Notre dialecte septentrional "le Picard"
doit être sauvé avant qu'il ne soit trop tard. Parler patois n'est pas un
plaisir vulgaire, c'est presque du latin. Hélas, une notion vaguement
péjorative est souvent encore accolée à ce langage local. De nos jours, de
nombreux historiens se font les ardents défenseurs d'un parler plus vrai qui
s'adresse au coeur des habitants de notre contrée.
Le latin populaire fut introduit dans les Gaules par
les légions de César. En effet, l'armée romaine n'était pas composée
uniquement de Romains et d'italiens. Dès ses premières campagnes en Gaule,
César avait admis dans les rangs de ses légions un fort recrutement
"régional", notamment les excellents cavaliers Trévires et surtout
les intrépides fantassins Nerviens, ces derniers qu'il avait eu tant de
difficulté à vaincre. Il les assujettit à la rugueuse discipline romaine,
rapporte le grand historien Suétone. Il les pourvut en équipement et, ensuite,
les gratifia du droit de cité.
Un peu plus tard, sous l'empereur Auguste, il fallut
instituer des armées permanentes composées "d'engagés volontaires"
servant pendant quinze, vingt, vingt cinq années. L'appât d'une solde
confortable, d'une retraite affermie par la possibilité, une fois le service
terminé, de se marier "légalement", de recevoir à côté d'autres
avantage, des terres de culture et surtout la considération attachée au titre
de vétéran, favorisent le recrutement.
Cette armée était latine. Le latin y était la
langue de commandement et de l'administration militaire. Tout soldat devait le
comprendre, le parler ou, s'il l'ignorait, l'apprendre. On relève en 80 avant Jésus
Christ, sept cohortes Nerviennes. Ces légionnaires, de retour chez eux dans nos
contrées, y ramènent en outre ce langage. Ce langage est la souche de presque
tous les dialectes parlés sur nos territoires, grâce à un échange productif
entre les différentes populations Celtes et les colons Romains.
L'archéologie linguistique a rendu ses lettres de
noblesse à ce "latin venu patiemment à pied du fond des
âges" et qui a suivi les lois de l'évolution propres aux humains ainsi
qu'aux langues vivantes.
Il faut savoir qu'on a parlé de Picards avant de
parler de Picardie. Cet appellatif était un sobriquet collectif, un surnom
plutôt humoristique lié probablement au tempérament plutôt batailleur et au
caractère susceptible de ceux auxquels on l'attribuait. Il apparaît vers 1250
dans les textes liés au milieu universitaire parisien où il sert à désigner
les étudiants originaires de nos régions. Les différences dialectales se
manifestent très tôt dans le très ancien gallo-romain. Déjà, à l'époque
des serments de Strasbourg en 842, la langue d'oil se subdivise en plusieurs
dialectes.
A la suite des rois qui firent du Francien, le
dialecte de la cité des Parisis et de l'Ile de France, la langue de leur cour,
les autres parlers régionaux furent ainsi frappés d'ostracisme chez les
courtisans. Alors que la littérature brillait d'un vif éclat à Arras, à
Laon, à Valenciennes ; à Liège... auprès d'une multitude de chroniqueurs et
de trouvères Hennuyers, Namurois, Brabançons et Liégeois. A cause du poids
politique et économique de nos régions et en vertu du mécénat d'une
bourgeoisie riche aimant les plaisirs de l'esprit, la littérature picarde au
Moyen Age étincelle de tous ses feux. Chansons de geste, romans courtois,
poésie lyrique sont les genres principaux.