ROCHECHOUART

un site géologique exceptionnel

 

par Robert NÉE

 

La région de Rochechouart-Chassenon est à cheval sur deux départements, la Haute-Vienne et la Charente.

Située sur la bordure nord-ouest du Massif central, elle s'étend sur 200 km2 environ. Elle est limitée approximativement par les vallées des rivières suivantes : au Nord par la Vienne, à l'Est par la Gorre, au Sud par la Tardoire, à l'Ouest par la Charente et traversée par la Graine du Sud-Est au Nord-Ouest.

C'est une région mollement vallonnée s'inclinant doucement du Sud-Est vers le Nord-Ouest, où l'eau et la forêt sont omniprésentes.

La région de Rochechouart-Chassenon se situe sur le socle cristallin du Massif central, constitué d'une part de roches métamorphiques et d'autre part de diverses roches, plutoniques à subvolcaniques. Ces roches se sont formées entre 450 à 280 millions d'années, acquérant leur aspect actuel lors de l'orogenèse hercynienne.

Les roches métamorphiques sont largement prédominantes. Elles sont représentées surtout par des gneiss variés avec des intercalations de lentilles d'amphibolites, de serpentinites et par quelques îlots de micaschistes. Certains gneiss ont subi localement une anatexie d'intensité variable.

Les roches plutoniques sont présentes en corps de taille diverse au sein des roches métamorphiques. Il s'agit principalement de granites, de granodiorites et de tonalites.

Ces diverses roches cristallines sont recoupées par des filons ou des petits corps de roches subvolcaniques (microgranites, lamprophyres) de leucogranites comprenant des pegmatites, et enfin de quartz.


Carte géologique simplifiée, dessinée par Robert Née et Michel Sarrazin,
d'après la carte du BRGM au 1/50 000 établie par Philippe Chèvremont et Jean-Pierre Floc'h.
Les filons de microgranite n'ont pas été représentés sur cette carte.

Sur ce socle, des brèches d'un type particulier posèrent aux géologues une énigme pendant un siècle et demi. Ce sont des impactites, seules traces d'un astroblème c'est-à-dire un cratère d'impact de météorite dont, ici, le relief a été complètement érodé.


Le monticule de brèches situé au sud-ouest du château.

Après sa formation, le cratère a subi de profondes modifications :

- il a probablement été recouvert par la mer jurassique. Des sédiments se sont déposés et ont formé une couverture qui l'a protégé pendant longtemps de l'érosion continentale après le retrait de cette mer ;

- la formation des Pyrénées et ensuite celle des Alpes ont entraîné un soulèvement et un basculement du Massif central ainsi que des mouvements de compression. L'érosion a repris avec force, éliminant la couverture sédimentaire, puis a entaillé profondément les impactites et le socle sous-jacent.

Aujourd'hui, la morphologie typique du cratère a disparu complètement. Les brèches qui se trouvaient au fond du cratère ne subsistent que sur les plateaux sous forme de lambeaux, sur une ellipse de 12 km de grand axe sur 9,5 km de petit axe. C'est un exemple tout à fait original d'inversion du relief.

Site du château de Rochechouart
1. Brèches polygéniques.     2. Brèches monogéniques de dislocation.     3. Base du cratère d'impact.

Le niveau actuel du sol fluctue de quelques mètres ou dizaines de mètres de part et d'autre de la limite du fond du cratère. Cette situation permet d'en voir le fond, les impactites qui le tapissent et, entre les lambeaux d'impactites, le socle profondément disloqué par l'impact, avec dans les filons de roches à grains fins la présence de cônes de percussion.

Ainsi, tous les effets du métamorphisme de choc sont visibles et accessibles. C'est ce qui confère son caractère exceptionnel et unique au monde à l'astroblème de Rochechouart-Chassenon.

     
Carrière de Champonger, où furent découverts les cônes de percussion               La grande carrière de Champagnac                           


Cônes de percussion (photo Philippe Chèvremont, B.R.G.M.) 

  Les différents types d'impactites sont décrits avec de nombreuses photos dans la page " Brèches ou impactites et autres traces géologiques de l'impact ".

 

Une enquête policière :

ROCHECHOUART

chronique d'une énigme

 


C'est dans la " Statistique générale de la France ", publiée en 1808 " par ordre de Sa Majesté l'Empereur et Roi " qu'est mentionnée pour la première fois l'existence des brèches de Rochechouart.

Celles-ci posent de nombreuses interrogations aux géologues : "… On donne cette dénomination à un agrégat qui occupe… près d'un myriamètre d'étendue. La découverte de cette brèche est nouvelle, et les minéralogistes qui l'ont observée ne sont pas d'accord sur sa nature : les uns l'ont prise pour un ciment artificiel, les autres pour un produit volcanique. " et "… il est difficile de se prononcer sur la direction et l'inclinaison de ses bancs ; on ne voit que des masses énormes entassées les unes sur les autres et dont les retraits ont laissé des scissures qui prennent toutes sortes de directions. On a cru devoir décrire, avec quelques détails, une roche inconnue jusqu'à ce jour. "

1833 : MANES considère ces formations bréchiques comme d'origine volcanique.

1858 : COQUAND leur attribue une origine sédimentaire.

1869 : MALLARD effectue les premiers levés géologiques.

1901 : LE VERRIER confirme leur origine sédimentaire dans l'édition de la carte géologique de la France au 1/80 000 et leur attribue un âge permien.

1910 : Ph. GLANGEAUD reprend l'hypothèse volcanique. Pour lui, les microgranites qui affleurent dans la partie occidentale de cette région représentent les cheminées d'ascension par lesquelles s'est mis en place le complexe bréchique.

1935-1937 : François KRAUT, du Muséum d'Histoire naturelle de Paris, les interprète comme des brèches volcano-sédimentaires. Il y voit des débris du socle cristallin ainsi que ceux d'un ancien volcan.

1967 : Sur la carte géologique au 1/80 000 de Rochechouart apparaissent deux types de formation bréchique :
- Chassenon et Montoume, d'origine volcanique ;
- Autres brèches, d'origine tectonique.

1967 : Mise en évidence de l'origine impactique du cratère de Ries (Allemagne) et François KRAUT se rend en Allemagne pour rencontrer ses collègues allemands. Il remarque des analogies entre les brèches de Chassenon et les Suévites du Ries. Il formule alors l'hypothèse de la formation des brèches par l'impact d'une météorite géante. L'indice majeur qui le guide vers la solution de l'énigme géologique est la présence fréquente, au sein des éléments des brèches, de cristaux de quartz présentant, sous microscope, des plans de dislocation très fins et rapprochés (quartz pseudoclivé).

1969 : François KRAUT découvre les cônes de percussion (shatter cones) dans un filon de microgranite. Ce deuxième indice caractéristique du métamorphisme de choc corrobore l'hypothèse émise précédemment.

1972 : E. RAGUIN, professeur à l'École des Mines de Paris, la confirme par ses travaux et établit avec des élèves une carte des " brèches de Rochechouart ".

1974-1977 : Ph. LAMBERT, par ses deux thèses, apporte de nombreuses informations sur l'astroblème : taille du cratère, nature de la météorite, phénomènes liés au choc…

1975 : Des scientifiques américains, dont les collaborateurs de la NASA, visitent le site.

Depuis cette date, la recherche sur le site fut irrégulière et souvent le fait de chercheurs étrangers.

1978 : Jean POHL (de l'Institut de Géophysique de Munich) et son équipe exécutent des profils gravimétriques de la région de l'astroblème.

1996 : Publication de la carte géologique à 1/50 000, feuille de Rochechouart et sa notice, par le BRGM, le levé a été réalisé par Ph. Chèvremont et J.-P. Floc'h.

 

 

ROCHECHOUART

Il y a environ 200 millions d'années,

L'ÉVÉNEMENT

 


Nous sommes à - 200 millions d'années. La grande chaîne hercynienne a été fortement érodée. Ce qui deviendra la France se situe au niveau du tropique du Cancer. Le climat est tropical, chaud et humide. L'affaissement progressif du bassin parisien vers l'Est depuis 40 millions d'années provoque l'arrivée de la mer par un golfe marin qui s'insinue depuis le bassin germanique. Notre Massif central devient une île sur laquelle poussent des fougères arborescentes, des prêles géantes et les premiers conifères. La vie s'est beaucoup diversifiée depuis le Permien et les amphibiens ont laissé la place aux reptiles primitifs puis aux dinosaures, aux reptiles marins, aux reptiles volants et aux très discrets mammifères.

Soudain, une météorite géante pénètre dans l'atmosphère et percute le sol. En moins de dix minutes, cet événement bouleversera toute la région. Dans un rayon de 200 km, toute vie disparaît des suites des phénomènes suivants : onde de choc dans l'air (quelques millièmes de seconde avant l'impact), puis explosion, effet de souffle, émissions de vapeurs toxiques, nuée ardente, séisme.

 

Position des terres émergées à l'époque de l'impact, au Lias (entre - 200 et - 180 MA).

L'énergie cinétique de la météorite est considérable. Elle est transformée en énergies mécanique et thermique. Celles-ci sont transmises au socle et communiquées à la météorite elle-même qui se sublime entièrement et instantanément. Ses vapeurs se condensent rapidement en très fines particules d'un alliage métallique de fer, chrome et nickel qui contaminent les roches. On en retrouve aussi la trace dans des microfractures des gneiss sous-jacents au plancher de l'astroblème.

Au centre de l'impact, près du hameau de La Judie, les pressions atteignirent des valeurs impressionnantes. Les roches du socle furent en partie vaporisées et fondues pour donner les brèches de fusion. Elles sont parfois riches en vacuoles et peuvent prendre l'aspect d'une roche volcanique. Tout autour, le socle cristallin a été pulvérisé, a volé en éclat, et les poussières et les morceaux lithiques qui sont retombés se sont agglomérés en brèches clastiques. Ces brèches peuvent contenir du verre (suévites).

A l'origine, le cratère avait une forme circulaire d'environ 20 km de diamètre et une profondeur de 2 km. Le fond plat était recouvert de brèches sur une épaisseur de 100 mètres.

 


Estimations en quelques chiffres

d'après les thèses de Philippe LAMBERT
et la notice de la carte géologique ROCHECHOUART au 1/50 000 du BRGM


Les évaluations sont basées sur la vitesse de la météorite, de 20 à 50 km/s.

Diamètre de la météorite :
- pour une vitesse de 20 km/s : 1,5 km
- pour une vitesse de 50 km/s : 0,8 km.

Masse de la météorite (pour une météorite pierreuse, chondrite, de densité 3,4) :
- pour une vitesse de 20 km/s : 6 milliards de tonnes
- pour une vitesse de 50 km/s : 1 milliard de tonnes.

Point d'impact : La Judie, 4 km à l'ouest de Rochechouart.

Énergie libérée au moment du choc : 14 millions de fois la bombe atomique d'Hiroshima soit l'équivalent d'un séisme de magnitude 11 sur l'échelle de Richter.

Pression atteinte 0,2 seconde après l'impact : 500 000 à 100 000 GPa, soit 5 000 000 kbar à 1 000 000 kbar.

Température autour du point d'impact : 10 000° C.

Temps de creusement du cratère avant la détente des roches compressées : moins de 2 secondes.

Profondeur du cratère avant réajustement : 2 km.

Profondeur de pénétration de l'onde de choc et du phénomène de pression/décompression : 6 km.

Temps de formation du cratère, détente et phase d'éjection terminée : 42 secondes.

Durée totale de la cratérisation après réajustement : 10 minutes.

Diamètre du cratère : 18,5 à 20 km.

Volume de roches vaporisées : 13,2 km3.

Volume du socle fondu : 66 km3.

Surface concernée : 300 km2.

Épaisseur de la couche de brèches : 100 mètres maximum.

Toute vie a disparu dans un rayon de 200 km par suite des phénomènes : explosion, effet de souffle, émission de vapeurs toxiques, nuée ardente, séisme, raz de marée…

Âge de l'impact.

La chronologie relative ne nous renseigne pas : on peut juste constater que l'impact est antérieur aux anciens dépôts fluviatiles de 65 Ma et postérieur aux plus jeunes roches cristallines filoniennes de 295 Ma.

Plusieurs datations furent effectuées sur les impactites :

- méthode potassium/argon : 149 à 271 Ma (milieu du Permien à Jurassique supérieur).
- âge du paléomagnétisme : 180 à 200 Ma (Jurassique inférieur-Lias).
- méthode des traces de fission : 198 à 206 Ma.
- méthode rubidium/strontium : 186 ± 8 Ma.

Aucune trace de l'impact n'existe dans les terrains sédimentaires de ces âges, autant dans ceux du Seuil du Poitou que de la Charente, pourtant à 15 km du centre de l'astroblème. Les auteurs de la carte géologique se posent la question : " Faut-il chercher dans des sédiments plus anciens ? ".

Répartition des impactites et zonéographie de la structure de l'astroblème.

L'onde de choc, onde de compression, agît tant que sa vitesse est supérieure à celle du transfert du son dans le milieu traversé. Elle produit plusieurs sortes de dégâts en fonction de la pression décroissante, c'est le métamorphisme de choc :

- Sublimation des roches au-dessus de 200 GPa.
- La fusion totale des minéraux et, pour partie, leur vaporisation, crée un verre bulleux entre 200 et 80 GPa.
- La fusion totale donne un verre sans bulles entre 80 et 60 GPa.
- La fusion partielle des minéraux et la déformation cristalline d'autres produit un verre non bulleux entre 60 et 35 GPa. Le quartz est détruit vers 40 GPa.
- Les cristaux perdent leur structure cristalline et certains deviennent amorphes (verre diaplectique) entre 3,8 et 15 GPa. Au-dessus de 16 GPa, le quartz devient de la stishovite.
- Les minéraux subissent des déformations de leur structure cristalline avec " bandes de glissement " et " plans parallèles " (pseudoclivage) entre 15 et 5 GPa.
La découverte de quartz pseudoclivé provenant de cônes de percussion permet de penser que ceux-ci se développent sous des pressions de plus de 10 GPa.


L'effet de choc a très vite diminué et s'amortit à partir du point d'impact en zones théoriquement concentriques, mais celles-ci durent être certainement modifiées par le relief inconnu existant à cette époque.

1. - Zone du point d'impact probable. Métamorphisme de choc le plus intense dans le socle. Brèche polygénique vitreuse à bulles.
2. - Maximum d'extension des cônes de percussion. Limite d'apparition des bulles dans les brèches vitreuses.
3. - Extension maximale des brèches vitreuses.
4. - Limite des brèches allochtones.
5. - Maximum d'extension de la bréchification et du métamorphisme de choc.

(d'après Ph. Lambert, 1977).

L'anomalie gravimétrique négative.

Une campagne de mesures gravimétriques sur le site de Rochechouart-Chassenon, effectuée par le Dr J. Pohl, permit de mettre en évidence une légère anomalie négative, centrée sur le point d'impact probable de la météorite et d'une vingtaine de kilomètres de diamètre.

 
L'anomalie gravimétrique circulaire correspondant à l'astroblème de Rochechouart-Chassenon
(extrait de Pohl et al., 1978) - BRGM, Carte géologique de la France au 1/50 000, feuille Rochechouart, 1996.

Cette anomalie négative atteint - 8 à - 10 mGal (1 Gal = 1 cm/s2) dans la zone des brèches à fort taux de fusion. Le déficit calculé de masse est de 30 à 40 milliards de tonnes.

L'évaluation de la profondeur jusqu'à laquelle le phénomène de décompression s'est fait sentir est d'environ 6 km. En fonction de ces résultats, les modélisations impliquent une profondeur d'environ 2 km pour la cavité transitoire qui correspond à la première phase du processus de cratérisation.

 

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Dernière mise à jour : le 25 novembre 1999.