La découverte
du dixième satellite de Saturne

Audouin Dollfus
Astronome à l'Observatoire de Meudon

 

Le nom de baptême « Janus » a été proposé par Roland Caron lors de la création d’un club d’astronomie à Gennevilliers, au mois de décembre 1979, en hommage à la découverte en 1966 du dixième satellite de Saturne par Audouin Dollfus, astronome à l’Observatoire de Meudon.

Né en 1924, Audouin Dollfus rêvait de devenir astronome dès l’âge de huit ans, depuis la découverte dans la bibliothèque de ses grands-parents d’un livre, Le Ciel d’André Guillemin. « Je n’y comprenais rien, mais les gravures de champs d’étoiles et de planètes m’ont immédiatement fasciné. Et j’ai entrevu là que l’on pouvait sûrement devenir astronome ».

Après des études dans ce sens, le jeune passionné fut pris sous son aile par un ami de son père, Bernard Lyot, le célèbre inventeur du coronographe. Celui-ci venait d’installer à l’Observatoire du Pic du Midi une lunette de 60 cm de diamètre, donnant accès à des grossissements de 1000 fois. Grâce à lui, il put, à partir du mois de décembre 1945, utiliser cet instrument alors unique au monde qu’il allait exploiter à fond, notamment pour étudier Saturne.

Voici le texte de l'article
relatant sa découverte, en 1966, du dixième satellite de Saturne, Janus,
article publié dans le numéro de juin-juillet 1968 de l'Astronomie,
revue de la Société Astronomique de France.

" Nous savons créer des satellites artificiels autour de la Terre et de la Lune et nous saurons en placer autour des planètes. Cependant, nous ne connaissons même pas encore tous les satellites naturels qui gravitent autour des planètes de notre système solaire.

La découverte récente du 10e satellite de Saturne fut accueillie comme un succès teinté d'une touche anachronique assez pathétique. Ce fut un résultat d'une mise à jour de nos moyens scientifiques bien classiques. Une bonne stratégie de la recherche scientifique suppose évidemment le développement d'audacieuses techniques de '' pointe '', mais elle ne doit pas négliger l'organisation d'une intendance, comprenant l'exploitation adroite et solide des moyens pré-existants. Le 10e satellite de Saturne fut découvert en grande partie grâce aux techniques éprouvées de l'observation télescopique.

Prédictions de l'existence du satellite.

Vers 1957, nous avions pressenti, à l'Observatoire de Meudon, l'existence d'un satellite inconnu de Saturne en raison des perturbations qu'il semblait devoir apporter dans le système des anneaux de la planète. Les trois anneaux de Saturne sont en effet séparés par des divisions sombres, la plus célèbre étant celle de Cassini. Des observations télescopiques délicates avaient fait suspecter quelques faibles minimums de lumière dans chacun de ses anneaux, semblables à de légères stries sombres. Mais les différents observateurs ne s'accordaient pas sur leurs positions ni même sur leurs existences réelles. C'est pourquoi, à partir de 1954, nous avons entrepris l'analyse détaillée des anneaux de Saturne avec les télescopes capables d'offrir les pouvoirs séparateurs les plus élevés. Cette étude nécessitait des images télescopiques d'une finesse exceptionnelle, c'est-à-dire une stabilité de l'atmosphère terrestre ne se rencontrant que quelques jours seulement chaque année. Il fallait pratiquer une surveillance assidue pour exploiter les périodes favorables et consacrer pour cela beaucoup de nuits à l'observation télescopique. Pour ces recherches, nous avons pu bénéficier en 1957, grâce au professeur G.-P. Kuiper, du puissant télescope de 2 m de diamètre de l'Observatoire McDonald dans le Texas. Nous avons pu aussi utiliser à de nombreuses reprises la lunette de 60 cm de diamètre installée par B. Lyot au sommet de l'Observatoire du Pic du Midi. Ces observations télescopiques attentives permirent finalement de préciser les intensités et les positions des stries sombres dans les anneaux de Saturne. La figure 107 reproduit l'aspect des anneaux avec leurs divisions et leurs principaux minimums de lumière. Une analyse de la répartition de la lumière dans les anneaux donne la coupe photométrique reproduite figure 108. On remarque que les prétendues divisions dans les anneaux, hormis celle de Cassini, ne semblent être en réalité que de très faibles minimums de lumière.

Fig. 107. - Dessin de Saturne montrant les divisions et minimums de lumière dans les anneaux, le 27 avril 1960 à 3 h 15 m UT. Lunette de 60 cm du Pic du Midi, par A. Dollfus.

Simultanément, M. Camichel, J. Focas et moi-même avions effectué, à l'Observatoire du Pic du Midi, de nouvelles mesures micrométriques sur l'anneau de Saturne, beaucoup plus précises que celles antérieurement publiées parce qu'elles mettaient à profit la grande sensibilité du nouveau micromètre à double image bi-réfringent que nous avions réalisé dans ce but. Ces déterminations donnèrent les dimensions exactes de l'anneau de Saturne ; les valeurs sont reportées en secondes d'arc, à la distance de 10 UA sur le bas de la figure 108.

Fig. 108. - Section photographique des trois anneaux A, B et C de Saturne, d'après les observations visuelles et photographiques, par A. Dollfus.

On remarque la division de Cassini et huit faibles minimums de lumière. En bas, les dimensions sont exprimées en secondes d'arc à la distance de 10 UA d'après les mesures au micromètre à double image de H. Camichel, J. Focas et A. Dollfus.

Depuis le siècle dernier, à la suite des travaux de Kirkwood et de Lowell, on admettait que les divisions et faibles zones sombres observées dans l'anneau de Saturne étaient attribuables aux perturbations produites par les satellites. Ces perturbations ajouteraient leurs effets, par résonance, aux distances pour lesquelles les périodes de révolution sont commensurables avec celles des satellites. La théorie avait fait ses preuves dans le cas des perturbations introduites par Jupiter dans l'anneau des astéroïdes. La division de Cassini semblait coïncider avec la période 1/2 de celle du satellite Mimas, 1/3 d'Encelade et 1/4 de Téthys.

Cependant, nos nouvelles mesures micrométriques montrèrent que la perturbation pour la période 1/2 de Mimas ne coïncide pas avec le centre de la division de Cassini mais avec son rebord interne ; de plus, les perturbations par les satellites expliquaient mal les minimums de lumière que nous avions observés ; elles ne pouvaient rendre compte de l'aspect des anneaux. Ou bien la théorie ne s'appliquait pas au cas de l'anneau de saturne, ou bien des perturbations supplémentaires étaient nécessaires ; on pouvait les attribuer à un satellite proche du rebord extérieur de l'anneau, non encore découvert. Un tel satellite pouvait avoir échappé à toutes les recherches antérieures, car il devait être très proche de l'anneau et masqué par le halo de lumière diffusée par la planète et par ses anneaux. Il fallait donc rechercher spécialement ce satellite, avec des moyens appropriés.

Recherche du nouveau satellite.

 J’ai attendu, pour effectuer cette recherche, les circonstances rares et brèves du passage de la Terre dans le plan des anneaux. En 1966, cette circonstance exceptionnelle se présentait à deux reprises. Vus exactement par la tranche, les anneaux disparaissaient presque complètement et ne pouvaient plus gêner l’observation.

 Le premier passage de la Terre dans le plan des anneaux avait lieu le 29 octobre 1966. Je me trouvais chargé d’une mission d’études dans les observatoires soviétiques ; l’Académie des Sciences de l’Union Soviétique a bien voulu mettre à ma disposition ses meilleurs télescopes et j’ai pu observer à sept reprises entre le 26 octobre et le 16 novembre avec les instruments des observatoires de Crimée et de Kiev (Rép. d’Ukraine), de Abastumani (Rép. de Géorgie), de Tachkent (Rép. de l’Ouzbekistan), de Alma-Ata (Rép. de Kazakhstan). Vu la faible durée des séjours à chaque observatoire, je ne pouvais pratiquer que des observations visuelles, qui permettaient d’atteindre la magnitude 13. Il ne me fut pas possible de découvrir de satellites non encore identifiés ; le corps céleste recherché devait être trop faible et il nécessitait le recours aux techniques plus puissantes de la photographie télescopique.

Un deuxième passage dans le plan des anneaux, et le dernier avant 1981, devait se produire le 17 décembre 1966. Je pouvais bénéficier, en France, du télescope de 107 cm de diamètre nouvellement installé à l’Observatoire du Pic du Midi (fig. 109).

Pour déceler un satellite faible noyé dans l’auréole de lumière diffusée par la planète, il fallait éviter que l’image brillante du globe de Saturne atteigne directement la plaque photographique ; elle aurait donné une large couronne de lumière diffusée dans la gélatine. Une petite bande de celluloïd absorbante était disposée pour cela dans le plan focal du télescope ; elle recouvrait le globe de la planète et réduisait son éclat 100 fois. L’anneau restait visible, non affaibli, de part et d’autre de la bande absorbante, sous forme d’un faible filin lumineux.

Fig. 109. - Le nouveau télescope de 107 cm installé par J. Rösch à l'Observatoire du Pic du Midi, utilisé pour l'observation de Janus.

Il fallait encore diminuer la lumière diffusée par les pièces optiques du télescope. Une partie de celle-ci provenait de la diffraction par les croisillons supportant le miroir secondaire ; celle-ci produisait quatre panaches en forme de croix, centrées sur l'image du globe de Saturne. Deux de ces panaches empiétaient dans la région du champ où le satellite avait le plus de chances de se trouver. Pour dévier ces panaches, les croisillons concernés furent recouverts par une bande opaque dont les bords étaient dentelés.

Il fallait encore des plaques photographiques capables de déceler de faibles différences d'éclat, c'est-à-dire ayant un grand contraste. Mais de telles plaques sont peu sensibles. Or, la durée totale de l'exposition ne doit pas dépasser quelques dizaines de minutes, car l'image du satellite deviendrait une traînée ; il n'y aurait plus accumulation de la lumière en un même point, tandis que le halo de lumière diffusée augmente proportionnellement à la durée de l'exposition.Il fallait rechercher un temps de pose optimal compris entre 10 et 20 minutes. Les plaques les plus contrastées que nous ayons pu trouver pour la sensibilité requise furent les Kodak spectroscopiques IV. F.

Il fallait pouvoir encore réussir les longues poses, en maintenant l'image parfaitement immobile sur la plaque, à mieux que 20 microns, pendant toute la durée de la pose. Les irrégularités du mouvement d'entraînement du télescope, les flexions de la monture et les miroirs, les vibrations du tube et les effets du vent devaient être à tous moments compensés, ainsi que les déplacements erratiques de l'image dus à la réfraction atmosphérique et à ses variations. Les moteurs de rappel électrique classiques, s'ils satisfont la plupart des besoins de l'astronomie, n'offraient pas la précision requise pour notre but particulier. J'ai préféré recourir à un artifice qui a donné toute satisfaction : une petite lame de verre de quelques millimètres d'épaisseur était interposée dans le faisceau optique à l'entrée de la caméra ; elle était orientée perpendiculairement au faisceau lumineux et montée sur une rotule ; un levier léger permettait d'incliner cette lame en tous sens, ce qui déplace les faisceaux lumineux dans la direction donnée par le levier. Avec quelque entraînement, je pouvais alors conduire l'image et la maintenir derrière la croisée des fils de l'oculaire de guidage avec toute la précision requise.

Trois clichés, obtenus le 15 décembre 1966, vers 18 h 30, montraient un très faible point lumineux non identifié, exactement dans le plan de l'anneau et très proche de l'extrémité de celui-ci, du côté est. Sur ces clichés, le globe de Saturne, affaibli 100 fois, est bien visible à travers la languette absorbante. L'anneau filiforme se détache du fond de lumière diffusée. On identifie quelques-uns des satellites connus : Dioné à gauche, Encelade et Téthys presque superposés à droite, et Titan très brillant tout à fait à droite. Le petit point lumineux aurait pu être un défaut, ou une étoile ; cependant, les clichés pris dans les moments qui suivirent montraient encore ce point lumineux, déplacé vers l'anneau, et il se rapprochait progressivement de la planète. Admettant qu'il s'agissait du nouveau satellite recherché, je pouvais faire une première hypothèse sur le rayon de son orbite ; la 3e loi de Képler définissait alors une durée de révolution voisine de 18 h 00 m. Des éphémérides provisoires pouvaient être dressées.

Fig. 110. - Cliché de la découverte de Janus le 15 décembre 1966, de 18 h 12 m à 18 h 33 m UT. Télescope de l'Observatoire du Pic du Midi.

Le lendemain 16 décembre, l'astre était prévu à l'ouest ; il apparut effectivement à 19 h 53 m sur le premier cliché de la nuit, très près de deux autres satellites connus, Mimas et Titan. Celui-ci progressait en direction de l'astre et le masqua ensuite sur les autres clichés de la nuit.

Le 17 décembre, le nouveau satellite était encore photographié à 17 h 45 m à l'ouest, à l'emplacement calculé. Le 18 décembre, de légers nuages ont perturbé les observations. Le 19, le nouveau corps céleste devait se projeter devant le disque et ne pouvait être observé. J'ai dû laisser ensuite le télescope à d'autres programmes.

De retour à l'Observatoire de Meudon, j'ai entrepris l'étude de l'ensemble des 28 clichés ramenés. Les mesures et calculs durèrent jusqu'à la fin de décembre, et c'est dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier seulement que les éléments de l'orbite ont pu être finalement calculés.

Le 1er janvier 1967 au matin, tous les négatifs ont été examinés indépendamment à l'Observatoire de Meudon par J.-H. Focas, puis des télégrammes ont été adressés à différents observatoires susceptibles de confirmer la découverte, et en particulier au Centre d'informations rapides de l'Union Astronomique Internationale.

L'objet était une première fois retrouvé aux États-Unis le 3 janvier sur des clichés pris le 18 décembre par R. L. Walker avec le télescope beaucoup plus grand du Naval Observatory, Flagstaff (Arizona). Puis j'ai retrouvé moi-même ce satellite sur quatre clichés obtenus auparavant le 29 octobre 1966, avec le grand télescope de 205 cm de l'Observatoire McDonald dans le Texas par J. Texereau. Sur ces très beaux clichés, le corps est visible au bord ouest et se déplace progressivement pour se rapprocher de la planète (fig. 111 et 112).

Fig. 111. - Cliché obtenu par J. Texereau avec le télescope de 205 cm de l'Observatoire McDonald (Texas) le 29 octobre 1966 à 2 h 55 m UT, pose 5 minutes.

Fig. 112. - Cliché obtenu par J. Texereau avec le télescope de 205 cm de l'Observatoire McDonald le 29 octobre 1966 à 3 h 37 m UT.

Caractéristiques du nouveau satellite.

Baptiser un nouveau corps céleste est un privilège réservé par tradition au choix du découvreur. Les 9 satellites déjà connus et confirmés portaient des noms de divinités associées dans la mythologie grecque ou latine à l’histoire du dieu Saturne. La divinité « Janus » restait disponible et fut retenue pour le nouveau satellite.

À la précision des mesures, l’orbite de Janus est contenue exactement dans le plan équatorial et dans celui de l’anneau ; l’inclinaison de l’orbite est donc nulle. Cette orbite semble exactement circulaire. La mesure de son rayon donne 2,65 fois le rayon équatorial de la planète ; l’orbite a donc pour diamètre environ 315 000 km. Le satellite gravite très près du rebord extérieur de l’anneau A dont il n’est éloigné que de 40 000 km.

Le satellite a été découvert lors de sa plus grande élongation au bord est le 15 décembre 1966 à 18 h 20 m. Les clichés obtenus à l’Observatoire McDonald par Texereau le montraient à sa plus grande élongation ouest le 29 décembre 1966 à 4 h 55 m. Si, entre ces deux observations, le satellite avait effectué 64,5 révolutions, sa période serait T1 = 17 h 41,8 m. Si le satellite a bouclé 63,5 révolutions, sa période doit être T2 = 17 h 58,5 m. S’il n’a parcouru que 62,5 révolutions, on obtient T3 = 18 h 15,8 m. Pour départager entre ces trois possibilités, nous devons examiner les autres clichés. La position du satellite est définie par son angle planétocentrique compté dans le sens direct à partir de la plus grande élongation au bord est. Sur le cliché du 16 décembre, à 19 h 53 m, on peut calculer l’angle de position 160° ± 5° pour la période de révolution T1. La période T2 donne 152° ± 5° et la période T3 144° ± 5°. La valeur observée sur le cliché est 150° et favorise donc la période de révolution 17 h 58,5 m.

L’éclat moyen de Janus correspond à la magnitude 14. En supposant que le pouvoir réflecteur de la surface est d’environ 0,6, on peut calculer le diamètre de l’astre, qui vaut environ 350 km. Cette dimension est appréciable, puisqu’aucun des satellites découverts depuis le milieu du siècle dernier n’atteignait un tel volume.

Quelques conséquences de la découverte de Janus.

Janus gravite très près de la planète principale, de sorte que sa cohésion serait rompue s’il ne possédait pas une densité suffisante pour contrebalancer la force centrifuge. L’équilibre des satellites dans de telles conditions a été calculé en 1848 par l’astronome français Roche. Si R est le rayon de la planète, a la distance du satellite à la planète, rhô la densité du satellite et delta la densité de la planète, le satellite ne peut se former ou se maintenir que si la densité r est conforme à la condition de Roche : rhô > 14,6 . delta . (a/R– 3.

Pour Saturne, delta vaut 0,71. À la distance du rebord extérieur de l’anneau A, la condition donne rhô supérieure à 0,84. Au niveau du bord intérieur de l’anneau B, rhô doit dépasser 2,78. Un satellite ayant la densité de la glace et gravitant au milieu de l’anneau serait donc instable. À la distance de Janus, la condition donne une densité minimale de 0,6. Un satellite de glace serait donc encore stable à cette distance de la planète, et l’existence de Janus est compatible avec la théorie de Roche.

En 1947, Sir H. Jeffreys a raffiné la théorie de Roche. Un satellite ne peut se former par accrétion de matière au-delà de la limite de Roche ; mais un satellite préexistant et amené au-delà de cette limite ne serait pas nécessairement brisé, à cause de la cohésion propre de sa matière. Le calcul de Roche ne s’applique dans ce cas que pour des corps de diamètre supérieur à 200 km. En dessous de cette dimension, un satellite resterait stable. Notre satellite, avec ses 350 km, dépasse le diamètre critique de Jeffreys ; il serait effectivement brisé si sa densité n’était pas supérieure à 0,6.

Nous avons rappelé que D. Kirkwood eut l’idée, en 1867, d’attribuer les divisions dans l’anneau de Saturne aux perturbations par les satellites. Les actions perturbatrices seraient en effet cumulatives aux distances telles que les périodes de révolution des particules de l’anneau soient commensurables avec celles des satellites. En 1871, Kirkwood étendit sa théorie de la division de Cassini pour expliquer la division observée par Encke dans l’anneau A. Plus tard, Lowell chercha à généraliser les calculs pour l’ensemble des divisions et minimums de lumière qu’il observait dans l’anneau, mais la plupart de ces divisions n’ont pu être confirmées dans la suite.

Nos déterminations des dimensions exactes et des positions des différentes divisions et minimums de lumière dans l’anneau ont montré qu’elles ne pouvaient correspondre dans leur ensemble avec les zones instables prévues par la perturbation des satellites. C’est cette remarque qui nous a fait rechercher un nouveau satellite. La découverte de Janus permit de réexaminer la théorie. A l’Observatoire de Meudon, E. Bowell a calculé l’ensemble des perturbations données par le nouveau satellite. La période 3/2 de Janus correspond bien au centre de la division de Cassini. Cependant, la thérie de Kirkwood ne peut s’appliquer aux autres divisions observées ; Janus, pas plus que les autres satellites, ne rend compte de la position des minimums de lumière et ceux-ci doivent être attribués à une autre cause.

La théorie de Kirkwood s’est vérifiée dans le cas des perturbations apportées par Jupiter dans la position des astéroïdes. Mais la masse des satellites de Saturne comparée à celle de la planète est 1 000 fois plus faible que celle de Jupiter comparée à celle du Soleil. De plus, les très nombreuses particules jointives et co-planaires constituant le système des anneaux forment un ensemble plus complexe que celui des astéroïdes, et il apparaît finalement qu’un phénomène simple de résonance dans les perturbations par les satellites ne peut jouer un rôle appréciable.

L’introduction de Janus dans le cortège des satellites de Saturne conduit encore à d’autres remarques. Nous savons bien que les moyens mouvements orbitaux N de trois des principaux satellites de Jupiter Io, Europe et Ganymède, sont reliés entre eux par des relations singulières : K1N1 + K2N2 + K3N3 = 0, dans lesquelles K sont des nombres entiers, respectivement + 1, – 3 et + 2.

De telles relations avaient été recherchées de même entre les satellites de Saturne. L’adjonction de Janus donne pour ces recherches numériques plus encore de possibilités. E. Bowell et L. Wilson ont montré que des équations numériques pouvaient être satisfaites mais qu’elles proviennent du hasard et non d’une propriété cosmogonique intrinsèque. Par contre, E. Bowell et L. Wilson ont trouvé entre les mouvements angulaires des satellites pris par groupes de 4 une relation nouvelle de la forme suivante : Ni + Ni + 2 = (1 + 0,1505439 . Ki) (Ni + 1 + Ni + 3). Ki est un nombre entier. Cinq équations de ce type groupent de façon satisfaisante les mouvements orbitaux des 7 premiers satellites de Saturne, de Janus à Titan. Les auteurs essaient d’expliquer la répartition de la lumière dans l’anneau de Saturne par de telles relations unissant, pour différentes valeurs entières du coefficient Ki, les maximums de lumière de l’anneau avec Janus, Mimas et Encelade.

La découverte de Janus est importante aussi pour la théorie de la formation du système des anneaux de Saturne. Selon l’hypothèse de H. Alfven, le phénomène aurait commencé par un nuage de plasma entourant la planète. En raison d’un processus hydro-magnétique lié à la neutralisation, la condensation de ce plasma en grains et finalement en petits corps solides entraîne un changement d’orbite ; les grains condensés sont conduits finalement sur une orbite circulaire, à une distance correspondant exactement aux 2/3 de la distance à laquelle la condensation s’est produite. H. Alfven explique ainsi la formation des anneaux : les corpuscules constituant ces anneaux proviennent d’un plasma initialement situé au-delà de la limite de stabilité de Roche. Ils sont amenés dans leur position présente lors de la neutralisation du plasma par condensation en grains de matière. Ils ne peuvent s’agglomérer en corpuscules plus volumineux puisqu’ils ont été conduits au-delà de la limite de Roche. La division de Cassini a pour diamètre exactement les 2/3 de celui de l’orbite du satellite Mimas ; elle s’explique donc par l’élimination des particules situées initialement dans le plasma original à la distance de Mimas. Or, comme résultats du balayage produit par le satellite, H. Alfven remarque que le satellite Janus devrait produire une élimination de particules analogue ; précisément la distance 2/3 de l’orbite de Janus correspond au minimum de lumière que nous avons observé au milieu de l’anneau B. "

Audouin Dollfus
Astronome à l'Observatoire de Meudon


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Dernière mise à jour le lundi 5 février 2001.