Eclipse totale du soleil 26 février 1979

Lundi, le 26 février 1979, vers 10h42 CST (central standard time) avait lieu dans la partie nord-ouest de l'Amérique du Nord, la dernière éclipse totale du Soleil visible sous nos latitudes. Pour l'occasion, une quinzaine d'astronomes amateurs du Québec s'était donné rendez-vous au Manitoba pour l'observer. Parmi les participants, il y avait les vétérans qui sont demeurés actifs en astronomie au Québec comme Michel Rebetez, Pierre Arpin, André Coulombe, Michel Dionne, Maurice Provencher, André Paul et moi-même (Denis Bergeron). A cette époque Paul Houde (devenu maintenant animateur et vedette de notre télévision nationale) nous accompagnait. Nous avions aussi M. René Verseau qui venait de la France. La plupart d'entre nous avions planifié de prendre des photos de l'éclipse avec nos instruments.

Pour la plupart des membres du groupe, nous nous étions donnés rendez-vous dans un hotel de Winnipeg, samedi le 24 février 1979. Personnellement, j'étais accompagné de Maurice Provencher. Nous avions pris l'avion à Dorval dans la matinée de samedi et nous sommes arrivés à Winnipeg (Manitoba) au milieu de l'après-midi. Michel Rebetez était déjà sur place. Nous avions loué deux petites vannettes pour nous transporter. L'une servait à transporter nos nombreux instruments et l'autre servait au transport des participants. Moi, j'avais apporté mon télescope Dynamax Schmidt-Cassegrain 20cm F10 avec plusieurs appareils photos 35mm en plus d'une plate-forme motorisé muni d'une ciné-caméra 8mm. Notre ami Michel Rebetez était très nerveux et anxieux car il n'avait toujours pas reçu son télescope qu'il avait pourtant expédié par train plusieurs semaines auparavant. Heureusement, il l'a reçu à la toute dernière minute à la fin de l'après-midi le samedi.

Vers 20h 00, tout les participants étaient arrivés avec leurs instruments et nous avons fait le point. Les conditions météos annonçaient une tempête de neige dimanche et on annonçait également un ciel nuageux pour lundi, jour de l'éclipse. Malgré ces perspectives peu encourageantes, nous gardions un bon moral. Dimanche, le 25 février 1979, nous nous sommes réveillés sous la tempête de neige qui faisait rage partout dans la province du Manitoba. L'hotel était pleine à craquer de touristes et d'astronomes provenant du monde entier. Plusieurs scientifiques de différentes disciplines se retrouvaient aussi parmi nous. L'éclipse attirait énormément de monde et on en parlait partout à la radio, télévision, et dans les journaux. La durée de la totalité n'était que de 2mn 51 sec.

Cependant, tout le monde se demandait si les conditions météos seraient plus favorables le lendemain, jour de l'éclipse. Nous écoutions tous la télévision et les prévisions météos étaient très défavorables voire décourageantes. Vers 16h, une équipe de météorologistes nous ont présentés les dernières prévisions qui mentionnaient qu'il nous restait environ 1% de chance de pouvoir observer l'éclipse à travers un ciel nuageux mais au North Dakota aux USA. Nous étions tous déçus et découragés mais comme nous étions des astronomes et que la météo nous réserve parfois des surprises, nous avons tous convenu de tenter notre chance et de nous diriger vers le sud-ouest du Manitoba près de la frontière Canada-USA.

Nous avions tous chargé nos instruments dans les vannettes et moi j'accompagnais Paul Houde dans la vannette des instruments. Nous sommes partis dans la tempête vers 17h en direction de Brandon (Manitoba). Nous avions environ 4 heures de route à faire dans la tempête de neige et la poudrerie.
 

Un MIRACLE est arrivé

Durant le transport, je regardais de temps à autre le ciel et à ma grande surprise, il me semblait apercevoir quelques étoiles. Je disais à Paul Houde que je pensais rêver. Plus nous avançions vers Brandon, plus je m'aperçevais que je voyais encore plus d'étoiles. J'ai baissé ma fenêtre et je me suis écrié "PAUL, il y a plein d'étoiles!!!". Je voyais même une belle aurore boréale au nord.

Nous nous sommes arrêtés sur le bord de l'autoroute afin d'observer l'aurore. Notre collègue français jubilait de voir cette aurore. En France, il est très rare de voir des aurores boréales. Il avait décidé de s'installer pour la photographier et nous avons tous fait de même. Le ciel semblait de plus en plus se dégager. On décelait beaucoup de constellations et la Voie lactée était resplendissante quoique légèrement voilée. Notre espoir et notre bonne humeur renaissait. Nous étions une quinzaine de personnes installées sur le bord de l'autoroute à photographier l'aurore. Nous avons eu la visite de la police qui se demandait bien ce que nous faisions. Nous en avons profité pour pratiquer notre anglais et à donner un cours d'astronomie aux policiers.

Nous avons poursuivi notre route et arrivé à Brandon, nous avons décidé de faire le point dans un restaurant. Il était 22h le soir et le ciel était partiellement dégagé contrairement aux prévisions météorologiques. Comme il fallait passer la frontière avant minuit et comme il fallait tout enregistrer nos instruments aux douanes, nous avons convenu de nous chercher un hotel dans un petit village situé près du centre de la bande de totalité et près de la frontière. Nous avions choisi le village de MELITA (Manitoba). Nous sommes arrivés à Melita vers 02h30. Comme tous les hotels étaient fermés car c'était hors saison, nous avons dû réveiller le propriétaire qui accepta gentiment de nous ouvrir son hotel. Nous lui avons donné un très bon pourboire pour son hospitalité et nous l'avons invité à venir observer l'éclipse avec nous. Au moment où nous nous installions, d'autres astronomes étrangers se sont joint à nous pour résider à cet hotel au grand plaisir du propriétaire.

Le moment tant attendu

Nous n'avions pas encore décidé où nous étions pour aller observer. Cela dépendait des conditions météos. Nous avons convenus de nous coucher et de se lever très tôt. Vers 04h du matin, le ciel était clair mais légèrement voilé. Les conditions météos nous donnait 50% de possibilités de chance de ciel clair. Nous avons convenu de s'installer directement dans le stationnement de l'hotel à Melita. Moi et Michel Rebetez avons installé nos télescopes et nous les avions alignés sur le pôle nord céleste car nous planifions photographier l'éclipse au foyer primaire. Nous étions très excité.

Vers 08h du matin, le ciel demeurait clair mais légèrement voilé. Tous et chacun étions à préparer nos instruments.

   

Vers 9h, la tension devenait de plus en plus forte. L'éclipse devait commencer vers 09h30 CST et la totalité était prévu vers 10h42 CST. Le paysage autour de nous était comme une mer gelée recouverte de neige blanche puisque le sud du Manitoba est composé de plaines à perte de vue. Il y avait quelques fermes avec des vaches à l'extérieure. La température extérieure était d'environ -15°C. Le propriétaire de l'hotel avait un chien qui se promenait autour de nous. A la télévision, on voyait l'éclipse qui commençait à l'ouest.

Vers 09h30, la lune commençait son passage devant le Soleil soit la phase partielle. L'apparence du Soleil présentait très peu de taches. A mesure que la lune s'avançait sur le Soleil, on remarquait la diminution de l'intensité lumineuse sur l'environnement. Lorsque la lune cachait 50% du disque solaire, on sentait une drôle d'impression. Vers 80% de couverture du Soleil, le chien du propriétaire s'est mis à s'affoler au point où celui-ci a été obligé de le faire entrer dans le domicile. A la télévision, on voyait les premières images de la totalité où on voyait deux grosses protubérances importantes. A ce moment la tension devenait très élevée. On voyait les oiseaux aller se coucher et les vaches des fermes voisinnes se diriger vers l'étable. Il faisait de plus en plus sombre. Vers la phase 95%, tout le monde était mobilisé. On sentait une impression de ténèbres et un certain "effet de peur" qu'ont dû ressentir les anciens.

A la phase 99%, la tension était à son paroxisme. On aperçevait à l'ouest une teinte rougeâtre à l'horizon et la lumière était très tamisée. Le ciel était d'un bleu-violet et on apercevait les planètes Vénus, Mars et Mercure à l'oeil nu disposés de chaque côté du Soleil. Le Soleil était à environ 26° d'altitude au-dessus de l'horizon sud-est dans la constellation du Verseau.  A quelques secondes avant la totalité, nous avons observé le cône d'ombre qui balayait le paysage de l'ouest vers l'est à une vitesse fulgurante. Tout à coup, nous nous sommes retrouvés complètement dans l'ombre. On voyait le Soleil à l'oeil nu comme une grosse tache noire entouré d'un halo (couronne solaire). C'était le moment tant attendu. Tout le monde criait leurs impressions (WOW!, PAS CROYABLE, PAS POSSIBLE, etc).

En premier lieu, l'apparition des "grains de Bailey" et le fameux "diamond ring" sont apparus lorsque les derniers rayons solaires passaient entre les montagnes situées sur le limbe de la lune. J'ai enlevé le filtre solaire placé devant  mon télescope et j'ai regardé à travers le viseur de mon appareil photo. Le spectacle était incroyable. Je voyais la chromosphère pourpre avec deux importantes protubérances (visibles à l'oeil nu) situé à la position 8h et 10h entouré d'un halo (couronne solaire) avec de fines aigrettes. La couronne faisait une auréole diposée régulièrement autour du Soleil. L'horizon était d'un rouge crépuscule. On voyait facilement les planètes et les étoiles. Un des plus beau spectacle de la nature.

A mesure que la lune avancait devant le Soleil, on voyait d'autres protubérances apparaître de l'autre côté du Soleil. La durée de la totalité a l'endroit où nous étions était de 2mn 47 sec. Les images ci-haut témoignent de la beauté du phénomène mais malheureusement ne reflètent pas le sentiment de vivre un tel événement dans la nature et la vraie réalité. Tout au long de la totalité, j'ai pris une dizaine de poses en changeant ma bague d'exposition de 1/500 sec à 4 secondes. Ainsi, j'ai pu capter la chromosphère pourpre, les protubérances pour finir avec la couronne solaire. Le diamètre apparent de la lune (environ 33.3' minute d'arc) était légèrement supérieur à celui du Soleil soit environ 32.3' (minute d'arc). La dimension de la protubérance la plus grosse situé à la position 8h avoisinait 12 fois le diamètre terrestre (160 000km) alors que l'autre située à la position 10h faisait environ 3 diamètres terrestres (75 000km).

A la fin de la totalité, les "grains de Bailey" suivi d'un autre "diamand ring" marquait la fin du spectacle. Nous avons tous crié et applaudi. Nous avons suivi la sortie de la lune devant le Soleil et la fin de cette fameuse éclipse. Notre ami français a sorti sa fameuse bouteille de champagne qu'il gardait secrêtement pour fêter l'événement et nous avons tous festoyé à notre retour.  Le lendemain, mardi le 27 février 1979, nous avons pris l'avion et nous sommes tous revenu au Québec avec une très grande satisfaction. Ce spectacle nous restera tous gravé dans nos mémoires.

Si jamais vous avez un jour la chance d'aller observer une éclipse totale de Soleil, vous vivrez l'un des plus beaux spectacles de la nature.

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