Eclipse totale de soleil - 14 novembre 2012

J'y vais où j'y vais pas? Cette question est longtemps restée sans réponse. C'est loin l'Australie, et les conditions météo ne sont pas optimales pour l'éclipse. Mais comme l'a dit le vieux sage, la seule certitude c'est que je ne la verrai pas en restant à la maison... Et puis la côte nord-est de l'Australie offrira sans doute (!!!) un climat plus agréable que le bassin lémanique à cette saison. Une bonne occasion d'aller faire un "petit" tour en famille à la plage, plutôt que de subir le stratus local pendant 3 semaines! Il faut bien trouver une excuse...

Et le matin de notre départ, ah ah, le Jura est tout saupoudré de blanc... c'était "moins une", il est temps de fuir au soleil. Allez, c'est parti pour un road-trip en camping-car!

Bonne surprise, la côte est calme à cette saison. Nous n'avons pas vu grand monde entre Brisbane et Cairns, super pour profiter tranquillement des grandes plages. Le dépaysement est total.

La grande barrière de corail nous révèle quelques unes de ses richesses accessibles avec masque et tuba: corail et poissons multicolores, tortues ... et requins!

C'est la fin de saison pour les baleines à bosse, qui retournent avec leurs petits en Antarctique pour l'été. Mais nous avons quand même la chance de faire quelques rencontres spectaculaires avec les cétacés.

Côté terre, la végétation et la faune ne sont pas en reste. Chaque jour, nous découvrons de nouveaux lieux magnifiques et des animaux sauvages (ou pas).

Dès qu'on s'éloigne de la côte, on rencontre les montagnes, et c'est la forêt tropicale nourrie par la pluie. Une nature primaire et sauvage, souvent tapie dans la brume... mais pas toujours!

Et la nuit, qu'est ce que ca donne pour les observations? Pas grand chose à vrai dire... une fois le soleil couché, c'est la pleine lune! La côte est de toute façon assez urbaine au sud, et le ciel pas toujours clair, ou très venteux. Mais c'est quand même l'occasion de quelques clichés nocturnes sur la plage. Puis quelques jours plus tard, sur une petite ile, les nuages de Magellan apparaissent enfin. En début de nuit, la voie lactée est couchée à plat sur l'horizon, et nous entoure. La lumière zodiacale est forte. Avant l'aube, le Grand Chien passe au zénith et la Croix du Sud se lève.

Mais revenons au vif du sujet, l'éclipse.

Arrivé du côté de Cairns 2 jours avant l'éclipse, je m'arrête aux différentes zones d'observation pour le jour J, repérées sur les cartes satellites. Entre Cairns et Port Douglas, la route longe la côte et traverse la ligne de centralité.


Plein de jolies plages très sauvages, avec une végétation luxuriante. Fort sympathique... mais qu'en sera-t-il avec des milliers de personnes sur place? Le nombre de points d'accès et parking est limité. Et ca risque d'être difficile de gérer le matériel dans le sable, sans parler de la forte marée montante à l'heure de l'éclipse, qui va venir lécher les arbres. Le seul axe de circulation est coincé entre l'océan et les montagnes, et on attend vraiment beaucoup de monde sur la route. L'éclipse est tôt le matin, dès le lever du soleil vers 6h. Vu le traffic attendu il est plus sage de pouvoir dormir sur le lieu d'observation. Mais les camping cars ne semblent pas les bienvenus la nuit hors des 'caravan parks'. Bref, c'est un peu la panique.


Le hasard nous conduit dans un beau camping à quelques kilomètres de Port Douglas, au pieds des montagnes verdoyantes, au milieu des champs de canne à sucre, avec un horizon bien dégagé à l'est. Les prévisions météo ne sont pas terribles dans le secteur (comme sur toute la côte). L'air chaud océanique poussé par les alizés du sud-est se refroidit avec l'altitude sur le relief côtier, et donc nuages et précipitations sont quotidiens: la 'rain forest' qui nous entoure mérite bien son nom.

Mais cet emplacement en pleine nature est vraiment sympa. Nous sommes seuls dans un grand champ plat, adossés contre la colline. De gros manguiers nous entourent, peuplés d'oiseaux et de roussettes. Il fait plutôt beau, avec un ciel de cumulus qui précipitent surtout l'après midi.


J-1. Le temps est calme au camp. Nous en profitons pour faire un petit tour et rendre visite au maitre de ces lieux, le croco. Quelques dizaines de kilomètres plus au nord, contre le massif montagneux, c'est la pluie... Pas très encourageant à quelques heures d'une totale, hein? Pourtant, nous retrouvons Salty qui fait "bronzette" dans l'herbe, avant de rentrer du côté de Port Douglas où le ciel est plus clément: le soleil brille en arrivant à notre camp de base.


C'est risqué, mais faute d'arriver à me décider pour un autre endroit sûr d'accès, nous restons sur place. C'est un peu la solution de facilité, et surtout de confort pour l'observation en famille, mais peut être pas la meilleure pour la météo. On est à 2,5 km de la ligne de centralité, ce qui promet 2m5s de totalité.

La veille au soir, le ciel se dégage complètement, et toute la nuit les étoiles brillent dans le ciel sans un nuage ... sauf ceux de Magellan dont je fais quelques images. La monture est mise en station sur la constellation d'Octan (très pratique le petit réticule hémisphère sud, faute de Polaire).


A 4h, tous les voyants sont au vert. Le jour pointe doucement. Et soudain, les cumulus aussi! Aïe aïe aïe, c'est mal barré.

Tant pis, Alea Jacta Est, comme quelqu'un aurait pu dire le 6 Mars -77. Et tout le monde se prépare tranquillement.


Nous sommes installés royalement... Y'a pas à dire, pour une éclipse, un chouette emplacement fait partie du plaisir et du spectacle. Calme, verdure, proximité avec la nature... le lieu correspond parfaitement avec l'ambiance de ce voyage en territoire sauvage. Plus que la foule sur une promenade urbaine. Eclipse in Queensland's rainforest, pas de meilleur intitulé pour l'évènement du jour.


Le matériel est prêt, et inspecté par mon jeune assistant: monture équatoriale Vixen SP pour le suivi motorisé, contre-poids plastique rempli de sable, EOS 7D (récupéré au SAV la veille du départ !!! Suite à une terrible erreur 40 - circuit d'alimentation défectueux - 10 jours avant le voyage) et 200mm f2.8 + doubleur, un PC avec Eclipse Orchestrator pour la prise de vue automatique, un déclencheur souple au cas où, une caméra vidéo pour l'ambiance générale et le son, une GoPro pour faire un timelapse, un PST pour le visuel Halpha de la phase partielle, et un Petzval 65/400 (objectif M42 pas tout jeune) sur trépied avec un occulaire Televue Plössl 40mm, c'est à dire une longue vue x10 avec un piqué et contraste extraordinaire pour l'observation de la couronne pendant la totalité (la bague de réglage du diaphragme est très pratique pour ajuster la luminosité de l'image). Sans oublier les petites lunettes densité 5 et le Viséclipse pour se protéger les yeux.


Le soleil monte sur les arbres, déjà un peu mangé par la lune. Notre étoile est jolie au PST, pas mal de petites protubérances et de tâches (bien visibles en lumière blanche également), mais la turbulence ne permet pas d'excellentes images.

La lune progresse sur le disque... en même temps que le nombre de nuages dans le ciel. Le vent les pousses, et le soleil reste rarement caché longtemps. La petite heure entre le premier et deuxième contact passe très vite. La lumière se tamise, et cette indescriptible 'ambiance grise' se met en place. Les ombres deviennent plus nettes. Les oiseaux se remettent à chanter comme au crépuscule.

Et ce qui devait arriver arriva. Une minute avant la totalité, un bon gros cumulus se pointe devant l'astre solaire. Le spectacle est cependant magnifique: on voit à travers le nuage, sans les lunettes, le croissant extrèmement fin qui s'amenuise, entouré d'irisations.


Et paf, d'un seul coup plus rien.
C'est la nuit.
L'ombre de la lune nous survole.
Pas une trace de couronne derrière ce nuage.
Pas de photo non plus.

Mais le nuage est échancré... je cours une centaine de mètres dans la direction du trou. Toujours rien. C'est le désespoir. Rien à faire. Impuissance de l'homme face aux éléments. Tout ça pour ça !

Et miracle, 1 minute plus tard, le soleil apparait de l'autre côté du nuage. Hourra! On saute de joie. La couronne est brillante, et plutôt symétrique, comme on peut s'y attendre autour des maximum solaires. Je regarde dans la lunette. Le liséré de la couronne est contrasté, et varie d'intensité tout autour. Ce qui saute aux yeux, ce sont les protubérances, presque blanches tant elles sont lumineuses. L'une d'elle est suspendue, c'est magnifique.

Petit bonhomme observe avec moi. Pur bonheur de l'avoir à mes côtés pour sa première éclipse, et il s'émerveille du haut de ses 3 ans, tout comme sa maman. Le soleil bas sur l'horizon, au dessus des palmiers, dans ce petit cirque verdoyant, avec ces nuages morcelés dans le ciel, c'est magique. Vénus apparait en haut à gauche, dans une trouée.


Retour à la lunette, la chromosphère devient visible, c'est bientôt la fin. Ultime confort, aucune manipulation photographique pendant la totalité, Et heureusement, vu la tournure des événements! L'appareil continue à déclencher. Le soleil réapparait... la couronne reste visible sur l'écran de la vidéo.

Ouh là là! La tension retombe, pour laisser place à une euphorie complète. Tout s'est passé très vite, comme on peut le voir sur la vidéo accélérée (MP4, 5MB).

Une rapide vérification des photos montre que tout a bien marché. Curieusement, le ciel semble beaucoup plus nuageux sur les photos que l'impression visuelle pendant la totalité. Sur les photos, le soleil apparait à travers des nuages, alors qu'à l'oeil le soleil en semblait complètement détaché. Le déplacement de quelques mètres par rapport au matos photo a semble-t-il suffit à trouver le trou! Ou alors le cerveau a gentiment zappé le nuage. Tant pis pour les détails photographiques de la couronne... Mais une bonne surprise m'attend au retour: sur l'APOD quelques jours plus tard, une photo de l'éclipse montre des zébrures sur les nuages autour du soleil. Je me demendais justement ce qu'étaient ces parasites apparaissant aussi sur mes image, nuages élevés ou bruit de l'appareil? Et ô surprise, ce sont en fait les ombres volantes, qu'on voit d'habitude sur le sol (clair en particulier) et qui étaient ici projetées sur le nuage.

On profite encore de la phase partielle, même si le soleil reste de plus en plus souvent occulté par des nuages.

Et bien sûr, le ciel est redevient tout bleu 1h après ... arghhhh !!! Les marathoniens qui passent sur la route en contrebas ont bien chaud.

Une fois le matériel rangé, direction la plage! C'est pas si mal... une petite éclipse à 6h, et être à 9h les pieds dans l'eau à 28° (bien protégé derrière un filet anti-méduse!).


Un peu plus tard dans la journée, je rencontre d'autres observateurs qui ont pu voir l'éclipse dans de bonnes conditions, avec seulement quelques filaments d'altitude dans le ciel. A aucun moment je n'avais envisagé d'aller comme eux vers l'intérieur des terres. La préparation a été un peu faite en mode dernière minute, et je n'avais pas remarqué la route carossable qui part de Port Douglas vers Palmerville, où tout le monde a pu observer sans nuages. J'avais au départ exclu cette direction, pensant que c'était trop loin ou inaccessible. Alors c'est sûr, sur le moment, une petite déception. A choisir avant, j'aurais sans doute préféré voir la couronne sans les nuages...

Mais pourtant, cette éclipse fut intense, magique, et le spectacle tout à fait particulier, dans cet environnement tropical verdoyant et ce ciel menaçant. La tension à cause du nuage au début de la totalité a-t-elle décuplée nos sens et émotions, pour intensifier l'observation ensuite? Une seule minute ratée, contre 60 secondes de bonheur! Une éclipse unique, pour sûr! Un mois plus tard, toujours des souvenirs pleins les yeux... et pour longtemps encore :)

De retour, c'est un petit choc thermique, et on retrouve l'hiver dans nos montagnes: pour se remettre dans le bain, rien de tel qu'une petite ballade matinale pour profiter de la vue depuis le récif du Jura sur l'océan strato-lémanique, avec la faune locale. Ca fait du bien d'être à la maison!


Rendez vous pour la prochaine éclipse totale, le 3 Novembre 2012 en Afrique! Mais là, c'est une autre affaire...

S.C. 12/2012