Éditorial – juin 2005, volume 119


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Éditorial

Du côté de Juvisy

À l'occasion du centième anniversaire de la mort du célèbre écrivain, les maisons Jules Verne de Nantes et d'Amiens ont droit à une cure de jouvence. Nous faudra-t-il donc attendre 2025 pour que la "maison Camille Flammarion" que nous avons reçue en héritage en 1962 soit, elle aussi, sauvée de l'oubli et de la ruine qui la menace ? Cette maison, tout le monde la connaît, c'est l'observatoire de Juvisy, haut lieu de l'astronomie de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Un peu plus dégradé chaque jour qui passe mais encore solide sur ses fondations, il arbore toujours fièrement sur le fronton de son portail la devise emblématique de son fondateur "AD VERITATEM PER SCIENTIAM". Telle la Belle au bois dormant, il espère qu'un prince charmant — et surtout riche et généreux — viendra un jour — un très beau jour que ce jour-là — le tirer de sa léthargie pour lui faire revivre les grandes heures d'autrefois, quand les noms de Flammarion et de Juvisy symbolisaient, bien au-delà de nos frontières, la science du ciel et la passion qu'elle inspire.

Faisons un rêve. Le prince charmant, ayant pris l'apparence d'un mécène éclairé, n'a pas attendu 2025 pour ouvrir sa bourse. Sous sa coupole restaurée et sauvée de la rouille, la belle lunette de 240 mm — une authentique pièce de musée — se retrouve, telle la lunette de la Sorbonne, tout à fait apte à reprendre du service. Quel émouvant symbole de continuité de voir de nouvelles générations d'astronomes observer le ciel de Juvisy avec le même instrument que l'auteur de l'Astronomie populaire. Et tout le reste qui retrouve sa place dans l'espace rénové de l'observatoire : la prestigieuse bibliothèque astronomique patiemment rassemblée par le bibliophile averti qu'était Flammarion ; ses œuvres complètes dans toute la variété de leur présentation, de l'édition de luxe au petit volume broché à 60 centimes (de l'époque) ; les collections photographiques, comprenant plusieurs milliers de clichés sur verre et sur papier ; les archives, manuscrits et correspondances, souvent sollicités par des chercheurs français ou étrangers ; les globes et autres objets, rares ou curieux, parfois donnés par des admirateurs ; des meubles, des tableaux, que sais-je encore, tout cela depuis si longtemps entassé à l'étroit et de ce fait peu ou pas exploitable.

Avec, au bout du rêve, quel résultat ? Un "Musée Flammarion", certes riche d'enseignements mais figé dans le passé ? Bien au contraire, l'observatoire a vocation de redevenir un lieu de travail, d'étude et d'éducation, où la Société Astronomique de France mettra les richesses du fonds Flammarion à la disposition de chercheurs venus de tous les horizons. Et quelle incomparable leçon de science pour les écoles primaires, les collèges, les lycées appelés à comparer, dans un parcours pédagogique adapté à chaque niveau, l'astronomie d'hier à celle d'aujourd'hui. Tout ceci à la plus grande satisfaction des Juvisiens qui, très attachés à leur patrimoine culturel, s'alarment depuis longtemps de la décrépitude de "leur" observatoire Flammarion. Leur inquiétude s'est concrétisée l'année dernière sous la forme d'une association dynamique, Les Amis de Camille Flammarion, dont le but s'inspire du sort du soldat Ryan : "Il faut sauver l'observatoire du Juvisy".

Les "Journées Flammarion" qui se dérouleront sur le site de l'observatoire les 3 et 4 juin 2005 marqueront la volonté d'aboutir de tous ceux qui veulent réellement sauvegarder l'une des plus anciennes et des plus prestigieuses créations scientifiques privées de notre pays.

Jacques Pernet
Conservateur du fonds Flammarion de l'observatoire de Juvisy-sur-Orge