NOTE: Pour les images en ANIMATION gif présent dans le document, il est souhaitable de varier la BRILLANCE et le CONTRASTE de votre écran d'ordinateur afin de mieux faire ressortir les astéroïdes faibles.


Observation de la plus grosse comète connue: (2060) Chiron

Par Denis Bergeron

Image de l'auteur

Introduction

Vous connaissez l'astéroïde (2060) Chiron? Probablement pas! En effet, bien peu d'astronomes amateurs peuvent se vanter d'avoir entendu parler de cet objet et encore moins de l'avoir observé puisqu'il s'agit d'un objet extrêmement lointain et faible. Pourtant, cet objet présente un très grand intérêt scientifique pour les astronomes puisqu'il pourrait s'agir, en réalité, de la plus grande comète connue et nous apporter des précisions sur des objets célestes situés au confin de notre système solaire.

Orbite de Chiron

 

Données du National Space Science Data Center (NSSDC )

Date du périhélie:

14 Février 1996, 18:06 TU

Distance du périhélie:

8.4639422 UA

Date d'opposition du périhélie:

1 Avril 1996 (Au plus proche de la Terre)

Période orbitale:

50.7 ans

Excentricité:

0.3831118

Inclinaison:

6.93540°

Demi grand axe:

~13.70354 UA

Aphélie:

~18.94314 UA

Masse:

2 x 1018 à 19; kg

Diamètre

148 à 208 km

Période de rotation:

~5.9 heures

Classification d'Astéroïde:

Type B

Découvreur:

Charles Kowal

Date de découverte:

01 Novembre 1977 (Sur une plaque photographique prise le 18 Octobre)

Éléments orbitaux

Cadre de référence B1950.0, Époque 2450100.5 (17 Janvier 1996)

Demi grand axe:

13.7053530 UA

Excentricité:

0.3831649

Inclinaison:

6.93524°

Longitude du nœud ascendant:

208.65735°

Longitude du périhélie:

339.58061°

Anomalie moyenne:

359.46170°


Découverte récemment en 1977 par l'astronome Charles Kowal, on croyait qu'il s'agissait alors d'un astéroïde comme des milliers d'autres. On l'avait baptisé 2060 Chiron. Les instruments de l'époque ainsi que les techniques n'étaient pas au point pour suivre et étudier un astre aussi faible jusqu'à ce que des études plus poussées de son orbite aient révélé qu'il s'agissait d'un astre complètement différent des astéroïdes classiques comme on peut en juger par ses éléments orbitaux. Sa période orbitale de presque 51 ans, l'excentricité de son orbite, sa distance au périhélie sont totalement incompatible avec ce que l'on retrouve chez les astéroïdes classiques.

Tout le monde sait que notre système solaire est composé de neuf planètes principales et que des milliers d'astéroïdes gravitent principalement entre Mars et Jupiter. Certains d'entre eux ont parfois des orbites très excentriques qui les font passer beaucoup plus près du Soleil et parfois même très près de la Terre. Certaines théories semblent laisser croire aussi qu'il doit exister très loin aux confins de notre système solaire un vaste réservoir (réservoir d'Oort) d'où proviendraient les comètes que l'on observe de temps à autre. Cependant, au cours des années 80, les recherches sur les comètes à courtes périodes ont semblé démontrer qu'il devrait exister une autre ceinture située un peu plus loin que l'orbite de Neptune (36 UA) et qui s'étendrait au-delà de l'orbite de Pluton mais bien plus près que le réservoir d'Oort. Cette ceinture a été nommée «ceinture de Kuiper» tel que suggéré par l'astronome Gérard Kuiper en 1951.

En 1992, un objet très lointain de magnitude +22 a été découvert. Sa distance fut évaluée comme étant plus grande que celle de la planète Pluton. On l'a surnommé 1992QB1. En 1993, un autre objet identique, 1993FW, fut également découvert. En 1995, on dénombrait une vingtaine d'objets de ce type. Les astronomes estiment qu'il existe au moins 10000 objets de type QB1 mais que leur détection est très difficile à cause de leur très grande distance et leur faible luminosité. Le diamètre de ces objets devrait atteindre 100 à 300 km mais on est certain qu'il y en a des plus gros.

Les astronomes croient que certains de ces objets ont pu subir l'influence de planètes géantes comme Neptune, Uranus ou Saturne au cours des millénaires et que leur orbite se soit formée de manière à les rapprocher beaucoup plus près du Soleil que les autres. Les comètes à courtes périodes en seraient un exemple mais aussi certains astres auraient pu se former une orbite moins excentrique et se mettre à tourner autour du Soleil un peu à la manière de certains astéroïdes. On croit que Chiron serait un de ces astres.

Grâce à l'évolution des caméras CCD et des techniques d'observation, on a découvert que Chiron ne correspondait aucunement au profil d'un astéroïde classique mais plutôt à une comète. En 1988, on a décelé la présence d'une chevelure (coma) autour du noyau et l'observation a démontré que cette chevelure varie en diamètre et en intensité. On a déjà observé à certaines occasions que le diamètre de la chevelure mesurait 5 minutes d'arc soit 4 fois la distance Terre-Lune. Cette chevelure n'est cependant pas toujours visible et dans certains cas elle était carrément absente.

Image montrant la coma autour de Chiron

En 1993, le télescope spatial Hubble a confirmé l'évidence d'une atmosphère de gaz et de poussières. Le mécanisme de formation des gaz est encore difficile à évaluer mais il pourrait s'agir d'évaporation de glace à la surface composée de monoxyde de carbone (CO), méthane (CH4) ou d'azote (N2). Une autre théorie voudrait que les gaz, poussières et particules de glace qui forment le coma autour de Chiron pourraient s'apparenter aux geysers observés par la sonde Voyager 2 sur Triton (satellite de Neptune).

Le diamètre estimé de Chiron avoisine 200 km soit environ 25 fois celui de la comète de Halley ou la taille de l'état du New-Hampshire. Son orbite, très instable, croise celle des planètes Uranus et Neptune. Ses éléments orbitaux changent continuellement. Pour l'instant, sa période de révolution est estimée à 50,7 ans et son dernier passage au périhélie remonterait à 1945.

Chiron a atteint le périhélie (point le plus proche du Soleil) le 14 février 1996 à une distance de 8,5 UA du Soleil. À ce moment là, Chiron était beaucoup plus proche du Soleil que ne l'était la planète Saturne. Le 1er avril 1996, Chiron a atteint son point le plus rapproché de la Terre. Il faudra attendre l'an 2047 pour qu'une telle occasion se présente à nouveau. Il fallait cependant sauter sur cette occasion unique d'observer cet astre, réfugié de la ceinture de Kuiper. D'ailleurs, c'est pour cette raison qu'une centaine d'astronomes professionnels répartis dans le monde ont formé le groupe "Chiron Perihelion Campaign" ou CPC dont la tâche était d'en apprendre le plus sur son diamètre réel, sa composition, la composition chimique de sa chevelure, son orbite, le mécanisme de formation de la chevelure, etc.

Le groupe CPC a opéré durant trois années soit de 1995 à 1997 inclusivement. Plusieurs des meilleurs instruments au monde, y compris le télescope spatial Hubble, furent mis à contribution. Ceux qui ont adhéré au projet ont eu la joie de partager cette fantastique aventure avec d'autres astronomes répartis à travers le monde grâce au babillard électronique du groupe CPC. Ce babillard comprenait des éphémérides, des conseils techniques, des rapports d'observation, d'autres adresses Internet et quelques résultats.

Ce groupe sollicitait aussi l'appui des astronomes amateurs équipés de caméras CCD et de télescopes de 20 cm et plus afin de photographier Chiron à longue exposition avec ou sans filtre et de noter toute présence de coma. Ceux dont les caméras CCD étaient équipées du mode "Track and Accumulate" devaient centrer leur étoile de référence sur Chiron.

Pour repérer celle-ci, il fallait en premier lieu introduire les coordonnées célestes de Chiron que l'on retrouvait dans les éphémérides selon notre date et heure d'observation dans un logiciel qui possède la base d'étoiles du Guide Star Catalog. Les logiciels Guide, TheSky, Prism, etc pour n'en nommer que quelques uns étaient excellents pour ce genre de travail. Il suffisait de localiser Chiron dans le champ d'étoiles et de centrer ce même champ dans notre caméra CCD puis de procéder à la prise des images.

Cependant, la formation de la chevelure autour de Chiron était imprévisible et pouvait nous apporter bien des surprises. Comme celle-ci s'approchait du périhélie au cours des prochains mois, c'était une bonne occasion de relever le défi et d'aider les professionnels dans leur projet. Chiron était bien placée pour les deux prochaines années. Sa magnitude se situait autour de +15.0 alors qu'elle était hors de portée des instruments d'amateurs les années précédentes. Au CCD, on la voyait très bien et elle était très facile à suivre.

Image de chironPersonnellement, j'ai pu photographiér Chiron à plusieurs reprises en prenant une trentaine d'images individuelles (mode Autograb) exposée chacune durant 5 minutes. Puis, dans un autre temps, j'additionnais mes meilleures images à l'aide du logiciel PRISM en prenant soin de centrer mon étoile de référence sur Chiron. Ensuite, j'essayais de repérer la fameuse chevelure en utilisant les différents outils de visualisation du logiciel Prism. J'effectuais en plus des mesures astrométriques et photométriques précises grâce à l'excellent logiciel Astrometrica de Herbert Raab . Ces mesures étaient envoyés au groupe CPC, au MPC et à Patrick Vanouplines.

Image de chironL'image ci-haut prise dans la nuit du 02 au 03 avril 1995 montre le déplacement de Chiron ainsi qu'un astéroïde (en haut à gauche) dans un délai de 04h30. Remarquez que le déplacement de Chiron est beaucoup moins grand que celui de l'astéroïde. Cela s'explique par le fait que Chiron est beaucoup plus loin que cet astéroïde. L'image de droite qui est l'image résultante de l'addition de 37 images exposées chacune durant 5 minutes de temps centrée sur Chiron montre que l'astre ne montre aucune chevelure (coma) autour du noyau.. A cette occasion, une caméra CCD SBIG ST-4 autoguidait mon télescope Meade 25 cm F10 alors que ma caméra CCD SBIG ST-6 photographiait Chiron au foyer de mon télescope. J'utilisais une lentille réductrice de focale qui réduisait mon rapport focal de f/10 à f/5.

Animation montrant le déplacement de Chiron et d'un astéroïde dans le cielFinalement, l'animation de gauche montre le déplacement de Chiron (va et vient) vers la droite du centre de l'image mais aussi vous remarquerez le déplacement d'un astéroïde de faible magnitude en haut à gauche. Les deux images qui forment ce fichier d'animation ont été prises dans la nuit du 02 au 03 avril 1995. Il y a une différence de temps de 30 minutes entre les deux images.

L'analyse de mes images CCD ainsi que celles prises par les autres astronomes amateurs ayant participés au projet n'a pas permis de déceler la présence de chevelure évidente autour de Chiron. A ma grande surprise, j'ai été l'un des rares astronomes amateurs dans le monde entier à avoir participé à ce projet international et j'ai reçu plusieurs messages de professionnels me félicitant de la qualité de mes images. D'ailleurs l'éditeur en chef de la prestigieuse revue américaine «Astronomy» m'avait envoyé un message me demandant la permission de diffuser quelques-unes de mes images dans un article sur la photographie de Chiron qui est paru dans un numéro subséquent.

Conclusion

Image de chironEn conclusion, ma participation à ce projet international sur Chiron avec des professionnels m'a permis de découvrir un nouvel astéroïde baptisé par le Minor Planet Center (MPC) : 1995FC21. Cet événement unique m'a permis d'établir des liens avec un astronome de Belgique (Patrick Vanouplines) qui est celui qui a eu la brillante idée de vérifier avec l'ordinateur central du MPC les positions des astéroïdes que je lui avais signalés sur mes images CCD de Chiron. Ce fut aussi grâce à ce projet que j'ai fait mes premières armes en astrométrie (mesures précises de position) et que par la suite un projet de mesure astrométriques de la comète 58P/Jackson-Neujmin m'a permis de découvrir un second astéroïde baptisée par l'équipe du MPC : 1995SB5.

Je tiens personnellement à remercier mes collègues Patrick Vanouplines , l'équipe du CPC et le Dr Brian Marsden du Minor Planet Center pour leur excellente collaboration dans le projet Chiron et la découverte des nouveaux astéroïdes : 1995FC21 et 1995SB5.

On pourra aussi consulter mes rapports et images d'observations sur Chiron et de l'astéroïde 1995FC21 aux endroits suivants:

http://www.vub.ac.be/STER/www.astro/chinews.htm
http://www.vub.ac.be/STER/www.astro/chihp.htm
http://nssdc.gsfc.nasa.gov/planetary/chiron/chiron_images.html
http://www.vub.ac.be/STER/www.astro/chimages.htm

Ceux équipés de caméras CCD et de bons instruments sont encouragés à essayer ce genre de projet de collaboration entre astronomes amateurs et astronomes professionnels. Les amateurs sont parmi les plus sollicités pour soutenir les efforts des professionnels au niveau des mesures astrométriques d'astéroïdes, comètes, étoiles variables, novae et supernovae. Plusieurs excellents logiciels d'astrométrie sont maintenant disponible sur le marché. Grâce à la technologie des caméras CCD et de l'informatique, n'importe quel astronome amateur qu'il soit en ville ou à la campagne peut participer à ce genre de collaboration. L'astrométrie est très en demande et très facile à réaliser.

Denis Bergeron

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