Stage de spectrographie - Session 3 (3/3)

L'ACQUISITION ET LE PRETRAITEMENT DES SPECTRES


Aude - De toute manière j'espère mieux faire comprendre la procédure en l'exécutant devant vous. Je vais tout d'abord calculer un flat field médian à partir d'une séquence de trois flat-field réalisées en observant mon mur.

Christian - C'est aussi un nombre que tu aime bien !?

Aude - Non, là j'ai fait une petite erreur au moment de l'acquisition. Le nombre d'image flat-field en stock est insuffisant. Mais bon, ça va passer tout de même car le niveau moyen de ces images est supérieur à l'intensité des spectres que nous allons traiter. C'est une règle à respecter pour ne pas abîmer nos chères données.

Christian - Je te pardonne tout (oeil attendrie).

Aude - ..., avant de calculer la médiane de nos trois flat-fields, il faut harmoniser leur intensité, un peu comme si l'éclairement et le temps de pose pour les trois acquisitions avaient été rigoureusement identiques. Ce n'est pas le cas ici car pour acquérir ces images j'ai opéré de la manière suivante : je lance une pose de 10 secondes, dès que le décompte du temps d'intégration débute j'allume la lampe 8 secondes puis je l'éteins juste avant la fin du décompte, enfin je laisse s'achever tranquillement la fin de pose et la lecture du CCD. Le temps d'illumination du mur est donc de 8 secondes mais avec une marge d'erreur de quelques dixièmes de seconde vu le coté manuel de l'opération. Les flat-fields élémentaires n'ont donc pas rigoureusement la même intensité, d'où la nécessité de les harmoniser, on dit aussi les normaliser, avant le compositage. Pour cela, ils doivent être multiplier par une constante adéquate. Avec le logiciel Iris, voici ce qu'il faut faire pour les trois flat-fields F-1, F-2, F-3 :

SUB2  F-  OFFSET I  0  3
NGAIN2  I  I  20000  3
SMEDIAN   I   3
SAVE  FLAT1

La première commande retire le signal d'offset de chaque flat-field en produisant une nouvelle séquence d'images I1, I2, et I3. Ne surtout pas oublier cette opération ! On ne soustrait pas le signal d'obscurité car le temps de pose est ici considéré comme suffisamment bref pour que le signal thermique ait une valeur négligeable. La seconde commande amène le niveau médian de chaque flat-field à 20000 et on écrase la séquence I1, I2, I3 avec ce résultat. La valeur de la constante de normalisation, ici 20000, est arbitraire. Une valeur relativement élevée est un bon choix, mais il faut bien regarder si un point des flat-fields ne dépasse pas le niveau fatidique de 32767 après normalisation.

Christian - Pourquoi 32767 est un niveau fatidique ?

Aude - C'est spécifique au logiciel Iris qui code les images dans la mémoire de l'ordinateur sur 15 bits. L'intensité maximale pouvant être représenté avec un tel codage est 32767.

La commande suivante est désormais classique. Elle donne l'image médiane des trois flat-fields normalisés. Enfin le résultat est sauvegardé sous le nom FLAT1. Voici à quoi il ressemble :

Alain - On ne voit pas beaucoup de différences avec un flat-field élémentaire...

Aude - Oui c'est vrai compte tenu de la visualisation. Mais fais-moi confiance, le bruit a légèrement diminué et surtout, le risque de voir subsister des artefacts provenant d'un incident lors de la prise de vue des images élémentaires est sérieusement réduit.

Calculons à présent le flat-field normalisé. Pour cela, il faut commencer par lisser très fortement l'image FLAT1 pour y enlever tous les détails fins. J'utilise pour cela la commande GAUSS3 avec un fort coefficient, qui correspond à un lissage généreux :

GAUSS3    25    1
SAVE   LISSE

Le dernier paramètre de cette commande permet d'exclure du calcul une bordure de 1 pixel autour de l'image. Ceci évite quelques ennuis de calcul aux bords de l'image. Voici le résultat :


Raymond - Qu'entends-tu exactement par lissage ?

Aude - Il faut que tu imagine l'image comme une surface rugueuse, pleine d'aspérités. Le lissage revient à passer une sorte de rabot sur cette surface pour la rendre lisse. Mathématiquement, on procède en moyennant l'intensité de points voisins dans l'image.

On obtient le flat-field normalisé en divisant le flat-field moyen de départ (médiane de 3 flat-fields élémentaires) par le flat-field lissé :

LOAD  FLAT1
DIV  LISSE  20000
SAVE FLAT2

L'image FLAT2 a cet aspect :

Elle est très uniforme et ne montre pas de signes de poussières. Le CCD est très propre, une fois n'est pas coutume.

Nous avons à présent tous les ingrédients pour effectuer le prétraitement des spectres de notre étoile.

Alain - Au fait, tu ne nous as pas dit de quelle étoile il s'agit.

Aude - Elle répond au nom de HD45677. Ce n'est pas un objet très brillant, magnitude 7,55. Elle fait partie de la famille des étoiles Be qui montrent parfois des raies en émission, notamment celles de l'hydrogène. Ces raies sont souvent fortement variables. Dans le cas de HD45677, l'émission de la raie H-alpha de l'hydrogène dans le rouge, à 6563 angstroms de longueur d'onde, est exceptionnellement importante. Cette raie est le point brillant que l'on peut apercevoir tout à gauche du spectre. La raie H-bêta de l'hydrogène dans la partie bleu vert est aussi en émission à la longueur d'onde de 4861 angstroms...

J'ai fait 14 spectres successivement de cette étoile, posés chacun 120 secondes. Le temps de pose cumulé est donc de 28 minutes. Ce sont des fichiers images qui ont pour nom 45677-1, 45677-2, 45677-3, etc. Une astuce sous Iris pour connaître le nombre d'images dans une séquence : taper la commande NUMBER avec comme paramètre le nom générique des images :

Alain - Il y a une date qui est retournée aussi on dirait ?

Aude - Exact, c'est la date de milieu de prise de vue de la séquence. Bon, c'est le grand moment : nous allons commencer à traiter nos spectres. Tout d'abord avec la souris définir un rectangle autour de la raie rouge de l'hydrogène en glissant avec le bouton gauche enfoncé :

Appelez ensuite la boite de dialogue Prétraitement des spectres dans le menu Traitement. Voici cette boite de dialogue au moment de son ouverture :

Alain - Bizarre, le programme sait déjà que l'on veut traiter les fichiers 45677- et qu'il y a 16 images !

Raymond - C'est de la transmission de pensée ?

Aude - Non, il n'y a pas de mystère. C'est lorsque vous avez tapé la commande NUMBER que des champs de cette boîte de dialogue se sont remplis automatiquement. Eh bien, nous allons compléter le reste. Comment ferais-tu Christian ?

Christian - Pourquoi moi ?

Aude - Je ne sais pas, c'est la vie !

Christian - Bon d'accord. Pour le champ Offset, je mettrais le nom OFFSET, qui est l'image que l'on a produite toute-à-l'heure. Idem pour le champ Dark, j'entrerai DARK, l'image du signal thermique. Pour le champ flat-field, j'hésite. Faut-il mettre FLAT1 ou FLAT2 ?

Aude - Ce que l'on veut corriger ici se sont les défauts de petite échelle, par exemple, gommer la trace des poussières que l'on pourrait prendre accidentellement pour des raies spectrales si elle leur ombre se projette sur le spectre par malchance.

Christian - C'est donc l'image FLAT2 que nous allons utiliser. Pour le champ Fichier Cosmétique je ne vois pas.

Aude - Ce champ désigne un fichier texte dans lequel on peut mettre un ensemble de commandes simples qui permettent par exemple de gommer un pixel particulièrement malade dans toutes les images de la séquence. On peut de la même manière gérer des problèmes de colonnes inactives dans l'image. Notre CCD est en très bonne santé, aussi nous n'allons pas utiliser cette possibilité. Tu peux laisser ce champ vide. Je vais t'aider Christian pour la suite.

Il faut savoir que parmi les fonctions qui se cachent derrière la boite de dialogue, il s'en trouve une qui va se charger de recadrer tous les spectres par rapport au premier de la série. Pour cela Iris effectue une translation suivant l'axe horizontal et vertical à une fraction de pixel près afin que les spectres se superposent parfaitement. Pour que Iris puisse opérer, il faut tout d'abord désigner le détail dans le spectre qui servira de référence d'une image à l'autre. C'est ce que nous avons fait au tout-à-l'heure lorsque nous avons encadré la raie H-alpha avec un rectangle de sélection. Dans le champ Largeur de la raie vous entrez la largeur approximative de la raie en pixels à sa base. Ici cette largeur est estimée à 9 pixels. Ce paramètre sera utilisée pour calculer le centre de gravité de la raie, ce qui donnera sa position dans l'image. Il faut encore préciser si la raie sélectionnée est en émission ou en absorption. Dans le cas présent, c'est évidemment l'option Emission qu'il faut choisir.

L'avant dernier champ correspond au nom générique des images prétraitées et le dernier champ contient le nombre d'images dans la séquence. Voici la boite de dialogue remplie au complet :

Cliquez sur OK pour que le traitement débute. Au bout de quelques secondes le résultat s'affiche à l'écran.

Sauvegardez-le sur votre disque dur, en faisant par exemple :

SAVE  T

Remarquez que l'on commence à voir pas mal de détails dans le spectre. Ca devient intéressant...

Raymond - Houla tu vas un peu vite ! Il se passe plein de choses à l'écran, ça à l'air de bouger et de clignoter dans tous les sens. Peux-tu nous dire ce qu'il en est ?

Aude - Oui bien sûr, c'est important. Tout d'abord le logiciel soustrait l'image d'offset à toutes les images de la séquence d'entrée. Ensuite, il entreprend de soustraire de signal d'obscurité. Pour cela il multiplie par un coefficient adéquat l'image du noir, qui est notre image DARK, afin d'optimiser le niveau de bruit après soustraction à l'image à traiter. Vous vous rappelez, ceci permet de compenser un écart de température entre le moment où on a fait l'acquisition de l'image du signal thermique et les images du ciel. L'ajustement du noir est refait pour chaque image de la séquence.

Christian - C'est sans doute pour cela qu'il faut cocher l'option Optimisation dans le boite de dialogue ?

Aude - Tout à fait. Si vous ne sélectionnez pas cette option, c'est directement l'image DARK sans ajustement qui est soustraite à toutes les images de la séquence.

Après soustraction de l'offset et du signal d'obscurité, le programme divise les images par le flat-field. L'opération suivante consiste à amener proche de zéro le niveau du fond de ciel médian de chaque image. Pour ceux qui connaissent un peu Iris, c'est la fonction NOFFSET2 qui est utilisée pour cela. Le calcul est simple : pour une image donnée le programme calcule la valeur médiane de tous les pixels puis soustrait cette constante à tous ces pixels. Cette étape est intéressante car elle évite de perdre une bonne part de la dynamique lors des calculs qui vont suivre si le fond de ciel est lumineux, ce qui est un peu le cas ici du reste.

Raymond - Normalement le signal du fond de ciel et le signal de l'étoile s'ajoutent ?

Aude - Tu as raison de me demander de préciser, c'est un important problème, particulièrement en spectrographie. Vous savez que le ciel n'est jamais totalement noir la nuit. C'est pire si vous observez en ville, nous l'avons vu. Au signal proprement dit des astres s'ajoute donc cette espèce de lueur de fond, que l'on appelle fond de ciel. C'est un signal parasite au même titre que l'est le signal thermique. Un étape critique du traitement que nous verrons dans quelques instants revient à éliminer avec soin cette brillance du fond de ciel. L'image spectrale ressemblera alors à ce l'on obtiendrait avec un ciel idéal parfaitement noir, une image où seul est visible le spectre de l'étoile. Pour l'instant avec la commande NOFFSET2, Iris travaille de manière très grossière. Du reste, si vous promenez la souris autour du spectre à la fin de la procédure automatique vous allez voir que l'intensité de certains pixels est fortement négative. Ce n'est pas très physique ! Nous affinerons le retrait du fond de ciel tout à l'heure.

A ce stade, le programme supprime éventuellement les défauts cosmétiques, mais ce n'est pas notre cas. Iris exécute ensuite une procédure délicate qui consiste à déplacer horizontalement et verticalement, à une fraction de pixel près tous les spectres de la séquence pour qu'ils se superposent exactement au spectre de la première image. Je l'ai dit tout à l'heure, on appelle cela une registration. Le programme se sert pour cela de la raie que nous avons sélectionnée à la souris. Il faut que ce détail du spectre soit bien contrasté pour que la procédure fonctionne correctement. En général, on trouve toujours une raie qui convient. Si ce n'est pas le cas, sachez que, dans Iris, il existe des méthodes manuelles pour réaliser la registration, mais c'est plus laborieux. Vous l'avez compris, la registration compense à posteriori les défauts de suivi du télescope. Dans mon cas, je suis ne suis pas bien en station et c'est bien utile.

Christian - Toujours paresseuse Aude ?

Aude - Oui (regard fuyant). La première étape du prétraitement est presque terminée. Le programme sauvegarde sur le disque une séquence à laquelle a été appliqué l'ensemble des traitements décrits. Dans notre cas cette séquence, dite de sortie, est I1, I2, I3, ... I14. Mais ce n'est pas tout-à-fait terminé, notre procédure de traitement automatique continue encore un peu. Iris additionne les images de la séquence de sortie. Au besoin, il multiplie chaque image par un coefficient de manière à ce que la somme ne dépasse par 32000, pour éviter tout risque de débordement de capacité de calcul. Pour les spécialistes de Iris, vous feriez la même chose en tapant la commande :

ADD_NORM   I   14

La dernière fonction de la procédure automatique a pour objectif de redresser le spectre.

Alain - Redresser, tiens donc, il n'est pas droit ?

Aude - Regardez attentivement le spectre brut de HD45677. A l'évidence le spectre n'est pas parfaitement horizontal. C'est la faute à l'orientation des traits du réseau à diffraction qui ne sont pas parallèles aux lignes du CCD. Le problème est purement instrumental. Il peut être corrigé sur le spectrographe grâce à des petites vis poussantes sur le coté du réseau pour ajuster son orientation, mais le réglage n'a pas été affiné avant cette prise de vue.  En outre, le spectre n'est pas rigoureusement rectiligne. La légère courbure constatée est un défaut optique assez classique dans les spectrographes. Il est induit par les angles d'incidence et diffraction au niveau du réseau, et aussi peut-être par un peu de distorsion de la part de l'objectif photographique. Iris propose ne procédure qui vise à rendre rectiligne le spectre en corrigeant à la fois l'inclinaison et la courbure. L'enjeu est important lorsqu'il s'agira tout à l'heure de calculer un spectre monodimentionnel. Cette procédure est relativement simple : pour chaque colonne de l'image, le programme calcule la valeur d'une translation verticale spécifique de telle manière que le centre de gravité du spectre soit commun pour toutes les colonnes. Vous pouvez vérifier qu'au terme du traitement le spectre est effectivement rectiligne. La procédure automatique s'arrête ici.

Christian - Tout-à-l'heure tu nous as vanté les mérites du compositage médian, mais ici, si j'ai bien compris, tu te contentes de faire une simple addition des 14 images. N'y a-t-il pas une contradiction ?

Aude - Il serait possible, en effet, d'utiliser ici aussi le compositage médian, mais on montre qu'en terme de rapport signal sur bruit, la médiane est légèrement moins efficace que la bonne vieille addition. Cette considération devient importante lorsqu'on a affaire à des signaux assez faibles dans lesquels le bruit prend une part non négligeable. Lors du compositage des images d'offset, de noir, de flat-field, le problème ne se posait pas en ces termes. Dans le cas présent, si un artefact affecte une des images au mauvais endroit, c'est-à-dire sur le spectre, il existe des outils qui réalisent une addition tout en combatant ce type de problème. Par exemple la méthode du sigma-clipping rejette de l'addition les valeurs qui s'écartent de plus d'une certaine quantité par rapport à un seuil défini statistiquement. Puisque chaque image prétraitée est disponible après la procédure automatique, les fichiers I1, I2, I3... dans notre exemple, il est toujours possible de les additionner avec la méthode qui vous semble la plus appropriée. Par exemple, on emploiera sous Iris la commande COMPOSIT si on souhaite faire un compositage du type sigma-clipping.

Alain - La large barre verticale a une intensité vraiment impressionnante. N'est-ce pas gênant ?

Aude - C'est vrai que, par rapport au spectre de l'étoile, elle est très intense. Il faut se rappeler que l'on voit ici la signature spectrale de l'éclairage urbain local. La situation est d'autant plus critique que la déclinaison de HD45677 est de l'ordre de -11°, ce qui signifie qu'elle n'est jamais bien haute dans mon ciel. Rappelez-vous aussi que c'est objet est relativement faible et vous comprendrez alors pourquoi le spectre du fond de ciel domine le spectre de l'étoile en certains endroits, essentiellement dans la partie jaune. Je vais vous montrer qu'il est simple par traitement d'image de supprimer les traces de la pollution lumineuse dans notre spectre. Le seul problème, qui peut être sérieux lorsque l'on observe des astres faibles, est qu'au signal du fond de ciel est associé un bruit, que l'on appelle bruit de signal. Ce bruit fini par brouiller l'image des spectres lorsque l'objet étudié est très pâle. C'est cela qui limite la faculté de détection d'un instrument donné.

Le principe utilisé pour supprimer le fond de ciel repose sur l'idée que l'intensité de ce fond est en gros identique le long d'une colonne du CCD. En particulier, elle est approximativement la même dans des zones proches du spectre et situées de part et d'autre de celui-ci suivant l'axe perpendiculaire à la dispersion. La valeur du fond de ciel sous le spectre même est approchée en faisant la moyenne des intensités de part et d'autre du spectre. La valeur trouvée est alors soustraite à l'intensité des pixels appartenant à une colonne donnée. Le calcul est reconduit de la même manière pour toutes les colonnes de l'image. L'image suivante montre le principe :

L'estimation du niveau du fond de ciel S0 sous le spectre est calculée en faisant S0=(S1+S2)/2. On soustrait alors la valeur S0 à tous les pixels de la colonne, ce qui amène le ciel à l'intensité zéro approximativement. Dans Iris, les fonctions qui réalisent de telles opérations s'appellent L_SKY et L_SKY2, la seconde étant une version plus automatisée de la première. Je vais cependant vous proposer une procédure assez semblable, mais avec un raffinement qui donne une meilleure estimation du fond de ciel.

Christian - Je suis sûr que la commande s'appelle L_SKY3 !

Aude - Bien vu Christian ! L_SKY3 calcule les paramètres a et b d'une équation linéaire du type y=a.x+b par une méthode des moindres carrés passant au mieux par l'intensité relevée dans deux zones de part et d'autre du spectre. Par interpolation, on calcule alors une valeur du fond de ciel local obéissant à cette équation le long d'une colonne de l'image. Le graphique suivant montre un exemple de profil photométrique du spectre suivant une colonne, en rouge, et l'ajustement du fond de ciel par une droite, en bleu. On voit comment la droite suit la variation lente du fond de ciel le long de cette colonne de l'image :

 

Une petite subtilité : les calculs précédents ne sont valides que si tous les pixels appartenant à une colonne sont éclairés par une même couleur. L'examen attentif de notre image montre que ce n'est pas le cas. Il suffit de regarder la bande produite par la pollution lumineuse : elle apparaît inclinée. Elle penche en quelque sorte vers la droite. Prenez une bordure de cette bande. Si vous pouviez percevoir cette image en vrais couleurs, la bordure, sur toute sa longueur, apparaîtrait rigoureusement de la même couleur. Rappelez-vous que nous voyons ici une image monochromatique de la fente d'entrée. Le fait que la bande soit incliné signifie donc que les pixels d'une même colonne ne voient pas la même longueur d'onde du spectre, or ceci est indispensable pour réaliser une bonne estimation du fond de ciel. Le remède consiste, en quelque sorte, à redresser les raies spectrales. Pour cela, chaque ligne doit subir une petite translation, d'une valeur distincte, de telle manière qu'au final, les raies spectrales soient parfaitement verticales.

Christian - Mais pourquoi les raies sont inclinées ?

Aude - Ce sont les défauts optiques du spectrographe qui en sont la cause pour l'essentiel. L'inclinaison des raies est en fait un phénomène très classique dans ce type d'instrument. Elle peut être fort heureusement corrigée par traitement d'image. Le logiciel Iris possède une commande spéciale pour cela qui s'appelle SLANT. Elle nécessite deux paramètres. Le premier est l'angle d'inclinaison à corriger, le second est une coordonnée en pixels le long de l'axe vertical autour duquel Iris va pratiquer une sorte de pivotement de l'image. Iris fait glisser chaque ligne de l'image à une fraction de pixel près et d'une quantité proportionnelle à la distance qui la sépare de la coordonnées verticale du pivot et proportionnelle à la valeur de l'angle spécifié. L'angle exact est trouvé par approximations successives. Dans le cas présent, il est de -3,5° (le signe de l'angle est important). La position verticale du pivot doit être de préférence la coordonnée verticale du spectre de l'étoile, soit ici y=60, une valeur que l'on trouve facilement en promenant la souris dans l'image. Pour mettre les raies spectrales verticales ont fait alors :

SLANT  60  -3.5

Voici l'image avant et après correction.

Christian - Mais pourquoi tu n'as pas fait une simple rotation de l'image de 3,5°.

Aude - Christian, cette fois c'est toi qui faiblis (d'un ton taquin). En faisant comme tu dis j'aurais effectivement mis les raies spectrales verticales, mais l'axe de dispersion du spectre ne serait plus horizontal. Au lieu de cela, l'algorithme de la fonction SLANT redresse bien les raies en ne touchant pas à l'orientation du spectre.

C'est le moment d'appliquer la commande L_SKY3. Tapez-la. Rien ne se passe apparemment. Cliquez dans l'image en quatre endroits comme je vous le montre dans l'image suivante :

 

Respectez l'ordre si possible. Vous venez de définir deux zones de part et d'autre du spectre dans lesquelles Iris va calculer la droite qui épouse le mieux l'allure du fond de ciel colonne après colonne.

Le fond de ciel synthétique ainsi calculé est soustrait automatiquement à l'image et le résultat s'affiche à l'écran. Si vous regardez maintenant la valeur du fond de ciel autour du spectre, vous allez constater qu'il est quasiment nul. Le zéro de l'échelle des intensités de notre étoile est cette fois bien définie, ce qui va permettre d'exploiter le spectre pour des analyses photométriques. Remarquez comment les raies parasites provoquées par l'éclairage au sodium ont disparues. Si je puis dire, le spectre de HD45677 apparaît pour la première fois dans toute sa splendeur :

Alain - Spectaculaire ! Les petites fluctuations que je devine dans le spectres sont-elles bien réelles ?

Aude - Oui, d'ailleurs, il nous reste une toute dernière manipulation qui va mieux révéler le contenu spectral de l'étoile. L'idée est que le signal s'étale inutilement suivant l'axe vertical. L'information importante se situe en effet le long de l'axe de dispersion, c'est-à-dire l'axe horizontal de l'image. Nous allons donc rassembler par sommation tout le signal étalé suivant l'axe perpendiculaire à la dispersion dans une seule ligne, comme si l'image de l'étoile au moment de l'acquisition occupait une largeur inférieure à un pixel du CCD. Cette opération s'appelle un binning. Un spectre qui se limite à une seule ligne s'appelle un spectre monodimenionnel. La courbe d'intensité de ce spectre en fonction du numéro du pixel s'appelle le profil spectral. Puisque la tradition veut que la partie rouge du spectre soit à droite et que la partie bleu soit à gauche, il est temps d'inverser la droite et la gauche dans notre image. La commande MIRRORY, sans paramètre, réalise cela immédiatement :

Sauvegardons le résultat :

SAVE  T45677_1

La fonction adaptée dans Iris pour réaliser un binning vertical sur les spectres s'appelle L_BIN. Avec la souris définissez un rectangle qui englobe le spectre comme le montre l'image suivante. La taille de ce rectangle importe peu.

 

Tapez ensuite la commande L_BIN. Le logiciel calcule colonne après colonne le binning vertical en ne prenant en compte que les pixels qui ont une intensité représentative par rapport au bruit de l'image. Généralement, Iris additionne les intensités sur une largeur de 7 à 9 pixels. Bien sûr, l'intervalle de sommation est centrée sur la partie la plus intense du spectre. Voici le résultat :

 

C'est bien un spectre monodimentionnel, mais pour qu'il soit plus lisible sous la forme d'une image, Iris le dupliquer sur 20 lignes. Vous pouvez sauvegarder cette image, qui est le précieux résultat du prétraitement :

SAVE  T45677_2

Notez que la commande L_BIN demande à ce que le spectre soit bien rectiligne et horizontal. C'est pour cela que l'étape de redressement du spectre et de correction de la courbure que nous avons réalisée tout-à-l'heure est très importante. Iris possède des commandes qui permettent de travailler directement sur des spectres courbes, mais la méthode que j'ai développée devant vous est la plus efficace car elle offre un meilleur contrôle de ce que l'on fait.

Vous pouvez d'une manière un peu sommaire afficher le profil spectral à ce stade en tapant simplement la commande L_PLOT :

Raymond - On voit super bien les raies en émission !

Alain - Oui, l'histoire s'achève donc ici ?

Aude - Certainement pas !!! Ce que nous venons de faire jusqu'à présent ne sont que de basses besognes. Essentielles certes, mais le plus intéressant est à venir. En effet, tel quel, le spectre n'est pas utilisable. Par exemple, la bosse dans le continuum vers le centre du profil spectral n'est pas réelle, elle trahit simplement que l'instrument est plus sensible dans cette région du spectre. Difficile de faire de l'astrophysique avec de telles distorsions dans les données.

Raymond - Tu emploie souvent le mot continuum, c'est quoi au juste ?

Aude - C'est le signal le long du spectre en dehors des raies spectrales. Vous supprimez mentalement toutes les raies d'un spectre, et ce qui reste est alors un banal spectre continu, on dit aussi un continuum.

Alain - D'accord, j'avais compris cela. Mais sur qu'elle base tu déduit que le spectre n'est pas utilisable tel quel.

Aude - La forme du spectre qui sort des traitements précédents ne reflète pas l'exacte vérité. Par vérité, j'entend l'allure qu'aurait le spectre s'il était observé avec une chaîne instrumentale parfaite, une sorte d'oeil magique qui verrait le signal exact envoyé par l'étoile. On en est loin avec notre petit spectrographe, mais c'est aussi le cas pour tous les instruments optiques et élecrtoniques du monde, qui nous envoient une image déformée de la réalité. Le but des opérations de prétraitement et d'étalonnage est de faire le chemin inverse de la lumière pour corriger au mieux les défauts instrumentaux afin d'obtenir le signal tel qu'il était à l'entrée du télecope, voir même à l'entrée de l'atmosphère terrestre. Je sais que mon CCD est plus sensible dans le rouge que dans le bleu et donc, j'interprète avec pas mal de suspicion le fait que le signal enregistré est plus élevée dans le rouge que dans le bleu.  Les apparences sont trompeuses. Je vais devoir tenir compte de cet effet instrumental pour recomposer le spectre réel de l'étoile. Ce n'est qu'à ce prix qu'il sera apte à la consommation !

Alain - Quant tu dit apte à la consommation, je suppose que tu veux dire que l'on pourra faire des mesures fiables dessus. Quelles sont les étapes qu'il nous reste à parcourir pour y parvenir ?

Aude - Pour finaliser le traitement, le spectre doit subir deux types d'étalonnages, l'étalonnage spectral et l'étalonnage en flux. Ces opérations vont changer fondamentalement l'aspect du spectre, accroître considérablement la richesse de son contenu et le rendre propre, enfin, à un usage scientifique. Toute la noblesse de la spectrographie est donc à venir. Pour cela nous allons quitter Iris et travailler avec un logiciel spécialisé : VisualSpec.

Christian - Tu veux dire que nous n'avons fait qu'une partie du chemin ?

Aude - Oui en gros la moitié. Mais ne vous affolez pas. Vous avez sans doute noté que les opérations faites jusqu'à présent sont relativement automatisées. Avec un peu d'habitude, on réalise le prétraitement complet en 2 minutes ou mêmes moins, et presque sans réfléchir. Ce n'est pas trop difficile la spectrographie, mais je tenais à vous montrer dans le détail le pourquoi des choses. J'espère que vous avez appris quelques petits trucs.

Christian - Oh oui ! (mine attendrie).

Aude - Allez une petite pose, et on continue.


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