Paysages lointains

Une des retombées de mon interêt pour l'archéoastronomie a donc été de poser un autre regard sur les paysages lointains. Dans ses ouvrages, A. Thom aborde cet aspect de ses travaux de façon mathématique et rigoureuse. C'était en effet un aspect essentiel de ses recherches pour tenter d'étayer ses hypothèses sur les sites mégalithiques. La suite de cette page est assez mathématique mais un exemple apportera un peu de poésie.

Lorsque nous observons un objet lointain, par exemple un détail du paysage (sommet de montagne, crête d'une colline, horizon) les rayons lumineux qui nous parviennent n'ont pas suivi une ligne droite à cause la présence de l'atmosphère entre ce détail et notre oeil. L'aspect du paysage peut alors être modifié. Les mirages en sont le meilleur exemple et le plus connu. De la même façon que le rayon lumineux provenant d'une étoile a été courbé par la réfraction dans l'atmosphère terrestre et nous fait voir les astres un peu plus haut qu'ils sont réellement. La différence ici est que c'est la totalité de l'atmosphère qui intervient pour une étoile (réfraction astronomique ) et seulement une petite partie pour le paysage (réfraction terrestre) . A. Thom présente une formule générale qui donne la hauteur apparente h d'un objet lointain situé à une distance D et à une altitude H par rapport à nous :

h = H / D – D / (2 * R) + K * D * P / T²

avec :
h : altitude apparente (en radian)
H : différence d’altitude point (M) – observateur (O)
D : distance
R : rayon terrestre
P : pression atmosphérique
T : température atmosphérique
K : coefficient

Le premier terme est la hauteur apparente géométrique de l'objet telle qu'elle serait si la Terre était plate et sans atmosphère

Le deuxième terme traduit l'abaissement apparent de l'objet dû à la rotondité de la Terre

Le troisième terme, empirique, traduit l'influence de la réfraction terrestre qui tend à relever l'image de l'objet

Exprimée avec des unités courantes, même si elles ne sont pas trop cohérentes entre elles :

h = 3,438 * H / D – 0,27 * D + 0,4984 * K * D * P / T²

h ('): altitude apparente
H (m): différence d’altitude point (M) – observateur (O)
D (km): distance
P (mb) : pression atmosphérique
T (°K) : température
K : coefficient

Note : Le coefficient 0,4984 provient de la transformation de la formule initiale de A. Thom qui, tradition oblige, exprimait la distance en miles, la pression en inches de Hg (1 atmosphère = 29,9 in) et la température en degrés Rankin (°F + 460), sans compter les altitudes en feet......

Avec des valeurs moyennes courantes de la température, de la pression et des valeurs de K déterminées expérimentalement on retiendra les formules suivantes :

  Valeurs déterminées Formule (valeur de K retenue) Rayon terrestre équivalent
Jour K = 7 à 7,5 3,438 H / D – 0,225 D (K = 7,4) R’ = 1,2 R
Nuit K = 12 3,438 H / D – 0,2 D (K = 11,5) R’ = 1,35 R

Entre parenthèses figure la valeur de K retenue pour donner une valeur pratique au coefficient de D. Il faut toujours se rappeler que les phénomènes atmosphériques observés près de l'horizon sont très variables et fortement dépendant de la température, de la pression, du temps, de l'heure et même des terrains intermédiaires. Leur influence réelle ne se laisse pas "enfermer" dans une formule définitive mais plutôt une formule "moyenne".

En pratique la réfraction tend donc à compenser l'influence de la rotondité de la Terre. D'où la notion de rayon terrestre équivalent. En effet tout se passe comme si dans l'expression du début il n'y avait pas de réfraction atmosphérique, mais on avait utilisé une valeur plus grande du rayon terrestre. Le rayon équivalent est dans le rapport 0,270/0,225 soit 1,2 pour le jour et dans le rapport 0,270/0,2 la nuit soit 1,35.

Ces formules sont applicables jusqu'à quelques dizaines de kilomètres.


Exemple

Voici deux photos prises dans les années 80 depuis le dernier étage d'un bâtiment à Lannion. Elles visent au SSW vers Guerlesquin (Finistère). Plus exactement vers une sorte de plateau au nord du village. Il se situe à environ 27 kilomètres à vol d'oiseau. Son altitude maximum est de l'ordre de 270 m là où il tombe vers Le Ponthou. Habituellement il est légèrement visble au niveau de l'horizon.

La première photo prise un matin du printemps 1981; le temps est courant pour cette saison : pression atmosphérique plutôt dépressionnaire, température moyenne; le terme de réfraction en P/T² est faible. L'horizon n'a rien de particulier. Il s'arrête aux maisons et aux bouquets d'arbres. Le plateau n'est pas visible. Ce n'est pas un effet de brume. Les pylônes d'éclairage d'un stade émergent de cet horizon.

L'autre prise un matin du début février 1983 : temps hivernal avec un fort régime anticyclonique, une température très basse. L'horizon a totalement changé : le plateau a littéralement surgi de l'horizon précédent. Son sommet atteint presque les projecteurs des pylônes. En effet le terme de réfraction en P/T² a fortement augmenté et compense largement l'effet de la rotondité terrestre.

Le repère visible au bout de la pente du plateau à droite est un château d'eau. La partie visible représente environ 4-5' d'arc


Altitude apparente résultante par rapport l’horizontale de l'observateur

Le point observé M situé à la distance D et vu sous une hauteur apparente h peut donc être considéré comme se trouvant à une altitude apparente H' donnée par :

H' = D * h

par rapport à l'horizontale de l'observateur.

Jour

H’ = D * h = (HM – HO) – 0,06545 * D²

H’ # (HM – HO) – D² / 15

Nuit

H’ = D * h = (HM – HO) – 0,05818 * D²

H’ # (HM – HO) – D² / 17

On retrouve des expressions bien connues en géodésie. (correction de niveau apparent)

Si on peut déterminer tout le long du trajet entre O et M l'altitude H en fonction de D (par lecture sur une carte) et si on trace alors H' en fonction de D on obtient le profil réel du trajet entre O et M. On peut ainsi s'assurer de la visibilté mutuelle de deux sites. Si on fait fait HM = 0 dans ces expressions on peut tracer en fonction de D la surface terrestre résultante avec le rayon équivalent.

Fdans un diagramme D, H’ les rayons lumineux sont des droites puisque H’ inclut la réfraction.


Dépression et distance de l’horizon marin

Note : dans tout ce qui suit le radical Ö s'applique à l'expression qui suit entre crochets [... ]

Dépression

Un observateur O situé à une hauteur H voit l'horizon sous son horizontale, abaissé d'un angle d donné par la formule générale :

d = Ö[2 * H * (1 / R – 1 / s )]

d : abaissement de l’horizon
s (m) : rayon de courbure du rayon lumineux
R (m) : rayon terrestre
H (m) : altitude

avec : 1 / s = 2,9 10-7 *K * P / T²

d =1,92 Ö[H] * Ö[1 – 1,846 * K * P / T²]

Ici d est en minutes d'arc. Avec les valeurs de K ci-dessus on déduit les formules classiques bien connues en navigation :

Jour

d = 1,76 Ö [H]

Nuit

d = 1,65 Ö [H]

La valeur pour la nuit est donnée pour la forme, car encore faut-il apercevoir l'horizon de nuit....

Distance

La formule générale qui donne la distance L de l'horizon visible est :

L = Ö [2*R*s*H / (s – R)]

avec les mêmes notations que ci-dessus. Utilisant la même démarche et les mêmes valeurs des paramètres on obtient :

L (km)

L (milles)

Condition

3,91 Ö[H]

2,11 Ö[H]

Jour

4,17 Ö[H]

2,25 Ö[H]

Nuit

3,57 Ö[H]

1,93 Ö[H]

Géométrique
(sans réfraction)

En pratique si on écrit : L (km) = 4Ö[H] on ne fera pas une grosse erreur d'autant que cette distance est une indication, et que l'on ne cherche pas à atteindre l'horizon :o) La dernière ligne est donnée pour mémoire; c'est l'expression que l'on donne couramment mais elle ne tient pas compte de la réfraction.


Réfraction radio

Ces phénomènes de réfraction et la notion de rayon terrestre équivalent sont bien connus en propagation des ondes hertziennes. La formule courante est :

h = 3,438 H / D – 0,203 D

Le rayon terrestre équivalent est : R’ = 1,33 R ~ 4/3 R

A nouveau on peut calculer l'altitude apparente résultante (en mètres) sous l’horizontale de O :

H’ = D * h = (HM – HO) – 0,05905 * D² soit H’ # (HM – HO) – D² / 17

Cette formule est utilisée pour tracer le profil d'un liaison entre deux antennes afin de s'assurer des conditions de visibilité mutuelle.


Observation du lever ou du coucher d'un astre sur l'horizon

Quand on observe le lever ou le coucher des astres sur l'horizon d'un lieu ces phénomènes se produisent en des points dont l'azimut dépend de la déclinaison des astres et de la latitude du lieu. Si on a affaire au Soleil ou à la Lune leur diamètre apparent entre aussi en jeu. Si de plus l'horizon n'est pas celui de la mer il se situera à une certaine altitude apparente.

Une des bases de la démarche des archéoastronomes qui veulent que les sites qu'ils étudient aient un contenu astronomique consiste à chercher quelle est la déclinaison d'un astre qui se lèverait ou se coucherait en un point de l'horizon que l'on pense être "remarquable" ou dans une direction non moins "remarquable". Cette démarche peut aussi être appliquée à la confirmation de la vision possible d'un paysage lointain dans certaines circonstances.

Soit A l'azimut, Lat la latitude, Dec la déclinaison, hv la hauteur vraie de l'astre. Si la hauteur apparente est uniforme sur un grand éventail de valeurs on peut calculer l'azimut auquel l'astre sera vu se lever ou se coucher :

cos ( A ) = ± [ sin(hv) * sin ( Lat ) - sin ( Dec ) ] / [ cos ( Lat ) * cos (hv) ]

Ici A est compté du nord ("-") ou du sud ("+") .

Inversement si l'azimut est connu on en déduit la déclinaison d'un astre qui sera vu se lever ou se coucher en ce point :

sin (Dec) = sin (hv) * sin (Lat) ± cos (hv) * cos (Lat) * cos (A)

A nouveau A peut être compté du nord ("+") ou du sud ("-"). En pratique la hauteur vraie hv est faible et cos (hv) peut être remplacé par 1

Ces formules font intervenir la hauteur vraie hv du point visé qui sera aussi la hauteur vraie de l'astre au moment du phénomène observé. Elle est différente de la hauteur apparente. Celle ci est le résultat de l'influence de la réfraction astronomique, de la parallaxe, du demi-diamètre de l'astre quand celui-ci est appréciable (Soleil, Lune), et de l'abaissement de l'horizon pour une visée marine. Il faut donc calculer l'une à partir de l'autre. C'est une démarche tout à fait identique à celle pratiquée par les navigateurs qui font de la navigation astronomique : ils mesurent la hauteur apparente d'un astre avec leur sextant de laquelle ils déduisent la hauteur vraie pour se ramener au centre de la Terre. La formule est :

hv = h + P - R ± dd -d

avec :

h : hauteur apparente  
P : parallaxe C'est la parallaxe horizontale qui est prise ici puisque les phénomènes observés sont au niveau de l'horizon. Négligeable pour le Soleil (0,13') . Valeur moyenne prise à 57' pour la Lune
R : réfraction astronomique Une formule assez simple est donnée par J. Meeus : R = 1/(Tan[h+7,31/(h+4,4)]+0,0014
La valeur peut aussi être lue dans des tables pour les faibles hauteurs
dd : demi-diamètre Pour le soleil : 16' . Pour la lune :15,5' . On prend "+" si on repère le bord inférieur ; "-" si c'est le bord supérieur (le plus fréquent)
d : abaissement de l'horizon Ne doit être pris en compte que si les visées se font par rapport à l'horizon marin ou à un horizon terrestre lointain et plat

Toutes les quantités sont exprimées en minutes d'arc.


Références

J. Meeus : Astronomical Algorithms, Ch. 12 et 15. Willmann-Bell, 1991

A. Thom : Megalithic Sites in Britain, Ch. 3. Clarendon Press, Oxford., 1967

A. Thom : Megalithic Lunar Observatories. Ch. 3. Clarendon Press, Oxford., 1971