Cet article est une version texte de la présentation faite lors du
|
L'interférométrie des tavelures avec un télescope d'amateur: pourquoi pas ?
Cette communication montre comment les méthodes de l'interférométrie permettent l'obtention routinière de mesures de qualité avec un télescope d'amateur. Elle est illustrée par la mise en oeuvre d'un instrument de 410 mm de diamètre dédié à la mesure d'étoiles doubles et met en évidence les aspects pratiques les plus importants. Les résultats d'une campagne de 1000 mesures sont brièvement discutés.
Dans le cadre des solutions utilisées au cours de cette campagne, l'accent est mis sur la nouvelle version du logiciel Reduc qui inclut maintenant les techniques de réduction des mesures interférométriques. Cette version sera disponible publiquement après le meeting.
Speckle Interferometry with mid-sized amateur telescope: why not?
This talk shows how using interferometry methods provides routinely accurate measurements with a mid-sized amateur telescope. It is illustrated by the implementation of a homemade 410mm telescope dedicated to double stars measurements and highlights the most important practical tips. The results of a 1000 measurements campaign are briefly discussed.
As a part of the solutions used during this campaign, a focus is made on the new version of Reduc software now including interferometry reduction routines. This version will be released to the public after the meeting.
Interferometría con un telescopio amateur: ¿por qué no?
Esta comunicación muestra cómo los métodos de interferometría permiten la obtención rutinaria de medidas de calidad con un telescopio amateur. Este hecho se ilustra mediante el uso de un instrumento de 410 mm de diámetro dedicado a la medición de estrellas dobles y se resaltan los aspectos prácticos más importantes. Los resultados de una campaña de 1000 medidas son brevemente discutidos.
Como parte de las soluciones utilizadas en el curso de esta campaña, es remarcable la nueva versión del programa Reduc que ahora incluye técnicas de reducción de medidas interferométricas. Esta versión estará disponible públicamente después del meeting.
L'interférométrie des tavelures est depuis longtemps l'un des outils préférés des professionnels pour mesurer les étoiles doubles. De très rares amateurs utilisent cette technique lors de missions dans des observatoires mais aucun ne semble s'en servir de façon routinière avec une instrumentation 'classique' d'amateur.
On peut distinguer deux grandes classes parmi les instruments mis en oeuvre quotidiennement par les amateurs:
La frontière entre les deux catégories dépend évidemment des conditions d'observation, elle se situe généralement aux environs de 20 à 30 cm de diamètre.
Lorsque la turbulence limite la résolution, l'imagerie classique échoue à fournir des images mesurables des couples serrés. L'interférométrie des tavelures apporte t'elle alors une solution aux amateurs comme elle le fait sur les grands instruments ? La réponse est oui. Le but de cette discussion est de vous faire partager d'un point de vue résolument pratique le cheminement qui justifie cette réponse.
René Gili utilise une caméra très performante sur le réfracteur de 74cm de Nice, ce n'est plus vraiment de l'amateurisme :-) |
Lorsque j'ai construit mon télescope de 400mm en 2008 en remplacement de l'ancien T200, mon but était d'obtenir des mesures sur des étoiles doubles relativement faibles (mv ~ 11,12) et dans une tranche de séparation de l'ordre de 1" à 3". Compte tenu des conditions habituelles sur le site, je ne pensais pas à l'époque pouvoir obtenir régulièrement des mesures de qualité sur des séparations plus faibles. L'observatoire est en effet situé à proximité d'un fleuve important et à une altitude de 20 mètres, des conditions loin d'être idéales pour la haute résolution.
L'instrument est un télescope de Newton, le miroir principal possède un diamètre optique de 408mm pour une distance focale de 2052.5mm. Le miroir secondaire présente un petit axe de 72.5mm. Les premières lumières profitent d'un ciel exceptionnellement calme et le télescope montre que le pouvoir de résolution angulaire peut être atteint.
Evidemment c'est très différent dès que les conditions normales sont rétablies et que scintillation, agitation et étalement reprennent leur symphonie.
Le newton de 408 mm |
Première lumière sur COU 407 r=0"4 Sélection des meilleures images 7 img / 600 (1%) |
Un autre exemple dans des conditions exceptionnelles avec A 2055 |
La première caméra utilisée sur le T400 est une caméra Audine équipée d'un capteur KAF400 (matrice 768x512 pixels carrés de 9 microns de côté). Elle est installée derrière un amplificateur optique Televue 5x, la distance focale résultante est de 11.96 mètres.
En utilisant l'imagerie classique (sélection manuelle des meilleures images et shift-and-add) les mesures de couples au-delà de 1"3 sont généralement assez faciles. Avec des couples plus serrés il faut procéder à des tris sévères pour trouver des images mesurables. Utiliser la technique du lucky-imaging nécessite d'enregistrer un millier d'images pour avoir quelques chances de trouver suffisamment d'images correctes. C'est un problème avec l'Audine dont la cadence de lecture est lente. Obtenir 1000 images exige 40 minutes ! Il y a de quoi décourager le plus entêté des observateurs.
Le temps d'exposition minimal fixé par l'obturateur de la caméra est de 60ms. C'est trop long pour figer les mouvements rapides de l'atmosphère et cela réduit encore plus les chances de trouver des images exploitables en lucky-imaging. On peut parler ici de miracle imaging!
Audine KAF-0400 768x512 9x9m Min exposure=60ms Frame rate=long ! Configuration: F=11960mm E=0"1552/px FOV=2'x1'3 |
Un exemple de Miracle Imaging sur Gamma Virginis |
Cependant 60 ms reste suffisamment court pour que l'on perçoive une structure tavelée brouillée par les mouvements les plus rapides de l’atmosphère. Ces nodules sont formés par l'assemblage de plusieurs tavelures du au temps d'exposition trop long ainsi à l'absence de filtrage. Ces "super tavelures" (le terme est emprunté à Christian Buil) portent cependant les informations essentielles sur la position relative des composantes.
HU 987 r=1"09, le phénomène est bien visible sur l'animation. Dans ces conditions et malgré la séparation importante il n'y a que 2% d'images utilisables. La meilleure image de la série est au milieu, elle est difficilement mesurable. A droite l'image d'autocorrélation obtenue avec Reduc. |
C'est lors de la réduction qu'interviennent les méthodes de l'interférométrie des tavelures avec plusieurs avantages clés par rapport à l'imagerie classique :
Les mesures sont possibles jusqu'aux environs de 0"6 soit deux fois le pouvoir séparateur du télescope. Travailler en confiance en deçà de cette limite exige par contre d'excellentes conditions atmosphériques.
|
En 2010, le télescope est équipé d'une caméra Atik 314L+. Comme l'Audine, elle est très répandue chez les amateurs. Le capteur possède une matrice de 1392x1040 pixels carrés de 6.45 m de côté. Placée derrière l'amplificateur Televue, le système présente une distance focale résultante est de 11.40 mètres. Cette caméra se montre beaucoup mieux adaptée au travail sur les étoiles doubles :
Avec ces caractéristiques, on travaille plus près des conditions habituelles de l'interférométrie des tavelures. Les images sont mieux structurées et les tavelures sont fines. Les performances s'en ressentent et 70% des mesures s’effectuent entre 0"3 et 1"5.
Atik314L+ -
ICX285AL 1392x1040 - 6.45x6.45 m Min exposure=1ms Frame rate: (128x128px)=4 fps EFL=11400mm E=0"1167/px FOV=2'7x2' |
STT 413 m:4.7/6.2 r=0"9 exp: 1ms Lucky images: 3/400 ~1% |
HU 940 m:9.2/9.8 r=0"5 exp: 7ms |
COU 492 m:10.2/10.3 r=0"5 exp: 20ms |
A la limite de résolution COU1271 mag 9.4/10 r=0"34 A gauche: animation des 4 meilleures images |
BU 1127 m:7.3/9.2 r=0"75 Audine 60 ms Super-speckles au milieu : animation des trois meilleures images Notez comme l'angle de position varie d'une image à l'autre Atik 10ms |
A la limite de résolution |
Toutes les réductions sont réalisées avec une version de Reduc dédiée à l'interférométrie des tavelures. Elle implémente les fonctions d'autocorrélation, d'intercorrélation et DVA. Les mesures sont systématiquement effectuées sur l'image d'autocorrélation. L’ambiguïté de 180° sur l’orientation est levée en créant soit une image d’intercorrélation soit une image composite lorsque c'est possible. Après le traitement d'une série d'images Reduc fournit l’autocorrélogramme ainsi qu’une série d’images où ce dernier est traité par la soustraction d'un masque moyen afin de mettre les pics en évidence. Le masque doit être adapté en fonction de la configuration optique. Avec le T400 à F/D=30, les meilleurs résultats sont obtenus avec des masques de noyau 3x3 et 5x5. |
A gauche, les pics sont difficilement visibles sur l'autocorrélogramme.
Ils sont mis en évidence en utilisant un masque médian 5x5
A gauche l'autocorrélogramme sur lequel est effectuée la mesure.
Au milieu: la différence d'intensité des pics issus de l'intercorrélation indique
l'orientation du couple comme on la retrouve en imagerie classique à droite
L'étalonnage reste la pierre angulaire de toute mesure et c'est sûrement le problème le plus important pour les installations d'amateurs. Le T400 est sur une monture stable et la caméra reste en place plusieurs mois pendant les campagnes d'observation d'étoiles doubles. Il m'a paru plus solide de procéder à un étalonnage indépendant plutôt que d'utiliser la méthode classique des étoiles étalons.
Il est déterminé en trois étapes. Dans la première étape la caméra est placée au foyer primaire du télescope et on enregistre des séries d'images de champs stellaires comportant des couples quelconques d'étoiles de magnitudes voisines, séparées de quelques secondes d'arc et d'orientations variées.
La deuxième étape consiste à refaire des images de ces mêmes couples en configuration de mesure.
Enfin, tous les couples présents sur les deux séries d'images sont réduits en utilisant une valeur d'échantillonnage quelconque (différente de zéro!). Chaque couple présente une séparation df sur les images au foyer et dm en configuration de mesure (càd avec l'amplificateur de focale). Le rapport dm/df fournit le facteur d'échelle entre les deux configurations.
En appliquant ce facteur d'échelle on déduit la distance focale de la configuration de mesure.
Au foyer primaire |
En configuration de mesure |
EFL = F x dm/df
|
La taille des pixels et la distance focale du miroir sont parfaitement connues. L'échantillonnage est calculé avec la formule habituelle et ne dépend que de ces deux grandeurs physiques connues avec précision. Les données numériques essentielles sont résumées dans le tableau ci-dessous:
Au foyer |
Avec amplificateur Televue 5x |
||||
Caméra |
Focale |
Echantillonnage |
Focale Résultante |
Echantillonnage |
Champ |
Audine |
2052.5 mm |
0"904/px |
11.96m |
0"1552/px |
2'x1.3' |
Atik 314L |
2052.5 mm |
0"648/px |
11.40m |
0"1167/px |
2.7'x2' |
Tableau I : Données numériques au foyer et en configuration de mesure
L'axe est/ouest est déterminé par la méthode des traînées sidérales. La caméra et le train optique sont installées de façon que le seul mouvement possible soit la translation rectiligne nécessaire à la mise au point. L'installation restant à poste fixe, l'étalonnage est effectué sur plusieurs nuits. L'incertitude sur l'orientation de la caméra est de l'ordre de 0°2.
La campagne d'observation s'est déroulée en deux phases. Les résultats sont résumés dans le tableau suivant et les mesures détaillées sont publiées dans le n° 75 d'Observations et Travaux.
Période |
Caméra |
Nuits |
Nb de couples |
Nb d'orbitales |
|
Phase I |
mai/décembre 2009 |
Audine |
75 |
429 |
41 |
Phase II |
février/juillet 2010 |
Atik |
63 |
579 |
125 |
138 |
1008 |
166 |
Un autre aspect positif de l'utilisation des techniques interférométriques: le nombre de nuits observables est plus important, environ 120 nuits/an, il était de 80 nuits/an avant d'utiliser les techniques d'interférométrie.
Les histogrammes montrent l'évolution du programme d'observation.
En 2009, les mesures sont d'abord effectuées sur une gamme étendue de séparations afin de valider les procédures. La réduction par autocorrélation permet de s'affranchir partiellement de la turbulence. C'est l'époque des "super tavelures". Avec les limitations du matériel les mesures en dessous de 0"6 sont exceptionnelles. |
|
En 2010, le matériel est mieux adapté au travail en interférométrie des tavelures. Le programme d'observation est spectaculairement décalé vers les plus faibles séparations. Les mesures en dessous de 0"6 deviennent routinières. |
Répartition
spatiale des résidus. Leurs
différences (dX,dY)
sont ensuite portées L'erreur de position moyenne est ~20 mas.
|
Après 140 nuits à pratiquer avec ces méthodes, je n'ai trouvé que des arguments favorables à leur l'utilisation :
Au titre des difficultés mais qui ne sont pas des arguments défavorables:
Ce qui est remarquable c'est qu'il n'est pas nécessaire d'utiliser des caméras haut de gamme ou de dernière technologie pour travailler de façon routinière au pouvoir de résolution. C'est sûrement la leçon la plus importante que je retiens de cette expérience. Les amateurs qui possèdent un télescope de 30 à 50 cm de diamètre éprouvent parfois une certaine frustration de se voir limités par l'atmosphère. L'application des méthodes tirées de l'interférométrie des tavelures leur offrira les plus grandes satisfactions !
|