"Sur un effet thermique observé dans les télescopes à réflexion"


André Couder a écrit cet article dans "l'Astronomie" au numéro du mois de septembre-octobre, année 1949, bulletin de la Société  Astronomique de France, j'en cite ici une partie, celle qui concerne en particulier les lames droites et l'analyse du phénomène.

 

...Seul un support composé de lames plates tendues (support du miroir secondaire)peut procurer la rigidité nécessaire dans un grand instrument. Il y a en principe avantage à faire des lames aussi minces que le permet la résistance des matériaux. 

Sans reprendre la théorie de la diffraction dans le cas où un écran filiforme est interposé dans la pupille d'entrée d'un instrument, rappelons seulement que l'énergie diffractée est d'autant moindre et qu'elle est répartie dans un angle d'autant plus grand que l'écran est plus étroit, double raison de voir diminuer l'éclairement nuisible. Soit un télescope de diamètre D, dans lequel les lames supports ont une épaisseur e; supposons qu'une pose photographique enregistre les étoiles jusqu'à la magnitude M1; il est possible d'évaluer par le calcul à partir de quelle magnitude M2 inférieure à M1 les étoiles apparaîtront sur le cliché ornées d'aigrettes de diffraction. La différence M1-M2 mesure le succès avec lequel est établi le support du second miroir. Observant au télescope de 80 cm ... ...j'ai trouvé une différence de M1-M2 inférieure  de 3 ou 4 magnitudes à ce que j'attendais: les aigrettes forment un excès imprévu d'éclat. Seconde remarque: l'alternance des maxima et minima d'éclairement caractéristiques de la figure de diffraction pour une fente de largeur e n'est pas perceptible. Troisièmement, l'éclat des aigrettes observées visuellement au voisinage de Véga, par exemple, varie amplement d'une nuit à l'autre et même au cours d'une même nuit. Enfin, un conducteur électrique qui se trouvait un jour tendu en travers du tube donnait naissance à une aigrette moins brillante que celle qui sont produites par les lames quoique ce fil, rond et lisse, eût un diamètre presque double de l'épaisseur de celles-ci. » (suivent les analyses du phénomène que je peux communiquer à ceux qui le désirent altaz@astrosurf.com) ...«Nous sommes évidemment en présence d'un effet lié au phénomène banal qui produit la rosée. Les lames support perdent de la chaleur par rayonnement; la couche d'air voisine se refroidit à leur contact.... ... les lames du télescopes de 80 cm ayant à peu près 10 cm de hauteur ... ...correspond un abaissement de température de 2,7°. Un fil rond, substitué à la lame s'entoure comme elle d'une couche d'air froid, mais cette gaine est cylindrique: le trajet de la lumière selon une de ses cordes est très court; ainsi s'explique l'une des remarques faites plus haut.» (suit les démonstrations d'abaissement de température) «...Le pouvoir émissif de la peinture noire qui recouvre les lames est 0,9; d'où abaissement de température de 4,4°, pour l'air calme. En refaisant le calcul avec une valeur double du coefficient de convection, nous trouvons -3,1°. Ces nombres s'accordent bien avec le résultat expérimental cité plus haut, -2,7°: l'air voisin des lames est évidemment plus chaud que celles-ci. La régularité des apparences observées tient à ce que la vitesse de circulation de l'air est bien trop faible pour s'accompagner de turbulence: le régime d'écoulement est laminaire.

 

Les aigrettes étant dues principalement à la réfraction dans une couche d'air froid, plusieurs remèdes s'offrent immédiatement. Réduire la longueur du trajet optique dans cet air froid en diminuant la hauteur des lames; en les ajourant d'ouvertures là où le permettent les efforts qu'elles supportent; en leur substituant des systèmes de fils d'acier. Accroître le coefficient de convection par une ventilation forcée. Ajouter au tube du télescope un prolongement aussi long que le permet la grandeur de la coupole pour diminuer l'angle solide sous lequel est vu le ciel. Enfin, diminuer le pouvoir émissif des lames; ici quelques explications sont nécessaires.

L'énergie rayonnante qui est échangée par les objets à la température ordinaire  a son maximum d'intensité pour une longueur d'onde lm voisine de 10 m. Dans ce domaine spectral, les peintures et les vernis sont très absorbants: leur pouvoir émissif est peu inférieur à celui du corps noir. Remarquons en passant que cette propriété est presque indépendante de la nature du pigment et résulte surtout de l'absorption par le produit liant qui l'enrobe... ... La plupart des métaux, polis, ont au contraire un pouvoir émissif infra-rouge inférieur à 0,12. Introduisons ce nombre dans la formule précédente... ...nous trouvons la température réduite de 1,2° ou 0,65° (en fonction de la convection), c'est à dire presque au quart ou au cinquième.

Pour vérifier cette prévision sur le télescope de 80cm, j'ai simplement recouvert les lames telles qu'elles existent d'une feuille d'aluminium poli, épaisse de 15 m , fixée sur un enduit adhésif résineux. L'opération ayant été faite sur une seule des deux lames en croix, on a d'abord observé l'image avec un oculaire faible. L'effet favorable est immédiatement évident quoique l'œil juge assez mal le rapport de deux sources linéaires: l'aigrette correspondant à la lame traitée est apparue (la vitesse du vent étant variable) plus faible et 2 à 6 fois moins longue que l'autre... ... Il va de soi que le revêtement d'aluminium collé n'est qu'un moyen de fortune. Sur un instrument en construction on emploiera des lames d'acier poli, nickelé ou chromé vif, ou bien une légère dorure sur sous couche de nickel.

 

Les surfaces polies ne vont elles pas donner lieu à des reflets nuisibles? Pour voir que cette crainte est vaine, considérons d'abord l'observation au foyer Cassegrain: comme les lames sont parallèles à l'axe optique, d'un point du champ pris à quelque distance de l'axe on aperçoit une image du ciel par réflexion très oblique sur les lames. Cette image a une brillance peu inférieure à celle du ciel lui même; elle apparaît sous un angle solide très petit par comparaison avec l'ouverture supérieure du télescope; en conséquence, l'éclairement du plan focal ne subit qu'un accroissement insignifiant. On a d'autant moins à regretter que le facteur de réflexion des meilleurs vernis est loin d'être nul sous une incidence rasante. Passons au foyer newtonien; l'œil placé au foyer peut apercevoir par réflexion sur les lames une certaine région intérieure de la partie haute du tube: cette région devra être noircie.

Le bénéfice que procure un revêtement peu émissif peut être étendu à toutes les pièces de la partie supérieure de l'instrument, notamment au barillet du petit miroir. Je n'ai jamais observé de gaine froide autour de ce barillet, aux télescopes de l'Observatoire de Haute Provence; ce fait peut s'expliquer ainsi. Nous avons pu considérer constante la température lorsque nous considérions les lames supports minces et légères qui atteignent très vite leur température d'équilibre. Il en va autrement des barillets, dont la masse dépasse 15 kg. Leur vitesse de refroidissement pour un écart de quelques degrés est comparable à la vitesse à laquelle décroît la température au cours de la nuit.... ...c'est la chaleur accumulée pendant le jour dans ces pièces massives qui subvient à la perte par rayonnement. La couche d'air froid apparaît autour du petit miroir quand il est léger; son existence a été signalée par M.P.J.Hargreaves, qui lui attribue l'apparente surcorrection de l'aberration de sphéricité qu'on observe souvent. La gaine froide ayant au plus 1cm d'épaisseur, cette explication de la surcorrection me paraît suffisante seulement pour un instrument de petite ouverture. Quoi qu'il en soit, le remède que je viens d'indiquer peut être appliqué sans difficulté. »  (André Couder. Sur un effet thermique observé dans les télescopes à réflexion)

Pour illustrer cet article ne manquez pas d'aller voir http://www.geocities.com/Paris/Cafe/7068/bino.html , une superbe réalisation.

 

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