INITIATION A LA SPECTROGRAPHIE
 
 

Objet : Les premiers pas en spectrographie astronomique. Construire un spectrographe très simple et apprendre à interpréter les spectres.

Pré-requis : Savoir utiliser un télescope, avoir fait quelques images CCD et être passionné.

Animatrice : Aude Peltier (pour en savoir plus sur  Aude Peltier, cliquer ici...).

Stagiaires : Christian, Raymond et Alain.

NB: toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé est pure coïncidence !

 

A propos des stagiaires :

Christian : a lu beaucoup de livre sur l'astronomie. Il a fait le circuit de l'observation à l'oeil nu à l'image numérique avec une webcam. Depuis peu de temps il utilise une caméra CCD refroidie pour l'imagerie du ciel profond. Ces premières images le satisfont et il est émerveillé par les possibilités des détecteurs électroniques. Il possède un télescope de 200 mm du type LX200 pour ne pas trop s'embêter avec le pointage. Il perçoit l'importance de la spectrographie en astronomie, mais a du mal à imaginer que des amateurs puissent aborder un sujet aussi technique. Pour lui c'est une activité pour les matheux et il considère qu'il n'a pas le niveau. Mais il est curieux de tout, alors...

Raymond : grand bricoleur devant l'éternel. C'est la technique qui l'intéresse le plus. Il se sert peu de la lunette de 128 mm de diamètre que ça femme lui a offerte. Il faut dire qu'il observe en ville, ce qui, selon lui, limite singulièrement le champ d'observations. Aussi, en plus des aspects techniques, il est motivé car il a entendu dire que l'on peut faire du bon boulot en spectrographie, même lorsque l'on est submergé par la pollution lumineuse.

Alain : Il a pas mal bourlinguer parmi les galaxies avec son beau télescope de 250 mm, mais essaye de donner un autre sens à ces observations astronomiques. Il aimerait que ces observations aient une utilité en dehors de sa propre satisfaction personnelle. Pourquoi ne pas travailler de concert avec d'autres amateurs, où même des professionnels ce dit-il. Il considère la spectrographie comme un terrain vierge à explorer et cela le motive pas mal.

 

Aude - Bienvenu !

Je vais considérer que ce stage constitue votre premier contact avec cette discipline l'on appelle "spectrographie". Vous s'avez s'en doute qu'un spectrographe est un appareil qui analyse la lumière en la décomposant dans ces différentes couleurs pour former un "spectre coloré". L'analyse spectrale des astres est cruciale car c'est le seul moyen d'étudier à distance leur composition chimique et les conditions physiques qui y règnent. Je reviendrais un petit peu la dessus au cours du stage. Mais ici, mon approche sera avant tout pratique. Ainsi, je vous propose de construire un spectrographe très simple pour vous familiariser vite et bien avec une technique que je crois passionnante. Je vais bien sur aussi vous montrer comment on se sert de ce spectrographe. Cela vous convient ?

Christian - Oui, mais c'est un gros programme il me semble ! Je suppose que tu va commencer par la description d'un spectrographe ?

Aude - Allons-y. L'élément de base du spectrographe est un composant optique capable de disperser la lumière. Les prismes de verre ont cette propriété. On exploite dans ce cas le principe de la réfraction de la lumière. C'est par exemple la réfraction qui est responsable de l'apparition d'un arc-en-ciel par temps de pluie. Les prismes sont cependant mal commodes à l'usage dans un spectrographe car il n'est pas facile de maîtriser le pouvoir de dispersion. L'instrument peut devenir vite encombrant et le traitement numérique des spectres est assez complexe. On leur substitue souvent avec bonheur des réseaux à diffraction. Un réseau à diffraction est une pièce optique, généralement plane, sur laquelle est gravé un grand  nombre de sillons. C'est la diffraction de la lumière sur ces sillons qui provoque l'apparition d'un spectre. Je vous montre de suite le réseau que nous allons utiliser :

 

Christian - Mais c'est une simple diapositive ma parole !

Aude - Disons que le fabriquant du réseau utilise le cache d'une diapositive pour le maintenir. Dans le cas présent, on a affaire à une très fine épaisseur d'un plastique spécial transparent sur lequel est gravé une grande densité de traits parallèles. Nous allons utiliser préférentiellement un réseau qui comporte 100 traits par millimètre.

Raymond - Tu veux dire que les traits font 1/100 = 0,01 mm de large ?

Aude - C'est exact. Il est impossible de voir les traits à l'oeil nu bien sur, ils sont trop fins. Le résultat de la diffraction de la lumière vous le connaissez déjà si vous avez examiné la lumière en réflexion sur un Compaq Disk. Vous voyez de belles irisations de couleurs qui ne sont rien d'autres que des spectres. Leur présence est due au très fin motif gravé sur la surface du disque, qui code l'information sonore ou vidéo, et qui s'enroule avec un pas serré. Dans le cas du disque Compaq Disk, le "réseau" travaille en réflexion, alors que notre réseau sur diapositive travaille en transmission, c'est à dire que le spectre est visible lorsqu'on regarde au travers du film plastique. Faisons une expérience : mettez le réseau devant un oeil, regardez une lampe du bureau et dites moi ce que vous voyez  ?

Christian - La lampe est visible au centre, mais il y a tout plein de couleurs qui l'accompagne...

Aude - Ces couleurs forment un dégradé continu du bleu au rouge. C'est cela que l'on appelle un spectre. Le réseau a décomposé la lumière blanche provenant de la lampe en une infinité de couleurs que l'oeil perçoit comme un arc-en-ciel.

Raymond - Mais ce n'est tout de même pas un réseau qui produit l'arc-en-ciel que je peux apercevoir par temps de pluie ?

Aude - C'est un autre mécanisme qui produit la dispersion de la lumière en effet. La lumière du Soleil ce réfracte dans les gouttes d'eau, un peu a la manière de ce qui ce passe dans un prisme. C'est assez complexe et je n'entrerais pas dans les détails, mais c'est vrai que c'est beau !

  

Regardez ce petit dessin qui précise ce qu'est la dispersion de la lumière :
 

Alain - Je connais. La lumière blanche est en fait le mélange de toutes les couleurs !

Aude - Tout à fait, et le spectrographe est l'outil qui nous permet de mettre cela en évidence.

Christian - Si j'additionne toutes les couleurs du bleu au rouge j'obtiens du blanc. C'est cela ?

Aude - C'est vrai !

Alain - Mais dans l'expérience de la lampe de bureau il y a quelque chose qui m'intrigue... Il me semble voir plusieurs spectre en même temps ?

Aude - Bien vu. Ceci est la conséquence d'une propriété importante des réseaux à diffraction. Ils ont en effet la fâcheuse habitude de produire plusieurs spectres distribués de part et d'autre de la source de lumière originelle.

Raymond - Pourquoi tu dis la "fâcheuse habitude". Moi je trouve cela plutôt jolie tous ces spectres !

Aude - Raymond, ne te réjoui pas si vite. Tu déchanteras lorsque devant le télescope il te faudra acquérir le spectre d'une faible étoile. Je m'explique. La lumière qui arrive de la lampe est répartie dans plusieurs spectres, soit. Le problème est que nous ne pourrons exploiter en pratique qu'un seul de ces spectres. La lumière envoyée dans les autres spectres est donc perdue pour nous. Nous gaspillons ainsi une précieuse information.

Christian - Je vois. Y-a-t il une solution pour améliorer l'efficacité du spectrographe ?

Aude - Regardez bien les différents spectres de notre lampe de bureau. Celui qui se trouve juste en dessous de l'image blanche de la lampe est bien plus intense que les autres. Ce n'est pas un hasard. Le fabricant du réseau l'a conçu avec des sillons qui ont un profil spécial dont la propriété est d'envoyer de manière privilégiée un maximum de lumière dans un seul spectre. On appelle cela le "blaze" du réseau.

Alain - Donc, je suppose que c'est ce spectre que nous allons utiliser ?

Aude - Oui, nous verrons vite un exemple concret sur des étoiles. Mais pour l'instant, je voudrais attirer votre attention sur le fait que l'on observe une image normale et blanche de la lampe, en plus des spectres. Cela signifie qu'une image non dispersée est transmise par le réseau. Elle est simplement moins intense que ce que vous voyez sans le réseau devant l'oeil. Il n'empêche que cette lumière non dispersée, tout comme les spectres secondaires, participe à faire chuter le rendement du spectrographe. Heureusement, un réseau dit "blazé" peu concentrer 60% ou plus du flux lumineux incident dans un seul spectre. Pour s'y retrouver, on donne un numéro aux spectres. L'image directe, non dispersée, est appelée l'ordre zéro. De part et d'autre on trouve les ordres 1, 2, 3... et -1, -2, 3,... J'ai indiqué ces ordres dans l'image de la lampe. L'attribution du signe plus ou moins pour les spectres situés d'un certain coté par rapport à l'ordre zéro est arbitraire.

Raymond - Qu'elle est l'efficacité du réseau sur diapositive ?

Aude - Il concentre près de 50% de la lumière dans le spectre d'ordre 1, ce qui est extrêmement honorable pour un réseau économique.

Christian - Economique, c'est-à-dire ?

Aude - Il coûte à peine 25 Euros. On peut se le procurer sous la référence 212 022 01, auprès de Jeulin, une société spécialisée dans la distribution de matériel pour l'Education Nationale. Ce composant optique de bonne qualité est en fait une véritable aubaine. Le rapport qualité prix est garanti !

Christian - Et l'adresse de Jeulin ?

Aude - Il peut être acheté sur catalogue. Voir le site Internet  www.jeulin.fr.

Raymond - Comme utilise-t-on un tel réseau ?

Aude - C'est la grande question. Je vais vous expliquer la méthode la plus simple. Il y en a d'autre, plus sophistiquée, qui donneront bien sur des résultats meilleurs. J'en dirais un mot à la fin du stage. Je vous inviterais aussi à explorer d'autres montages de spectrographe lors d'un prochain stage. La technique simple dont je vais vous parler à présent sera déjà efficace pour identifier certaines particularités remarquables des spectres des objets du ciel. Vous pourrez même faire un peu d'astrophysique et des mesures qui peuvent avoir quelques utilités pour la communauté scientifique.

Mais avant d'aborder le vif du sujet, je dois préciser deux notions : la dispersion spectrale et la résolution spectrale.

Analysez les deux spectres simulés suivant, dans lesquels j'ai fait l'hypothèse que seulement quelques couleurs sont présentes :
 

Par rapport au spectre du haut, le spectre synthétique en bas couvre une étendue linéaire plus grande. Autrement dit, la "dispersion spectrale" est plus importante dans le spectre du bas que dans le spectre du haut. La notion de couleurs étant fortement suggestive, les physiciens préfèrent leur associer un nombre, qui est une unité de longueur appelée "longueur d'onde". Par exemple, la longueur d'onde pour le rouge est en gros de 0,00065 millimètres. Pour le vert elle vaut 0,00055 millimètres et pour le bleu profond 0,00045 millimètres. Les valeurs correspondantes en nanomètre sont 650, 500 et 450 nm. Les astronomes utilisent aussi l'angstroms, une unité désuète mais très largement répandue en astronomie. Dans cette unité, les valeurs énumérées précédemment sont respectivement 6500, 5500 et 4500 Å (la lettre Å est le symbole de l'angstroms).

Raymond - Tu manipule là des longueurs vraiment très petites. Je ne suis pas habitué à cela en mécanique ! Peux-tu nous dire en deux mots ce qui ce cache derrière ?

Aude - Une des représentations possible de la lumière est une onde sinusoïdale qui se propage à 300 0000 km/s approximativement dans le vide. Voici deux ondes :

        

La longueur d'onde est la distance qui sépare deux creux ou deux bosses successives. La longueur d'onde est généralement représentée par la lettre grecque l (prononcer lambda). Dans la figure de gauche, la longueur d'onde est courte, ce qui pour l'oeil se traduit par des rayons de couleur bleue. A l'inverse, la longueur d'onde de la sinusoïde de droite est longue et les rayons lumineux correspondant donnent la perception du rouge. Faire un spectre c'est en fin de compte séparer les différentes longueurs d'onde qui compose la lumière.

J'en viens maintenant à la notion de résolution spectrale. Dans les spectres précédents, les quelques couleurs présentes se chevauchent plus ou moins partiellement. La superposition empêche de bien distinguer les couleurs : elles ne sont pas séparées. On peut faire l'analogie avec l'observation d'une étoile double dont les composantes sont serrées. Au télescope, les images de ces deux étoiles seront peut être si proche que leurs disques apparents se recouvriront. Par intermittence la duplicité sera peut être visible, mais si la puissance du télescope est insuffisante, les deux étoiles n'en feront qu'une : elles ne seront plus séparées. Pour résoudre une étoile double ont peut être amené à utiliser un fort grossissement. C'est équivalent à augmenter la valeur de la dispersion en spectrographie. Mais un autre moyen, complémentaire, consiste à utiliser un télescope de plus grand diamètre de manière à avoir des taches d'Airy des étoiles plus petite taille. Cela facilitera la séparation des deux composantes. Cette notion de résolution existe aussi en spectrographie. Regardez les deux spectres synthétiques suivant :


 

En haut, la lumière provient d'une source de large étendue, un peu comme notre lampe de bureau. En bas, pour empêcher la superposition, on s'est arrangé pour que la lumière passe au travers d'un petit trou placé juste en avant de la lampe de bureau. Dans ce cas, on voit une série de taches de couleurs discrètes bien séparés. Ces taches sont des images du trou, et non pas de la lampe. Cet artifice sur le chemin de la lumière a permis d'augmenter la résolution de notre spectrographe visuel. En pratique, nous verrons plus tard que cela équivaut à former des images des étoiles bien nettes sur le capteur, ou a adopter dans les spectrographes plus sophistiqués un système de trou ou de fente au travers duquel on fait passer la lumière de l'objet étudié.

Alain - Oui, mais des spectres comme tu les montres, cela n'existe pas ! C'est un cas d'école !

Aude - Détrompe toi Alain, il existe des sources qui émettent de la lumière dans des couleurs très précises que l'on appelle des raies. Leur longueur d'onde est caractéristique de la nature chimique de la matière dont est faite la source, des conditions physiques d'émission de la lumière ou encore des événement qui surviennent lors du trajet des rayons lumineux jusqu'à l'observateur. La position des raies dans le spectre est une véritable empreinte digitale de la composition chimique de l'objet et elle est unique. La "signature" spectrale de l'hydrogène ne sera pas celle du fer ou de l'azote par exemple. L'éclairage urbain des villes par des tubes fluorescents produits une lumière dans laquelle on trouve des raies spectrales brillantes isolés, on dit aussi des raies en "émission". Elles sont spécifiques d'un gaz, comme la vapeur de mercure ou le sodium, qui est emprisonné dans l'ampoule du lampadaire. Je montrerai un exemple à la fin du stage. Dans certaines conditions, que l'on trouve à la surface des étoiles, mais aussi dans les lampes incandescentes à filament de tungstène par exemple, la lumière émise montre un enchaînement continu toutes les nuances de couleurs. On parle de spectre "continu".

Le spectre des étoiles est donc du type continu, mais en des endroits précis et très localisés, il est possible de discerner des absences de couleurs. Ce sont toujours des raies spectrales, dont ont dit qu'elles sont en absorption, comme si un processus physique avait éliminé des couleurs particulières. L'absorption a généralement lieu dans la chromosphère de l'étoile, une sorte d'atmosphère au dessus de l'éblouissante photosphère, cette dernière étant à l'origine du spectre continu. Ces brisures du spectre à des longueurs d'ondes précises trahissent ici encore l'existence de tels ou tels éléments chimiques dans l'étoile. Mais attention, c'est souvent complexe. Par exemple, un élément chimique particulier peu être présent dans l'atmosphère d'une étoile mais ne pas montrer les raies spectrales caractéristiques, tout simplement du fait que les conditions physiques du milieu ne sont pas appropriées. L'allure du spectre est notamment fortement assujettie à la température de l'étoile. Même le continuum de l'étoile, ce trait continu des couleurs, a un aspect fortement lié à la température de surface de l'étoile : un astre chaud émettra par exemple plus de rayons bleus que de rayons rouges. Ce sera l'inverse avec une étoile froide. La pression des gaz dans l'étoile est un autre exemple de paramètre qui modèle l'aspect d'un spectre.

Voici un exemple de spectre continu, avec des raies en absorption et même une raie en émission, absorption et émission pouvant parfaitement coexister dans le spectre de certaines étoiles :

Raymond - Si je comprends bien, on jugera la qualité d'un spectrographe à son aptitude à séparer les raies spectrales ?

Aude - Tout à fait, cela permettra d'identifier par exemple plus d'éléments chimiques ou aidera à comprendre les conditions physiques de l'étoile. Mais la course à la meilleure résolution ne doit pas toujours être un but ultime. Au fur et a mesure que la résolution augmente il faut apporter plus de lumière au spectrographe pour que les spectres soient détectables. Rappelez-vous comment nous avons accrus la résolution tout à l'heure en faisant passer la lumière de la lampe de bureau dans un petit trou. Si la taille de ce dernier devient excessivement petite, il ne passera plus de lumière ! Pour observer des astres faibles, il faut souvent savoir renoncer à une haute résolution spectrale.

Raymond - Comment je l'utilise ce réseau en fin de compte sur mon télescope ?

Aude - C'est simple : vous devez vous arranger pour disposer le réseau quelques dizaines de millimètre en avant de la surface sensible du capteur CCD, comme je vous le montre dans la figure suivante :
 

En absence du réseau, l'image d'une étoile se focaliserait au foyer du télescope et formerait un point dans le plan image. En interposant le réseau dans le faisceau convergeant, vous obtenez toujours une image de l'étoile au foyer, correspondant à l'ordre zéro, mais aussi des spectres de part et d'autres. L'un de ces spectres est plus intense que les autres car il est correspond au blaze du réseau. Dans la figure, les traits du réseau sont perpendiculaires à la feuille.

Christian - C'est aussi simple que cela !?

Aude - Ben oui mon petit Christian, en quelques minutes tu peux construire un spectrographe minimaliste qui permet de "lire" le spectre des étoiles !

Christian - Ben, ça alors !

Raymond - Mais à quelle distance faut-il mettre le réseau du CCD ?

Aude - Avec un réseau ayant 100 traits au millimètre, une distance de 30 à 50 millimètres est correcte. Vous pouvez déjà deviner sur la figure précédente que plus vous éloignez le réseau du CCD, plus la dispersion sera importante. Je vous donnerais tout à l'heure les formules qui permettent de calculer cela.

Raymond - Comment fait-on pour disposer le réseau ?

Aude - Sur qu'il vous faut faire un peu de bricolage. Je vous montre sur cette photographie une sorte de porte filtre à tiroir que j'ai construit et qui se visse à l'avant de la caméra Audine. J'ai glissé le réseau dans la fente du porte filtre tout simplement. Les jeux sont éliminés à l'aide de bouts de carton. Ce n'est pas beau, mais ça marche !

Christian - Oui, mais moi je n'ai pas de porte-filtre comme le tiens !

Aude - Je suis sure que tu va pouvoir bricoler cela très facilement. Je vous montre quelques montages. L'un d'eux, en haut, est en contre-plaqué avec quelques tubes allonges photographiques 42 à vis au pas de 1 mm collés à l'araldite rapide. Il ne vous faudra qu'une petite après midi pour fabriquer le montage. Je pense que ça en vaut la peine :

Vous devez faire attention à ce que la lumière n'entre pas dans les interstices. C'est la raison de l'usage immodéré du ruban adhésif aluminium dans mon infâme bricolage !

Je vous montre immédiatement ce que cela donne sur le ciel. J'ai pointé une étoile brillante avec une lunette et voici le spectacle sur le CCD :

Alain - C'est l'étoile au centre ?

Aude - Exactement ! Et que remarquez-vous de part et d'autre ?

Christian, Raymond, Alain - (en coeur) un spectre !

Alain - Aude, je dis cela, mais c'est une pure hypothèse à partir des informations que tu as données tout à l'heure, parce que là, je ne vois pas les couleurs.

Aude - Effectivement, la caméra CCD est une Audine qui ne peu restituer les images qu'en noir et blanc. Il faut un peut d'imagination, mais les deux traits de part et d'autre de l'étoile du milieu sont bien des spectres colorés.

Raymond - Ces spectres sont liés aux ordres de diffraction ?

Aude - Oui. Dans l'image suivante j'ai identifier de ces ordres. Vous pouvez faire sans peine,  je pense, l'analogie avec les spectres colorés de la lampe du bureau :

 

Raymond - Pourquoi cette orientation bizarre du spectre par rapport aux axes de l'image ?

Aude - Il faut avoir en tête que le phénomène de dispersion de la lumière ce produit dans un plan qui est perpendiculaires aux traits du réseau. Par exemple, dans l'image précédente, si on voyait le réseau en transparence, les traits apparaîtraient approximativement horizontaux. Dans la mesure du possible il faut essayer d'aligner soigneusement l'axe de dispersion des spectres parallèles aux lignes du CCD, car cela facilite le traitement. J'en suis loin ici !

Christian - Il me semble que l'on voit d'autres étoiles dans l'image ?

Aude - Il y a bien d'autres étoiles, plus faible. Si vous êtes attentif, vous aller voir que chacune d'elles est accompagné d'un spectre. Le petit montage du réseau dans le faisceau convergeant du télescope permet d'acquérir simultanément le spectre de l'ensemble des objets présent dans le champ ! On devine très faiblement ces spectres compte tenu de la magnitude des étoiles dont ils émanent, mais ils sont bien là.

Raymond - Il y a quelques années, j'ai récupéré un réseau dans la revue Ciel & Espace. J'ai bien fait de la garder, il me semble !

Aude - Je vois ce que tu veux dire. Une très bonne initiative de cette revue d'astronomie. Il se trouve que j'ai ce réseau moi aussi :

Mais tu dois déchanter Raymond. Ce réseau ne peut pas nous convenir pour deux raisons. La densité de traits au millimètre est supérieure à 1000, ce qui conduit à des spectres si grands qu'ils débordent la surface du CCD. Ensuite, le réseau n'est pas blazé, si bien que 90% du flux se retrouve dans l'ordre zéro, les spectres eux-même ayant la part congrue. Ce réseau peut être utilisé pour l'observation du Soleil, mais pas pour les autres étoiles. Avec le réseau Jeulin vous pouvez noter dans l'image que le spectre d'ordre 1 est privilégie. Cela fait toute la différence.

Alain - Il me semble voir les traces de nombreuses poussières dans ton image, Aude ?

Aude - C'est une image brute, directement sortie de la caméra. En effet, elle a quelques défauts. Comme toute image CCD il va falloir lui appliquer un certain nombre de traitement avant de pouvoir l'exploiter vraiment :

(1) retirer le signal d'offset, une sorte de signal constant qui s'ajoute à tous les pixels à cause de l'électronique de la caméra et du capteur CCD lui-même. On isole le signal d'offset en faisant des poses très courtes dans l'obscurité totale.

(2) retirer le signal thermique, un signal qui prend naissance spontanément au niveau de chaque pixel et dont l'intensité est fonction du temps de pose et de la température du capteur. On obtient une image du signal thermique en faisant des images dans l'obscurité totale, mais avec un temps de pose égal à celui pratiqué pour les images du ciel. On appelle souvent l'image thermique le "dark" ou le "noir".

(3) diviser le résultat des deux soustractions précédentes par une image obtenue en pointant le télescope vers une scène la plus uniforme possible. Cette image s'appelle un "flat-field", que l'on traduit mal en français par l'expression "champ plat". Cette division permet de supprimer les inhomogénéités de réponse des pixels, et donc, en particulier les ombres des poussières bien visibles dans mon image brute.

Je ne vais pas insister sur ces opérations, dites de "prétraitement". Elles sont classiques en imagerie CCD astronomique. Les quelques menus problèmes spécifiques au prétraitement des images spectrales seront résolus lors d'un autre stage complémentaire à celui-ci.

Je dirais simplement ici que pour faire le flat-field, il est indispensable que le réseau soit en place. En outre, il ne doit pas être déplacé entre le moment où vous faites les images du ciel et l'image flat-field.

Alain - Je peux utiliser n'importe quel logiciel pour faire le prétraitement.

Aude - Oui, ce sont des procédures classiques pour les logiciels de traitement d'images astronomiques. Selon le programme, la convivialité sera plus ou moins au rendez-vous, ainsi que le degré d'automatisation, mais vous arrivez toujours au bout de la tache. Donc, il est nullement question de changer vos habitudes lorsque vous faites des images spectrales telles que celles que je vous montre ici. Je vous expose rapidement la procédure de prétraitement avec le logiciel Iris. Supposons que les images d'offset, thermique, et flat-field aient pour nom OFFSET, DARK et FLAT. Supposons de plus que nous ayons fait une séquence de 11 images de l'étoile Zeta Taureau. Ces images ont pour noms sur le disque ZTAU-1, ZTAU-2, ... ZTAU-11. On sélectionne une étoile parmi celles présentes dans la première image de la série en dessinant un petit rectangle qui l'englobe avec la souris, puis on lance la boite de dialogue de traitement automatique :

Le logiciel effectue le prétraitement sur les 11 images, les recentres automatiquement, puis les additionnes. Je recommande de cocher l'option "Interpolation spline" pour avoir une image compositée finale un peu plus résolue. Si après addition, le résultat dépasse le niveau 32767, qui est la limite supérieure possible avec Iris, vous pouvez reprendre uniquement l'addition des images avec la commande ADD_NORM, ou tout autre fonction de compositage. ADD_NORM s'arrange pour que le résultat de l'addition ne dépasse pas le niveau 32767 en multipliant chaque image individuelle par un coefficient adéquat :

ADD_NORM  I  11

Alain - Je voudrais revenir à l'image du spectre. Qu'est ce qu'elle nous montre au juste ?

Aude - En faisant un examen attentif nous allons voir quelques raies spectrales en absorption. Affichons le spectre, acquis en binning 1x1 afin de bénéficier de la meilleure résolution possible. Il s'agit du spectre de l'étoile 69 Lion, de type spectral A0V :

J'ai marqué la position de quelques raies, ces manques de couleurs dont la trace est perceptible dans le continuum de l'étoile.

Christian - A quels éléments chimiques correspondent ces raies ?

Aude - Tu pose le problème de l'identification des raies spectrales. C'est un sujet souvent très déroutant lorsque l'on débute en spectrographie, et particulièrement lors de la première mise en route d'un spectrographe, car on manque alors de repère. Le choix de l'étoile 69 Leo n'est pas innocent. Son spectre est caractéristique des étoiles chaudes qui montrent presque exclusivement les raies de l'hydrogène avec un fort contraste. Les 3 premières marques à gauche indiquent du reste des raies produites par l'hydrogène, mais j'admets que ce n'est pas évident. L'idéal serait de pouvoir associer une longueur d'onde à un numéro de pixel dans l'image. On appelle cela une calibration spectrale. En regardant dans des tables qui donnent la longueur d'onde des différentes raies, l'identification des éléments chimique devient alors possible. Nous allons nous atteler à cette tache...

Raymond - La tache me parait bien énorme. Je désespère de pouvoir m'en sortir quand je vois ce type d'image. En plus, les couleurs ne sont même pas là pour m'aider !

Aude - Je vais vous donner une procédure imparable avec un zeste de petites formules mathématiques. Pas dur vous allez voir. C'est même un travail d'enquête plutôt amusant ! Ce qu'il faut faire, c'est viser des étoiles brillantes dans lesquelles on est sur qu'une raie précise est en émission intense. Ce point de repère lumineux et saillant dans le spectre sera notre pierre de Rosette pour décoder tout le reste de l'information qu'il contient. Parmi ces étoiles, je vous recommande celles de type Be, dont les plus brillants exemplaires sont Gamma Cassiopée, Delta Scorpion, 48 Balance, Kappa Dragon, Zeta Taureau, ... Voici par exemple le spectre de Zeta Taureau :

Une sur-brilliance apparaît un peu à la droite du centre du spectre. C'est la raie de l'hydrogène, dite Ha, dans la partie rouge. C'est une raie très importante, souvent scrutée pour comprendre bon nombre de phénomènes dans les objets du ciel. Rappelez-vous que l'hydrogène est le principal constituant de l'univers. La raie Ha apparaît toujours en forte émission dans cette étoile. Elle prend naissance en fait dans un nuage de gaz en rotation rapide autour de l'étoile. La longueur d'onde de raie Ha est 6563 angstroms.

Alain - D'où sort-tu cette valeur ?

Aude - Les spectroscopistes connaissent bien la position de cette raie. C'est vraiment un grand classique, un peu comme le nombre Pi. Mais on trouve un peu partout des tables qui donnent la longueur d'ondes des principales raies spectrales. Cliquez ici par exemple. Si vous utilisez VisualSpec, un programme spécialisé dans l'analyse spectrale, vous pourrez accéder intéractivement à la liste des raies par éléments chimiques.

Voici à présent la procédure. Dans figure suivante, colorée en fausses-couleurs, j'ai noté la valeur en pixels qui sépare, le long de la dispersion spectrale, le centre de l'image de l'étoile à l'ordre zéro et la position de la raie rouge de l'hydrogène. Servez-vous par exemple du curseur d'image de votre logiciel de traitement favori pour déterminer cette valeur. J'ai trouvé X=260 :


 

Une construction géométrique simple va nous permettre à partir de ce simple relevé de trouver la longueur d'onde de tous les autres points du spectre :

Vous reconnaissez le schéma de principe d'utilisation du réseau dans le faisceau convergeant du télescope. La valeur X qui nous avons mesuré sur l'image spectrale de Zeta Taureau est représentée sur cette figure. C'est la distance entre l'image d'ordre zéro et un point du spectre pour un ordre donné. L'angle correspondant q est donné par la relation :

avec k, l'ordre d'interférence, n, le nombre de traits par millimètre gravés sur le réseau et l, la longueur d'onde. Faisons l'application numérique avec :

k = 1 (ou -1, cela ne change rien au résultat)
n = 100 traits/mm
l = 0,6563 . 10-3 mm

Alain - Il ne faut pas ce tromper dans les unités je suppose ?

Aude - Sur ! Puisque le nombre de traits du réseau s'exprime en millimètres, il faut donner la longueur d'onde aussi en millimètres pour être homogène. Voici le résultat du calcul :

Alain - Si je fais k = -1, je trouve le même angle, mais avec un signe opposé. Cela me permet de décrire le spectre qui se trouve de l'autre coté de l'ordre 0.

Christian - Ah, on voit là le matheux !

Aude - Exactement. Et si tu fais k = 2 tu trouve l'angle que font les rayons lumineux lorsqu'ils sortent du réseau pour le spectre d'ordre deux, et ainsi de suite. Je vais à présent vous remémorer votre cours scolaire de géométrie pour calculer la distance D, connaissant X et l'angle q. La réponse est bien sur :

Exercice ! Je veux la distance D en millimètres séparant la surface du CCD et le réseau. Qui peut me donner le résultat ? A vos calculettes...

Alain - Flûte, je n'ai plus de piles !!!

Raymond - J'ai le résultat ! On a mesuré tout à l'heure X=260 pixels. Comme les pixels du CCD de la caméra Audine font 9 microns de coté, alors la valeur de X en millimètre est : 260 . 9.10-3 = 2,340 mm. D'où la valeur de D :

Aude - C'est le bon résultat, bravo !

Christian - Mais j'aurai pu trouver directement la solution en mesurant la distance entre le CCD et le réseau avec une simple règle. Pas de besoin de faire des maths.

Aude - Tu aurai certes obtenu une valeur proche, mais pas aussi précise. Il faut par exemple ce rappeler que les verres traversés, comme le hublot de la caméra, influences le résultat car c'est une épaisseur optique qu'il nous faut calculer ici. Le paramètre D est une constante fondamentale de l'instrument. La valeur ne change pas à partir du moment où l'instrument n'est pas démonté et elle va permettre de réaliser l'étalonnage spectral de tous les spectres acquis.

Une valeur dérivée importante des calculs précédents est la dispersion P du spectrographe en angstroms par millimètre. On trouve aisément l'équation :

avec p la taille d'un pixel du CCD. Faisons l'application numérique :

La dispersion peut être calculée de manière plus directe encore à partir de l'équation :

soit :

Petit exercice. J'ai trouvé dans le spectre de Zeta Taureau une raie sombre bien marquée à la distance de 303 pixels par rapport à l'image d'ordre zéro. Qu'elle est la longueur d'onde de cette raie ?

Alain - Je calcule tout d'abord l'angle q en faisant :

puis j'obtiens la longueur d'onde en angstroms par :

Aude - Houai, super !

Raymond - Et l'application numérique, cela donne quoi ?

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