L’OCCULTATION RASANTE

    L’observation de ce phénomène est un peu plus compliquée que celle de l’occultation normale car, outre la répartition de plusieurs observateurs en différents postes d’observations, il nécessitera toujours un déplacement allant parfois jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres (selon l’intérêt de l’observation). Ce déplacement est dû au fait que l’occultation rasante n’est visible que dans une étroite bande de terrain. Il existe sur la surface de la Terre une zone d’occultation normale où l’on voit l’étoile disparaître ou réapparaître derrière le disque de la Lune, et deux zones de conjonction serrée desquelles on voit la Lune passer soit au nord, soit au sud de l’étoile sans l’occulter. C’est à la limite de ces deux zones (occultation et conjonction) que l’on pourra voir l’étoile raser les régions polaires nord ou sud de la Lune. En raison du relief lunaire chacune de ces deux zones est large de quelques centaines de mètres à quelque vingt kilomètres environ. La largeur réelle de cette bande de terrain dépend de l’ampleur du relief de la Lune (plus prononcé au pôle Sud qu’au pôle Nord) et de la hauteur de la Lune au-dessus de l’horizon. C’est pour une occultation rasante ayant lieu au pôle Sud de la Lune que la bande de terrain sera la plus large, ces régions étant plus accidentées qu’au pôle Nord.

    Un observateur placé dans cette zone pourra ainsi voir l’étoile disparaître et réapparaître chaque fois que celle-ci passera derrière une montagne lunaire ou dans une vallée. Dans cette zone d’occultation, plusieurs observateurs répartis plus ou moins perpendiculairement à l’axe de cette zone pourront enregistrer des temps différents pour les mêmes phénomènes.

    En fonction de la position de ces observateurs, du déplacement apparent de la Lune et des temps des observations, un profil du relief des régions polaires pourra être déterminé sur un arc de plusieurs degrés. Comme la vitesse de la Lune, par rapport aux étoiles, est d’environ 0,549" par seconde de, ce qui équivaut sur la Lune à un kilomètre environ, les instants d’une précision de 1/10 de seconde donneront une résolution des détails du relief lunaire de moins de cent mètres.

    Comme pour l’occultation normale il suffit d’enregistrer simultanément sur magnétophone, et les tops horaires émis par l’horloge (ou la radio), et les tops vocaux de tous les instants de disparitions et de réapparitions.

    La figure 1 illustre un cas fictif de déplacement apparent d’une étoile derrière le relief de la Lune dans les régions sud observé par six observateurs terrestres.

Fig. 1. Cas fictif d’une occultation rasante sud suivie par six observateurs. En ordonnée on a porté l’altitude du relief sans tenir compte de la courbure de la Lune. Dans ce système, la trajectoire de l’étoile doit donc être courbée pour que sa position relative par rapport au relief soit correcte.

    Dans cet exemple, l’observateur A, situé le plus au sud de la ligne, n’a pas vu d’occultation, c’est-à-dire que l’étoile a frôlé le bord de la Lune sans qu’il y ait eu de contact (Miss). En B, on a pu observer deux contacts rapprochés. En C, deux contacts également, mais un peu plus éloignés. En D, il y a eu quatre contacts assez proches l’un de l’autre et deux contacts assez éloignés. En E, quatre contacts très éloignés et deux plus rapprochés. Et enfin, en F, il n’y a eu qu’une longue disparition puis une réapparition, comme une occultation normale.

Le profil de Watts

    Nous devons préciser que si le relief de la Lune n’est pas connu avec précision, nous avons quand même une petite idée de sa forme (figure 2). Ce relief a fait l’objet d’une étude de la part de C.B. Watts qui édifia quelque 1 800 cartes, résultat d’une étude photographique qui dura sept ans et que l’US Naval Observatory publia en 1963 sous le titre de The marginal zone of the Moon. Très vite, G.E. Taylor s’aperçu qu’une rotation de –0,2° sur l’angle de position devait être apportée à ces cartes.

Fig. 2. Profil altimétrique du limbe obtenu avec les données de Watts pour des librations de 0°. La circonférence représente le limbe moyen. Les irrégularités du profil sont également à l’origine des éclipses perlées.

    L.V. Morisson édita, en 1970, une étude basée sur la confrontation du profil de Watts avec les résultats d’observations d’occultations rasantes, les occultations normales et l’Atlas du limbe lunaire de Weimer.

    La première confrontation fut faite en superposant les points des disparitions et des réapparitions observées avec le profil de Watts. Les résultats obtenus montrent une erreur systématique de –0,25° ±0,02° pour l’hémisphère Nord et –0,25° ±0,01° pour l’hémisphère Sud. La comparaison avec l’Atlas du profil lunaire de Weimer (139 tracés du limbe) suggère une rotation de l’angle de position de –0,27° ±0,02°, confirmant ainsi la comparaison avec les occultations. Et enfin, Morisson observe que si l’on inclut le relief marginal dans le calcul des réductions des occultations normales, l’écart observé moins le calculé (O – C) est diminué de 0,026" si l’on applique au profil de Watts la correction de –0,25°. En 1982, après analyse des occultations rasantes observées entre 1964 et 1977, Morisson proposa une nouvelle correction de –0,237° ±0,010° a appliquer à l’angle de position.

Travaux de préparation

    Chaque année, Jean Meeus et Jean Schwaenen déterminent, par le calcul, les lignes centrales d’où les occultations rasantes seront observables en Belgique et en France. Celles-ci sont ensuite reportées sur une carte qui servira pour la préparation et la sélection des phénomènes pour lesquels une expédition pourrait être envisagée. De telles cartes sont régulièrement publiées dans des revues telles que Pulsar, Astronomie, Ciel et Terre, ...

    Généralement, c’est un amateur expérimenté qui est chargé de préparer et d’organiser ces expéditions. Il est responsable d’un groupe d’observateurs. C’est lui qui, un an à l’avance, reçoit les prédictions qui lui fournissant tous les renseignements nécessaires à la préparation de l’expédition.

    À partir des données en longitude et latitude des deux premières colonnes contenues dans ces prédictions le responsable trace, sur une carte du pays, une ligne représentant le milieu de la zone d’où sera observable le phénomène ; il peut ainsi choisir, en tenant compte si possible du déplacement à effectuer, la région la plus appropriée à l’observation. Ensuite, sur une carte plus détaillée de la région choisie (1/25 000), il devra retracer, avec plus de précision, une nouvelle ligne centrale à l’aide de trois ou quatre points dont les coordonnées sont trouvées au moyen de la formule d’interpolation suivante :

      d  
l=l1+a(j-j1)+------ (j-j1)(j-j2)

  e22!

dans laquelle e = j2 j1, a = l2 – l1, b = l3 – l2, d = b – a. La longitude du lieu pour laquelle on veut trouver la latitude correspondante est j, la longitude située avant j est j1 et la longitude située après j est j2La latitude correspondant à la longitude j1 est l1, celle correspondant à la longitude j2 est l2 et celle qui suit la latitude de j2 est l3. Par exemple, si d’après les prédictions le responsable doit trouver la latitude correspondante à une longitude de 4,23°, il aurait : e = 1 (5° – 4°), a = 0,405834 (50,112222 – 49,706388) (latitudes décimalisées), b = 0,395278 (50,5075 – 50,112222) et d = –0,010556. Ce qui donne :


  -0,010556
49,706388 + 0,405834 x 0,3833 + ---------------  x 0,3833 x -0,77 = 49,86319179
   2

    Il pratiquera de la même façon pour trouver les deux autres latitudes correspondant aux longitudes de la carte (par exemple 4,25 et 4,27) et obtenir ainsi une ligne centrale de la zone plus précise.

    Cette ligne marque en fait une limite, car si la Lune était sphère parfaite, d’un côté il n’y aurait pas d’occultation et de l’autre côté il y aurait occultation normale. Mais le bord lunaire étant accidenté celle-ci s’élargit en une zone s’étendant sur plusieurs centaines de mètres. Grâce aux valeurs du relief lunaire tirées de The marginal zone of the Moon de C.B. Watts, on peut estimer les limites nord et sud de cette bande. Comme la ligne est calculée pour le limbe lunaire moyen et un site d’observation situé au niveau de la mer, nous devons encore apporter deux corrections au positionnement de cette ligne. La première, qui tient compte de l’amplitude du relief lunaire est trouvée avec :

1,86D                                  
-----------       (en kilomètres)
sin Hm                           

) est la hauteur maximale du profil lunaire à l’endroit où l’étoile sera occultée et Hm la hauteur maximale, au-dessus de l’horizon, que la Lune atteindra au cours de son parcours dans la zone d’occultation. La deuxième correction, qui tient compte de l’altitude du site d’observation, est trouvée avec :

                 alt                          
-----------   (en mètres)      
tan Hm       
                       

alt est l’altitude du site d’observation exprimée en mètres.

    Ces deux corrections vont occasionner un glissement de la zone d’observabilité, toujours perpendiculairement à la ligne, vers le sud (pour l’Europe) pour la correction due à l’altitude de l’observateur et de part et d’autre de la ligne pour la correction due à l’amplitude du relief lunaire.

    Après avoir choisi sur la carte les endroits accessibles où il pourra placer les postes d’observations, il ne reste plus au responsable qu’à envoyer les invitations aux amateurs intéressés. Ceux-ci se retrouveront à un endroit précis (quartier général) 1 h 30 au minimum avant l’instant du phénomène afin d’être dirigés vers leur position respective. Ils devront être prêts à observer au moins un quart d’heure à l’avance, ce qui leur permettra de reconnaître le relief lunaire.

    Le responsable, quant à lui, doit, si possible, se trouver sur place beaucoup plus tôt afin de s’assurer que l’endroit choisi sur la carte convient à l’observation et ainsi préparer les stations. En effet, il arrive parfois que l’endroit choisi ait subi des modifications (puissant éclairage, nouvelle construction, propriété privée, etc.), ce qui pourrait rendre l’observation très difficile, voire impossible ; il aura ainsi le temps de rechercher un autre site plus approprié. De plus, il est prudent de prévenir la gendarmerie locale ou les habitants car dans l’obscurité certaines personnes non averties pourraient prendre la lunette ou le télescope pour un obusier et vous envoyer un bataillon de gendarmes, comme cela nous est d’ailleurs arrivé le 5 septembre 1977, pendant l’observation d’une occultation rasante près de Chimay où nous fûmes mis en joue par des gendarmes mitraillettes aux poings.

    Si c’est possible il doit aussi tenir compte de la puissance des instruments et de l’expérience des observateurs afin de les répartir au mieux de leurs possibilités : par exemple, il placera les observateurs les plus expérimentés ainsi que les plus gros instruments aux stations susceptibles d’obtenir un maximum de contacts. En général ces stations sont, pour une occultation nord, réparties tous les 40 à 50 mètres sur une étendue de quelques centaines de mètres et, pour une occultation sud, tous les 100 à 200 mètres sur une étendue de quelques kilomètres. Ces valeurs ne sont pas conventionnelles, elles peuvent varier selon l’amplitude du relief lunaire. Bien entendu, le nombre de stations et leur intervalle dépendront surtout du nombre d’observateurs présents. Elles seront placées, si possible, près de certains repères (borne géodésique, petits chemins, etc.) qui sont facilement repérables sur la carte afin de déterminer, après l’observation, leur position exacte.

L’observation

    Dès que la première disparition est imminente il est nécessaire d’identifier la minute du début de l’enregistrement ; par exemple, après le top de la minute, dire "ceci était la minute 18". Il est également nécessaire de respecter, pendant toute l’observation, les règles suivantes :

1. Être bien concentré, ne jamais quitter l’oculaire car une réapparition peut très bien survenir quelques secondes, voire quelques dixièmes de seconde seulement, après une disparition, ou vice versa.

2. S’efforcer de bien réagir et très rapidement aux différents contacts.

3. Ne pas faire de trop longs commentaires, se contenter de dire "trois dixièmes de retard", "disparition graduelle", etc.

4. Lorsque l’on enregistre les instants de disparition ou de réapparition par des "tops" ou des "tips", ne pas hurler dans le micro, pensez à vos compagnons qui pourraient être influencés dans leur observation par vos cris. Ce n’est pas un conseil en vain, cela s’est déjà produit.

    De retour chez lui, chaque observateur dépouillera son enregistrement avec soin (voir "Le dépouillement"). Celui-ci terminé, il retranscrira ses mesures sur des formulaires ad hoc qu’il renverra au responsable qui devra comparer la totalité des données afin de déceler d’éventuelles erreurs. Il peut aussi calculer les O-C (Observé-Calculé) avant de les envoyer à l’institut chargé de les recueillir et de les traiter.