La Diapo noire et l’infrarouge avec une WebCam

Saturne et Jupiter traité  «  infrarouge  »

Saturne et Jupiter traité « infrarouge »

Les astrophotographes utilisent souvent des filtres rouges pour enregistrer les images de Jupiter. Par expérience, ils affirment que ces filtres « fouillent » plus profondément dans les nuages de cette planète. En se déplaçant vers les plus grandes longueurs d’onde, on observe des détails jusqu’alors invisibles. Si un filtre rouge autorise ce miracle, un filtre ne laissant passer que l’infrarouge doit faire encore mieux. Nous allons poursuivre cette recherche.

En France grâce à la liste AstroCam : astrocam@yahoogroupes.fr , l’utilisation des WebCams a bouleversé l’astronomie amateur : faible coût d’achat, possibilité de geler la turbulence atmosphérique en planétaire. Tous les astronomes ont acheté et poussé ces petites cameras dans leurs dernières limites. La plupart des capteurs adoptés pour construire ces caméras enregistrent l’infrarouge jusqu'à une longueur d’onde d’un micromètre. C’est donc ces derniers que nous allons utiliser pour faire notre test. Pour éviter un rendu artificiel des couleurs, les Webcams sont dotées de filtres « plastiques » arrêtant l’IR. Les Webcams de la société Philips sont parmi les plus intéressantes. Leur filtre correcteur est intégré dans leur optique et se démonte très facilement, simplement en dévissant l’objectif.

Certains amateurs ont essayé l’imagerie dans l’infrarouge en prenant pour cible Jupiter. La manipulation fonctionne, mais le bruit sur l’image obtenue est assez important. En effet, pour avoir une image dans l’IR, il faut utiliser des filtres qui coupent les longueurs d’onde du visible et donc qui absorbent beaucoup de lumière. L’image est alors sombre et peu détaillée. Ainsi, les images planétaires à la Webcam sont acquises avec des focales comprises entre 6 à 12 mètres, cette technique impose de travailler avec des ouvertures extrêmes de N=30 à 60. Certains amateurs ont pris une image infra-rouge de Jupiter ou de la lune (seuls objets assez lumineux pour être enregistrés). Un filtre bloquant le visible étant onéreux, il ne s’est pas imposé dans l’astronomie amateur. Au contraire, les filtres qui arrêtent l’IR permettent d’obtenir des images planétaires plus belles car moins empâtées.

Un filtre économique

Dans les années 80, des magazines d’électronique ont proposé de nombreuses barrières infrarouges (pour prendre des photos proches de petits animaux, oiseaux, rongeurs). Ces déclencheurs comportent souvent une lampe de poche, filtrée par une diapositive sous-exposée, et une photodiode. Le faisceau est invisible par l’animal piégé. Les diapos peuvent-elles aussi servir de filtre IR en astronomie?

Les façonniers de film diapositif utilisent un colorant qui donne un beau noir dans le visible et laisse passer le flux énorme de chaleur dégagé par la plupart des projecteurs de diapositives. Le patient travail des chimistes de ces entreprises nous a fourni un filtre performant à un prix ridicule!

Les années 80 sont loin mais les performances de ces pellicules ont-elles changé depuis 20 ans? Il n’en est rien ! J’ai réalisé le spectre d’absorption d’un de ces films dans le laboratoire de physique où je travaille, entre 300 à 1000 nanomètres. La raideur de la pente au niveau de la coupure autorise l’utilisation d’une seule couche de film, pour réaliser un filtre.

Graphe Kodak Elite-chrome

Fig2: Kodak Elite-chrome

Equipée de ce filtre, une WebCam enregistre une image dans une bande comprise entre 800 et 1000 nanomètres. Le maximum de sensibilité est situé à 900 nm (dans le très proche infrarouge). C’est la caméra et non le filtre, qui coupe le signal au-delà d’un micron de longueur d’onde. Le résultat dépend donc des caméras.

Comment introduire ce filtre dans notre télescope et où l’installer ? Ce « filtre » pour le film 35 mm, est distribué sous un cache de 5 cm de côté ou en bande de 35 mm de large. Une solution pour l’introduire consiste à scier à moitié l’adaptateur qui relie la caméra au télescope. Avec une scie fine, on réalise une fente d’un tiers de millimètre de largeur. Il convient de scier le tube jusqu'à la moitié de son épaisseur. On finit le travail avec de la toile émeri à petits grains. La caméra de faible poids est maintenue par la moitié inférieure de l’adaptateur. L’ensemble garde donc une très bonne rigidité. La fente très fine ne permet pas à l’humidité de pénétrer dans le télescope (un Schimdt-Cassegrain ou une lunette reste presque étanche). La diapositive noire est démontée de son cache et taillée en T avec une paire de ciseaux. Une bande de largeur 15 mm pénètre dans la fente. L’extrémité conservée à la largeur de 35 mm permet une préhension facile, même dans le noir. Aucune vibration ni dépointage ne résulte d’une introduction ou d’un retrait du « filtre ». Même si cette diapo est un peu gondolée, la qualité de l’image ne s’en ressent pas. Le film très mince n’ajoute que peu d’aberrations sur l’image.

Acquisition

Le télescope est en place, la camera est reliée à l’ordinateur. Nous allons faire une première acquisition classique dans le visible, puis une deuxième acquisition dans l’infrarouge. Les grandes planètes gazeuses tournent rapidement (Jupiter: une dizaine d’heures pour un tour). Si vous attendez entre les deux enregistrements de vos films. AVI, la planète aura effectué une rotation visible sur vos images. Le système rudimentaire d’introduction de la diapo a un avantage : il est rapide! Une seconde pour placer ou retirer le filtre. Faites une mise en station correcte. L’image à fort grossissement ne doit pas se décaler, ni quitter le capteur. Il faut une moyenne d’une minute pour enregistrer la première image, une autre pour l’acquisition IR. En trois ou quatre minutes, la planète ne doit pas dériver de plus d’un tiers de l’image. Ce réglage n’est pas draconien, mais s’il est très bien fait les résultats sont meilleurs. Montez votre camera avec son adaptateur, dirigez le télescope approximativement vers l’astre visé, effectuer une rotation de l’adaptateur pour diriger la fente vers le Zénith, c’est important! Le réglage de la mise au point est effectué au dernier moment. On lance l’acquisition. Dès que l’image visible est acquise, il faut glisser le bout de diapositive taillée aux dimensions de la fente, sans bouger le télescope. La diapo est libre dans sa fente, vous avez eu une bonne idée en plaçant la fente vers le haut. La diapo ne risque pas de tomber dans le gazon. Prévoyez quand même plusieurs diapos d’avance par nuit (les diapos ramassées dans la boue ont une transparence franchement moins bonne).

En général l’image est très sombre, voire invisible sur le moniteur de votre ordinateur ; il est souhaitable de parfaire le réglage de luminosité pour avoir une image visible. Les optiques astronomiques ne sont pas corrigées pour l’infrarouge. Le foyer des images « IR » correspond rarement au foyer des images « visible ». La différence est de quelques pour cent de la longueur focale. Puisque vous n’avez rien changé sur votre télescope, votre image infrarouge est légèrement floue. Ce n’est pas tragique car plus tard nous allons devoir rendre cette image encore plus floue.

Saturne et Jupiter, images « IR » brutes.

Fig3: Saturne et Jupiter, images « IR » brutes.

Traitement des images

Chaque astronome ayant ses logiciels fétiches pour accumuler et traiter ses images je n’en imposerai aucun. Il faut traiter les deux films obtenus de façon indépendante. A la fin des deux traitements, vous devez avoir deux images : une très bonne image visible et une image infrarouge la meilleure possible.

Les images acquises en IR ont un faible contraste et ressemblent énormément aux images visibles, en moins détaillées. La vision de ces deux images n’apprend en général, rien de nouveau. C’est la différence entre l’image visible et l’image infrarouge qui nous intéresse, et qui comporte des détails nouveaux. Nous allons amplifier cette différence en retranchant les deux images ou plutôt nous allons additionner une image infrarouge rendue négative.

Eventuellement, on peut écrire un petit logiciel en visual basic, qui effectue ce traitement. Ce n’est pas obligatoire! La plupart des logiciels de traitement d’images à la disposition des amateurs font cette opération très bien. Je citerai Photoshop dans mon exemple, mais vous pouvez bien sûr avoir d’autres préférences. On trouve une littérature importante sur l’utilisation classique du masque flou en astronomie, je renvoie les lecteurs vers les revues d’astronomie qui ont abordées ce sujet. Sur Internet, on trouve avec un moteur de recherche de très bons articles dans ce domaine.

Masque flou InfraRouge

Nous allons ouvrir l’image infrarouge.

Image infrarouge, image infrarouge négative

Fig4: Image infrarouge, image infrarouge négative

Nous rendons floue cette image grâce à notre logiciel de traitement d’images (dans Photoshop, flou Gaussien de valeur 3 à 4). Il est souhaitable de baisser le contraste de la photo à –30 par exemple. Enfin, nous rendons cette image négative, nous sélectionnons l’image et la copions. Nous ouvrons maintenant la photo prise dans le visible : attention, cette photo est en réalité enregistrée dans le visible et l’IR.

Fig5

Nous collons l’image IR négative sur l’image visible. Dans l’addition des deux images, donnons une valeur proche de 50 % à la valeur de la transparence. Nous voyons les deux images superposées. Malgré le soin apporté à ne pas bouger le télescope entre les deux acquisitions, les deux images ne sont pas superposées. Le logiciel qui a composité les deux groupes différents d’images (visible et infrarouge) donne des images décalées, ce qui fait que le contour des détails semble dédoublé. Il faut recentrer l’image négative (calque supérieur) en la déplaçant légèrement. A un moment, l’image « visible - IR » semble plus plate, plus terne, avec moins de détails qu’avant. Vous êtes à la bonne position. Ne déplacer surtout plus l’image du calque supérieur. Nous allons jouer maintenant sur la transparence du calque IR. Ce réglage s’effectue de visu, déplacez le curseur opacité : des détails nouveaux apparaissent. Stabilisez cette position en appliquant la commande : aplatir l’image. L’image est grise, il reste à augmenter le contraste (commande niveau) et le régler sur chaque couches de couleur (rouge, verte, bleu). Vous avez fini ! Vous disposez maintenant d’une image bien contrastée qui doit vous fournir des détails nouveaux. Les traitements successifs construisent des images en fausses couleurs qui peuvent différer sensiblement d’un résultat à l’autre.

Janvier 2003  ( Schmidt-Cassegrain de 203 mm) + Barlow X3

Fig6: Janvier 2003 ( Schmidt-Cassegrain de 203 mm) + Barlow X3, camera Philips Vesta

Suivant la façon dont on traite l’image (valeur de la transparence par exemple), on peut distinguer des détails différents.

Raie du Méthane à 893 nm

Le masque flou IR est particulièrement bien adapté aux planètes gazeuses. En effet celles-ci présentent une absorption, dans une des raies du méthane, raie à 893 nm.

Notre filtre IR combiné a la décroissance rapide des performances du capteur aux grandes longueurs d’ondes nous donne un filtre passe-bande un peu large, calé sur cette raie.

Fig 6a.

Jupiter

Fig7: Jupiter en Mars 2003, image visible, image différence Visible - IR, image IR

IO, Europe

Fig8: Image des satellites Io et Europe, en haut : Visible – IR, en bas visible seul

Saturne

Fig9: Saturne en janvier 2003, C8 + Barlow X3

A gauche image, prise dans le visible, à droite image VISIBLE – IR

Mars

Fig10: Mars août 2003, C8 + Barlow X3