SPECTROPOLARIMETRIE

Une méthode

Cette page montre succinctement comment réaliser des mesures spectropolarimétriques, c'est-à-dire comment simultanément relever l'intensité du spectre des objets du ciel et leur polarisation en fonction de la longueur d'onde. Il s'agit d'un premier essai à caractère très exploiratoire - rien de définitf ici donc !

Cette expérience est déclinée en deux variantes, qui se distinguent par la choix du télescope : un Schmidt Cassegrain classique, puis une lunette apochromatique de courte focale.

Le spectrographe est commun, Alpy 600. Coté mesure proprement dite de la polarisation, j'ai employée la méthode la plus simple possible (mais pas obligatoirement la plus précise !) : un filtre polarisant découpé dans une plaque de film Polaraïd est fixé à l'avant du spectrographe, au bout d'un coulant 50 mm, comme le montre a photographie suivante :

L'axe de polarisation linéaire est orienté (et bloqué) pour être parallèle aux traits de gravure du réseau à diffraction du spectrographe.

La technique d'observation consiste à acquérir 4 spectres du même objet en tournant entre chacune d'elles le spectrographe dans son ensemble autour de l'axe optique de 0°, 45°, 90° et 135°.

Avec le télescope Schmidt-Cassegrain, un Celestron 11 + réducteur de focale (F/6.4 au final), je desserre la fixation du coulant au porte oculaire, je tourne le spectrographe de 45° et je serre. On se sert donc ici du degré de liberté offert par le coulant de 50 mm de fixation du spectrographe sur le télescope - pas idéal, mais un moyen pour arriver vite au but.

Les deux photographies suivantes montrent, par exemple, l'orientation prise par le spectrographe pour mesurer la polarisation dans un plan de 0° (par rapport à une référence équatoriale) et dans un plan de 90° (les angles de 45° et 135° sont bien sur intermédiaires) :

 

Le temps qui s'écoule entre ces 4 acquisitions doit être le plus court possible pour que les conditions photométriques du ciel changent le moins possible lors de l'observation. Les prises de vues sont par ailleurs réalisées en utilisant une fente dite "photométrique" pour un maximum de précision. Sur sa hauteur, la fente présente deux largeurs, une de 23 microns, l'autre de 230 microns. L'étoile étudiée est placée au niveau de la fente la plus large afin de réduire les erreurs photométriques associées à la turbulence atmosphérique ainsi qu’au chromatisme instrumental et atmosphérique (les modèles de spectrographe LISA et Lhires III peuvent aussi être équipés de ce type de fente). Je décris plus loin l'importance de bien centrer l'étoile à chaque rotation du polariseur (ici on appelle ce dernier un analyseur, car il sert à analyser la polarisation de la lumière incidente).

La figure suivante montre 4 spectres de l'étoile 9 Gem acquis dans des plans de polarisation respectifs de 0°, 45°, 90° et 135° avec le télescope C11 :

Cette étoile n'est pas choisie au hasard. La supergéante 9 Gem (HD43384, B3Ia) présente un assez fort taux de polarisation et fait partie du jeu de référence spectropolarimétrique utilisé par les astronomes pour étalonner leurs données (la stabilité temporelle polarimétrique de 9 Gem est cependant assez souvent mise en cause dans la littérature, mais cela se joue seulement à quelques dixièmes de pourcent seulement sur le taux linéaire en général, autour de la valeur de 3%). On adopte ici pour cet objet p = 3,01% (taux de polarisation) et q = 169,8° (angle de polarisation).

Les 4 profils de 9 Gem présentés sont le résultat de la somme de 3 poses de 90 secondes pour chaque angle de polarisation. Le temps d'observation est donc de 4 x (3 x 90) = 1080 secondes, soit un peu moins de 2 minutes, en principe... Cependant, les opérations de pivotement du spectrographe et de recentrage de l'étoile dans la fente font que le temps effectif d'observation est en fait proche de 15 minutes. C'est la rançon du principe d'observation assez "rustique" mis en oeuvre.

Les spectres sont traités de manière standard avec le logiciel ISIS. Mais il ne faut bien sûr pas les mettre à l'échelle. L'information sur le signal relatif (en comptes numériques) entre ceux-ci est bien sur fondamentale à conserver ici. On ne prend même pas la peine de diviser par le flat-field, n'y de corriger la réponse de l'instrument, car on va uniquement travailler sur des rapports de spectres supposés saisit dans les mêmes conditions.

Les paramètres de Stokes (I, U Q) sont calculés avec les formules suivantes :

avec S() le spectre en fonction de l'angle du filtre polarisant. Pour l'exemple de 9 Gem, voici le résultat :

Le taux et l'angle de polarisation sont ensuite donnés par :

Le résultat pour l'étoile 9 Gem :

  

Le taux de polarisation mesuré à partir de cette observation est de 4,8% environ, soit sensiblement supérieur à la valeur généralement admise de 3,0%. L'origine de cet excès n'est pas diagnostiquée pour le moment (origine instrumentale, bruit, ... ?). L'angle de polarisation est trouvé de 168,5° soit la quasi-valeur catalogue de 169.8°.

La figure suivante montre le résultat de mesure sur une étoile un peu plus brillante (phi Cas), qui est aussi un standard spectropolarimétrique (le temps d'intégration de 11 x 40 secondes par angle de polarisation le 29/11/2013) :

  

Le taux de polarisation adopté pour cette étoile est très voisin de p = 3,36%, avec un angle de polarisation de 92,3°. Je trouve ici un taux de polarisation d'environ 3,7% et un angle de 96,3°. L'accord n'est pas trop mauvais, sûrement à cause de la brillance relativement élevée de l'étoile (V = 4,98) – de fait, la qualité des mesures spectropolarimétriques est très fortement influencée par le bruit présent dans les données de départ et donc l'exigence en rapport signal sur bruit est très élevée.

Ici, le rapport signal sur bruit caractéristique dans le spectre associé à une mesure d'un plan de polarisation est estimé à RSB = 250. On montre que l'erreur sur l’évaluation du taux de polarisation est alors égale à sp = 1/RSB = 0.004 = 0,4%. Donc pour ma mesure, on peut écrire à 1 sigma la mesure sous la forme complète suivante : p = 3,7% +/- 0,4%. La valeur réelle est bien dans la fourchette.

On montre aisément que le bruit dans les spectres produit une erreur sur le taux qui va toujours dans le même sens : il s'ajoute systématiquement à la valeur la plus probable du taux. Ce dernier est donc toujours surévalué. La formule suivante donne la valeur la plus probable du taux de polarisation à partir du taux brut observé et de l'estimation du bruit de mesure :

La correction est ici marginale. Il y a donc encore une surévaluation non clairement expliquée par rapport à la valeur attendue.

L'erreur sur l'angle de polarisation est donnée par :

soit ici une erreur type de 3,1° dans le cas présent. Finalement, la valeur trouvée peut être écrite sous la forme 96,3° +/- 3,1° à 1 sigma.

La figure suivante présente le résultat d'une observation de l'étoile O Ceti (Mira) faite le 28/11/2013 :

      

A gauche, une figure extraite d'un travail de thèse de A. Adams (Exploring the Properties of Mira Stars with Spectropolarimetry, East Tenneseee State University, Avril 2013). A droite, ma propre observation, alors que l'étoile Mira était vers la magnitde 7,4. Même si des similitudes sont perçues, la surévaluation du taux de polarisation demeure très forte.

L'usage d'une fente photométrique (large) est obligatoire pour intégrer de manière fiable photométriquement parlant le signal stellaire dans les différentes parties du spectre. C'est accessoire participe au succès. L'emploi d'une telle fente s'apparente à celui d'un spectromètre sans fente (slitless en anglais). Certes, les problèmes de transmission optique et de chromatisme d'une fente étroite de spectrographe sont donc éliminés, mais en revanche, les problèmes sous-jacents des spectrographes sans fente apparaissent. Ainsi, l'échelle des longueurs d'onde est flottante en fonction de l'endroit où est placée l'étoile dans la largeur de la fente. L'étalonnage spectral est potentiellement peu précis. En outre, dans le cas spécifique du spectrographe Alpy, l'incertitude sur la position de l'étoile au foyer produit en plus en plus un terme non linéaire d'erreur dans la fonction d'étalonnage spectral (la dispersion spectrale change différentiellement entre le bleu et le rouge du spectre). Quelques dizaines de microns suffisent à produire un effet visible. Le responsable est le prisme du grism qui équipe le Alpy 600 (un prisme est un composant très non linéaire en termes de dispersion angulaire de la lumière). La figure ci-après montre un détail du spectrographe Alpy 600, avec le positionnement du grism :

Pour minimiser les erreurs il est donc important de positionner précisément toujours au même endroit l'image de l'étoile par rapport à la fente d'entrée après chaque pivotement du spectromètre.

En mode slitless la valeur du seeing (c'est-à-dire le niveau de la turbulence atmosphérique) impacte par ailleurs très fortement la finesse des spectres (la résolution spectrale du spectrographe donc), et cela d'autant plus que la distance focale du télescope est grande. La qualité de focalisation du télescope dans le plan image est elle aussi critique, et agit de la même manière.

On devine ici que le choix du télescope peut être déterminant sur la précision et la facilité d'usage de l'instrument. Pour mieux comprendre, le document suivant présente le spectre de la même étoile, phi Cas, observé en fente large avec un Alpy, alors que celui-ci est soit monté au foyer d'un Celestron 11 + réducteur de focale, soit monté au foyer direct d'une lunette courte apochromatique de 85 mm de diamètre :

Le spectre à gauche est pris avec le Celestron 11 et une focale de 1800 mm environ, alors que le seeing est médiocre. Le spectre à droite est pris au foyer d'une lunette FSQ85ED Takahashi (D = 85 mm) de 540 mm de distance focale seulement. En mode slitless, la différence de résolution spectrale est considérable, très en faveur de la lunette courte. La haute qualité de l'image fournie par cet astrographe, associée à une focale petite, font que les images stellaires sont minuscules à l'entrée du spectrographe. D'où un spectre très fin. Noter que si au lieu d’utiliser la grande largeur de la fente photométrique, on avait employé ici la petite largeur (23 microns), l’aspect des deux spectres aurait bien sûr été fort proche (mais avec des erreurs photométriques potentiellement fortes, surtout avec le C11).

Surtout, le spectre acquis avec la petite lunette est bien stable en forme (le seeing est d'autant moins critique que le diamètre de la pupille est petit). Le positionnement précis de l'étoile est aussi fortement facilité par la courte focale. En regard, l'image donnée par le C11 est pâteuses et continuellement changeante à cause de la turbulence atmosphérique. Le maintien en position de l'étoile durant la pose demande aussi une grande vigilance, qui peut être mise en défaut.

Bref, on comprend que dans cette affaire le plus gros télescope n'est pas obligatoirement le meilleur ! En outre, il faut souligner que dans la situation spécifique de la lunette FSQ85ED, la présence d’un collier rotatif permet d'explorer très efficacement les angles de polarisation de 0°, 45°, 90° et 135°. Il n'est plus utile dans ce cas de desserrer le spectrographe du porte oculaire : on tourne le collier rotatif, sur lequel sont dessinés des repères. Ne plus avoir à découpler le spectrographe du télescope à chaque rotation (comme sur la variante C11) est bien plus rationnel. De plus, l'image est toujours parfaitement focalisée (le doute est permis lorsqu'on tourne le spectrographe dans son coulant, la base d'appui étant peu fiable).

Les photographies suivantes montrent le spectrographe fixé à une lunette FSQ85ED en configuration de mesure de deux angles de polarisation à 90° l'un de l'autre :

Ci-après, un détail du collier rotatif de la lunette, avec les marques angulaires sur la périphérie :

Bien sûr, dans l'exemple pris, la petite lunette ne peut rivaliser avec le télescope C11 en terme de flux collecté. Par mesure on trouve que la FSQ85ED emmené environ 7,3 fois moins de photons à l'entrée du spectrographe que le Celestron 11 (en considérant le rapport du diamètre et la transmission optique modélisée, ce rapport devrait être de 8,4 - le rendement de la FSQ85ED s'avère donc supérieur de 10% environ par rapport au calcul théorique, sans raison clairement identifiée pour le moment).

Les graphes suivants montrent le taux et l'angle de polarisation de l'étoile phi Cas mesurés cet équipement (pose de 6 x 150 secondes) :

 

Le taux de polarisation moyen entre 4500 et 7000 A est ici mesuré est p =3,42 % et l'angle de polarisation est q = 94,6°. On rappelle que les valeurs catalogues sont p = 3,46% et q = 92,3%. La mesure semble correcte (une coïncidence est toujours possible). Le bruit est bien sûr supérieur à la mesure avec le C11 (moins de flux collectés). Le fait de ne pas avoir à démonter le spectrographe et peut être une polarisation instrumentale plus faible encore font qu'au final, la mesure avec la petite lunette semble plus précise.

Une autre observation spectropolarimétrique faite avec la lunette de 85 mm de diamètre sur l'étoile 9 Gem (300 secondes de pose) :

 

On mesure ici p = 2,76% et q = 172,7° (l'attendu est p = 3,01% et q = 169,8°).

En conclusion, ces essais montrent clairement que les mesures polarimétriques sont difficiles, car elles exigent des données de très haute qualité au départ. On obtient tout de même un certain succès.

Le petit diamètre des télescopes amateurs n'aide pas en termes de flux (pour maximiser le rapport signal sur bruit), mais en même temps, on montre ici que l'usage d'une petite lunette réduit certains biais par rapport à un télescope plus imposant. La technique d'observation employée est en effet faillible, car elle demande des manipulations sur le télescope qui induisent des erreurs (précision de centrage de l'étoile, durée de mesure...). Un petit réfracteur s'avère plus tolérant et constitue un système spectropolarimétrique précis apparemment, mais cantonner à l'observation d'objets brillants pour le moment. Ce ne sont là que de premiers essais et donc, la qualité des résultats ne peut que s'améliorer dans le futur… !

 


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