Comment j'ai observé Kohoutek 1-20 par Jack Marling
Par une nuit estivale d'Août 1985, j'observai quelques objets Deep-Sky avec mes amis Bill Faatz and Steve Gottlieb dans notre site californien au ciel noir. Nous sommes ce que l'on peut appeler des acharnés du ciel profond; certains nous qualifient de timbrés.
Bill terminait l'observation des 400 objets de la liste d'Herschel et Steve est l'un des quelques observateurs auxquels on a remis la plaque "Matrix" pour avoir observé plus de 1500 objets du ciel profond (amas d'étoiles, nébuleuses gazeuses et galaxies)... Pour ma part, j'observai des nébuleuses planétaires dont quelques unes très faibles.
Cette nuit-là, Bill admirait les centaines de joyaux étincelants d'un amas globulaire qu'il résolvait jusqu'au centre avec son télescope de 320mm de diamètre. J'avais prévu de
traquer une nébuleuse planétaire très faible appelée DHW 3 d'après ses découvreurs Dengle, Hartl et Weinberger, lesquels l'avaient trouvée quelques années plus tôt, en 1980. DHW 3 avait été découverte photographiquement mais ne l'avait jamais été visuellement.
J'appelai: "Bill, tu veux voir une belle nébuleuse planétaire ?". Il vînt rapidement,
s'attendant à voir une sœur jumelle de M57 ou M76 ou bien peut-être une faible mais jolie réplique de NGC 246. Nous sommes tous les trois membres de l'association des "Trivalley stargazers" et j'utilisai le télescope de 450mm de diamètre du Club sur monture équatoriale avec son secondaire en argent, ce qui donne le pouvoir lumineux d'un 470mm environ.
Bill jeta un œil à travers l'oculaire Nagler de 13mm et demanda: "Où est-elle?". Le champ
apparent de 80° était tel que l'on pouvait s'y perdre ! "Juste à l'Ouest de ces deux étoiles" répondis-je. DHW 3 est une nébuleuse planétaire compacte de 30" de ø (la moitié de celle de la Lyre) avec une magnitude photographique de 15.6. Cependant, elle semblait plus brillante visuellement et était de magnitude visuelle 14.5 environ, pas trop difficile à voir en utilisant le filtre Oxygen III de Lumicon, nouveau à l'époque.
Bill répliqua: "Oh, c'est ce truc là ! Tu m'as appelé simplement pour admirer un voile hyper-faible et très flou ?". "Qu'est-ce qui se passe, Bill?", rétorquais-je. "Tu n'aimes pas participer à l'histoire ?". Nous sommes sûrement les premiers au monde à voir cet objet en direct !" Bill marmonna quelque chose sur son manque d'éclat, que je n'entendis pas complètement. Juste alors, Steve se pointa pour admirer le morceau de choix dont nous parlions. Il avait passé son temps jusqu'ici à observer des galaxies faibles si basses en déclinaison (près de -50°) que le miroir de son Dobson de 330mm était prêt à basculer... Il déclara: "Eh bien, la voilà. Elle est clairement visible en vision indirecte." Bill ajouta: "Oui, elle n'est pas trop difficile à voir. Pourquoi n'en essaierais-tu pas une vraiment très faible ?".
Vexé qu'ils n'apprécient pas la première observation visuelle d'une récente découverte, je me décidai à chercher quelque chose de vraiment difficile. Chez moi, je travaillai alors sur un livre relatif aux nébuleuses planétaires, basé sur des données modernes concernant environ 600 de ces objets. Durant les 10 dernières années, beaucoup de nébuleuses planétaires ont été étudiées par les professionnels qui ont utilisé des photomètres pour mesurer les flux à diverses longueurs d'onde (Hydrogène beta et Oxygène III) facilement reconnues par l'œil humain. D'après ces données, on peut calculer précisément la véritable magnitude visuelle d'un objet en comparant la donnée du flux et la réponse spectrale de l'œil adapté à l'obscurité. J'ai pu en conclure que la plupart des nébuleuses planétaires les plus faibles n'ont pas été vues par les professionnels qui admettaient que leurs télescopes étaient centrés sur l'objet sans être aveuglés par des étoiles proches brillantes. Ainsi est-il possible de savoir à l'avance la vraie magnitude visuelle sans que la nébuleuse ait jamais été observée dans le visible.
"Je vais leur montrer cette fois !". Je sélectionnai la très faible Kohoutek 1-20, localisée dans la constellation d'Andromède, à 50' Nord-Est de la brillante nébuleuse planétaire NGC 7662. Pour K 1-20, je ne pouvais pas simplement mettre un oculaire et dire: "Ca y est, je la vois". Quelques préparatifs étaient nécessaires. Kohoutek 1-20, d'après les catalogues, possède une magnitude photographique de 16.4 selon son découvreur lui-même qui la trouva en 1963 en examinant soigneusement une copie du Palomar Sky Survey. A partir de données photométriques modernes mais incomplètes, je savais qu'elle aurait une magnitude visuelle véritable se situant entre 15.6 et 15.8 selon le flux non-mesuré de l'Oxygène III. Je commençai les préparatifs consciencieusement.
Sur le plan physiologique, j'avais lu quelque part que la vitamine E augmente la sensibilité visuelle en faible lumière, si on accompagnait son absorption par le port de lunettes de soleil. J'avais pris 200 UI de vitamine E quotidiennement depuis Juin et porté des lunettes protectrices chaque fois que je sortais. Je m'assurai aussi un apport de vitamine A nécessaire à la vision du violet la nuit, en veillant cependant à ne pas en prendre en excès sous peine de toxicité, comme pour toutes les vitamines. Entre autres choses, mes yeux seraient en bonne santé, bien qu'il n'était pas prouvé que cela me ferait globalement du bien. De toute façon, la ferme croyance en son effet positif devait m'aider à gagner quelques dixièmes de magnitude de confiance... Quand ma femme Nancy me vit porter des lunettes noires au lit le soir, elle commença à se demander ce qui se passait...
Je passai ensuite aux étapes pré-observationnelles essentielles avant même d'observer à l'oculaire. Je plaçai d'abord K 1-20 à l'encre sur le Sky Atlas 2000.0 de W. Tirion; elle était localisée à environ 1.5° Sud-Est de l'amas ouvert NGC 7686 dans l'Ouest d'Andromède. Ensuite, je remarquai une étoile de la carte juste au Nord de K 1-20, laquelle se trouve à 12h39.20m et +58°12.6". En soustrayant les coordonnées de la nébuleuse planétaire de celles de l'étoile, je m'aperçu qu'elle était localisée à exactement 47' Sud et 12' Est de l'étoile repère de mag. 7.1. D'habitude, ce type d'information est idéal pour centrer un objet faible directement dans l'oculaire en connaissant le vrai champ de vue de ce dernier. Par exemple, un TeleVue grand champ de 24m offre un champ réel de 47' sur le télescope de 450mm de ø à f/4.5 que je comptai utiliser. Ainsi, je n'aurais qu'à trouver l'étoile de mag.7.1, et me déplacer exactement d'un champ d'oculaire vers le Sud et d'un quart de champ vers l'Est.
Cependant cette fois, j'avais besoin d'une aide externe: je copiai une carte de champ (#FC455) du Catalog of True and Possible Central Stars of Planetary Nebulae (Acker et al.). K 1-20 possède une étoile centrale de 20ème magnitude que je ne verrais pas, ce qui en faisait tout de même un élément de ce catalogue. Je disposai ainsi d'une bonne carte grâce à laquelle je pourrais localiser précisément la nébuleuse. Serait-elle visible ? Comme point final de la préparation, je lus l'article d'Alan Mac Robert intitulé "Secrets of Deep-Sky observing" dans le numéro de Sky & Telescope de Septembre 1985 en espérant trouver un truc utile. J'appris qu'un œil bien adapté peut "intégrer" un faible signal lumineux jusqu'à 6 secondes durant. Il me faudrait certainement attendre ce temps-là !
Le Samedi 24 Août, ma femme et moi partîmes sur le site d'observation, moi portant mes lunettes de soleil depuis le début de la journée bien sûr. Je préparai alors la phase finale: un bon somme préliminaire qui me donnerait quelques heures d'adaptation nocturne; bien reposés, les yeux sont beaucoup plus sensibles que fatigués. Enfin il fut l'heure de se lever et alors que je levai les yeux vers le ciel, ce dernier était brillant comme si le jour se levait ! "oh non, j'ai trop dormi. C'est déjà l'aube...". Mais la brillante Voie Lactée au-dessus de moi me murmurait que la nuit n'était pas finie et que seuls mes yeux hypersensibles étaient responsables de ma désillusion.
Rassemblant mes notes et cartes, je trouvai rapidement mon étoile de référence dans le chercheur et centrai le champ de Kohoutek 1-20, en utilisant l'oculaire de 24mm prévu. J'installai le filtre Oxygène III qui offre le plus de contraste grâce à une bande passante étroite et sa sélection unique des raies d'émission de l'oxygène à 496 et 501 nanomètres. Le contraste serait 2 à 3 fois plus important qu'avec n'importe quel autre filtre nébulaire et tous les gains de contraste ne sont pas négligeables lorsque l'on cherche une nébuleuse de 16ème magnitude.
Je couvris ma tête d'un tissu noir pour m'isoler de toute source de lumière parasite éventuelle. Examinant scrupuleusement le champ, je ne vis pas la moindre nébuleuse ! Me référant à la carte de champ en utilisant bien entendu un éclairage rouge faible, pour préserver mon adaptation nocturne, je répétai l'opération; pas de doute ! Je regardai bien à l'endroit exact où elle devait se trouver, mais je ne voyais rien. Un oculaire plus puissant (Nagler 13mm) en réduisant la brillance du fond de ciel pourrait peut-être m'aider; à 150x et avec le filtre, le ciel était d'un noir d'encre mais la nébuleuse s'obstinait à ne pas se montrer. Dernier recours: grignoter un morceau car l'apport de sucre dans le sang est vital pour la vision nocturne. Après quelques fruits secs et une contemplation de 10 minutes de la Voie Lactée pour l'inspiration, je tentai un nouvel essai. Mémorisant sa position par rapport à une paire d'étoiles à l'Est, je m'y fixai: encore une fois, rien... De guerre lasse, je tentai de longues intégrations (5-10 sec) en vision décalée, au-dessus, en dessous puis à côté de l'emplacement réel de la nébuleuse.
Est-ce que quelque chose n'apparaitrait pas là en vision indirecte ? Mais oui ! Plus je regardais, plus l'impression se confirmait. Finalement, je réussis à apercevoir K 1-20 pendant 30 à 50% du temps. Malheureusement, il n'y avait aucun témoin de cette première: Nancy dormait dans la tente dressée près de l'observatoire. A 4 heures du matin ce 25 Août 1985, je devins le premier homme à avoir perçu "de visu" Kohoutek 1-20.
Je dessinai rapidement le champ stellaire. Apparemment, K 1-2O n'était pas visible précédemment du fait de l'éclairage des lampes rouges faibles qui "ruinait" ma vision nocturne; il me fallait attendre 10-15 minutes pour atteindre à nouveau mon maximum de sensibilité. C'était l'objet le plus faible que j'ai jamais vu et j'estimai sa magnitude visuelle à 16.2 à 0.4 mag. près. A quelle faiblesse cela correspondait-il ? Il faudrait au moins 7 fois la luminosité de K 1-20 pour égaler celle de NGC 7317, le membre le plus faible du quintette de Stephan. Bien que cet article illustre un cas extrême, les techniques décrites pour augmenter les chances de voir un objet du ciel profond très faible peuvent être utilisées sur d'autres objets, pas forcément aussi difficiles.
Épilogue: Cette même nuit, considérant K 1-20 comme un ballon d'essai, j'observai 7 autres nébuleuses planétaires de ce type, c'est-à-dire très faibles, mais échouai sur 4 autres spécimens... (Jack Marling)
Conclusion: un amateur sérieux ayant l'accès à un télescope de plus de 400mm de ø peut encore observer des objets (nébuleuses planétaires mais aussi galaxies du UGC ou MCG) qui ne l'ont jamais été visuellement. Pour cela, il faudra suivre les conseils et exemples de cet article à la lettre... Cela dit et ayant pratiqué moi-même ce type de préparation, ce rituel de l'observateur devient assez rapide avec l'expérience et sa lourde procédure devient quasiment une suite de réflexes. (Yann Pothier)
Comment j'ai observé Kohoutek 1-20 par Jack Marling
Par une nuit estivale d'Août 1985, j'observai quelques objets Deep-Sky avec mes amis Bill Faatz and Steve Gottlieb dans notre site californien au ciel noir. Nous sommes ce que l'on peut appeler des acharnés du ciel profond; certains nous qualifient de timbrés.
Bill terminait l'observation des 400 objets de la liste d'Herschel et Steve est l'un des quelques observateurs auxquels on a remis la plaque "Matrix" pour avoir observé plus de 1500 objets du ciel profond (amas d'étoiles, nébuleuses gazeuses et galaxies)... Pour ma part, j'observai des nébuleuses planétaires dont quelques unes très faibles.
Cette nuit-là, Bill admirait les centaines de joyaux étincelants d'un amas globulaire qu'il résolvait jusqu'au centre avec son télescope de 320mm de diamètre. J'avais prévu de
traquer une nébuleuse planétaire très faible appelée DHW 3 d'après ses découvreurs Dengle, Hartl et Weinberger, lesquels l'avaient trouvée quelques années plus tôt, en 1980. DHW 3 avait été découverte photographiquement mais ne l'avait jamais été visuellement.
J'appelai: "Bill, tu veux voir une belle nébuleuse planétaire ?". Il vînt rapidement,
s'attendant à voir une sœur jumelle de M57 ou M76 ou bien peut-être une faible mais jolie réplique de NGC 246. Nous sommes tous les trois membres de l'association des "Trivalley stargazers" et j'utilisai le télescope de 450mm de diamètre du Club sur monture équatoriale avec son secondaire en argent, ce qui donne le pouvoir lumineux d'un 470mm environ.
Bill jeta un œil à travers l'oculaire Nagler de 13mm et demanda: "Où est-elle?". Le champ
apparent de 80° était tel que l'on pouvait s'y perdre ! "Juste à l'Ouest de ces deux étoiles" répondis-je. DHW 3 est une nébuleuse planétaire compacte de 30" de ø (la moitié de celle de la Lyre) avec une magnitude photographique de 15.6. Cependant, elle semblait plus brillante visuellement et était de magnitude visuelle 14.5 environ, pas trop difficile à voir en utilisant le filtre Oxygen III de Lumicon, nouveau à l'époque.
Bill répliqua: "Oh, c'est ce truc là ! Tu m'as appelé simplement pour admirer un voile hyper-faible et très flou ?". "Qu'est-ce qui se passe, Bill?", rétorquais-je. "Tu n'aimes pas participer à l'histoire ?". Nous sommes sûrement les premiers au monde à voir cet objet en direct !" Bill marmonna quelque chose sur son manque d'éclat, que je n'entendis pas complètement. Juste alors, Steve se pointa pour admirer le morceau de choix dont nous parlions. Il avait passé son temps jusqu'ici à observer des galaxies faibles si basses en déclinaison (près de -50°) que le miroir de son Dobson de 330mm était prêt à basculer... Il déclara: "Eh bien, la voilà. Elle est clairement visible en vision indirecte." Bill ajouta: "Oui, elle n'est pas trop difficile à voir. Pourquoi n'en essaierais-tu pas une vraiment très faible ?".
Vexé qu'ils n'apprécient pas la première observation visuelle d'une récente découverte, je me décidai à chercher quelque chose de vraiment difficile. Chez moi, je travaillai alors sur un livre relatif aux nébuleuses planétaires, basé sur des données modernes concernant environ 600 de ces objets. Durant les 10 dernières années, beaucoup de nébuleuses planétaires ont été étudiées par les professionnels qui ont utilisé des photomètres pour mesurer les flux à diverses longueurs d'onde (Hydrogène beta et Oxygène III) facilement reconnues par l'œil humain. D'après ces données, on peut calculer précisément la véritable magnitude visuelle d'un objet en comparant la donnée du flux et la réponse spectrale de l'œil adapté à l'obscurité. J'ai pu en conclure que la plupart des nébuleuses planétaires les plus faibles n'ont pas été vues par les professionnels qui admettaient que leurs télescopes étaient centrés sur l'objet sans être aveuglés par des étoiles proches brillantes. Ainsi est-il possible de savoir à l'avance la vraie magnitude visuelle sans que la nébuleuse ait jamais été observée dans le visible.
"Je vais leur montrer cette fois !". Je sélectionnai la très faible Kohoutek 1-20, localisée dans la constellation d'Andromède, à 50' Nord-Est de la brillante nébuleuse planétaire NGC 7662. Pour K 1-20, je ne pouvais pas simplement mettre un oculaire et dire: "Ca y est, je la vois". Quelques préparatifs étaient nécessaires. Kohoutek 1-20, d'après les catalogues, possède une magnitude photographique de 16.4 selon son découvreur lui-même qui la trouva en 1963 en examinant soigneusement une copie du Palomar Sky Survey. A partir de données photométriques modernes mais incomplètes, je savais qu'elle aurait une magnitude visuelle véritable se situant entre 15.6 et 15.8 selon le flux non-mesuré de l'Oxygène III. Je commençai les préparatifs consciencieusement.
Sur le plan physiologique, j'avais lu quelque part que la vitamine E augmente la sensibilité visuelle en faible lumière, si on accompagnait son absorption par le port de lunettes de soleil. J'avais pris 200 UI de vitamine E quotidiennement depuis Juin et porté des lunettes protectrices chaque fois que je sortais. Je m'assurai aussi un apport de vitamine A nécessaire à la vision du violet la nuit, en veillant cependant à ne pas en prendre en excès sous peine de toxicité, comme pour toutes les vitamines. Entre autres choses, mes yeux seraient en bonne santé, bien qu'il n'était pas prouvé que cela me ferait globalement du bien. De toute façon, la ferme croyance en son effet positif devait m'aider à gagner quelques dixièmes de magnitude de confiance... Quand ma femme Nancy me vit porter des lunettes noires au lit le soir, elle commença à se demander ce qui se passait...
Je passai ensuite aux étapes pré-observationnelles essentielles avant même d'observer à l'oculaire. Je plaçai d'abord K 1-20 à l'encre sur le Sky Atlas 2000.0 de W. Tirion; elle était localisée à environ 1.5° Sud-Est de l'amas ouvert NGC 7686 dans l'Ouest d'Andromède. Ensuite, je remarquai une étoile de la carte juste au Nord de K 1-20, laquelle se trouve à 12h39.20m et +58°12.6". En soustrayant les coordonnées de la nébuleuse planétaire de celles de l'étoile, je m'aperçu qu'elle était localisée à exactement 47' Sud et 12' Est de l'étoile repère de mag. 7.1. D'habitude, ce type d'information est idéal pour centrer un objet faible directement dans l'oculaire en connaissant le vrai champ de vue de ce dernier. Par exemple, un TeleVue grand champ de 24m offre un champ réel de 47' sur le télescope de 450mm de ø à f/4.5 que je comptai utiliser. Ainsi, je n'aurais qu'à trouver l'étoile de mag.7.1, et me déplacer exactement d'un champ d'oculaire vers le Sud et d'un quart de champ vers l'Est.
Cependant cette fois, j'avais besoin d'une aide externe: je copiai une carte de champ (#FC455) du Catalog of True and Possible Central Stars of Planetary Nebulae (Acker et al.). K 1-20 possède une étoile centrale de 20ème magnitude que je ne verrais pas, ce qui en faisait tout de même un élément de ce catalogue. Je disposai ainsi d'une bonne carte grâce à laquelle je pourrais localiser précisément la nébuleuse. Serait-elle visible ? Comme point final de la préparation, je lus l'article d'Alan Mac Robert intitulé "Secrets of Deep-Sky observing" dans le numéro de Sky & Telescope de Septembre 1985 en espérant trouver un truc utile. J'appris qu'un œil bien adapté peut "intégrer" un faible signal lumineux jusqu'à 6 secondes durant. Il me faudrait certainement attendre ce temps-là !
Le Samedi 24 Août, ma femme et moi partîmes sur le site d'observation, moi portant mes lunettes de soleil depuis le début de la journée bien sûr. Je préparai alors la phase finale: un bon somme préliminaire qui me donnerait quelques heures d'adaptation nocturne; bien reposés, les yeux sont beaucoup plus sensibles que fatigués. Enfin il fut l'heure de se lever et alors que je levai les yeux vers le ciel, ce dernier était brillant comme si le jour se levait ! "oh non, j'ai trop dormi. C'est déjà l'aube...". Mais la brillante Voie Lactée au-dessus de moi me murmurait que la nuit n'était pas finie et que seuls mes yeux hypersensibles étaient responsables de ma désillusion.
Rassemblant mes notes et cartes, je trouvai rapidement mon étoile de référence dans le chercheur et centrai le champ de Kohoutek 1-20, en utilisant l'oculaire de 24mm prévu. J'installai le filtre Oxygène III qui offre le plus de contraste grâce à une bande passante étroite et sa sélection unique des raies d'émission de l'oxygène à 496 et 501 nanomètres. Le contraste serait 2 à 3 fois plus important qu'avec n'importe quel autre filtre nébulaire et tous les gains de contraste ne sont pas négligeables lorsque l'on cherche une nébuleuse de 16ème magnitude.
Je couvris ma tête d'un tissu noir pour m'isoler de toute source de lumière parasite éventuelle. Examinant scrupuleusement le champ, je ne vis pas la moindre nébuleuse ! Me référant à la carte de champ en utilisant bien entendu un éclairage rouge faible, pour préserver mon adaptation nocturne, je répétai l'opération; pas de doute ! Je regardai bien à l'endroit exact où elle devait se trouver, mais je ne voyais rien. Un oculaire plus puissant (Nagler 13mm) en réduisant la brillance du fond de ciel pourrait peut-être m'aider; à 150x et avec le filtre, le ciel était d'un noir d'encre mais la nébuleuse s'obstinait à ne pas se montrer. Dernier recours: grignoter un morceau car l'apport de sucre dans le sang est vital pour la vision nocturne. Après quelques fruits secs et une contemplation de 10 minutes de la Voie Lactée pour l'inspiration, je tentai un nouvel essai. Mémorisant sa position par rapport à une paire d'étoiles à l'Est, je m'y fixai: encore une fois, rien... De guerre lasse, je tentai de longues intégrations (5-10 sec) en vision décalée, au-dessus, en dessous puis à côté de l'emplacement réel de la nébuleuse.
Est-ce que quelque chose n'apparaitrait pas là en vision indirecte ? Mais oui ! Plus je regardais, plus l'impression se confirmait. Finalement, je réussis à apercevoir K 1-20 pendant 30 à 50% du temps. Malheureusement, il n'y avait aucun témoin de cette première: Nancy dormait dans la tente dressée près de l'observatoire. A 4 heures du matin ce 25 Août 1985, je devins le premier homme à avoir perçu "de visu" Kohoutek 1-20.
Je dessinai rapidement le champ stellaire. Apparemment, K 1-2O n'était pas visible précédemment du fait de l'éclairage des lampes rouges faibles qui "ruinait" ma vision nocturne; il me fallait attendre 10-15 minutes pour atteindre à nouveau mon maximum de sensibilité. C'était l'objet le plus faible que j'ai jamais vu et j'estimai sa magnitude visuelle à 16.2 à 0.4 mag. près. A quelle faiblesse cela correspondait-il ? Il faudrait au moins 7 fois la luminosité de K 1-20 pour égaler celle de NGC 7317, le membre le plus faible du quintette de Stephan. Bien que cet article illustre un cas extrême, les techniques décrites pour augmenter les chances de voir un objet du ciel profond très faible peuvent être utilisées sur d'autres objets, pas forcément aussi difficiles.
Épilogue: Cette même nuit, considérant K 1-20 comme un ballon d'essai, j'observai 7 autres nébuleuses planétaires de ce type, c'est-à-dire très faibles, mais échouai sur 4 autres spécimens... (Jack Marling)
Conclusion: un amateur sérieux ayant l'accès à un télescope de plus de 400mm de ø peut encore observer des objets (nébuleuses planétaires mais aussi galaxies du UGC ou MCG) qui ne l'ont jamais été visuellement. Pour cela, il faudra suivre les conseils et exemples de cet article à la lettre... Cela dit et ayant pratiqué moi-même ce type de préparation, ce rituel de l'observateur devient assez rapide avec l'expérience et sa lourde procédure devient quasiment une suite de réflexes. (Yann Pothier)