LE KAF-0400 SOUS TOUTES LES COUTURES

Comme il se doit, tout fabricant accompagne son produit d’une notice d’utilisation. Kodak ne déroge pas à la règle avec le KAF-0400. Le mode d’emploi (data sheet en anglais) se présente sous la forme d’une note technique de quelques pages, compacte et probablement rébarbative aux yeux du non spécialiste. N’y cherchez pas des informations générales sur le fonctionnement d'un CCD. Le constructeur suppose que ces notions de base sont connues. Il est pourtant essentiel d'en décoder le contenu pour mettre en œuvre le CCD et diagnostiquer un problème éventuel. Les quelques lignes qui suivent sont une lecture commentée des points essentiels du data sheet du KAF-0400. De quoi mettre en lumière quelques subtilités !
Le schéma de brochage du KAF-0400.

Attachons nous tout d'abord aux performances optoélectroniques. Les principales sont regroupées dans le tableau suivant.

 
PARAMÈTRE
VALEUR NOMINALE
Facteur de forme optique 100%
Réponse 740000 e-/µJ/cm2
'' 37000 e-/µW/cm2
'' 146 mA/W
'' 44.5 ke-/lux
Sensibilité de l’étage de sortie (CVF) 10 µV/e
Rendement quantique à 0.40 micron  0.03
Rendement quantique à 0.55 micron  0.33
Rendement quantique à 0.70 micron  0.40
Rendement quantique à 1.00 micron  0.08
Bruit de lecture 13 électrons
Signal d'obscurité 10 pA/cm2
'' 50 e-/pixel/s
Niveau de signal à la saturation 0.11 µJ/cm2 
Dynamique 76 dB
Non linéarité 1%
 
 
Un facteur de forme de 100% signifie que la totalité du pixel est photosensible, ce qui favorise la sensibilité et ce qui procure un maximum de précision si vous souhaitez utiliser votre caméra pour des travaux photométriques ou astrométriques. Avec un facteur de forme de 70%, la version anti-éblouissement du KAF-0400, le KAF-0400L, compatible broche à broche, est donc moins favorable si vous désirez exploiter scientifiquement votre caméra. Et puis rappelez-vous qu'en astronomie les photons sont souvent très rares…

Kodak exprime la réponse de son CCD en de nombreuses unités, ce qui est une louable attention. Vous devez vous rappeler pour interpréter ces valeurs que la réponse d’un CCD est éminemment variable en fonction de la longueur d’onde. Dans une note de bas de page, Kodak précise que les réponses sont valables pour la longueur d’onde de 0.55 micron.

Il est relativement facile de passer d'une unité à l'autre. Par exemple, sachant que la puissance (en Watt) est l’énergie (en Joule) produite par unité de temps, nous pouvons écrire : 1 Joule = 1 Watt.seconde. Nous aurons donc :

Avec Ti le temps d’intégration en secondes. Kodak se place dans la situation d’une lecture du CCD dans le mode vidéo standard (dit mode CCIR) dans lequel le temps d’intégration est de 20 ms (0.02 secondes). Ces unités expriment le signal en électrons en fonction d'un éclairement.
 
Le calcul de la réponse en Volt/µJ/cm2, une unité plus facile à appréhender que l’électron, est immédiat à partir du moment où la facteur de conversion entre les charges et les volts est connu (CVF pour Charge to Voltage conversion Factor). Kodak fournit la valeur de ce facteur de conversion : 10 µV/e-.

La réponse en Volt/µJ/cm2 est alors :

 
soit dans le cas du KAF-0400 :
 
La réponse en ampère fait intervenir la surface du pixel Sp :
 avec q = la charge de l’électron = 1,60.10-19 Coulomb.

Avec le KAF-0400 nous avons :

 
On retrouve bien la valeur donnée par Kodak.

Quant à la réponse en lux, il s’agit d’une horreur de la nature ! Le lux est l’éclairement pour un rayonnement photovisuel (correspondant au domaine spectral visible, centré autour de la longueur d'onde de 0.55 µm). Mais la définition des conditions d'éclairement (luminance de la source, température de couleur, usage de filtres) est laissée à la discrétion du rédacteur de la notice. Il en résulte un imbroglio qui rend cette unité parfaitement inapte à quantifier sérieusement la réponse d’un CCD pour un usage astronomique. Les lux sont évoqués ici car, pour notre plus grand malheur, certains fabricants de CCD ne jurent que par cette unité (notamment les fabricants de CCD pour les caméras grand public ou de surveillance). Normalement, 1 lux équivaut à un éclairement de 1.47.10-7 W/cm2.

Pour tenter de remonter à la réponse en µJ/cm2 à 0.55 micron il faut utiliser la formule suivante :

Cette définition n’est valable que lorsque le CCD est éclairé par une lampe à filament de Tungstène à 2854°K à laquelle est associé un filtre BG38 pour limiter le spectre au domaine visible. Dans la documentation du KAF-0400 il est précisé que la lampe de 2854°K est utilisée sans filtre, ce qui modifie très fortement le résultat en raison de la grande sensibilité du CCD dans l'infrarouge. Dans ces conditions, la réponse par lux est 10 fois plus élevée typiquement (cela dépend de l'allure de la courbe de réponse spectrale  du CCD). Notre relation devient alors :
En prenant un temps d’intégration de 20 ms, vous retrouvez la réponse de 44.5 ke-/lux. Mais oubliez vite ces horreurs !

Le rendement quantique (taux de conversion entre les photons incidents et les électrons produits) à une longueur d’onde l est donné par :

 A la longueur d’onde de 0.55 micron le rendement quantique est de :
 
Le niveau annoncé pour le courant d'obscurité est de 10 pA/cm2 pour une température de 25°C ce qui est caractéristique d’un très bon CCD fonctionnant en mode MPP (inversion des phases). Ici, l’unité utilisée pour caractériser le signal d'obscurité est une densité de courant. La valeur de la densité de courant ne dépend pas de la géométrie des pixels (leur surface) ce qui permet une bonne comparaison entre les performances de divers CCD. Kodak donne par ailleurs le signal d’obscurité en électrons par pixel et par seconde, qui est plus aisément exploitable par le concepteur de caméra et que l’on calcule par la formule :
 
avec Jd la densité de courant, q la charge de l'électron (1,6.10-19 Coulomb) et d la taille du côté du pixel en cm (9.10-4 cm dans le cas du KAF-0400). Pour le KAF-0400 nous trouvons bien la valeur annoncée par Kodak :
Le signal d’obscurité évolue de manière exponentielle en fonction de la température. En partant des informations contenues dans la notice du KAF-0400 nous trouvons la loi :
avec T, la température en degrés Kelvin (T°Kelvin = 273 + T°C)

Le tableau suivant donne la valeur du signal d’obscurité pour des températures usuelles dans les caméras CCD pour l’astronomie amateur.
 

TEMPÉRATURE
SIGNAL D'OBSCURITÉ
(en électrons/pixel/minute)
20°C
644
10°C
158
0°C
35
-10°C
7
-20°C
1.2
-30°C
0.18
-40°C
0.024
-50°C
0.0025
 
 
Le signal d’obscurité est quasiment négligeable dès que l’on atteint une température de –40°C (environ un électron thermique pour une pose d'une heure et par pixel). Rappelez-vous qu’un CCD non MPP aurait un signal d’obscurité 100 fois plus fort.

Le data sheet ne précise pas que le courant d’obscurité ainsi spécifié est un courant moyen et qu'en pratique, un nombre plus ou moins grand de pixels est affecté d’un signal thermique 10 à 100 fois plus élevé. Une pose dans l’obscurité de quelques secondes et à la température ambiante met parfaitement en exergue ces pixels déviants, que l’on appelle des points chauds. Fort heureusement, il est relativement aisé de leur redonner une allure normale par des opérations de traitement d’image élémentaires.

La dynamique est un paramètre important en astronomie quant on connaît la diversité des astres qu'il est possible d'enregistrer dans une image CCD, depuis une pâle galaxie sortant à peine du bruit jusqu'à une brillante étoile à la limite de la saturation. Le signal optique, Esat, correspondant au niveau de saturation est de 0,11 µJ/cm2. Puisque la réponse du CCD est de 740000 e-/µJ/cm2 on en déduit immédiatement le nombre d’électrons contenus dans un puits de potentiel rempli juste au niveau de saturation :

 
Il est possible de recouper ce chiffre avec une autre valeur de la dynamique fournie en décibel (dB) par Kodak, à savoir 76 dB. La définition de la dynamique en décibel est :
 
avec Ne le nombre d’électrons correspondant à la saturation et ne le bruit de lecture en électrons. Il est simple de transformer cette équation pour obtenir le nombre d’électrons à la saturation à partir de la dynamique en dB :
Le bruit de lecture typique annoncé par Kodak étant de 13 électrons, on en déduit une nouvelle valeur de la dynamique :
Le recoupement est bon avec notre première estimation du nombre d'électrons à la saturation. Kodak donne encore une information redondante sur le niveau de saturation en précisant que les registres verticaux du CCD peuvent contenir jusqu’à 85000 électrons, ce qui reste cohérent.

Il est intéressant de constater que le niveau de saturation du registre horizontal est le double de celui des registres verticaux (170000 e-) ce qui autorise un binning d’un facteur deux dans le registre horizontal (accumulation de 2 lignes consécutives dans le registre horizontal). De plus, le registre de sortie a une capacité quadruple des registres verticaux (340000 e-) d’où en fin de compte la possibilité de réaliser sans saturation un binning d’un facteur deux suivant les deux axes du CCD.

La non linéarité est de 1%, ce qui est une valeur typique pour un CCD.

Après ces préliminaires, ce tour du propriétaire proposé par le constructeur, la notice aborde le vif du sujet : l’architecture interne du CCD. Un coup d’œil rapide est souvent suffisant pour apprécier si le CCD est facile à utiliser. Dans le cas du KAF-0400 l’architecture est simplifiée en raison de l’absence d’une zone mémoire et de la structure à deux phases pour le transfert des charges. Rien d’insurmontable donc pour la mise en œuvre. Le schéma d’organisation interne du KAF-0400 nous informe que la zone image comprend 520 lignes (4 lignes en haut et 4 lignes en bas de l’image sont recouvertes d’un masque et servent ainsi de références d’obscurité) et 784 colonnes (16 d’entre elles sont des références du signal d’obscurité ou des références électriquement passives, 4 au début et 12 à la fin d’une ligne vidéo), un registre horizontal de 784 pixels et un étage de sortie traditionnel avec diode flottante accompagné des circuits assurant la précharge de cette dernière.

 
Organisation simplifiée du KAF-0400.

La dénomination des horloges, leurs rôles et leurs caractéristiques électriques sont données dans le tableau suivant :
 

NOM
FONCTION
NIVEAU HAUT
NIVEAU BAS
V1
Horloge verticale
+0.5V
-8.0V
V2
Horloge verticale
+0.5
-8.0V
H1
Horloge horizontale
+6.0V
-4.0V
H2
Horloge horizontale
+6.0V
-4.0V
R
Horloge de reset
+3.0V
-2.0V
 
 
La présence d’horloges devant atteindre des valeurs négatives est la signature de la technologie d’inversion des phases (technologie MPP). Kodak indique par ailleurs la tolérance acceptable sur les niveaux d’horloges. On apprend que la tolérance est de +/-0.5V pour les horloges (H1, H2),  +/-2 V pour les horloges (V1, V2) et que l’horloge R doit être comprise dans les fourchettes [+3.0 V, +5.0 V] et [-3.0 V, -5.0 V] respectivement pour ses niveaux haut et bas. La tolérance est assez serrée sur l’horloge verticale, ce qui explique dans le circuit électronique d'Audine la présence de potentiomètres de réglage de précision pour ces tensions.

Kodak indique une valeur de charge capacitive de 24 nF pour chaque horloge verticale, un niveau assez élevé. Fort heureusement deux effets se conjuguent pour rendre moins critique cette charge capacitive, qui est susceptible de rendre les fronts d'horloges insuffisamment raides si les circuits électroniques sont mal adaptés. D’une part, la prise d’image monocoup, la règle en astronomie, rend acceptable la lecture lente du CCD ce qui donnera le temps aux niveaux d’horloges de s’établir. D’autre part, il s’avère que la valeur de 24 nF ne résiste pas à la mesure directe. Il semble bien que le fabricant a surévalué le chiffre, probablement pour des raisons de compatibilité des circuits électroniques devant piloter des CCD cousins, comme le KAF-1600, qui possède exactement deux fois plus de lignes et de colonnes et donc une capacité d’entrée par phase plus élevée. Notre estimation de la capacité des horloges verticales est de 10 nF, ce qui est plus raisonnable et rend possible l’usage de drivers reposant sur interrupteurs analogiques. La capacité équivalente des autres phases (100 pF pour H1, H2 et 5 pF pour R) est dans la norme, c’est-à-dire suffisamment faible pour ne poser strictement aucun problème pour la mise à niveau des signaux.

Le constructeur ne donne aucune consigne précise quant à la caractéristique de croisement des différentes horloges. Faute d’indication nous avons considéré que le croisement se fait à mi-hauteur de l'amplitude des horloges.

Entre deux transferts de lignes image dans le registre horizontal, l'intégralité de ce dernier doit être lue. Une ligne du CCD se compose de 10 pixels non actifs car non reliés à des photosites, 4 pixels photosensibles mais ne recevant jamais la lumière car ils correspondent à des colonnes recouvertes d’un masque d’aluminium, 768 pixels d’image, et enfin 12 pixels masqués de la lumière. En tout, il faut envoyer 794 cycles d’horloge au minimum pour lire totalement le registre horizontal.

 Mécanisme de transfert des charges dans le registre horizontal.

Le respect des durées minimales des tops d’horloge est primordial pour assurer un bon transfert des charges. Une durée sensiblement plus longue ne pose en revanche aucun problème particulier. Il suffit d’aménager des petites temporisations dans le logiciel produisant les horloges pour arriver à nos fins, ainsi que le montre le bout de code suivant qui génère la séquence d’instructions nécessaire pour produire V1 et V2 :

// le bit 0 du port de sortie est relié à l’horloge V1
// le bit 1 du port de sortie est relié à l’horloge V2
outp(DATA, 0x00);  // bit 0 à 0 et bit 1 à 0
outp(DATA, 0x00);
outp(DATA, 0x00);
outp(DATA, 0x01);  // bit 0 à 1 et bit 1 à 0
outp(DATA, 0x01);
outp(DATA, 0x01);
outp(DATA, 0x01);  // bit 0 à 1 et bit 1 à 0
outp(DATA, 0x01);
outp(DATA, 0x01);
outp(DATA, 0x02);  // bit 0 à 0 et bit 1 à 1
outp(DATA, 0x02);
outp(DATA, 0x02);
outp(DATA, 0x01);  // bit 0 à 1 et bit 1 à 0
outp(DATA, 0x01);
outp(DATA, 0x01);
outp(DATA, 0x00);  // bit 0 à 0 et bit 1 à 0
outp(DATA, 0x00);
outp(DATA, 0x00);

La figure ci-après montre la séquence des horloges V1 et V2 pour lire l’intégralité de l’image. Le cycle complet de lecture, qui inclut le temps d’intégration, s’appelle une trame (frame en anglais). Le CCD comporte 520 lignes. Parmi celles-ci, nous avons vu que 4 lignes en bas de l’image et 4 lignes en haut de l’image sont masquées de la lumière et ont un rôle de référence d’obscurité (non exploitées dans la caméra Audine, mais libre à vous de changer la chose).

 Chronogramme général des phases V1 et V2.

Le chronogramme des horloges réalisant le transfert des charges dans le registre horizontal est présenté sur la figure suivante. Trois horloges sont de la partie : H1, H2 et R. Le palier de référence du signal vidéo est disponible sur le front descendant de H1 et le palier vidéo lorsque cette même horloge passe au niveau haut. Notez bien comment se synchronise l’horloge R qui peut être une brève impulsion d’une largeur de quelques nanosecondes seulement. La fréquence de lecture réalisable avec l’interface parallèle étant tout au plus de quelques centaines de kilohertz, nous sommes très loin d’épuiser les performances du registre horizontal et de l’amplificateur de sortie qui autorisent des cadences de lecture point de plusieurs mégahertz. Le fait que les pulses d’horloge H1, H2 et R soient de longue durée n’est pas néfaste, bien au contraire, puisque cela laisse le temps aux paliers de bien s’établir, ce qui va dans le sens de la réduction du bruit.

 
Chronogramme de lecture de la ligne image. Notez que l’horloge H2 se déduit de l’horloge H1 par une simple symétrie. En conséquence, par un choix judicieux du schéma, une seule commande provenant du PC sera nécessaire pour produire à la fois H1 et H2.

Il est parfaitement autorisé de dévier du chronogramme standard afin d'exploiter le CCD dans des modes plus ou moins exotiques. Vous pouvez procéder sans crainte car le risque est nul de détruire le CCD lors de telles expérimentations. Voici un exemple particulièrement important dans une caméra astronomique qui montre comment réaliser une opération de binning suivant les deux axes du CCD, c’est-à-dire regrouper les pixels deux par deux afin d'obtenir une image plus compacte. Nous devons procéder en deux temps, tout d’abord en additionnant deux lignes successives dans le registre horizontal avant de lire celui-ci, puis en ne générant qu’un top de reset pour deux pixels consécutifs ce qui équivaut à sommer leur contenu dans la diode de sortie. En apparence, un effet identique pourrait être produit en lisant l’intégralité du CCD à sa pleine résolution puis en regroupant les pixels a posteriori par voie logicielle. Mais en faisant ainsi nous perdons deux avantages fondamentaux du binning dans la puce même : la division par quatre du temps de lecture et une réduction du bruit d’un facteur 1.414 par rapport à une simple addition arithmétique des pixels.

Chronogramme pour additionner deux lignes dans le registre horizontal. Le constructeur a prévu ce type d’opération puisque le registre horizontal possède une capacité de stockage deux fois supérieure à celle des registres verticaux.
Chronogramme pour additionner deux pixels d’une ligne vidéo au sein même du CCD.
 
Pour obtenir les spécifications techniques des CCD Kodak, cliquez ici.