Exposition du Système du Monde

Pierre Simon Laplace

 Chapitre III.

Du Temps et de sa Mesure.

Le temps est, par rapport à nous, l'impression que laisse dans la mémoire, une suite d' événemens dont nous sommes certains que l'existence a été successive.

Le mouvement est propre à lui servir de mesure ; car un corps ne pouvant pas être dans plusieurs lieux à-la-fois, il ne parvient d' un endroit à un autre, qu' en passant successivement par tous les lieux intermédiaires. Si l'on est assuré qu' à chaque point de la ligne qu' il décrit, il est animé de la même force ; il la décrira d' un mouvement uniforme, et les parties de cette droite pourront mesurer le temps employé à les parcourir. Quand un pendule, à la fin de chaque oscillation, se retrouve dans des circonstances parfaitement semblables, les durées de ces oscillations, sont les mêmes, et le temps peut se mesurer par leur nombre. On peut aussi employer à cette mesure, les révolutions successives de la sphère céleste, dans lesquelles tout paroît égal ; mais on est unanimement convenu de faire usage pour cet objet, du mouvement du soleil dont les retours au méridien et au même équinoxe, forment les jours et les années. Dans la vie civile, le jour est l'intervalle de temps qui s' écoule depuis le lever jusqu' au coucher du soleil : la nuit est le temps pendant lequel le soleil reste au-dessous de l'horizon. Le jour astronomique embrasse toute la durée de sa révolution diurne ; c' est l'intervalle de temps, compris entre deux midis ou entre deux minuits consécutifs. Il surpasse la durée d' une révolution du ciel, qui forme le jour sydéral ; car si le soleil traverse le méridien au même instant qu' une étoile ; le jour suivant, il y reviendra plus tard, en vertu de son mouvement propre par lequel il s' avance d' occident en orient ; et dans l'espace d' une année, il passera une fois de moins que l'étoile,au méridien. On trouve ainsi, qu' en prenant pour unité, le jour moyen astronomique ; la durée du jour sydéral est de 0, 997269722 jour.

Les jours astronomiques ne sont pas égaux ; deux causes, l'inégalité du mouvement propre du soleil, et l'obliquité de l'écliptique, produisent leurs différences. L'effet de la première cause est sensible : ainsi au solstice d' été, vers lequel le mouvement du soleil est le plus lent, le jour astronomique approche davantage du jour sydéral, qu' au solstice d' hiver, où ce mouvement est le plus rapide. Pour concevoir l'effet de la seconde cause, il faut observer que l'excès du jour astronomique sur le jour sydéral, n' est dû qu' au mouvement propre du soleil, rapporté à l'équateur. Si par les extrémités du petit arc que le soleil décrit sur l'écliptique dans un jour, et par les pôles du monde, on imagine deux grands cercles de la sphère céleste ; l'arc de l'équateur, qu' ils interceptent, est le mouvement journalier du soleil, rapporté à l'équateur, et le temps que cet arc met à traverser le méridien, est l'excès du jour astronomique sur le jour sydéral ; or il est visible que dans les équinoxes, l'arc de l'équateur est plus petit que l'arc correspondant de l'écliptique, dans le rapport du cosinus de l'obliquité de l'écliptique, au rayon ; dans les solstices, il est plus grand dans le rapport du rayon au cosinus de la même obliquité ; le jour astronomique est donc diminué dans le premier cas, et augmenté dans le second. Pour avoir un jour moyen indépendant de ces causes ; on imagine un second soleil mû uniformément sur l'écliptique, et traversant toujours aux mêmes instans que le vrai soleil, le grand axe de l'orbe solaire, ce qui fait disparoître l'inégalité du mouvement propre du soleil. On fait ensuite disparoître l'effet de l'obliquité de l'écliptique, en imaginant un troisième soleil, passant par les équinoxes, aux mêmes instans que le second soleil, et mû sur l'équateur, de manière que les distances angulaires de ces deux soleils à l'équinoxe du printemps, soient constamment égales entr' elles. L'intervalle compris entre deux retours consécutifs de ce troisième soleil, au méridien, forme le jour moyen astronomique. Le temps moyen se mesure par le nombre de ces retours, et le temps vrai se mesure par le nombre des retours du vrai soleil, au méridien. L'arc de l'équateur, intercepté entre deux méridiens menés par les centres du vrai soleil et du troisième soleil, et réduit en temps à raison de la circonférence entière pour un jour, est ce que l'on nomme équation du temps .