Test/bilan du Dobson Lukehurst 495 mm



Je vous présente en guise de test le bilan de trois ans avec mon Dobson Lukehurst 495 mm. J'ai suivi en gros le même plan que mes deux tests précédents. Attention : je vais être très long !

Mon but n'est pas de juger ce télescope par rapport à la concurrence, mais de décrire ce qu'on peut faire et voir avec.

1/ Le contexte

On ne peut pas lire ce test/bilan en oubliant le contexte. Ce que j'ai apprécié ou détesté dépend évidemment de mes goûts et de mes contraintes.

D'abord, je dois préciser que je rêve d'un tel télescope depuis très longtemps. À l'époque où je me fabriquais mes cartes de repérage à l'aide du Sky Catalogue sur des fiches cartonnées, il y a vingt ans, je possédais un 115/900 et pourtant je plaçais sur les cartes des objets très faibles. En fait, je prévoyais qu'elles pourraient servir pour un hypothétique et futur 400 mm. C'est sans doute un article de Ch. Hanon, dans un Ciel et Espace des années 1980, qui m'a donné envie de posséder un Dobson. En 1999, en pleine période d'imagerie CCD, je me suis mis à consulter les sites Web d'Obsession et quelques autres constructeurs de grands Dobson. Et quand j'ai arrêté l'imagerie en 2001, c'était avec comme objectif à long terme de passer au grand Dobson.

J'ai choisi d'habiter un logement dans un village afin de pouvoir faire de l'astronomie, et j'ai choisi ma nouvelle voiture (Kangoo) en sachant qu'un jour j'aurais un gros télescope. Mais si j'avais gardé ma Clio et si j'habitais toujours un appartement en ville, ce télescope n'aurait vraiment pas été adapté !

Lorsque j'ai acheté ce télescope, j'avais plus de vingt ans d'expérience, notamment en observation visuelle, et j'ai passé quatre ans avec exclusivement un Dobson (200 mm puis 300 mm). Je sais utiliser une carte pour pointer rapidement et je sais manipuler un Dobson, je n'ai donc pas besoin d'assistance au pointage ni de monture sophistiquée.

Je pratique le dessin astronomique. Je ne suis pas fan de grands champs, par contre j'aime détailler les objets. Je n'ai pas de préférence parmi mes cibles : j'aime autant observer les planètes (si elles montrent du détail !) que le ciel profond, autant les amas d'étoiles que les nébuleuses et galaxies, autant les objets vedettes que les objets originaux. Toutefois, j'espère avec ce télescope découvrir enfin le détail des galaxies, de voir la même chose que sur les dessins de l'article de Ch. Hanon.

Dernière chose : je n'ai aucune expérience des Dobson démontables, ni aucune expérience des grands diamètres. Je ne peux donc pas juger ce télescope par rapport à ses concurrents, je peux juste le juger par rapport à mes besoins.

2/ Le Dobson Lukehurst 495 mm

Pourquoi avoir choisi ce télescope ?

Le diamètre : je cherchais le plus grand diamètre possible en fonction de deux contraintes seulement : 1° il doit passer à travers mes portes ; 2° je dois être capable de le transporter. Pour le point 2, j'ai acheté un diable solide, aussi je n'ai besoin que de le soulever de par terre au diable (positionné à l'horizontale, comme une brouette). Je peux donc aller jusqu'à 500 mm. Sans doute pas 600 mm.

Le modèle Lukehurst : j'aurais pu choisir un télescope Obsession, mais le Lukehurst avait deux avantages très intéressant : 1° il n'est pas très cher ; 2° il est proposé à F/4, contre F/5 pour l'Obsession. Mine de rien, 2m00 au lieu de 2m50, ce n'est pas rien !

Pour la page de D. Lukehurst, cliquez ici. .

La commande :

J'ai contacté D. Lukehurst début 2005 pour lui demander quelques renseignements sur les options possibles, en lui disant que je me donnais une année de réflexion. En juillet, alors qu'il bouclait son carnet de commande, il m'avait recontacté : il restait une place, alors j'ai dit oui et j'ai passé commande du 495 mm. Le modèle appelé "20 pouces" existe en 495 mm Suprax ou en 508 mm BVC. J'ai préféré le 495 mm car d'après ses dimensions, le 508 mm aurait passé de justesse mes portes, donc n'aurait pas passé. J'ai payé par transfert bancaire (ça prend environ une semaine de délai, je trouve ça pratique) et début août, la construction a commencé. Lukehurst m'a annoncé trois mois de délai et m'avait expliqué qu'il ne préfère pas livrer par transporteur (on le comprend !), il préfère rencontrer le client à mi-chemin. Fin octobre, il me recontactait : ayant deux clients français à livrer, ça l'arrangerait de faire le déplacement pour nous deux, et je devais confirmer la date (juste avant la Toussaint), auquel cas il terminait mon télescope en priorité. C'est ce qui s'est passé : le deuxième client, normand, a fait le voyage jusque Portsmourh pour récupérer nos deux télescopes, et je l'ai rejoint à Ouistreham tout en lui payant la moitié du ferry (que j'avais économisé grâce à lui). Durant le trajet en ferry, sa Clio a donc transporté deux Dobson : un de 400 mm et un de 495 mm ! Nous avions bien préparé le coup et réfléchi à la manière d'assembler les deux télescopes (pas n'importe comment) pour que ça rentre, et ça a rentré ! (D. Lukehurst en parle sur son site, dans le paragraphe des news.)

Voici les options que j'avais choisies :

Le télescope :

Voici une photo du télescope issue du site de Lukehurst :

On reconnaît, de bas en haut : Il s'agit d'un Dobson tout ce qu'il y a de plus classique. Ce n'est pas un Dobson ultra-compact ni un Dobson de qualité top moumoute et encore moins un Dobson novateur. Et c'est évidemment pour ça qu'il ne coûte pas trop cher. L'autre raison du prix modique est son miroir en Suprax : le pyrex aurait coûté bien plus cher.

Oui, au fait, quel est son prix ? Le 495 mm sans option coûte aujourd'hui 3595 £ en version standard (miroir à lambda/4) et 4395 £ en version "deluxe" (lambda/10).

Pour le rangement, tous s'emboîte (sauf les barres) : la cage secondaire tient dans la boîte du primaire si on enlève le chercheur.

Terminons par les caractéristiques indiquées par le contructeur :

Les optiques ont été taillées par Oldham, et le secondaire a été aluminé par Orion Optics (pour le HiLux). Oldham fournit un "certificat" de contrôle.

3/ L'utilisation du Dobson Lukehurst

Le télescope a fait sa première lumière aussitôt mon retour de Ouistreham : je suis rentré vers 4h du matin et je l'ai installé sur ma terrasse, dans le noir, et ai observé aussitôt après la nébuleuse de la Tête de Cheval (je tenais à ce que sa première lumière soit un astre bien choisi). Que son montage soit faisable en pleine obscurité par quelqu'un qui n'a jamais monté un Dobson démontable est un signe.

Transport :

Je déconseille de transporter tous les éléments emboîtés, à moins d'être vraiment costaud. Dans le coffre de ma voiture, ça prend une si petite place que ça bouge. Je préfère tout séparer et caler la boîte du primaire contre la base posée à côté.

La base est pénible à transporter à traver les portes, car elle est un peu trop large et doit être portée en travers (et c'est lourd). La boîte du primaire, je ne la porte quasiment jamais : juste de par terre au diable, ou bien du diable au coffre. Quand je pose la boîte du primaire, je ne fais pas plus de deux pas avec. Je la tiens sur mes cuisses, par les tourillons. Je n'ai jamais eu mal au dos. Par contre, le lendemain de la nuit où j'ai passé une minute à trouver le bon sens (donc une minute à la porter), j'ai eu les avant-bras lourds... Je précise que je ne suis vraiment pas costaud, surtout au niveau des bras (ne sais pas faire de pompes ni monter à la corde). Je crois qu'elle doit faire environ 30 kg ou un peu plus. Je pourrais porter encore un petit peu plus, mais je ne suis pas loin de ma limite.

Dans le coffre de la voiture, il faut penser aussi au diable (si j'observe seul) et à l'escabeau. Attention sur les ralentisseurs : ça fait sursauter le miroir primaire et, parfois, la sangle part.

Installation :

L'installation de ce télescope est vraiment très simple. Il n'y a pas de mode d'emploi - il n'y en a pas besoin. Lukehurst m'avait juste signalé que les barres étaient numérotées. Voici comment on procède :

Si on ne compte pas la collimation, tout ça me prend 6 ou 7 minutes quand je ne traîne pas.

Précisons que le porte-oculaire et le chercheur tiennent sur une platine qu'il faut fixer sur la cage secondaire une fois pour toutes. Il est tout à fait possible de positionner cette platine "en gaucher" ou "en droitier". J'observe avec l'oeil gauche, donc je l'ai d'abord positionnée "en gaucher", mais cela implique de tirer le télescope pour le suivi manuel, or je trouve plus précis de le pousser, c'est pourquoi il est à présent monté "en droitier". Le chercheur est placé un peu trop près du porte-oculaire, ça n'est pas pratique quand on pointe avec l'oeil gauche... Il est placé dans un double collier à trois vis de réglage, ce qui n'est pas très pratique (je préfère largement le système chinois), surtout que les deux vis du côté intérieur sont très proches du tube, de sorte qu'il est quasiment impossible de les régler tout en regardant dans le chercheur. Si l'on souhaite ranger la cage secondaire dans la boîte primaire, il faut démonter le chercheur, qui tient dans une queue d'aronde classique.

Remarque : Lukehurst a pensé à fournir deux vis supplémentaires (soit quatorze au lieu de douze).

Réglages :

Le miroir primaire est posé sur un barillet à 18 points. Trois pattes de retenue l'empêchent de quitter son emplacement mais ne le serrent pas. En outre, une sangle permet de répartir le poids du miroir lorsqu'il ne pointe pas au zénith (attention : la sangle part assez facilement si le miroir glisse vers le côté opposé, il faut absolument vérifier qu'elle est en place avant d'observer). Il y a un couvercle assez joli (avec une poignée ronde) qui repose directement sur le haut des pattes de retenue. Par contre, le secondaire n'est pas protégé. J'avais pensé utiliser une bouteille vide, mais il est trop gros...

La collimation du secondaire se fait de façon classique en jouant sur trois vis. L'une des trois vis est très dure. C'est une fois le secondaire démonté que j'ai compris pouquoi : elle est un peu de travers. Mieux vaut agir sur les deux autres (c'est équivalent). Les vis se tournent avec une clé allen. Certaines sont situées tout près des branches de l'araignée, ce qui n'est pas très pratique. Remarque : le secondaire était parfaitement centré, ce qui n'est pas idéal pour un télescope ouvert à F/4 (mais ce n'est pas critique non plus). Den a profité du recollage du secondaire (v. plus loin) pour le décaler comme il se doit.

Pour la collimation du primaire, il y a juste trois grosses vis papillons à tourner. Autant j'adore le système d'Orion Optics, autant celui-ci me paraît vraiment simpliste. On sent réellement le poids du miroir, et parfois il faut de la force pour tourner un tout petit l'une ou l'autre vis. Mais ça marche.

Pour la collimation, j'utilise couramment un laser ou un cheshire (aujourd'hui uniquement le cheshire) et je complète, éventuellement, sur la Polaire. Mais je me rends compte que je ne sais pas collimater plus précisemment sur la Polaire qu'au cheshire, aussi la plupart du temps je me contente du cheshire.

Manipulations :

Je mesure 1m70. Je peux observer assis les astres à moins de 25° de hauteur. Jusqu'à 50° de hauteur, j'observe debout (la Polaire par exemple). De 50° à 70° j'ai besoin de monter sur la première marche de l'escabeau. Et jusqu'au zénith je monte sur la deuxième marche. J'aurais donc pu me contenter d'un marche-pieds, mais j'ai acheté un escabeau afin de pouvoir bien m'appuyer (ne surtout pas se tenir au télescope !), notamment pour dessiner.

Le pointage ne pose pas de difficulté particulière, sauf au zénith : il n'est pas possible de tourner le tube lorqu'on est perché sur la deuxième marche, il faut donc descendre le tourner, puis remonter vérifier au chercheur si on s'est approché. J'ai déjà pointé M51 pile poil au zénith et ça m'a pris de longues minutes, mais je ne le regrette pas ! Avec un télescope de ce calibre, 5 minutes de pointage n'est pas énorme si, ensuite, on va passer une ou deux heures à l'oculaire.

Les mouvements me conviennent tout à fait. Ils sont moins durs que sur le Kepler, mais moins doux que sur l'Orion Optics. Il est possible de suivre manuellement à x406 (mon plus fort grossissement), même si ça défile quand même assez vite. Mais j'ai déjà fait quelques dessins à ce grossissement. Lorsqu'on pointe quelque part, c'est absolument stable, même avec un peu de vent. De tous les Dobson que j'ai eus, c'est le meilleur sur ce point.

J'utilisais trois oculaires avec mon précédent télescope, l'Orion Optics 300/1200 : un Pentax XW 20 mm, un Nagler 9 mm et un Nagler 5 mm. Avec le Lukehurst, il me manquait un grossissement entre x226 (9 mm) et x406 (5 mm), j'ai donc acheté un XW 7 mm (x290). Changer de grossissement n'est pas forcément pratique quand on est perché sur la deuxième marche : il faut redescendre, poser l'oculaire dans sa malette après avoir remis ses caches, chercher le nouvel oculaire, enlever les caches, remonter, placer l'oculaire et espérer qu'on n'a pas perdu l'objet... Ça peut paraît surprenant, mais en fait il n'y a pas de problème même à fort grossissement à condition d'anticiper le mouvement du ciel. Quand on observe à fort grossissement, on voit très bien où part le ciel donc, avant de changer d'oculaire, on pousse le télescope un peu plus loin. Mais c'est un coup à prendre.

4/ Les observations - généralités

En général, on peut classer les grossissements dans trois catégories : Avec le Lukehurst 495 mm, il n'y a plus que deux types de grossissements, et c'est très déroutant la première fois ! On a donc un faible grossissement qui en a les inconvénients (ciel clair) mais pas les avantages (champ), et un grossissement moyen qui a les inconvénients du grossissement fort (turbulence). Je n'aime pas trop les grossissements faibles, à cause du ciel clair, mais dès que je grossis moyen j'ai de la turbulence (sauf par temps très stable). Tout ça fait que l'image n'est pas souvent très esthétique.

J'ai eu l'occasion d'essayer un Nagler 26 mm et je dois dire qu'il conviendrait merveilleusement bien à ce télescope. Lui donne du grand champ (1°03'). Mais je ne suis pas fan de grand champ, et puis le Nagler 26 mm coûte cher, surtout qu'il faudrait racheter des filtres au coulant 50,8 mm. Sans parler du correcteur de coma.

Oui : je n'utilise pas de correcteur de coma. La coma se voit à faible grossissement, mais elle est discrète et ne me gêne pas. J'ai essayé un Paracorr, je trouve que ça ne change pas énormément, donc je m'en passe. Je crois que la tolérance à la coma dépend de chacun.

Théoriquement, un 495 mm montre 1,1 magnitude de plus qu'un 300 mm et 2,0 magnitudes de plus qu'un 200 mm (je parle de magnitudes stellaires). C'est bien ce que j'obtiens : 14,5 au 200 mm, 15,5 au 300 mm et 16,5 au 495 mm (en gros - mais ça dépend bien sûr du ciel).

J'ai constaté que depuis mon village, j'ai des images comparables à celles obtenues au 300 mm depuis la Lozère lors d'un été exceptionnel. Bref : grâce à ce télescope, je suis en vacances quand je veux... On dit parfois qu'un gros diamètre demande un ciel à la hauteur. Pas du tout, et bien au contraire : un gros diamètre permet de compenser un ciel pas génial (ainsi, depuis mon village, je perds presque 1,0 magnitude par rapport à un ciel de plaine).

Avec 495 mm de diamètre, les disques d'Airy font 0,56" de diamètre et le pouvoir séparateur est de 0,24". Sauf que la turbulence est rarement suffisamment faible pour permettre d'atteindre ces valeurs... Néanmoins, par ciel stable j'ai été étonné de la finesse des étoiles du Trapèze. J'ai pu séparer facilement Dzêta Cancri A et B, qui montrait deux disque séparés par un peu de ciel. Effectivement, A et B étaient séparées de 0,9" à l'époque donc les deux disques devaient être séparés de 0,34" (0,28+0,34+0,28=0,9).

Ce télescope est vraiment sensible à la turbulence : par ciel stable, les images sont bien plus fines que par ciel turbulent. Au point que je préfère un ciel stable mais peu transparent à un ciel transparent mais peu stable. Attention : même si ça turbule, on voit bien plus de choses que dans un 300 mm. Mais on sait que ça pourrait être bien mieux et c'est frustrant...

5/ La mise en température

J'ai placé la mise en température dans une section à elle parce que c'est un problème qui m'a poursuivi pendant trois ans.

Le miroir n'est pas en pyrex (sans quoi il aurait coûté nettement plus cher), aussi faut-il s'attendre à une mise en températeure assez longue, même si le Suprax est une sorte de cas intermédiaire entre le pyrex et le verre "normal". Je n'ai jamais été gêné par la mise en température du primaire. Par contre, le secondaire m'a causé bien des soucis...<^> Après plusieurs tests, j'ai fini par comprendre que si mon télescope avait besoin de quatre heures de mise en température en moyenne - oui, vous avez bien lu : quatre heures, et en moyenne - c'était à cause du secondaire. Celui-ci génère un astigmatisme très gênant durant une ou deux heures, et qui finit par disparaître complètement au bout de quatre heures en moyenne. Tant qu'il est présent, il est impossible d'observer les planètes car on ne peut pas faire de mise au point précise. J'ai donc pris l'habitude de sortir le télescope à 19h pour observer à 22h (par exemple).

Grâce aux forums (Astrosurf et Webastro), j'ai fini par comprendre que le problème venait de la colle : les points de colle, mal placés, se dilatent et se contractent selon la température et contraignent le secondaire, d'où un astigmatisme qui disparaît avec la mise en température. Ça peut s'améliorer si on décolle le secondaire et qu'on le recolle correctement. Je n'ai jamais fait une chose pareille et je ne m'y connais pas en colles. Heureusement, un sympathique webastram breton (Den) a bien voulu regarder ça. Il a recollé correctement le secondaire et dès lors, le problème a complètement disparu. Complètement !

Cet hiver, j'ai pu observer une heure après l'installation, avec aucun astigmatisme visible. Du coup, c'est maintenant la mise en température du primaire qui se voit. Elle prend plus de deux heures quand il fait froid dehors, mais ça va beaucoup plus vite quand il fait doux : vendredi dernier (13/03) j'ai observé aussitôt après l'installation dehors et les images étaient tout à fait correctes. Ce soir là, la mise en température complète a dû prendre quinze minutes, et encore... Il est vrai qu'il faisait à peine plus froid dehors que dans la cuisine où je stocke le télescope, qui n'est pas chauffée.

Bref, le problème est réglé. Je pense que la mise en température n'est vraiment un souci qu'en hiver, quand il fait nettement plus froid dehors. Bien sûr, il y a toujours un délai de mise en température, mais de toute façon on n'utilise pas un pareil télescope pour observer rapidement cinq minutes comme on le ferait avec une petite lunette ou des jumelles.

6/ Le ciel profond à travers le Lukehurst 495 mm

Ce télescope est bien sûr fait pour observer le ciel profond ! Deux choses frappent la première fois qu'on observe dedans :

1) La turbulence. J'aime observer à moyen grossissement, et comme je l'ai dit plus haut, le grossissement qui est moyen par rapport au télescope est souvent fort par rapport à l'atmosphère. Du coup, le ciel est parfois vu comme à travers le fond d'une piscine. Mais j'exagère un peu : en général ce n'est pas si visible. Néanmoins il ne faut pas s'attendre à un piqué extraordinaire pour peu que la turbulence s'en mêle.

2) Les objets nébuleux ne sont pas plus brillants. Eh oui ! C'est normal : la clarté des objets nébuleux ne dépend pas du diamètre mais du rapport diamètre sur grossissement (que l'on appelle "pupille de sortie", mais j'évite ce terme qui prêt à confusion). Quand on pointe M51, on n'a pas l'impression qu'elle est plus brillante qu'au 200 mm. Et elle ne l'est pas. Mais à grossissement équivalent (j'emploie ce terme pour dire "à même pupille de sortie") l'objet est bien sûr plus étendu, donc globalement nous envoie plus de lumière. Mais la clarté est la même. Ça signifie qu'il faut utiliser, encore et encore, la vision décalée. Oui : même à 495 mm on a besoin de la vision décalée.

Mieux : à 495 mm, on a plus que jamais besoin de la vision décalée. En effet, sauf exception les détails du ciel profond se voient uniquement en vision décalée. Or un 495 mm montre bien plus de détails qu'un petit diamètre. Donc il faudra utiliser bien plus la vision décalée !

Ça peut paraître décevant, mais si on veut exploiter le potentiel de cet instrument, il faut continuer à examiner patiemment l'image, à faire fonctionner la vision décalée, à balayer, à insister, etc. Regarde un objet rapidement n'est pas une bonne idée : on ne verra qu'une petite partie de ce que le télescope peut monter. Dit autrement : le TDA ("télescope des autres") de 50 cm montre nettement moins de choses que le télescope personnel de 50 cm.

Ce que le diamètre apporte immédiatement, en revanche, c'est la résolution sur les objets faibles. M51 n'est pas plus brillante (au sens de la clarté) mais montre ses bras immédiatement (c'est une des rares exceptions à la règle concernant la vision décalée). La plupart des objets vedettes du ciel profond montrent des détails. Lorsqu'on pointe une galaxie de Messier, ou une NGC brillante, on peut s'attendre à voir pas mal de choses. J'ajoute que le dessin est alors une aide précieuse pour examiner l'image. Je considère que le dessin en tant qu'activité est un accessoire qui dilate mon miroir (vu qu'il aide à voir des détails qui auraient échappé à l'observateur sinon).

Il faut être conscient, aussi, qu'à travers un tel télescope on observe les objets longtemps. Une tache floue, on n'y passe pas plus de cinq minutes, mais M51 au 495 mm, c'est 2 heures d'observation, les Dentelles du Cygne au moins autant, et M42, on peut y passer la nuit...

Par type d'objets :

Amas ouverts : Les amas classiques ne sont pas forcément intéressants. Par exemple le Double Amas est moche : ce sont les mêmes étoiles, mais tellement brillante que je me souviens encore de ma réflexion le soir où j'ai voulu le pointer : « de la pollution lumineuse ! ». Mais des amas moins connus peuvent offrir de très bonnes surprises. Un été, je m'étais amusé à pointer quelques amas des catalogues King ou Roslund, certains ont la même allure qu'un amas Messier vu dans un petit diamètre, donc c'est plutôt joli, et j'en ai même vu avec une nébuleuse autour...

Amas globulaires : Le 300 mm creusait l'écart par rapport au 200 mm, eh bien le 495 mm continue. Mais ces objets sont sensibles à la turbulence, car il faut les observer à fort grossissement. Le "noyau" de M5, sous un ciel stable, se résout en une extraordinaire "étoile trentuple", mais dès qu'il y a de la turbulence, c'est juste le même noyau brillant qu'au 300 mm. Parfois, on voit de nouvelles étoiles apparaître et disparaître au gré de la turbulence... Mais avec un peu d'habitude, on finit par trouver bien pauvres les amas globulaires au 300 mm...

Nébuleuses diffuses : Ces objets sont souvent faibles (en terme de brillance de surface), aussi le ciel est plus important que le télescope. Néanmoins, même si ces nébuleuses restent faibles, elles montrent toujours plus de détails. La région de M78, par exemple, est plus riche au 495 mm depuis mon village (ciel pas très optimal) qu'au 300 mm en rase campagne. La Petite Dentelle est un tout petit peu plus riche au 495 mm depuis mon village qu'au 300 mm en Lozère. M42 depuis mon village, même sous un ciel voilé, montre plus de couleurs au 495 mm qu'au 300 mm en rase campagne.

Nébuleuses planétaires : C'est peut-être les objets pour qui le saut de 300 mm à 495 mm est le plus important (et je disais déjà ça pour le saut de 200 à 300 mm !) La grande majorité des nébuleuses planétaires du NGC ou IC montrent des détails. Il est très rare de n'avoir qu'une boule uniforme (ou alors il s'agit d'une minuscule nébuleuse). Les couleurs sont bien sûr souvent présentes. Dans certains cas elles sont flashantes, encore plus qu'au 300 mm. Dans plusieurs nébuleuses, l'étoile centrale est faiblement visible au coeur d'une portion brillante de la nébuleuse (exemple : la nébuleuse de l'Émeraude), là où le 300 mm ne montrait que la portion brillante. On observe alors un joli contraste entre le vert de la nébuleuse et l'étoile blanche.

Galaxies : En fait, c'est pour les galaxies que le saut de 300 mm à 495 mm est le plus important. Cette fois, les structures spirales sont visibles sur les spirales brillantes du catalogue Messier (et quelques-unes du catalogue NGC), pas seulement sur M51 et M101. Mais attention : c'est toujours en vision décalée ! Lorsque je pointe une galaxie brillante, je sais que ça ne sera pas pour rien... Et il n'y a pas que les bras : le niveau de détail est important et creuse l'écart par rapport au 300 mm. Même si leur clarté est la même qu'à diamètre inférieur, on voit beaucoup plus de galaxies, car leur visibilité dépend grandement de la magnitude globale. Par exemple, lorsque je chemine de Delta Gemini à la nébuleuse du Clown, j'ai plein de petites galaxies de magnitude 14-15 sur le chemin. Il m'est même arrivé de constater qu'une étoile faible présente sur un dessin était en réalité une galaxie de magnitude plus faible que 15 - sans doute confondue avec une étoile à cause de la vision décalée, dont le pouvoir sépateur est médiocre.

7/ Les planètes à travers le Lukehurst 495 mm

La turbulence empêche bien souvent le télescope de montrer tout son potentiel, mais néanmoins je trouve qu'en moyenne, les images planétaires sont plus belles qu'au 300 mm.

Lorsque j'ai reçu le 495 mm, c'était en plein opposition martienne, et je me régalais à suivre Mars au 300 mm. Imaginant que le 495 mm n'était pas fait pour les planètes, j'ai continué à me servir du 300 mm (que j'ai gardé) pour Mars, sauf les fois où j'avais installé le 495 mm dans le but de faire du ciel profond : un coup d'oeil vers Mars ne coûtait rien. Surprise : je voyais la même chose qu'au 300 mm lors de mes meilleures nuits, mais plus facilement. Ce qui est bête, c'est que je ne l'ai pas compris tout de suite...

J'ai eu ensuite de merveilleuses images de Jupiter en mai 2006, mais uniquement dans des trous de turbulence. J'ai pu suivre le rapprochement de la Petite Tache Rouge avec la Grande, qui avait eu lieu cette année là. Je n'ai pas réussi à dessiner Jupiter, c'était trop compliqué... La Tache Rouge montre des détails et une superbe teinte saumon, et il y a un serpentin blanc à sa droite qui transperce la bande sud et qui se résout, dans les trous de turbulence, en une multitude de petites taches blanches. D'ailleurs c'est là où le 495 mm est supérieur au 300 mm : le 300 mm ne m'a jamais montré autant de détails à l'intérieur des bandes, même s'il n'était pas loin lors des meilleures nuits.

Quant à Saturne, elle m'a offert une vision "historique" que je raconterai plus bas.

J'ai observé aussi Uranus et Neptune, mais pas leur surface bien sûr. Uranus montre facilement trois satellites et Neptune ressemble à une étoile double avec Triton juste à côté. Le 300 mm montrait deux satellites autour d'Uranus, très difficiles, et montrait faiblement Triton, tout aussi difficile : la magnitude gagnée est bien utile.

Je n'ai jamais pointé Vénus, et j'ai essayé la Lune une fois, pour constater que le double filtre polarisant, même réglé à fond, ne filtre pas assez. Il faut utiliser le filtre OIII !

8/ Les observations mémorables

La première soirée en rase campagne, quelques jours après la Toussaint 2005. Je me souviens de la Tête de Cheval, qui montrait sa forme globale (surtout en vision décalée) avec le filtre H_Bêta, de la nébuleuse planétaire NGC 246, qui justifiait ce soir là son surnom de "Mortadelle", donné par des observateurs de Ciel Extrême, et surtout, surtout, vraiment surtout, de la Grande nébuleuse d'Orion, fa-bu-leuse ! Que de détails ! Que de couleurs ! Du vert, de l'ocre, de l'orange, du marron... La barre brillante au bord sud-est du coeur de la nébuleuse, résolue en nombreuses nodosités, montrait un extraordinaire dégradé. C'est la plus belle chose que j'ai jamais vu dans le ciel (jusqu'alors c'était la comète Hale-Bopp). Maïcé, auteur d'un article complet sur les couleurs de M42 dans Ciel Extrême, a surnommé cette formation l'Arc-en-Ciel. C'est exactement ça !

J'en ai déjà parlé, mais Jupiter, en mai 2006, encore pas trop basse, a montré dans des trous de turbulence des détails comme on n'en voit guère que sur les photos. En particulier, j'ai beaucoup apprécié ses couleurs douces. De façon générale, c'est ce qui m'avait vraiment plu : les images sont douces, plus esthétiques que les photos où les contrastes sont souvent trop durs.

L'été 2006, je suis retourné en Lozère, et cette fois avec le 495 mm. L'objet vedette de ces vacances était la nébuleuse des Dentelles. D'ailleurs quand j'étais fatigué, je me faisais des pauses-Dentelles. MatP m'a prêté son Nagler 26 mm, et cet oculaire va drôlement bien sur mon télescope. La Grande et la Petite Dentelle sont très détaillées, bien sûr, mais il y a aussi le Ruban triangulaire de Pickering, entre les deux : il est interminable ! Il descend au sud aussi loin que la Petite Dentelle, puis fait un coude à l'ouest, puis repart plein sud, et se poursuit encore et encore ! Il y a d'autres bouts de nébuleuses dans les parages, notamment une petite nébulosité ronde sous la Grande Dentelle. Autre observation mémorable : NGC 6543, l'Oeil de Chat. L'étoile centrale, blanche et brillante, contrastait avec la couleur verte très particulière, comme fluorescente, de la nébuleuse dont une partie de la structure était bien visible.

Un soir, peu avant la Toussaint 2006 et presque un an jour pour jour après sa première lumière, j'ai eu droit à un ciel sans turbulence. Cette nuit historique, je l'ai relatée ici : http://astrosurf.com/bsalque/061029.htm . C'est cette nuit là que j'ai revu Saturne avec la même netteté qu'à travers la lunette-guide de 130 mm du T60 du Pic du Midi. Cette observation au Pic reste mémorable car Saturne était si nette qu'on aurait dit un dessin placé entre le ciel et la lunette, et jamais je n'avais revu une telle finesse d'image. Oui, Saturne n'était pas dans le ciel, elle était devant le ciel. Nette comme découpée au cutter. Eh bien en 2006, rebelote, mais avec 495 mm de diamètre, donc avec pas mal de détails sur le globe de Saturne. Et les couleurs ! (Mais il faut savoir que quand ça turbule, Saturne peut être aussi pauvre et floue que dans une petite lunette).

Le mois d'avril 2007 a été beau et j'ai pu découvrir le ciel du printemps, enfin ! Sur les trois sorties en rase campagne, c'est la dernière qui est la plus mémorable. J'ai pointé laborieusement M51 au zénith, puis j'ai passé 2h30 à l'admirer. Je n'ai décollé mes yeux du spectacle que pour remballer. J'en ai profité pour dessiner la galaxie, mais je n'ai passé tout ce temps au dessin : je m'occupais du dessin 2-3 minutes, puis je me contentais d'admirer, puis je revenais au dessin, etc. M51 sous un bon ciel, au zénith, montre bien plus de choses que sur les dessins de l'article de Ch. Hanon. C'est aussi ce printemps que j'ai pointé la région du Quasar Double, pour les besoins de la revue Ciel Extrême (à chaque numéro, un objet particulier est décrit en détail, et le Quasar Double était le prochain objet). Voir deux petites étoiles de magnitude 16,5 n'est pas passionnant en soi, mais quand on sait qu'il s'agit d'un quasar extrêment lointain dédoublé par mirage gravitationnel, c'est autre chose !

9/ Que voit-on ? Que ne voit-on pas ?

Que voit-on ?

Que ne voit-on pas ?

10/ Positif/Négatif

Points positifs :

Points négatifs liés au type de télescope :

Point négatifs liés au modèle :

11/ Moralité.

Ce télescope est le télescope de mes rêves. Jamais je n'en aurai de plus gros car je ne pourrais pas le transporter (quoique, en ultra-compact je dois pouvoir aller jusqu'à 560 mm, mais est-ce que ça vaut le coup ?) Je l'ai peu utilisé en rase campagne, mais chaque fois cela a été mémorable. Je suis heureux de compter parmi les mortels qui ont vu l'Arc-en-Ciel de la nébuleuse d'Orion, les tourbillons de la galaxie des Chiens de Chasse ou les innombrables nuages de Jupiter.

On le dit souvent : le meilleur télescope, c'est celui qu'on utilise le plus souvent. Pas pour moi ! Pour moi, le meilleur télescope n'est pas l'Orion Optics 300/1200, le petit Dobson que je sors rapidement sur ma terrasse pour des observations à la sauvette, mais le Lukehurst 495 mm.

On dit aussi qu'un grand diamètre nécessite un très bon ciel. Eh bien non, et c'est même un point important à noter. Lorsque je sors le Lukehurst sur ma terrasse, le ciel n'est pas aussi bon qu'en rase campagne. Mais ce télescope, grâce à son diamètre, me permet d'effectuer, à la maison, des observations autrement réservées à un ciel d'exception. J'ai vu depuis ma terrasse la Tête de Cheval, les riches couleurs de M42, le Quintette de Stéphan complet, les détails dans la nébuleuse du Clown, quelques comètes faibles, des galaxies encore plus faibles, j'ai vu les quatre bras de M99 et le globule de M42, j'ai vu vingt-deux nébuleuses dans Orion, etc. Tout ça est visible dans un 300 mm en Lozère, mais je n'habite pas en Lozère, j'habite près d'une petite ville de province. Le Lukehurst m'offre la Lozère au quotidien. Bien sûr, en rase campagne c'est encore mieux !

Mais il faut avouer que c'est un télescope encombrant, lourd, pénible... Je le considère comme le télescope le plus "chiant" que j'ai jamais eu. Pas grave, c'est celui qui m'a offert les plus belles images du ciel.

Pour qui est fait ce télescope ? Clairement pour quelqu'un qui sait ce qu'il veut. Déjà, il faut de la motivation ! Car, avouons-le, ce télescope n'a que des inconvénients à part son diamètre : lourd, encombrant, "chiant", nécessite un escabeau, impossible d'observer assis... Si vous aimez votre petit confort, passez votre chemin ! Ce télescope est fait pour l'aventurier du ciel, pas le touriste que j'étais jusqu'alors, bien assis sur son tabouret, l'atlas sur les genoux... J'ai eu un gros coup de mou toute l'année 2008, eh bien il n'est pas sorti en rase campagne entre l'automne 2007 et fin août 2008 (maintenant ça va mieux). Pour utiliser un télescope pareil, il faut également pouvoir l'emmener jusqu'à la voiture, ce qui est à mon avis quasiment impossible si l'on vit dans un immeuble (même avec un ascenseur, ça m'a l'air très compliqué, surtout s'il y a des marches quelque part - et il y a toujours des marches). Ce n'est pas un télescope pour débutant : il faut savoir collimater un minimum, savoir pointer rapidement (sinon, près du zénith, aïe...) et aussi savoir interpréter l'image en cas de problème (comme l'astigmatisme). Et puis le suivi n'est pas aussi facile qu'avec un petit Dobson et pour cette raison ce n'est pas un télescope pratique dans les soirées d'observation publiques.

Mais si je ne conseille pas ce télescope à tout le monde là maintenant, je conseille néanmoins à tous de pouvoir, une fois dans sa vie, utiliser un télescope de ce genre.

12/ Mon "best of"

Pour finir, un florilège de mes dessins préférés faits avec cet instrument. Attention : ces dessins ne montrent pas ce qu'on voit à l'oculaire ; ils constituent une synthèse de ce qui a été vu, perçu ou même deviné (la plupart des détails représentés ont nécessité la vision décalée) et les contrastes sont exagérés afin qu'on n'ait pas besoin d'utiliser la vision décalée pour regarder les dessins !