Observation spectrographique de la nébuleuse OU4

Spectrographic workshop
Observatoire de Haute-Provence 2012


La nébuleuse OU4 a été découverte par Nicolas Outters en juin 2011 lors d'une observation de la nébuleuse Sh2-129. On trouvera une évocation de cette détection ici. On peut aussi se référer au site de Nicolas Outters ici, ou encore au premier papier scientifique sur cet objet ici.

La nébuleuse OU4 apparaît en projection sur la nébuleuse Sh2-129, cette dernière étant une région HII classique. La nébuleuse OU4 se distingue elle-même par sa grandeur, près de 1,5° sur la plus grande longueur, et par le fait qu’elle n'est visible quasi exclusivement que dans la couleur de l'oxygène interdite à 5007 angströms (raie [OIII]). Cela confère une couleur bleu-vert à la nébuleuse OU4, en contraste avec la dominante rouge de la région HII sous-jacente. La nature de OU4 n'est pas encore définitivement établie pour l'instant et elle fait l'objet d'investigations de la part de la communauté scientifique.

J'ai tenté une observation spectrographique de OU4 dans le cadre de l'école annuelle de spectrographie de l'observatoire de Haute-Provence - OHP (13-18 août 2012). Cette école a réuni 50 observateurs, équipés de télescopes de toutes tailles, allant jusqu'à des C14 (D = 0.315 m).

Vues du champ d'observation lors de l'école OHP 2012 - Photos Valérie Desnoux.
D'autres photos du stages sur le forum ARAS (Astronomical Ring for Access to Spectrography) et plus généralement
à propos des programmes d'observation en cours, le site ARAS :
http://www.astrosurf.com/aras/



Les participants de l'école spectro OHP 2012 (photo Valérie Desnoux).


Lors de cette édition OHP 2012 nous avons eu la chance d'une visite de Agnès Acker (observatoire de Strasbourg), spécialiste mondiale des nébuleuses planétaires, qui ce penche justement actuellement sur le cas de OU4. Sur la vue de droite, Olivier Thizy (Société Sheyliak, l'un des organisateurs du workshop), au centre Christian Buil (l'auteur), à droite Agnès Acker. Sur la vue de droite, présentation des premiers résultats sur OU4.

Cependant, pour l'occasion, j'ai utilisé le plus petit télescope disponible, ma propre lunette astrographique Takakashi FSQ-85ED (D = 0.085 m). Une sorte de défi ! Le spectrographe est un modèle LISA de la société Shelyak, configuré avec une fente assez large, de 50 microns, qui réduit la résolution spectrale (R= 700 au niveau de la raie Halpha) mais qui maximise les changes de succès en terme de détectabilité de la nébuleuse. La résolution spectrale est de l'ordre de 1 nm autour de la raie [OIII] à 5007 A. La caméra CCD est un modèle Atik460EX utilisé en binning 2x2.

J'ai aussi réalisé en parallèle une observation de cette nébuleuse en imagerie traditionnelle, toujours avec la lunette FSQ-85ED, au travers d'un filtre Halpha Astrodon de 5 nm et au travers d'un filtre OIII Astronomik de 13 nm. L'idée est de montrer la versatilité d'une petite lunette apochromatique, à la fois bien sure dans le domaine de l'imagerie classique, mais aussi dans celui de la spectrographie de haute performance.


L'instrumentation utilisée. La lunette est une FSQ-85ED de 85 mm de diamètre. A gauche, elle est équipée d'un spectrographe LISA. A droite, elle est équipée d'un réducteur de focale 0,73X et d'une caméra QSI-583 pour l'imagerie en bande étroite.

Images du champ de OU4 réalisées le 18 août 2012. Dans les deux cas, la pose est de 1 heure (6 x 600 sec.) avec une caméra QSI-583 exploitée en binning 1x1 (les reproductions sont fortement réduites). Pour la vue de gauche, le champ est observé au travers d'un filtre Halpha de 5 nm de large. Pour la vue de droite (en négatif), le champ est observé avec un filtre OIII de 13 nm de large. Ce filtre oxygène est bien trop large pour permettre de bien distinguer a nébuleuse OU4. Seules les parties les plus brillantes peuvent être devinées. Le cliché est par ailleurs pollué par la lumière de la raie Hbeta, dont une partie traverse le filtre spectral exploité (celui-ci n'est pas assez sélectif). Traitement ISIS/IRIS.

Images du champ de OU4 réalisées le 18 aout 2012. Dans les deux cas la pose est de 1 heure (6 x 600 sec.) avec une caméra QSI-583 exploitée en binning 1x1 (les reproductions sont fortement réduites). Pour la vue de gauche, le champ est observé au travers d'un filtre Halpha de 5 nm de large. Pour la vue de droite (en négatif), le champ est observé avec un filtre OIII de 13 nm de large. Ce filtre oxygène est bien trop large pour permettre de bien distinguer a nébuleuse OU4. Seules les parties les plus brillantes peuvent être devinées. Le cliché est par ailleurs pollué par la lumière de la raie Hbeta, dont une partie traverse la filtre spectral exploité.

Pour la spectrographie, j'ai positionné la fente d'entrée du spectrographe LISA dans la partie sud de la nébuleuse OU4. Précisément dans une zone correspondant à un arc brillant (onde de choc ?), qui présente en outre l'avantage de bien délimiter les limites de la nébuleuse - une caractéristique importante pour bien confirmer la détection spectrale de OU4, comme on va le voir plus loin.


Localisation de la fente du spectrographe LISA sur les images du champ réalisées avec la caméra QSI-583, respectivement en Halpha à gauche et en OIII (pseudo) à droite. La hauteur du rectangle indique la hauteur précise explorée dans le spectre. La largeur du rectangle est aussi représentative de celle de la fente. Le centre de la fente est positionné sur un arc de surbrillance de la nébuleuse OU4, que l'on peut deviner sur l'image OIII. Les coordonnées J2000 du centre de la fente sont AD: 21h13m19s - Dec: +59°24'00"".

Le champ de la caméra de guidage du spectrographe LISA lors de l'observation de OU4. Caméra Atik314L+, pose de 10 secondes. Le trait sombre vertical est l'image de la fente d'entrée du spectrographe. Le spectre de la nébuleuse est pris le long de cet axe.



Spectre à deux dimensions du champ visé réalisé le 18 août 2012 avec la lunette FSQ-85ED et un spectrographe LISA (fente de 50 microns). Le temps de pose est de 50 minutes cumulé (somme de 5 expositions élémentaires posées 600 secondes chacune). Les traits horizontaux sont des spectres d'étoiles faibles qui se trouvaient par coïncidence dans la fente au moment de la prise de vue.

Dans le spectre ci-devant on distingue trois familles de raies spectrales :

(1) les raies en émission de la nébuleuse Sh2-129, annotées en bleu, mais aussi, déjà visible, la raie de l'oxygène interdite à 5007 A (annotée en mauve), uniquement présente dans OU4. Compte tenu de la position de la fente dans le ciel, la raie n'est visible dans la moitié supérieure de la fente (direction du nord). On remarque aussi une surintensité au centre de la fente, qui coïncide avec l'arc sud de la nébuleuse OU4. Toutes ces caractéristiques indiquent que l'émission [OIII] de OU4 est détectée sans ambiguïté avec un temps de pose inférieur à une heure en utilisant une lunette de 85 mm de diamètre et un spectrographe LISA. Même les parties faibles de OU4 sont mises en évidence.

(2) les raies aurorales à 5577 A et à 6300 A produites dans la haute atmosphère terrestre par l'activité solaire. Ce sont les mêmes raies qui illuminent et colorent les aurores polaires. Elles sont ici visibles en permanences. On note d'autres raies de fluorescence de l'atmosphère dans le rouge profond, produites par la molécule OH.

(3) les raies de la pollution lumineuses (indiquées en rouge), par des lampes d’éclairage urbain à vapeur de mercure (Hg) et de sodium haute pression. Ces dernières luminaires sont responsables de raies très larges (en particulier une bande diffuse large juste à gauche de la raie [OIII] 5007 A), bien gênantes lorsqu'on travaille en ville avec ce type de pollution (y compris du reste en imagerie ciel profond en bande étroite).

Malgré un ciel pourtant bien noir à l'OHP, les raies de la pollution lumineuse sont bien visibles, car on vise ici un objet particulièrement faible (le contraste des images est très poussé). Pour mieux éliminer les raies de la pollution artificielle et aurorales, j'ai réalisé un second jeu de spectres, toujours avec la lunette de FSQ-85ED, en visant 3° au nord, dans une zone vierge de régions HII. Voici le résultat :



Spectre de la pollution lumineuse artificielle et de la fluoresence atmopshérique pris le 18 août 2012 avec un temps de pose cumulé de 50 minutes.

La nébuleuse OU4 a été observé à nouveau le 19 aout, ainsi que le fond de ciel, avec la même instrumentation, mais cette fois avec un temps de pose de 60 minutes :

Spectre de OU4 réalisé le 19 aout abec un temps de pose de 3600 secondes.

Afin de mieux isoler les raies nébulaires, j'ai soustrait au spectre 2D de (Sh2-129 + OU4) le spectre 2D du fond de ciel. C'est à partir de l'image résultante que les profils spectraux sont extraits. J'ai par ailleurs additionné les spectres du 18 et 19 août. Voici le spectre 2D final :

Spectre 2D après soustraction du fond de ciel. Le temps de pose cumulé est ici de 110 minutes. La soustraction a eu pour effet de surcorriger la raie de OI à 5577 angströms, qui apparaît à présent comme une raie sombre. Cela vient du fait que l'intensité de la raie verte aurorale varie vite avec le temps (comme lorsqu'on observe une aurore boréale - je rappelle que l'on voit l'équivalent d'une aurore dans nos spectres). La force de la raie était plus grande lors de la prise de vue des spectres du fond de ciel que lors de l'observation proprement dite de la nébuleuse (à une heure d'écart), d'où la surcorrection au moment de la soustraction. En revanche, les raies de la pollution urbaine sont correctement soustraites.

Le profil spectre a été extrait en réalisant le binning dans quatre zones distinctes l'image 2D, notées A, B, C et D, et identifiées dans l'extrait d'image ci-après :

Localisation des zones de binning pour l'extraction des profils spectraux.

Les profils spectraux des zones A, B, C et D, Les intensités sont en valeurs relatives en normalisant à l'unité au pic de la raie Halpha. L'étalonnage en valeur absolue (erg/cm2/s/sr) n'est pas réalisé pour l'instant.

Le profil de la zone A correspond à celui de la nébuleuse Sh2-129, avec une quasi-absence de trace de la nébuleuse OU4. On voit bien la différence avec le profil de la zone B, où cette fois la signature spectrale de OU4 apparaît clairement. On note sur les zones C et D comment l'intensité relative de la raie [OIII] change par rapport à la raie Hbeta de l'hydrogène. Cela indique que le contraste de OU4 par rapport au fond nébuleux de Sh2-129 varie en fonction de la section analysée le long de la fente, ce que révèle aussi l'imagerie.

Nous pouvons conclure que la nébuleuse Outters4 est un objet assez aisément détectable en spectrographie amateur, même en utilisant une instrumentation modeste, à partir du moment où les paramètres d'acquisition sont bien adaptés. Les paramètres déterminants sont ici :

- L'observation sous le ciel assez sombre à l'OHP (les grosses chaleurs sont arrivées deux jours plus tard, avec un fond de ciel considérablement plus laiteux).

- L'usage d'une lunette certes de petite taille (D=85 cm), mais de haute qualité optique (quadruplet apochromatique) et bien ouverte, et donc lumineuse (F/D = 5,3).

- L'utilisation du spectrographe LISA dont le rendement est élevé et qui fonctionne comme un réducteur de focale (le rapport F/D équivalent complet optique est de 3,2 ce qui confère à l'ensemble une luminosité exceptionnelle pour les objets étendus).

- Un bon compromis entre la résolution spectrale et le rendement photonique en adoptant une fente d'entrée pour le LISA de 50 microns.

- L'exploitation d'un tout nouveau modèle de caméra CCD de la gamme du fabricant ATIK, la ATIK460EX, équipée d'un CCD Sony ICX694 a technologie dite ExView HAD CCD II, conférant un très haut rendement quantique (près de 76% au voisinage de 5000 A) malgré des pixels de petite taille (4,54 microns). Le bruit de lecture équivalent a par ailleurs été réduit en pratiquant un binning 2x2, tout en ne perdant pas significativement en résolution spectrale grâce à la petite taille native des pixels (le bruit de lecture mesuré est de l'ordre de 5,5 électrons en binning 2x2).

- L'adoption d'une stratégie d'observation quasi simultanément le fond de ciel, qui est ensuite soustrait des images de la nébuleuse. Cette méthode est coûteuse en temps d'observation et en remontée du bruit (le bruit du spectre du fond de ciel s'ajoute quadratiquement), mais elle permet d'isoler sans ambiguïté des raies nébulaires extrêmement faibles.

Cette observation illustre le fait qu'un très gros télescope n'est pas toujours nécessaire pour réaliser des observations de pointes en spectrographie amateur. On rappelle que pour un spectrographe donné (ici un LISA) le fait de diminuer le diamètre du télescope permet d'accroître la résolution spectrale, ou encore, d'affiner le compromis résolutions spectrale/détectabilité, ce qui a été fait ici. La méthodologie d'observation est tout aussi importante que la taille de l'instrument. En outre, la petite taille de la lunette facilite l'emploi (guidage et pointage plus simples par exemple), ce qui ajoute un gain supplémentaire en efficacité.

Si cela était encore nécessaire, l'observation de OU4 montre aussi le potentiel considérable de la spectrographie amateur et la richesse d'information amené dans le contexte d'une exploitation scientifique et d'une collaboration pro/am !

Valérie Desnoux et Christian Buil au petit matin sur le site de l'OHP 2012. Le Celestron 8 en avant plan, équipé d'un spectrographe LHIRES III, pointe la nova Monocerotis 2012 - proche de l'horizon, et dont les tout premiers spectres mondiaux ont été par ailleurs réalisé par des participants à ce Workshop (Stéphane Charbonnel et Jim Edlin).


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