star.

Nous retrouvons le bus et son chauffeur bien aimé. Au cours de la descente, les freins sont mis à rude épreuve mais nous arrivons, sans problèmes, à destination. C'est l'esprit rempli d'images et d'émotions que nous gagnons Shanghai, 19 millions d'habitants. En Chine, le temps s'est arrêté un instant sur le Mont Mogan mais pas nos motivations. A quand la prochaine ?

« Quand le Soleil s'éclipse, on en voit la grandeur ». Sénèque.


Pascal COSTE, 03 août 2009.

Photos : Pascal Coste