La résolution en imagerie CCD du ciel profond
ou « faites des images floues, mais sachez pourquoi ! »


La résolution (ou pouvoir séparateur) théorique d’un instrument se calcule en secondes d’arc, en fonction du diamètre de l’instrument, exprimé en millimètres, au moyen de la formule : R = 120/D.

Pour un miroir de 200 mm, sa valeur est donc de 0,6 arcsec.

Pour l’imagerie CCD du ciel profond, mon montage comprend un télescope Schmidt-Cassegrain de 200 mm de diamètre et de 2000 mm de focale, un réducteur de focale ramenant celle-ci aux environs de 600 mm (la valeur exacte, calculée par astrométrie, varie de 584 à 617 mm selon le montage utilisé) et une caméra CCD Starlight Xpress MX512. Cette caméra CCD possède des photosites rectangulaires de 9,8 x 12,6 microns qui, après le rééchantillonnage nécessaire à la restauration des proportions de l’image, donnent une grille de pixels carrés de 9,8 microns de côté.

Chaque pixel de l’image « voit » donc une portion du ciel d’une largeur de 3,4 arcsec (= arctan (9,8/600000)).

Il faut tout d’abord constater que cette valeur est de presque 6 fois supérieure à la résolution théorique de l’instrument. Le critère de Nyquist, permettant de calculer l’échantillonnage optimal, prévoit que pour exploiter au mieux la résolution de l’optique, une étoile double dont les composantes seraient séparées par un angle égal à cette résolution théorique (0,6 arcsec) devrait « couvrir » deux pixels, lesquels ne devraient donc « voir » qu’une portion de ciel de 0,3 arcsec !

Pour obtenir cette échantillonnage optimal, on devrait donc non pas réduire la focale à 600 mm, mais au contraire, la porter à 6000 mm !

Cette longue focale est, bien entendu, incompatible avec l’imagerie du ciel profond, ne serait-ce que parce qu’elle ne permet au capteur de couvrir que des portions bien trop restreintes du ciel pour des objets qui, à part les nébuleuses planétaires, sont la plupart du temps beaucoup plus étendus et parce qu’elle augmente le rapport F/D aux environs de 30 (au lieu de 3) ce qui nécessite, à flux lumineux égal, des temps de pose 100 fois plus longs ! Ne parlons même pas des problèmes de suivi engendrés à une telle longueur…

Une conclusion s’impose : cet échantillonnage optimal ne peut être mis en œuvre que pour l’imagerie de la lune ou des planètes pour laquelle on a à la fois suffisamment de luminosité pour réaliser des poses courtes et où les détails sont assez petits pour tenir sur le capteur de la CCD.

Ce n’est donc qu’en imagerie planétaire qu’on pourra effectivement parler de haute résolution. On consultera dans ce domaine le site du spécialiste français de la question : Thierry Legault.

Revenons à l’imagerie CCD du ciel profond, à sa focale de 600 mm et à son échantillonnage de 3,4 arcsec.

Le montage optique permettant de résoudre théoriquement 0,6 arcsec, cela signifie-t-il que toutes les étoiles apparaîtront comme ponctuelles sur l’image, puisque le pic central de leur tache d’Airy aura une FWHM (voir les définitions) largement inférieure à la taille d’un pixel ?

Hélas non, car plusieurs facteurs limitent encore la résolution réelle à une valeur bien supérieure à sa valeur théorique calculée au début de cette page…

1 – La collimation et la coma

On insiste beaucoup, et à juste titre, sur l’importance de la qualité de la collimation de l’instrument pour obtenir des observations visuelles ou des images planétaires de qualité. Sans vouloir poser de question iconoclaste, on peut se demander si la collimation ultra précise nécessaire pour obtenir des images planétaires de haute résolution revêt la même importance en ciel profond ? Eh bien oui et non…

Non, tout d’abord, car il est clair que si l’on obtient une collimation parfaite (c’est-à-dire un alignement parfait des axes optiques des miroirs primaire et secondaire), celle-ci ne portera ses fruits qu’au centre exact de l’image obtenue à l’oculaire. Rappelons-nous à cet égard le conseil donné dans tous les articles traitant de la question, et je citerai encore ici celui de Thierry Legault : « Le processus de collimation est itératif (vérification-réglage-vérification-réglage) … » et «  à chaque fois qu'un réglage est effectué, l'étoile de contrôle, qui s'est déplacée dans le champ de l'oculaire suite à la modification de l'inclinaison du miroir secondaire, doit être soigneusement recentrée. »

En effet, l’image de l’étoile, si elle montre une collimation parfaite au centre du champ d’un oculaire donnant un grossissement de 500 x, affichera une déformation évidente dès que l’on s’éloignera de ce centre (voir note).

Remplacez donc alors l’oculaire par une caméra CCD : même si son capteur est parfaitement aligné sur l’axe optique et que son centre correspond précisément à celui du champ vu par l’oculaire (ce qui est loin d’être évident à réaliser…), vous n’obtiendrez les bienfaits de votre collimation parfaite qu’à cet endroit précis du champ alors qu’à sa périphérie, toute image stellaire montrera une coma (il n’est guère possible, sauf à imager avec un temps très court et à tomber dans un « trou de turbulence », de faire apparaître la tache d’Airy sur une image CCD, mais même l’image d’une étoile défocalisée montre clairement que l’alignement correct des miroirs ne porte ses fruits qu’au centre de l’image).

La collimation est correcte : une étoile qui serait située dans la zone centrale de cette image défocalisée montrerait une tache symétrique.

Dès qu'on s'en éloigne (la zone centrale représente le champ couvert par une focale de 6000mm, l'ensemble de l'image ci-contre étant couverte par une focale de 600mm), la coma apparaît. Elle est évidemment très accentuée dans les angles de l'image grand champ.

Ceci illustre à la fois le caractère critique d'une bonne collimation en imagerie planétaire haute résolution (perte importante dès qu'on s'éloigne de la zone optimale) et l'impossibilité de tirer profit de cette bonne collimation sur tout le champ couvert en imagerie du ciel profond.

Loin de plaider pour un laisser-aller en termes de collimation, cette constatation montre bien l’importance critique qu’elle revêt en imagerie planétaire, car il n’est pas question que le champ, bien plus étroit, couvert par le capteur, se trouve en-dehors de la zone centrale où la qualité est optimale.

Oui, donc, même en ciel profond, la collimation est importante car même si la totalité du champ couvert ne peut bénéficier de la « zone de qualité optimale », il faut se souvenir qu’elle consiste en un alignement des axes optiques des miroirs faute duquel cette zone se trouvera purement et simplement en dehors du capteur !... (voir note).

2 – La turbulence

Partons à nouveau du contre exemple de l’imagerie planétaire :

C’est ainsi que les meilleures images de Jupiter de Thierry Legault portent des légendes comme « 20 poses de 0,3 s à F/D 35 » ou celles de Mars «15 poses de 0,08 s à F/D 43 ».

Hélas, le ciel profond ne permet pas une telle sélectivité !

Les objets imagés, bien moins lumineux, nécessitent, même avec un rapport F/D 3 cent fois plus « rapide », des temps d’intégration beaucoup plus longs, de l’ordre de quelques dizaines de minutes. Deux partis peuvent être pris. Le premier consiste à compositer un nombre restreint d’images individuelles (5 à 10) acquises avec un temps d’intégration assez long (2 à 10 minutes), le second consiste à assembler plusieurs dizaines d’images acquises avec un temps plus court (de l’ordre de 20 secondes). Pour ma part, je n’ai pas le choix, la monture du LX90 présentant une erreur périodique ne permettant pas de dépasser 20 secondes, la seconde méthode s’impose à moi malgré les inconvénients qu’elle présente, notamment en cumulant les bruits de numérisation et de lecture (mais ceci est un autre débat…)

Quoi qu’il en soit, les poses longues ne permettent en aucun cas d’espérer tomber dans un « trou de turbulence » qui, même en montagne, et encore moins sur la côte normande, ne dure jamais que quelques fractions de seconde.

Mais l'impact de la turbulence est-il aussi dévastateur en imagerie du ciel profond qu'il l'est en planétaire ?

3 – La qualité du suivi

Comme je viens de l'écrire, ma méthode consiste à additionner des poses de 20 sec, l'erreur périodique de ma monture ne permettant pas de dépasser cette valeur au-delà de laquelle une ovalisation des étoiles est visible. Mais qu'en est-il pour une pose de 20 sec ? Si l'ovalisation n'est pas visible sur 95 % des images, est-elle pour autant inexistante ?

Une petite étude expérimentale


On peut se demander lequel des facteurs étudiés est le plus pénalisant : collimation/coma, turbulence ou imprécision du suivi ? A ces trois facteurs qui dépendent des qualités propres du matériel employé et du site d'observation, s'ajoute un quatrième, que l'on peut maîtriser davantage, qui est la qualité de la focalisation. On doit donc également s'interroger sur les conséquences d'un éventuel défaut de celle-ci.

Pour ce faire, j'ai analysé les images de quelques étoiles de l'amas de la crèche en recherchant,


Collimation et coma

Cette image a été prise avec un temps de pose de 1 seconde. Il aurait été préférable, pour que le résultat soit plus significatif, de disposer d'un nombre d'étoiles supérieur ; il aurait fallu pour cela augmenter le temps de pose et donc également l'influence de la turbulence et du suivi. En apparence, la FWHM aurait plutôt tendance à diminuer vers les bords, ce qui serait paradoxal. En fait, il ne semble pas possible d'affirmer, avec les données disponibles, qu'il existe une corrélation entre FWHM et distance au centre.

Influence du temps d'intégration : effet de la turbulence et de la qualité du suivi.

Cette seconde image a été prise avec un temps de pose de 20 secondes (comparer avec la précédente). Analysées conjointement, les deux images mettent en évidence :

Il faut donc se résoudre à voir le défaut de suivi empâter misérablement l’image et produire des étoiles dont la PSF étale la FWHM (voir les définitions) sur une largeur de l’ordre de 2,5 pixels, soit plus de 8 arcsec. On est bien loin, hélas, de la résolution théorique !!!

Influence d'une légère défocalisation

Sur cette troisième image, la mise au point a été très légèrement décalée (moins d'un huitième de tour de molette). A l'oeil nu, la différence est à peine visible. Et pourtant, l'effet est dévastateur ! La FWHM moyenne passe de 2,5 à 3,3 pixels, soit une augmentation de 32 %. Le résultat se passe de commentaire : la mise au point est critique ! Heureusement, c'est un facteur dont on a la maîtrise.

CONCLUSION :


La dégradation de l'image due à la coma en bord de champ n'est pas mise en évidence par les mesures effectuées. Son effet semble en tout cas limité.
La turbulence semble avoir, elle aussi, un effet négligeable.
En revanche, la qualité du suivi est primordiale puisque, même pour des images d'étoiles ne présentant aucun signe visuel d'ovalisation, l'erreur périodique sur une pose de 20 sec dégrade très sensiblement la FWHM sur l'axe d'ascension droite. C'est donc là le facteur le plus pénalisant, étant entendu par ailleurs qu'on aura accordé toute l'attention nécessaire à une excellente mise au point dont l'éventuelle médiocrité aurait un effet encore plus catastrophique.

Comme aurait dit Molière « et voilà pourquoi votre fille est muette ! » ou plutôt, voilà pourquoi mes images sont floues ! Mais cette explication est-elle pour autant une excuse ?

Non, bien sûr, car même si nous avons vu qu’un certain nombre de facteurs échappent à notre contrôle (coma en périphérie de champ, intégration du défaut de suivi causé par l'erreur périodique liée à la longueur des poses…) d’autres sont maîtrisables :

  • la mise au point doit être très soignée, afin de ne pas ajouter aux facteurs pénalisants incontournables un facteur de dégradation supplémentaire,
  • la collimation doit être au moins correcte, afin que la zone centrale de l’image en bénéficie au mieux et que les zones périphériques ne soient affectées que d’une coma minimale,
  • les images entachées d’un défaut de suivi lié à l’erreur périodique doivent être éliminées du compositage,
  • de même, celles dont la FWHM se serait trouvée trop étalée par l'effet d'une accentuation ponctuelle de la turbulence doivent être éliminées (sur ces deux points, la commande copyfwhm d'Iris permet de sélectionner les images dont les étoiles ont une fwhm moyenne sur les deux axes inférieure à une certaine valeur),
  • les images élémentaires doivent être parfaitement alignées avant compositage,
  • l’algorithme de compositage doit intégrer une méthode d’élimination des pixels déviants, afin de limiter leur contribution à l'image finale (la fonction composit2 d’Iris est tout à fait remarquable),
  • l’image finale, sous réserve qu’elle présente un rapport signal/bruit correct, peut être traitée par un algorithme de déconvolution qui, analysant la PSF, restaure les images d’étoiles en affinant leur FWHM (l’algorithme de Richardson-Lucy optimisé commandé par la fonction rl2 d’Iris donne des résultats intéressants, mais il faut pas en abuser sous peine de voir s’introduire de très désagréables artefacts ; de toute façon, il ne restituera pas une bonne image finale à partir de prises de vue médiocres).
Apport d'une déconvolution par l'algorithme de Richardson-Lucy

La FWHM moyenne passe de 2,5 à 1,66 soit un gain de 60 % ! Mais il y a un prix à payer : le bruit augmente et certaines étoiles se trouvent entourées d'un cercle noir qui sera assez désagréable sur les étoiles se détachant, par exemple, d'un fond clair comme la périphérie d'une galaxie ou une nébuleuse.


Note :

Il s’agit en fait de la mise en évidence de l’aberration comatique qui, même en cas d’alignement parfait des miroirs produisant une image optimale des étoiles du centre du champ, déforme celles se trouvant à sa périphérie. La collimation parfaite est obtenue quand l'angle a existant entre l'axe du miroir principal et celui de l'axe secondaire est égal à zéro. Le miroir principal étant sphérique, une décollimation, c'est-à-dire une valeur de a différente de zéro est en réalité équivalente à une collimation parfaite mais décalée en rotation du même angle a par rapport à l'axe de visée, c'est-à-dire à un endroit qui peut se trouver complètement hors du champ vu par l’oculaire ou le capteur. Ce sont alors les étoiles situées près du centre du champ qui seront affectées de coma...

Définitions :

FWHM : Full Width at Half Maximum, c’est-à-dire la pleine largeur à mi-hauteur de la courbe dessinée par le profil de l’étoile, étalée sur le pixel central et ses voisins.

PSF : Point Spread Function, c’est-à-dire la fonction d’étalement du point, fonction qui décrit la manière dont un détail normalement ponctuel se trouve étalé sur les pixels voisins.