Anciennes échelles de temps

Les échelles de temps qui ont été décrites ici reposent toutes sur la notion d'heures égales , c'est-à-dire d'heures dont la durée correspond à un intervalle de temps toujours identique de jour comme de nuit, en été comme en hiver. Cet intervalle est à l'origine la 24ème partie du jour solaire. L' idée s'est petit à petit imposée à notre civilisation à partir de la fin du XIVème siècle avec l'apparition des horloges mécaniques et des cadrans solaires à style polaire. Son invention est attribuée à l'astronome marocain Abul-Hassan au début du 13ème siècle. Notons que les heures égales furent envisagées dans l'ancienne Egypte, au 12ème siècle avant notre ère, mais sans succès.

Les heures égales furent comptées tantôt de 0 à 24 h, tantôt deux fois de 0 à 12 h comme encore à l'heure actuelle. Dans le premier cas on parlait de grandes heures, dans le second de petites heures. Dans ce dernier cas les heures étaient aussi qualifiées de communes, allemandes ou françaises.

L'Antiquité

Vers la fin du 3ème millénaire avant notre ère, ce furent les Egyptiens qui, les premiers, divisèrent d'abord..... la nuit en 12 heures inégales Cela afin de mieux suivre les levers successifs des étoiles, parmi lesquelles Sirius, avec lesquelles ils jalonnaient le ciel et recalaient leur calendrier. Pour cela le ciel était divisé en 36 décans. Vers le solstice d'été seuls 12 décans étaient visibles au cours de la nuit. Quelqu'un décida que désormais la nuit serait toute l'année divisée en 12. Puis vers 1500 les textes révèlent que le jour fut à son tour divisé en 12 heures inégales, marquées par le plus ancien cadran solaire connu. En l'absence des étoiles ou du Soleil les heures étaient rythmées par des clepsydres.

Les anciens Babyloniens, au moins avant le VIIIème siècle avant notre ère, avaient divisé le jour (entre deux levers du Soleil) en 12 périodes égales qui portaient le nom de bêrou ou kaspou. Ces périodes étaient elles même divisées en 30 gesh. Le jour et la nuit étaient chacun divisé en 3 veilles (scintillement, sein de la nuit, aube; lever du soleil, le ciel s'embrase, coucher du soleil).

Une division semblable fut employée par les Hébreux qui divisérent le jour en 4 parties de 3 heures de même que la nuit. Par la suite les chaldéens adopteront le système d'heures égyptien, qui se retrouvera dans les indications des cadrans solaires connus sous le nom de scaphés, qui furent conçus par un chaldéen, Bérose , et qui se répandront largement en Grèce et à Rome.

C'est en Chine que l'on trouve les système le plus élaboré : dès le premier millénaire avant notre ère, les anciens Chinois avaient divisé le jour en 12 intervalles égaux appelés shih, le premier (tzu) étant centré sur minuit. Pour leurs observations astronomiques ils avaient divisé le jour en 100 ke ( 1 ke ? 14,4 mn). Au cours des siècles, pour diverses raisons, ce nombre passa à 120, puis 96, puis 108, pour revenir à 100 jusqu'en 1628 où la valeur 96 fut finalement adoptée. De même la nuit était divisée en 5 "veilles" elles-même subdivisées en 5.

Les anciens Hindous avaient divisé le jour en 60 ghatikas ( 1 ghatika ~ 24 mn), eux même parfois divisés en 60 palas. Les anciens Cinghalais avaient de même divisés le jour et la nuit chacun en 30 payes.

Il y eut aussi des divisions du jour beaucoup plus vagues, mais finalement conformes à la vie de tous les jours. En particulier les Grecs jusqu'au VI ème siècle avant notre ère et les Romains, jusqu'au IV ème siècle, comptaient simplement avant et après midi. Puis ils ajoutèrent la précision du matin et du soir, et par la suite d'autres subdivisions qualitatives de la journée telles que point du jour, matin, vers midi,..., première torche, nuit profonde, chant du coq.

Heures inégales

Le système d'heures le plus répandu fut donc celui des heures inégales, dont l'origine se situe donc sans aucun doute en Egypte. Dans ce système le jour, plus exactement la journée, c'est-à-dire l'intervalle de temps entre le lever et le coucher du Soleil était divisé en 12 parties égales, quelle que soit la durée du jour. Ainsi les heures d'été étaient plus longues que les heures d'hiver. Aux latitudes proches de 48° la durée varie du simple au double; tandis qu'à la hauteur de l'Egypte ou de Babylone la variation annuelle n'est que d'environ 40%.

Ces heures furent principalement appelées heures temporaires mais aussi saisonnières, antiques, judaïques, bibliques, planétaires, artificielles,...Elles étaient alors opposées aux heures équinoxiales qui étaient égales, puisqu'au moment des équinoxes 12 heures de jour sont égales à 12 heures de nuit.

A Rome, par exemple, l'intervalle qui suit le lever correspond à la première heure, midi est le début de la septième heure. Au II ème siècle on repérera et on annoncera les première (lever), troisième (milieu de la matinée), sixième (midi) et neuvième heures (milieu de l'après-midi). Notons que souvent la nuit était elle-même divisée en 12 heures inégales, parfois réunies en quatre veilles.

Reconstitution d'un cadran solaire d'heures inégales d'époque romaine dont un fragment fut découvert
par Ernest Renan en Phénicie

 

Pour un jour donné et un lieu donné, la durée d'une heure inégale ou temporaire est donnée par la 12ème partie de deux fois l'angle horaire L du Soleil , exprimé en heures, au moment de son lever ou de son coucher. Cet angle est donné par l'expression :

cos L = - tg F x tg d

F est la latitude du lieu et d la déclinaison du Soleil ce jour. L a ici une valeur postive; exemple : à 49° de latitude le jour du solstice d'été, L = 120°.

Une heure inégale vaut donc :

h = 2 x L / 12

L'heure temporaire est donnée en fonction de l'angle horaire du Soleil par :

le jour T = 6 x (H + L) / L

ou : H = L/6 * (T - 6)

la nuit, du coucher à minuit : T = 6 x (H - L) / (12 - L)

la nuit, de minuit au lever : T = 6 x (24 + H - L) / (12 - L)

où H et L sont exprimés en heures.

Attention au décompte de ces heures : le lever est le début de la première heure; midi au soleil est la fin de la 6ème heure. On ne doit prendre que les valeurs entières des fins des heures temporaires pour calculer l'angle horaire correspondant, les valeurs intermédiaires n'ayant pas grand sens :

T H
(lever; début de la première heure) 0 -L
(fin de la ) 1ère -5/6 L
(fin de la ) 2ème - 2/3 L
(fin de la ) 3ème - 1/2 L
(fin de la ) 4ème - 1/3 L
(fin de la ) 5ème - 1/6 L
(fin de la ) 6ème 0

Heures canoniales

Vers le VIII ème siècle de note ère apparurent les heures canoniales liées aux sept prières quotidiennes établies par la règle de St Benoît. Plus que des heures au sens où nous l'entendons, elles correspondaient plus à des moments auxquels les prières devaient être récitées : aux première (prime), troisième (tierce), sixième (sexte) et neuvième heure (none) des heures temporaires à Rome, auxquelles s'ajoutaient une prière à l'aube, une à la tombée de la nuit, ainsi qu'une autre à la fin de la huitième heure de la nuit. Les livres de prières s'appelaient d'ailleurs des Livres d'Heures, où le mot "heure" prenait le sens de prière. Il leur correspond les cadrans solaires dits canoniaux, issus des travaux de Bède le Vénérable et qui marquaient ces moments ils étaient constitués généralement d'un demi-cercle divisé en 4, 8 ou 12 secteurs avec un style horizontal. Voici l'exemple de Landévent dans le Morbihan :.

De plus à l'origine (VI ème siècle) les "heures" de nuit et en particulier celle d'un office nocturne, étaient repèrées par le lever de certaines étoiles, dont Sirius, suivant les instructions de Grégoire de Tours. En l'absence d'étoiles , c'est la récitation d'un certain nombre de psaumes qui marquait l'écoulement du temps, ou la surveillance d'une bougie graduée ou même plus tardivement (12ème siècle) des indication d'horloges à eau.

Heures babyloniques

Même après l'introduction des heures égales certains peuples continuèrent à repérer le début du jour par le lever du Soleil et à compter les 24 heures à partir de cet instant. Et ce à l'imitation des anciens Babyloniens d'où le nom des heures. Ce fut le cas en particulier en Allemagne. Elles s'appelaient aussi alors heures "ab ortu" ("depuis le lever").

Dans ce système lorsque le Soleil se lève il est 0 h. Quand il passe au méridien l'heure a pour valeur l'angle horaire du Soleil , exprimé en heures, au moment de son lever.Et quand le Soleil se couche l'heure vaut deux fois l'angle ci-dessus. Bien sûr ces heures se continuent jusqu'à 24 h correspondant au lever du lendemain.L'heure babylonique B s'exprime donc en fonction de l'angle horaire H du Soleil, c'est-à-dire du Temps Vrai par :

B = (H + L) / 15

ou : H = 15 * B - L

B H
0 -L
L/15 0
2L//15 L

Sans faire beaucoup d'erreurs on peut supposer que la déclinaison du Soleil ne varie pas au cours de la journée.

Heures italiques

De la même façon, et surtout en Italie d'où leur nom, cetaines régions d'Europe marquérent le début du jour au coucher du Soleil : à ce moment il était 0 h. L'heure italique I s'exprime donc en fonction de l'angle horaire H du Soleil, c'est-à-dire du Temps Vrai par :

I = 24 + (H - L) / 15

Ces heures furent aussi appelées étrangères ("welsh") en Allemagne au 16ème siècle ou aussi bohémiennes. On rencontre aussi l'appellation d'heures "ab occasu" ("depuis le coucher"). En pratique les heures italiques indiquées sur un cadran sont (dans la majorité des cas) le nombre d'heures qui restent avant le coucher du soleil, par symétrie avec les babyloniques :

I = (L - H) / 15

ou : H = L - 15*I

I H
2L/15 -L
L/15 0
0 L

Si on les compte à partir du coucher de la veille, la frmule devient :

H = L - 15*(24 - I)

Beaucoup de cadrans solaires comportent des lignes marquant les deux systèmes d'heures. Elles forment un quadrillage harmonieux borné par les arcs diurnes des solstices. A un moment donné de la journée la demi-somme des heures babyloniques et italiques donne l'heure solaire habituelle. Mais elles figuraient surtout pour indiquer le nombre d'heures qui s'étaient écoulées depuis le lever du Soleil et le nombre d'heures restant à courir jusqu'à son coucher.

Notons qu'à Nüremberg au XVIème siècle les heures étaient comptées dans les deux systèmes : babyloniques le jour et italiques la nuit. Elles portaient le nom d'"heures de Nüremberg".

Ces deux derniers types d'heures sont généralement réunies sur un cadran en un quadrillage esthétique qui meuble l'espace entre les arcs diurnes des solstices, comme sur ce cadran autrichien:

Photo P.L.

Heures décimales

Dans le cadre de son entreprise d'uniformisation et de rationalisation du système des poids et mesures, la Révolution Française tenta d'instaurer une décimalisation de l'heure. Le jour était divisé en 10 heures de 100 minutes, chaque minute étant elle-même divisée en 100 secondes. Ainsi un jour comportait 100 000 secondes. Cette réforme était liée à la mise en place du calendrier républicain. L'usage de l'heure décimale est rendue obligatoire par un décret du 24 novembre 1793, et un autre décret du 9 février 1794 établit un concours pour la conception d'horloges à heures décimales dont quelques exemplaires furent réalisés. L'expérience sera suspendue "indéfiniment" par un décret du 7 avril 1795, face à la force de l'habitude et surtout au coût de la modification des horloges existantes. Quelques montres et horloges décimales furent réalisées, ainsi que quelques rares cadrans solaires. L'idée réapparut à la fin du XIX ème siècle sans succès.

Début du jour

Ici tout est affaire de conventions. D'un point de vue astronomique le seul moment de la journée qui soit partout observable et repérable dans les mêmes conditions est le passage du Soleil au méridien, c'est-à-dire l'instant de sa plus grande hauteur dans le ciel. L'observation du minimum de l'ombre d'un gnomon donne cet instant avec une précision acceptable. Le lever et le coucher sont des phénomènes qui en toute rigueur, nécessitent un horizon bien dégagé avec des conditions météo fréquemment idéales; à moins de se contenter de l'apparition ou de la disparition du Soleil derrière un relief local, ou d'impressions plus subjectives pour les habitants des villes. C'est pourtant le coucher du Soleil qui marquait le début du jour chez les italiens jusqu'au siècle dernier : les horloges étaient remises à 0 h à cet instant.

Il y eut donc au cours des âges et suivant les régions quatre moments qui furent choisis pour fixer ce début.

Le lever du Soleil : c'est peut-être le moment le plus "naturel", le plus évident. Il fut choisi par les Egyptiens, les Chaldéens, et les autres peuples du Proche-Orient; ainsi que les anciens Hindous, les Cinghalais. Et bien sûr dans notre ère, dans les régions ayant fait usage des heures babyloniques.

Midi : à part bien sûr les anciens astronomes faisant usage du Temps Vrai, cet instant fut retenu par les anciens Arabes, et les astronomes Grecs de l' Antiquité. Les astronomes plaçaient le début du jour en milieu de journée pour ne pas avoir à changer de jour en plein milieu d'une observation nocturne.

Le coucher du Soleil : autre moment "naturel", il fut retenu par les Etrusques, les Romains, les Grecs anciens, les Hébreux, les Musulmans, et, donc, les Italiens jusqu'au XIXème siècle avec les heures italiques.

Minuit : les instants de la nuit concernent les observateurs du ciel. Bien que plus difficile à repérer cet instant fut choisi par les astronomes chaldéens, les astronomes chinois, de même qu'Hipparque, Copernic, puis, de nos jours, par l'ensemble des nations avec l'adoption du jour civil et l'instauration des fuseaux horaires.