Les têtes binoculaires 

Par Frédéric Géa


La tête binoculaire TeleVue.

C'est bien un télescope, c'est même formidable, mais si on utilise assez régulièrement des jumelles, il faut bien admettre que le confort de la vision binoculaire apporte un plus indéniable. Le problème, c'est que la réalisation d'un  télescope binoculaire est  plus complexe que la réalisation d'un instrument classique. En effet le point le plus critique est la collimation de l'instrument. Il existe des télescopes de ce type jusqu'à des diamètres de 500 mm mais la réalisation ne souffre aucune erreur sous peine de ne pouvoir utiliser que les grossissements les plus faibles. L'alignement des deux tubes optiques ainsi que leur parallélisme doit être parfait. Le coût est également un élément dissuasif, car tout est en double: les supports, les araignées, les oculaires, les tubes, et bien évidemment les miroirs qui sont alors au nombre de six (si on n'utilise pas des renvois coudés comme 3eme miroir). L'offre commerciale est également des plus limitées et généralement plutôt offerte par des "artisans" peu connu, plus que par les grandes marques. Si l'on veut vraiment utiliser la vision binoculaire, il existe une autre solution, avec ces avantages et ses inconvénients : la tête binoculaire. N'ayant pas pu résister éternellement à la tentation, une tête binoculaire fait maintenant partie de ma panoplie.

Deux conceptions

Il n'existe pas qu'un seul modèle. Certes, le choix c'est formidable, mais quel modèle retenir ? Eh bien cela dépend de l'utilisation souhaitée et de l'instrument sur lequel l'appareil doit être monté. Etant utilisateur de dobson, il est tentant d'utiliser les deux yeux sur le ciel profond et sur les planètes. La différence principale qui distingue les produits des fabricants provient du montage des prismes et de leur diamètre. Les têtes sont droites ou inclinées a 45° (comme pour un microscope). La vision sous un angle est plus adaptée à une utilisation sur une lunette ou sur un Schmidt Cassegrain. Celestron, Orion et University Optics proposent cette catégorie de tête bino. La Takahashi TWIN VIEW offre aussi une vision à 45° mais sa qualité de fabrication, le diamètre des prismes et la bonne transmission de la lumière méritent que l'on s'y intéresse si l'on recherche une modèle de ce type. Ayant un newton,  j'ai opté pour une vision droite qui me semble relativement plus confortable. BW (distribué notamment par Lumicon et APM) et Televue sont parmi les fabricants de modèles "droits". Il semble, selon certaines personnes que le modèle fabriqué par ATM il y a quelques années ressemble pour le moins beaucoup à celui proposé aujourd'hui par TeleVue. La tête Televue a retenue mon attention car elle présente différents avantages non négligeables. Le diamètre de l'entrée du faisceau optique est de 26mm, ce qui permet l'utilisation d'oculaires ayant une large première lentille sans vignetage. Egalement à ne pas négliger, la transmission de la lumière semble être supérieure à celle obtenue dans les modèles type microscope. Le serrage des oculaires se fait par une bague qui resserre la collerette du support oculaire offrant ainsi une conservation de l'alignement.

La mise au point

Le principal problème lié à l'utilisation des binos sur un newton est que le trajet optique à traverser pour atteindre l'oculaire est relativement long (environ 140 mm pour la TV) ce qui rend la mise au point impossible sans l'utilisation de lentilles de barlow. Jusqu'à il y a peu de temps, le modèle de TV était livré avec une barlow 2x, qui, de par la distance à parcourir, aboutissait à un grandissement équivalent à une barlow de 3,8x. Autant dire qu'avec un montage de ce type, le grossissement minimum est pour le moins important ! Heureusement, le nouveau modèle a réduit ce grandissement à 2x, réduisant par là même, le grossissement minimum de près de 50%. Avec cette nouvelle lentille le système est quasiment parafocal. Les Schmidt Cassegrain et les lunettes sont autant de cas particulier. Ils peuvent parfois atteindre la mise au point sans l'utilisation de barlow et offrent ainsi un grossissement minimum des plus confortables. Attention, si le porte-oculaire de l'instrument est à cabestan et que l'oculaire tourne lors de la mise au point, la tête bino  tournera également, ce qui obligera à dévisser le serrage et à la tourner à chaque changement d'oculaires ou d'observateur. Ce qui ne pose pas de problème avec un seul oculaire devient vraiment pénible avec deux ! Un autre élément est également à prendre en compte, si l'on est équipé d'un porte oculaire au coulant 50,8 mm, il est important de disposer d'une bague de réduction de qualité (par exemple à serrage annulaire) ou l'alignement de l'ensemble télescope + bino risque de souffrir. Une tête bino atteint souvent le poids d'un nagler de 20 mm, auquel il faut ajouter deux oculaires. On atteint vite 1,5 kg.

Les oculaires

Le choix des oculaires, lorsqu'il s'agit de les utiliser sur une tête bino, est plutôt compliqué. En effet, tous les oculaires ne se prêtent pas à une utilisation en duo. Le premier point à contrôler, c'est leur confort et il varie beaucoup d'un modèle à l'autre. Ne disposant pas de la tête le jour ou j'ai choisi les oculaires, je me suis instantanément rendu compte que tenir à la main les deux oculaires devant les yeux ne signifiaient pas chose. Etant donné qu'ils ne sont alors pas parallèle, il est facile de trouver une position confortable mais lors de leur  mise en place dans la bino la différence peut être très importante. Les poser sur une table est plus intéressent mais alors on ne peut percevoir correctement quel sera le champ utilisable. Il a donc fallu que j'appuie le jeu d'oculaires tenu à la main, contre la vitrine du revendeur. Ainsi le champ est visible et le parallélisme est respecté. Là, surprise, des différences se font vite sentir et un modèle ayant une bonne réputation se détache pour son champ et son confort : le Panoptic 19mm. Il est léger, et c'est un atout lorsqu'il faut en utiliser deux avec en plus le poids de la bino. Pour des grossissements plus élevés , les Nagler, formidables par ailleurs, ne sont pas l'idéal car ils ne permettent pas de profiter pleinement de leur 82° de champ. De plus, leur corps et leur lentille d'œil imposante posent problème en augmentant de façon importante la distance inter pupillaire minimum et en obstruant parfois le passage du nez ! Les 68° des Panoptics sont pleinement utilisés. Les Panoptics 22 mm sont également intéressants, mais la masse totale grimpe allègrement. Un autre point important à ne pas négliger est que les oculaires varient avec le temps ainsi le Nagler 12 mm a connu récemment un lifting important. Cette fois la différence entre les deux modèles est clairement visible, mais elle est souvent plus discrète et peut conduire à disposer de deux oculaires de type identiques mais ayant une mise au point différente. Pour obtenir des grossissements supérieurs, il est aussi possible de jouer sur le choix des barlows. Les grands champs sont difficilement accessibles car la combinaison grand champ, longue focale, et coulant 31,7 mm est pour le moins rare. Mais on peut se consoler en remarquant que le champs réel obtenu avec l'utilisation d'oculaires type Plössl de 30 mm et de 50 de champ apparent n'est guère supérieur. Il est bien sûr possible d'avoir un second jeu de tube serrurier plus court, mais l'idéal reste d'avoir un télescope disposant d'un long F/D. Bref, le choix des oculaires utilisables en bino est bien plus restreint qu'en mono.

Il est naturellement impossible de décrire les sensations visuelles mono comme binoculaires, aussi je ne puis que vous présenter quelques sensations subjectives données par la tête bino.

La lune et les planètes

L'utilisation de la tête bino sur la lune procure un incroyable plaisir. La perception de l'image est totalement différente. La lune semble s'être rapprochée et devenir presque tangible, distante de quelques mètres. Lorsqu'il n'y pas de suivi équatorial, elle donne l'impression d'un vaisseau spatial passant silencieusement. Les petits détails, d'ordinaire fugaces sont beaucoup plus présents. Les fines rainures et craterlets  sont plus facilement observables. La lumière collectée par l'instrument étant importante, la tête bino apporte un surcroît de confort en diminuant légèrement la brillance. La durée d'observation est quasi illimitée. Les avantages de la vision binoculaire pour l'observation des planètes sont proches de ceux obtenus lors de l'observation de la lune. Les fins détails qui demandaient jusqu'alors un certain temps pour être perçu, sont visibles presque immédiatement. Un observateur totalement novice sur Jupiter, présent lors de l'une des premières observations avec la bino, a immédiatement détecté des détails qui demandent une certaine habitude pour être perçus. La recherche de détails plus subtils encore ne pose pas de problème car la fatigue oculaire est infiniment plus faible et il n'est pas besoin de "souffler" pour retrouver le potentiel de la vision. Un phénomène étonnant qui demande à être mieux examiné, est la perception de l'image comme étant observée avec un grossissement plus important, de l'ordre de 50 %. En effet, l'observation attentive de Jupiter à 230 x me donne l'impression d'une image monoculaire à 300 x. De même, le seeing semble être moins préjudiciable à la perception des détails. Il serait ridicule de dire qu'il s'améliore, mais le cerveau semble décoder beaucoup mieux l'image, il est "câblé" pour travailler avec les deux yeux et cela se voit. Le gain de confort et le plaisir d'observer avec les deux yeux ne se fait pas sentir qu'avec un grand diamètre puisque un 200 mm présent lors de ces observations a également offert une fantastique image d'un croissant de lune piqué d'une multitude de cratères et d'une formidable esthétique, que ne rend pas la vision monoculaire.

Le ciel profond

Les tests réalisés jusqu'alors ne sont pas suffisamment nombreux pour en tirer des conclusions. Cependant, quelques grandes lignes semblent commencer à se détacher. Le problème principal est naturellement la séparation du faisceau optique en deux, avec la traversée de prismes. Il est évident que la quantité de lumière qui atteint l'oeil, n'est plus aussi importante. Cependant, il semble, d'après certains observateurs, qu'une compensation de l'ordre de 1,4x s'opère et compense en partie cette baisse. Une expérience simple consiste à observer dans une pièce proche de l'obscurité une feuille blanche alternativement avec une œil puis les deux. Lors de l'utilisation des deux yeux, la feuille semble augmenter légèrement en "luminosité". L'observation des objets limites ou faibles ne semble hélas pas totalement convaincante. Par contre, les objets brillants comme les globulaires, bien que légèrement moins brillants, offrent un spectacle fantastique. Si le suivi équatorial est coupé ou absent, le spectacle est grandiose. Le fameuse sensation d'observer à travers le hublot d'un vaisseau spatial procuré par les Naglers et autres oculaires à grand champ est ici bien plus intense. Les Panoptics n'ont certes "que" 68° de champ, mais ils donnent l'impression d'en avoir bien plus. L'objet est beaucoup plus présent et s'impose à l'observateur. Les nébuleuses planétaires brillantes ont des détails facilement accessibles.

Conclusion 

Le choix d'une tête bino dépend en grande partie de l'instrument et des centres d'intérêts de l'utilisateur. Si le diamètre est faible ou si les planètes et la lune sont les seules cibles, la quantité de lumière apportée par ces objets ne nécessitent pas une transmission de la lumière parfaite. Ces instruments, notamment les lunettes et les  Schmidt Cassegrain, se prêtent également peu à une observation droite, comme c'est le cas pour les Newton. Une tête plus "économique" que les hauts de gammes semble intéressante. Si l'observateur dispose d'un grand diamètre en newton, les binos de BW ou TeleVue présentent un intérêt certain en planétaire mais aussi en ciel profond. Certes, pour les purs et durs du ciel profond, il ne faut pas espérer mieux percevoir la NP Abell limite en monoculaire, mais l'esthétique des globulaires et des brillantes NP mérite le coup d'oeil.

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