Rempart extérieur du Monastère   Rue et chapelle près du Monastère

Solovki 1990
Michel Sarrazin

Juillet 1990, Mer Blanche.

C'est l'embarquement au petit matin à Biélomorsk, le 20 juillet 1990, pour un archipel du bout du monde, à deux pas du cercle polaire arctique : les îles Solovki. Là-bas, à quatre heures de mer, par 65° de latitude Nord, après avoir été utilisé comme camp de concentration durant vingt ans, un énorme monastère est en cours de restauration avant que d'être rendu à ses utilisateurs et propriétaires légitimes, les moines orthodoxes.

  La faucille et le marteau !

La cheminée du bateau arbore la faucille et le marteau, symboles encore partout présents d'un régime en pleine déliquescence. Le responsable local du KGB n'a, la veille, accordé l'autorisation de nous laisser visiter Solovki que de guerre lasse, confronté à l'irréductible obstination de l'astronome, soviétique et communiste, qui mène le petit groupe de scientifiques de plusieurs nationalités dont nous faisons partie.

C'est pour observer l'éclipse totale de Soleil prévue pour le surlendemain 22 juillet que nous avons parcouru ce long trajet. Vingt-quatre heures de chemin de fer depuis Moscou : Léningrad, Pétrozavodsk, Kondopoga, Biélomorsk, enfin... La verrons-nous, cette éclipse ? L'espoir, à dire vrai, est plutôt mince : depuis notre arrivée, le ciel est dégagé un jour sur quatre...

Mais la chance, pour l'heure, est avec nous : après la dispersion de quelques écharpes brumeuses, un magnifique soleil s'installe sur la Mer Blanche.

  

C'est la silhouette imposante du monastère qu'on aperçoit en premier en approchant de l'île, silhouette cantonnée par des tours massives et hérissée de petits bulbes ; puis, à gauche, des bâtiments de bois de la petite ville qui jouxte le monastère.

À peine débarqués, c'est à une promenade en forêt que nous sommes conviés.

Nous nous retrouvons, sur terrain plat et au niveau de la mer, entourés des mêmes espèces végétales qu'à mille mètres d'altitude en vallée de Chamonix...

Et la promenade dure longtemps, à tel point que nous nous demandons si vraiment nous visiterons ce fameux monastère...

   

Après avoir parcouru cinq ou six kilomètres, nous sommes invités à monter dans des barques et, au fil de l'eau, passant d'un lac à l'autre par tout un réseau de chenaux, nous revenons à notre point de départ. Quelques autres embarcations accomplissent le même trajet que nous. Les rapports avec leurs passagers sont des plus agréables puisque, apparemment heureux d'être en compagnie, ils nous approchent pour nous tendre des verres de vodka et trinquer avec nous ! Nous apprendrons plus tard qu'il s'agissait des membres du KGB chargés de nous surveiller.

Enfin, c'est la visite du monastère. Après avoir été séparés en deux groupes – les Soviétiques d'un côté, les étrangers de l'autre –, nous sommes admis à pénétrer dans ce qui est pour l'heure un grand chantier. Des groupes de jeunes gens et de jeunes filles – des étudiants en architecture, nous dit-on –, travaillent à remettre en état ces imposants bâtiments. Nous connaîtrons un moment d'intense émotion dans ce qui est en train de redevenir le réfectoire des moines : dans cette grande pièce qui avait été cloisonnée en cellules, les larmes aux yeux, deux jeunes filles viennent de retrouver sous des lattes de parquet des lettres écrites à ses proches par un prisonnier, lettres qui ne seront jamais parvenu à leurs destinataires...       

    

 

        

La visite se terminera par un petit musée, aussi pathétique que dérisoire, dans lequel sont rassemblées quelques brèves biographies de prisonniers qui ont pu être identifiés : des ingénieurs, historiens, professeurs, médecins...
Victimes du vertige d'un pouvoir tyrannique qui n'aimait décidément pas plus les intellectuels que ses militants les plus intègres, l'un a été fusillé, un autre est mort de dysenterie, la cause du décès est inconnu pour la plupart...

  

C'est profondément bouleversés que nous quitterons cet endroit empreint d'une tragique beauté.

Des préoccupations plus immédiates reprennent le dessus dans nos esprits pendant le voyage de retour vers Biélomorsk. L'éclipse est pour demain matin : le ciel sera-t-il aussi pur qu'aujourd'hui ?


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Dernière mise à jour le 2 janvier 2005.