Supports astatiques

par Frédéric Géa


Lorsque l'on désire avoir les meilleures images possibles à l'oculaire, la première condition à remplir, c'est d'avoir de bons miroirs. Mais ce bon miroir, aussi bon soit il, part avec un gros handicap si son support n'est pas à la hauteur de sa qualité. En effet, inutile d'avoir une optique d'exception à l/16 sous le test de l'opticien, si c'est pour le laisser se déformer sur un support inadapté. Lorsque l'on commence à réfléchir à la réalisation d'un instrument de grand diamètre, on a peine à croire qu'une telle masse de verre se déforme. Hélas, c'est pourtant bien le cas et le barillet devient alors une pièce dont la qualité est vitale. La forme de support la plus répandue dans le petit monde des dobsons, c'est le fameux étagement de triangles de flottaison combinés à la sangle de retenue. Ce système a l'avantage d'être simple à réaliser car les pièces sont assez basiques et faciles à usiner. Cependant, ce type de support recèle un certain nombre de pièges qui contribuent tous à déformer le miroir primaire. La sangle doit être remplacée par un support comme celui décrit dans la page "amélioration du support latéral du miroir". Ces supports permettent également la conservation de l'axe optique car il n'y a pas plus phénomène "élastique" de la sangle.

 

 

Les multiples étagements de triangles sont une autre source de problèmes. Ils génèrent des déformations car après chaque mouvement de l'instrument, ils ne reprennent pas exactement la même position. Ces minuscules différences semblent anodines mais elles contraignent le miroir. C'est le phénomène d'hystérésis. Ces déformations peuvent notamment générer de l'astigmatisme. Les professionnels utilisent depuis de nombreuses années des barillets dits "astatiques" qui évitent ces inconvénients. Jean Texerau décrit un barillet fonctionnant selon ce principe astatique pour un Cassegrain de 250 mm dans son ouvrage "La construction du télescope d'amateur". Cet ouvrage n'est hélas disponible qu'en anglais chez Willmann Bell sous le titre de "How to make a telescope". Cependant ce système se complique singulièrement lorsqu'il s'agit de supporter des miroirs de diamètres importants car chacun des points est soutenu par un levier. Le nombre de leviers augmentant, la réalisation est lourde et les réglages se compliquent beaucoup.

Une évolution importante

Afin d'éviter cela, les membres du projet OVLA ont inventé un système hybride comportant a la fois des leviers astatiques et des triangles. Ils ont poussé le concept très loin comme on peut le voir sur l'image suivante.

 

 

Les leviers ne poussent plus un seul point mais un triangle supportant 3 points. Le nombre de leviers diminuant, la réalisation est grandement simplifiée car il y a moins de mécanique, et la place nécessaire aux leviers était parfois problématique. C'est un progrès fondamental qui profite également aux réglages qui deviennent plus simples à réaliser.

La réalisation d'un barillet astatique est plus complexe que le système classique. L'amateur disposant d'un minimum d'équipement a tout intérêt à réfléchir à la question. Les usinages sont réalisables chez un tourneur ou dans un atelier de mécanique de précision.

Fonctionnement.

Le principe de base est relativement simple, des poids placés sur des leviers logés sous le fond du barillet, contrebalancent l'effet de la gravité en appliquant une "poussée" à l'arrière du miroir proportionnelle à sa masse.

 

ensem.jpg (23049 octets)

 

 

 

Lorsque le tube optique est abaissé vers l'horizon, les poids appliquent une moins grande poussée et la masse est progressivement prise en charge par les supports latéraux.

 

 

Ainsi, le miroir ne se déforme pas car il subit un effort constant. Tout cela est progressif car les leviers basculent petit à petit en transmettant une poussée de moins en moins forte au dos du miroir. La transmission de cet "effort" doit être réalisée sans déperditions dues par exemple à des frottements des pièces en mouvement et en conservant l'axe de "l'effort".

 

Cet axe est également conservé grâce à l'usage d'une vis de réglage située sur le levier.

Deux types de barillets astatiques.

Il existe deux façons différentes de réaliser le barillet. Soit la collimation est réalisée en poussant directement certains des points en contact avec le dos du miroir,

 

 

soit l'ensemble du support du miroir est poussé par des vis placées sur un niveau inférieur.

La transmission de l'effort.

Les axes qui reçoivent la poussée du levier astatique doivent transmettre cet effort sans aucune friction. Il est possible d'utiliser des "pistons" usinés avec une grande précision. Ces pistons doivent être d'un diamètre relativement petit (environ 5 mm pour un 500 mm), plus le diamètre est faible moins il y a de friction car les surfaces en contact sont plus faibles, il ne faut pas tomber dans l'excès inverse en utilisant des tiges qui fléchissent à la moindre sollicitation. Pour supprimer  au maximum ces frictions il est aussi possible d'utiliser des lames de métal a la place des "pistons" (voir page sur les Leviers Chrysocal). Dans ce cas, il faut utiliser un barillet à deux niveaux. En effet, contrairement à un système à piston qui possède un débattement de plusieurs millimètres voire centimètres, le support à lame ne dispose pas d'une course suffisante pour réaliser la collimation de l'instrument. Les lames peuvent être réalisées en feuillard.

 

levla.jpg (16699 octets)

 

 

Les lames servent à maintenir l'axe (ici, une tige filetée). Elles sont fixées sur le fond du barillet mais leur souplesse permet d'accompagner la transmission de la force. Dans la pratique elles ne bougent pratiquement pas et se contentent de transmettre l'effort. Afin d'éviter la rotation des lames, le mieux est de les fixer au barillet avec deux vis.

Les points d'appui.

Les points d'appui sont également importants et doivent être calculés avec précision. Les calculs suivants proviennent du programme Hansi de Luc Arnold. Ils sont hautement optimisés mais étant difficilement automatisables, ils n'ont été réalisés que pour des besoins précis. Si votre miroir en fait partie, n'hésitez pas à les utiliser.

 

 

Diam epaisseur F/D Nombre de points 6p (m) 12p (m) Centre triangles (m)
355 25 5 18 0,0673 0,1671 0,1293
460 51 4,5 18 0,0877 0,2098 0,1621
500 39,7 4 18 0,1015 0,2397 0,1871
525 38 3,74 18 0,1032 0,2183 0,1794
559 51 3,97 18 0,1061 0,2625 0,2029
600 40 4,7 18 0,113 0,2485 0,1954

De ces calculs dépendent le nombre de points de contact avec le miroir et de ce nombre de points dépend le design du barillet. Un 9 points, un 12 points ou un 18 points ne sont pas dessinés de la même façon. Suivant le choix retenu, la collimation sera réalisée en poussant soit un triangle, soit un point fixe. Afin de permettre au plus grand nombre de pouvoir réaliser un barillet astatique sans pour autant négliger la partie calcul, le tableau suivant contient les données pour des miroirs standard américains et français en Pyrex, pour des diamètres allant de 400 à 609 mm . Les calculs ont été réalisés sous le logiciel PLOP V2.0 de David Lewis, Toshimi Taki et Tom Boutell. Ce remarquable programme est relativement simple d'emploi si on désire calculer les points d'un barillet classique. Il peut être téléchargé à l'adresse suivante: http://www.eecg.toronto.edu/~lewis/plop/

Les chiffres sont dans l'ordre, le diamètre, l'épaisseur, le F/D, la distance par rapport au centre de la première couronne de points, la distance de la seconde couronne de points puis le centre de gravité du triangle lorsque le miroir repose sur son support. C'est à cette dernière distance que doit se trouver soit le piston, soit l'extrémité des lames.

Foc.

D. Se.

D. Prim.

FD

EP.

Co. Int.

Co. Ext.

Rot.

1600

80

400

4

40

78,33

158,14

142,12

1800

70

400

4,5

40

77,59

157,91

140,46

2000

70

400

5

40

78,18

154,67

140,46

1600

80

400

4

50

78,38

153,10

142,12

1800

70

400

4,5

50

77,68

152,92

140,46

2000

70

400

5

50

77,40

152,69

140,46

1624

79

406

4

41

79,38

160,51

143,89

1827

79

406

4,5

41

79,92

157,11

143,89

2030

66

406

5

41

79,17

156,96

141,72

1624

79

406

4

51

78,36

160,36

143,89

1827

79

406

4,5

51

79,10

155,08

143,89

2030

66

406

5

51

78,39

154,99

141,72

1800

90

450

4

40

88,73

178,66

159,89

2025

80

450

4,5

40

87,90

178,23

158,22

2250

70

450

5

40

87,22

177,92

156,56

1800

90

450

4

50

88,74

173,48

159,89

2025

80

450

4,5

50

87,96

173,20

158,22

2250

70

450

5

50

87,32

172,99

156,56

1828

89

457

4

41

89,98

181,42

161,98

2056,5

79

457

4,5

41

89,15

180,98

160,31

2285

79

457

5

41

88,73

180,52

160,31

1828

89

457

4

51

88,81

180,41

161,98

2056,5

79

457

4,5

51

89,23

175,88

160,31

2285

79

457

5

51

88,89

175,54

160,31

2000

100

500

4

40

99,12

199,65

177,65

2250

90

500

4,5

40

98,18

199,02

175,99

2500

80

500

5

40

97,46

198,50

174,32

2000

100

500

4

50

97,91

197,68

177,65

2250

90

500

4,5

50

98,21

193,74

175,99

2500

80

500

5

50

97,82

193,29

174,32

2032

102

508

4

51

99,47

200,81

180,56

2286

89

508

4,5

51

99,67

196,84

178,40

2540

79

508

5

51

98,98

196,52

176,73

2400

110

600

4

40

119,47

243,11

211,52

2700

100

600

4,5

40

118,46

241,86

209,85

3000

90

600

5

40

117,59

240,94

208,19

2400

110

600

4

50

118,37

239,25

211,52

2700

100

600

4,5

50

117,38

238,46

209,85

3000

90

600

5

50

116,54

237,90

208,19

2436

114

609

4

51

120,19

242,72

215,08

2740,5

102

609

4,5

51

119,12

241,97

213,08

3045

89

609

5

51

118,19

241,46

210,92

 

Les points de contact ne doivent pas s'écraser ou se déformer. Ces points ne doivent pas non plus adhérer au miroir car ils peuvent aussi devenir une source importante de contrainte. Il est possible d'utiliser des pastilles de Téflon de 5 a 10 mm de diamètre et de 3 mm d'épaisseur.

Les triangles.

Les triangles doivent être équilibrés afin que le leur centre de gravité coïncide avec leur point d'appui. En  effet, si un triangle ne reste pas bien à l'horizontale dans le barillet sans miroir, il ne l'est pas non plus, une fois le miroir en place, il va appliquer cette force au dos de la dalle de verre et donc ajouter une pression non désirée. Il est possible  d'ajouter une petite masse permettant une rééquilibrage de "l'assiette" du triangle. L'épaisseur des triangles ne doit pas être trop faible car il faut éviter les flexions au maximum, aluminium ou inox conviennent très bien si l'épaisseur est suffisante. Les triangles ont, à leur points d'appui, une rotule. Cette rotule doit aussi avoir un mouvement souple et doux. Si le barillet est à deux niveaux, une bille peut suffire car les butées permettant d'éviter le basculement du miroir peuvent être près de la surface du miroir car elles n'ont pas besoin de s'accommoder de la course des vis de collimation. Afin d'éviter la rotation de ce triangle, il faut placer un axe métallique qui bloque toute possibilité de rotation exagérée. Cet axe doit être solidaire du triangle et passer au travers du barillet mais sans être emprisonné. Il doit pouvoir permettre au triangle de bouger.

 

tri18.jpg (25355 octets)

 

Les leviers.

L'axe de rotation du levier est également un point à ne pas négliger. En effet, s'il est important d'éviter les frictions au maximum dans les "pistons", il est tout aussi important de garantir la même qualité de mouvement à cet axe de rotation. Une solution simple à mettre en œuvre, mais très efficace reste l'utilisation de cônes en inox et de surface creuse en bronze. D'autres matières peuvent convenir mais celles ci s'y prêtent tout particulièrement.

 

levh.jpg (24420 octets)

 

Une tige est usinée en pointe à 60° à ses deux extrémités. Elle est en son milieu soudée ou vissée à l'axe du levier (celui sur lequel le poids est fixé). Ces pointes entrent dans des cônes réalisés dans des vis elles mêmes vissées sur leur support. La surface de contact étant très faible, la friction est minimum. Le poids placé sur la tige doit être le plus éloigné possible (avec bien sûr une marge pour le réglage) afin de transmettre des mouvements doux, c'est à dire que pour réaliser l'effet levier, il vaut mieux utiliser un poids faible placé loin du centre de rotation du levier plutôt qu'un poids élevé placé à proximité de l'axe de rotation. Une des contraintes sera, bien sûr, la place disponible sous le barillet pour pouvoir placer ces masses. Les contrepoids se trouvent à l'extrémité du levier. Afin d'obtenir un mouvement doux, il est plus intéressant de placer un contrepoids plus léger plus loin sur le levier qu'une masse importante prés de l'axe de rotation du levier. Le contrepoids doit contrebalancer la masse de verre qu'il pousse. Dans le cas d'un 18 points avec 3 leviers astatiques, chaque levier pousse 1/6 du poids du miroir. S'il y a 6 kg à contrebalancer et que le rapport du levier est de 4, la masse à placer est de 1,5 kg.

Remarques générales

Il est possible d'adapter une barillet astatique à un télescope existant mais c'est toujours plus compliqué que de le prévoir au départ. La fabrication du barillet astatique n'est pas beaucoup plus complexe que la fabrication d'un barillet classique de dobson. Les outils nécessaires restent relativement simples puisqu'une scie à métaux et une perceuse permettent de réaliser l'essentiel du travail.

 

Exemple d'un barillet 18 points en mode mixte, triangles de flottaison et supports astatiques.

Réglages du barillet

 

barasta2.jpg (112640 octets)

 

Après pas mal d'efforts, la réalisation d'un barillet astatique s'est achevée et le test sur le ciel a enfin été possible. C'est un barillet destiné au 560 mm décrit sur ce site. Il comporte 12 points répartis de la façon suivante, 3 points  fixes sans rotule, et 3 triangles sur rotule et levier.  La transmission de l'effort est réalisée par des lames métalliques. La première image a été catastrophique car un astigmatisme important a été généré par le mauvais réglage de base. Après avoir enlevé le miroir de son support, il a été facile de constater que le miroir n'était pas en contact avec les 3 points fixes. Après réglages de ces points pour les amener a toucher le dos du miroir primaire, les 3 contrepoids des leviers ont été amené à un point proche de l'emplacement où il génèrent le moins de poussée. Comme la force des leviers est alors insuffisante, le miroir porte essentiellement sur les 3 points fixes.

 

tri1.jpg (49449 octets)

 

A l'oculaire, il y a alors une étoile triangulaire. Pour voir s'il faut ajouter de la force aux leviers, il suffit de soulager encore plus ces derniers en levant manuellement les contrepoids et constater que cette forme triangulaire est encore plus marquée, preuve qu'une puissance trop faible des leviers est bien la cause du problème. Il faut augmenter la force appliquée par les leviers au dos du miroir progressivement, jusqu'à ce que l'étoile devienne bien ronde. Si l'étoile est ronde mais que l'anneau est renforcé sur une partie précise, il faut agir sur un levier à la fois en le soulageant manuellement et contrôler si ce renforcement lumineux disparaît. Inutile de dire que ces opérations sont grandement facilitées s'il y a deux personnes pour les réaliser. Il est alors possible d'agir en direct sur les leviers et voir instantanément l'effet obtenu. Cette expérience est très intéressante car il est alors facile de constater combien un miroir, même épais, peut facilement se déformer au gré des contraintes. Dans le cas d'un barillet à deux couronnes de triangles, la procédure est la même, on termine simplement par le réglage de la couronne centrale qui sert à ajuster l'aberration de sphéricité.

 

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Merci à Luc Arnold pour son aide précieuse et la mise à disposition du tableau sur les points d'appui, ainsi qu'à David Vernet pour les photos qui illustrent cet article.

 

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