DESCRIPTION DU PHÉNOMÈNE


période d'observation

Depuis Notre-Dame de la Garde, l'azimuth du Mont Canigou est de 251°16' par rapport au nord, soit approximativement dans une direction ouest-sud-ouest. Il faut donc chercher les jours où le soleil se couche entre 251° et 251°35', compte-tenu de la largeur du disque solaire (on prend en compte le centre du soleil) :


Noter l'aplatissement du disque solaire due à la réfraction.

En raison du déplacement quotidien du soleil, cela laisse suivant les années une fenêtre de 1 ou 2 jours autour du 10 février, et 1 ou 2 jours autour du 30 octobre.

Toutefois, cette fenêtre est bien plus large si on s'intéresse à l'ensemble du massif, qui s'étend de l'azimuth 250°25' à l'azimuth 251°40'. Cette amplitude prend en compte les parties les plus élevées (supérieures à 2350 m d'altitude), les seules qu'on peut espérer voir depuis Notre-Dame de la Garde. Dans ce cas-là, la fenêtre dure environ 4 à 5 jours à chaque passage (février et octobre).


Photo Jean-Luc PUGLIESI

Une autre manière de prolonger la période d'observation est de trouver d'autres sites d'observation, pour lesquels l'alignement soleil - Canigou - site se produit un autre jour.


conditions d'observation

Le Mont Canigou est situé à 253 km de Marseille. A une telle distance, la courbure de la Terre interdit théoriquement cette observation depuis Notre-Dame de la Garde : la ligne droite joignant ces deux points passe en effet à 120 m sous la mer ! Allons bon !


L'observation est néanmoins possible grâce à la réfraction astronomique. Les rayons lumineux qui nous intéressent partent du sommet du Canigou et plongent légèrement vers la mer, dans une direction qui, en ligne droite, passerait largement au-dessus de ND de la Garde. La réfraction incurve progressivement leur trajectoire vers le bas, de sorte qu'ils épousent la courbure de la Terre et finissent par atteindre l'oeil des observateurs postés à Marseille.

C'est l'écart de pression de l'air entre le sommet du Canigou (pression moyenne 714 millibars) et ND de la Garde (pression moyenne 1013 millibars) qui détermine l'intensité de la réfraction, et donc l'intensité du relèvement de l'image (environ 35 minutes d'arc). On peut encore gagner de précieuses minutes d'arc par grand froid : comme la température reste à peu près constante au niveau de la mer (effet tampon de l'eau), le contraste est encore plus important. Idem dans des conditions anticycloniques fortes : du fait de la compressibilité de l'air, l'effet de fortes pressions est marqué surtout au niveau de la mer, et beaucoup moins en altitude.


la dépression de l'horizon

Ce phénomène est bien plus facile à comprendre que la réfraction. Il signifie tout simplement que plus on monte en altitude, plus on voit loin car on s'affranchit un peu plus de la courbure de la Terre.

La dépression de l'horizon joue un rôle important dans l'observation du Canigou, puisqu'elle contribue au moins autant que la réfraction.

site

altitude

valeur de la dépression de l'horizon

Croc du Loup

225 m

26' 29"

Notre-Dame de la Garde

161 m

22' 29"

Notre-Dame du Château

300 m

30' 35"

Garlaban

710 m

47' 04"

Col de l'Espigoulier

735 m

47' 53"

Baou de la Saoupe

340 m

32' 34"

Cap Canaille

310 m

31' 06"

Sémaphore

320 m

31' 36"

Gros Cerveau

429 m

36' 35"

Rocher de l'Aigle

601 m

43' 18"

Mont Caume

753 m

48' 28"

Mont Faron

509 m

39' 51"

Notre-Dame du Mai

340 m

32' 34"

Sur les sites les plus hauts, l'altitude compense la courbure de la terre, et la vision directe est possible. Dans ces cas-là, la réfraction vient en surplus et améliore encore les conditions d'observation.


pourquoi attendre le soleil couchant ?

Quelque soit le site choisi, le massif du Canigou est toujours très bas sur l'horizon. A de telles distances (250 à 290 km), la brume naturelle et la pollution atténuent fortement les contrastes, si bien que le Canigou reste presque toujours invisible.

Le soleil sert seulement à rehausser le contraste entre un fond très brillant (le disque solaire) et un premier plan sombre (le Canigou) vu en contre-jour.

Toutefois, par temps très clair, il arrive que le massif du Canigou se dessine avant que le soleil ne passe derrière. Ces jours-là, on continue à observer le massif bien après le coucher du soleil. C'est le phénomène qui a été photographié par les Excursionnistes Marseillais en 1898, et que nous avons pu observer le 10 février 2001 au Col de l'Espigoulier, puis le 8 février 2002 à Allauch.

Nous avons un témoignage fiable d'un groupe de personnes ayant observé le Canigou en plein jour depuis le Mont Caume, en 1999, un jour de fort mistral au lendemain d'une mini-tempête. L'atmosphère devait être extrèmement propre.

Notez qu'il est tout-à-fait possible de regarder le soleil couchant à travers un instrument optique sans filtre, à condition de se protéger des ultra-violets avec des lunettes de soleil traitées UV (les UV restent agressifs même si on ne les perçoit pas). Cela montre bien l'atténuation considérable provoquée par l'atmosphère lorsque la course des rayons lumineux est rasante. En revanche, c'est totalement à proscrire en plein jour, quand le soleil est très brillant !


et la lune ?

Soyons francs : c'est devenu rapidement notre seul et unique objectif ! Observer et photographier le Canigou derrière la lune, cela n'avait jamais été fait.

La détermination des dates est plus difficile que pour le soleil, car le décalage quotidien de l'azimuth du coucher de lune est important.

De plus, la chute de magnitude est importante au niveau de l'horizon, et la lune perd beaucoup de son éclat. Bien souvent elle disparaît dans la brume avant même d'avoir atteint l'horizon.

Enfin, la réfraction déforme et amincit désespéremment les croissants lunaires. C'est pourquoi l'observation paraît impossible (d'après nos tentatives) avant le premier quartier et après le dernier quartier.

Il nous a donc fallu pas moins de 12 tentatives vaines avant de pouvoir enfin réussir l'observation le dimanche 3 décembre 2000.