La colorisation d’une image CCD avec une image
webcam.
Christophe Béthune
Société Astronomique de France
christophe.bethune@worldonline.fr
http://www.astrosurf.com/astrodryat
Comme nous l’avons déjà abordé dans un précédent article, les webcams de marque Philips (Vesta et ToUcam pro) peuvent recevoir une modification leur autorisant les poses longues.
Jusque là monopolisées par les seules caméra CCD « professionnelles » ou la photographie argentique, les images webcam des objets du ciel profond se sont multipliées ces derniers mois. Cependant, malgré toute la dextérité de leurs utilisateurs, il reste une différence notoire quant aux résultats obtenus avec de « vraies » CCD.
Une « vraie » CCD, la Starlight MX 916, et une tourelle à filtre manuelle pour l’imagerie couleur.
Une ToUcam pro modifiée pour le ciel profond selon le concept de S Chambers, réalisation E Bonduelle.
La différence la plus notoire entre les 2 types de caméras reste leurs prix respectifs. En effet, une webcam, même modifiée (coût des composants pour la modification : 20 euros environ), ne dépasse que rarement les 80 euros alors qu’une « vraie » CCD dépasse bien souvent les 1500 euros. La présence d’un système de refroidissement, des capteurs de meilleure qualité et une gestion différente et adaptée de l’électronique sont en grande partie à la base de ce prix « astronomique ». Leur diffusion plus restreinte est probablement aussi en cause.
On peut aussi apporter au crédit des CCD que la taille du capteur est bien souvent beaucoup plus importante que celle des webcams (8.72X6.7 mm dans le cas de la MX 916 et seulement 3.87X2.82 mm pour une Vesta Pro). Il est également plus sensible : il est monochrome (noir et blanc) et les pixels sont parfois de plus grande taille donc capables de recevoir plus de lumière. Le refroidissement permet, en outre, des temps de pose impensables pour les webcams que l’électronique , même modifiée, n’est pas capable de gérer dans de bonnes conditions (bruit de fond devenant trop présent avec une pose de plus de 120 secondes, pixels chauds de plus en plus nombreux…).
Par contre, le revers de ce capteur monochrome est qu’il est nécessaire, pour avoir des images CCD couleur, d’avoir recours à une tourelle à filtre. Il est alors nécessaire d’obtenir une image avec un filtre rouge (R), une avec un vert (G) et une avec un bleu (B) et les combiner en les associant ou non à une image acquise sans filtre (la luminance L pour les détails) : ce sont les techniques LRGB ou RGB. Les temps de pose s’en trouvent alors, même si ils restent courts, presque quadruplés !
Les webcams ont, quant à elles, la possibilité en un seul passage de faire une capture en couleur car chacun des pixels de son capteur est recouvert d’un mini filtre rouge, vert ou bleu. Ce handicap pour la sensibilité se révèle être ici un avantage.
L’idée m’est donc venue de combiner ces 2 types de caméra pour bénéficier :
-de la résolution et de la qualité de l’image CCD
-de la couleur en un seul passage de l’image webcam, ce qui induit un gain de temps non négligeable
-du coût de la webcam par rapport à celui d’une tourelle à filtre, même manuelle.
Comme nous l’avons déjà vu, la technique LRGB constitue une solution idéale dans ce cas de figure. La couche L sera constituée de l’image CCD pour apporter les « détails » et l’image webcam sera décomposée en 3 couches R, G et B pour l’obtention de la couleur.
Je ne rentrerai pas dans les détails des impératifs liés à l’imagerie CCD car d’autres sont plus à même de le faire :
-mise en station soignée et équatoriale
-suivi irréprochable devant parfois faire appel au guidage
-soustraction d’un dark pour éliminer les pixels chauds
-division par un flat pour éliminer le vignettage optique et les éventuelles poussières présentes sur le capteur
-offset…
Concernant les webcams modifiées, les impératifs sont les mêmes que pour leurs grandes sœurs, exception faite peut être de l’offset. Les darks et flats seront à effectuer également, à ceci près qu’ils seront en couleur : en effet, les pixels chauds, apparaissant lorsqu’on augmente le temps de pose, ne sont pas blancs comme avec une caméra CCD mais de couleur. Des logiciels capables de gérer ce type d’images ont été développés bien entendu et souvent sont disponibles gratuitement sur Internet : Astrosnap et Qcfocus pour la capture, Registax pour le traitement.
Presque tous les logiciels d’astroimagerie du commerce peuvent réaliser cette combinaison LRGB. C’est le cas d’Astroart (que j’utilise volontiers car il est très convivial), de Prism 5… mais aussi d’Iris de Christian Buil disponible gratuitement sur le web !
Il reste cependant un problème qui va être directement lié à la taille respective des capteurs de la caméra CCD et de la webcam qui est très différente : la taille de l’objet sur les images obtenues s’en trouvera également très différente !
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Objectif de 80 mm |
Objectif de 28 mm |
Vesta Pro ou ToUcam Pro |
2.7X2.09° |
7.6X6° |
MX916 |
6X4.7° |
17X13.4° |
Champ couvert, en fonction de la focale de l’objectif photographique, par les webcams Philips (capteur de ¼ de pouce) et par la MX 916, notons que le champ couvert avec une Vesta et un objectif de 28mm est sensiblement le même qu’avec la Starlight et un objectif de 80mm !
On voit très bien sur le tableau que , pour avoir une image sensiblement de taille équivalente, il faut travailler avec une focale trois fois plus petite quand on utilise une webcam pour la couleur et une MX 916 pour la luminance. On devra donc avoir recours à 2 montages optiques différents. Dans le cas de télescopes Schmidt Cassegrain, dont le rapport d’ouverture (FD) d’origine est bien souvent de 10 (200m d’ouverture pour 2000mm de focale par exemple), il sera nécessaire de faire les captures avec la caméra CCD au foyer, alors qu’il faudra utiliser un réducteur de focale amenant le FD à 3.3 pour les captures avec la webcam.
Tout n’est pas si facile car il subsistera encore une différence de taille, même légère, mais aussi d’orientation car il est peu probable de réussir à positionner au pixel près les 2 caméras après montage et démontage des systèmes optiques. Il est alors impératif de parfaire la superposition des 2 images obtenues. Vous avez bien entendu la possibilité de « fignoler » manuellement avec des logiciels comme Paint shop pro 7, Picture it ou d’autres. Cette opération risque d’être vite très laborieuse ! Pour ma part, j’utilise la fonction de coregistration incluse dans certains logiciels d’astroimagerie comme Astroart. Le travail s’en trouve grandement facilité. Il suffit en fait de sélectionner sur les 2 images que l’on veut superposer, 3 étoiles communes assez éloignées les unes des autres et le logiciel seul s’occupe du reste en une fraction de seconde !
Résultats et discussion
M57, image CCD et image webcam, toutes deux capturées en ville, notez la différence de « qualité »
Image « colorisée » selon la technique sus citée. Sans être d’un résultat exceptionnel, on a ainsi pu tirer partie de la couleur en un seul passage de l’image webcam et de la meilleure définition de l’image CCD.
M27 et M13 obtenues selon le même procédé, et ce toujours sous un ciel urbain.
Bien des puristes seront choqués par ce mariage « contre nature ». Il est bien évident que la technique n’est pas exempte de tous reproches. En effet, en CCD « conventionnelle », on applique un temps de pose supérieur sur la couche bleue (facteur 1.6) du fait de la moindre réponse des capteurs numériques dans cette couleur et de la plus grande absorption du bleu par les couches atmosphériques. Ici, ce n’est pas possible car, comme nous l’avons vu, la capture de l’image couleur se fait en un seul passage ! Il est cependant possible d’améliorer le rendu des couleurs de la webcam par l’utilisation d’un filtre IRcut (« bloquant » les rayons infra rouge dont sont friands les capteurs des webcams et qui gâchent le résultat).
Par ailleurs, ce type de mariage va être limité par la sensibilité de la webcam. Comme je vous l’ai déjà mentionné, il est difficile de dépasser 120 secondes de pose avec un tel instrument. Avec des poses si « courtes », les objets nébuleux faibles du ciel que sont certaine galaxies ne seront pas capturables. Il est cependant possible, à mon avis, de l’utiliser avec succès sur presque tous les Messier et bien d’autres objets encore.
Le gain de temps est indéniable, surtout lorsque la nuit astronomique est absente ou très courte comme c’est le cas certains mois d’été. Lors de ces périodes, l’obtention d’une image CCD couleur d’un objet doit être prévue et effectuée sur plusieurs jours car il n’est matériellement pas possible d’additionner poses pour la Luminance et poses pour les 3 couches R G B. Avec une caméra CCD et une webcam, la capture sur une seule soirée est tout à fait possible !
Conclusion
Cette technique, même si elle n’est pas un débouché en soi pour les webcams, montre tout le potentiel qu’il reste à découvrir et à exploiter chez ces petites caméras. Bien d’autres applications, à ce jour encore à l’essai ou même pas encore envisagées seront bientôt à leur portée. A n’en pas douter, avec la persévérance de tous, le dévouement des programmeurs qui offrent de magnifiques logiciels sur le web et l’ingéniosité de certains utilisateurs, les webcams s’imposent de plus en plus en technique d’astrophotographie de l’avenir!
Logiciels utiles ou même indispensables !
Astroart, logiciel « commercial » capable, par
l’intermédiaire de « plug in » téléchargeables sur le web, de faire
de la pose longue avec une webcam mais aussi de la traiter. Il est bien entendu
capable également de piloter toutes les caméras CCD du commerce : http://www.msb-astroart.com/default-fr.htm
Astrosnap d’Axel Canicio, logiciel de capture et de gestion des webcams modifiées : http://astrosnap.free.fr
Iris de Christian Buil, logiciel de traitement des images CCD… mais aussi de séquences AVI : http://www.astrosurf.com/buil
Prism 5, logiciel lui aussi commercial de capture et de traitement des images numériques : http://www.astrosurf.com/prism
Qcfocus de Patrick Chevalley, logiciel de capture de films AVI… mais il est aussi capable de gérer les webcams modifiées : http://www.astrosurf.com/astropc
Registax, une petite révolution dans le traitement des images webcams de ciel profond mais aussi des films AVI : http://aberrator.astronomy.net/registax