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Extrait du texte de CAMILLE FLAMMARION
« Astronomie
populaire chapitre VIII les étoiles
doubles »
Les étoiles doubles et multiples. Les
soleils colorés
Mondes illuminés par plusieurs soleils de différentes
couleurs.
Dans les profondeurs des cieux, parmi les astres variés qui versent leur silencieuse lumière du haut des plages de la nuit étoilée, l'oeil investigateur du télescope a découvert des étoiles d'un caractère particulier, qui diffèrent des étoiles ordinaires par leur aspect comme par leur rôle dans l'univers. Au lieu d'être simples, comme la plus grande majorité des étoiles du ciel, celles-ci sont doubles, triples, quadruples, multiples. Au lieu d'être blanches, elles brillent souvent d'une lumière de couleur, offrant dans leurs couples étranges des associations admirables de contraste, où l'oeil étonné voit se marier les feux de l'émeraude avec ceux du rubis, de la topaze avec ceux du saphir, du diamant avec la turquoise, ou de l'opale avec l'améthyste, étincelant ainsi de toutes les nuances de l'arc-en-ciel. Parfois, les astres merveilleux qui forment ces couples célestes reposent dans le sein de l'infini, fixes et immuables, et depuis plus d'un siècle que l'astronome attentif les contemple et les observe, ils n'ont pas varié dans leur position relative l'un par rapport à l'autre : tels le regard dans leur scrutateur du patient William Herschel les a surpris il y a cent ans, tels nous les retrouvons aujourd'hui même.
Parfois, au contraire, les deux astres associés gravitent l'un autour de l'autre, le plus faible autour du plus fort, bercés sur l'aile de l'attraction, comme la Lune autour de la Terre et la Terre autour du Soleil : un certain nombre de ces couples ont déjà parcouru plusieurs révolutions complètes sous les yeux des observateurs, la durée de ces révolutions différant d'un couple à l'autre et offrant la plus grande variété, depuis quelques années seulement jusqu'à des milliers. Notre petit calendrier terrestre n'étend pas son empire jusqu'en ces univers lointains ; nos éphémères périodes, nos mesures de fourmis, sont étrangères à ces grandeurs ; la Terre n'est plus le mètre de la création ; nos ères les plus sacrées sont inconnues dans le ciel. L'étude de ces systèmes stellaires constitue l'un des plus vastes et des plus grandioses problèmes de l'astronomie contemporaine.
Chaque étoile étant un
soleil gigantesque brillant par sa propre lumière, foyer d'attraction, de
chaleur et de vie, le problème posé à l'esprit humain par ces systèmes de
soleils multiples est sans contredit l'un de ceux qui peuvent le plus intriguer
l'imagination, passionner la pensée, émouvoir même le cœur d'un philosophe.
Quel rôle l'attraction joue-t-elle dans ces familles solaires, si différentes
de la nôtre ? Quelle est l'importance numérique de ces systèmes dans le
monde sidéral ? Quel est leur mode de distribution dans l'univers ?
Quels liens peuvent-ils avoir avec les soleils simples comme le nôtre ?
Quelle est la nature de leur lumière étrange et fantastique ? Jusqu'à
quelles distances respectives les étoiles peuvent-t-elles être associées et
emportées par un mouvement propre commun dans l'espace ! Quelle est la
condition des système planétaires qui peuvent graviter autour de ces soleils
doubles ? Quelle peut être la physiologie de ces planètes régies,
illuminées, échauffées, alternativement ou simultanément par des soleils de
masses différentes ? Et finalement, quelles sont les étonnantes et
extraordinaires conditions qui peuvent être faites à la vie sur ces mondes
inconnus, perdus au fond des cieux insondables ?... Telles sont les
questions qui se présentent maintenant ici à notre curiosité et à notre étude.
Nous
venons de dire qu'un grand nombre d'étoiles qui paraissent simples à l'oeil nu
deviennent doubles lorsqu'on les observent au télescope. On distingue alors
deux étoiles au lieu d'une seule. Si le télescope n'est doué que d'un faible
grossissement, les deux étoiles paraissent se toucher mais elles s'écartent
l'une de l'autre à mesure que le grossissement devient plus fort. Cette étoile
double devient alors pour l'esprit contemplateur un système de deux soleils
voisins séparés l'un de l'autre par des millions de lieus et tournant l'un
autour de l'autre en des temps qui varient pour chaque système suivant les lois
que de la gravitation universelle. L'immense éloignement qui nous sépare de ces
couples célestes est la seule cause de leur invisibilité pour l'oeil laissé à
sa seule puissance. Les deux étoiles dédoublées dans le télescope paraissent
encore se toucher malgré les millions de lieues qui les séparent réellement
entre elles. Parce qu'elles sont éloignées de nous à des trillions c'est à dire
à des milliers de milliards de lieues.
Lorsqu’on
dirige un instrument vers une étoile et qu’au lieu de cette étoile on en
distingue une autre tout près d’elle, il n’est pas toujours certain que ce soit
là véritablement une étoile double. En effet, l’espace infini est peuplé d’astres
sans nombre, disséminés à toutes les profondeurs de l’immensité. Il n’y a rien
d’étonnant à ce que, en dirigeant une lunette vers une étoile quelconque, on en
découvre une ou plusieurs autres plus petites, situées derrière elle, plus loin
et à une distance aussi grande et plus grande même au-delà d’elle que la distance
qui la sépare de nous. De même que dans une vaste plaine, deux arbres peuvent
nous paraître se toucher, parce qu’ils se trouvent l’un devant l’autre dans
notre perspective, quoi qu’ils soient fort éloignés l’un de l’autre en réalité,
de même dans l’espace céleste, deux étoiles peuvent se trouver sur le même
rayon visuel et paraître se toucher, quoi qu’elles soient séparées l’une de l’autre
par des abîmes. Ce sont là des couples d’étoiles purement optiques et dus à la position
de deux étoiles sur le même rayon visuel. Pour reconnaître si cette réunion n’est
pas seulement apparente mais réelle, il faut l’étudier avec attention. La
probabilité que le couple d’étoiles ainsi réunies sera réel est d’autant plus
grande qu’elles seront plus rapprochées. Mais ce ne serait pas encore là une
raison suffisante pour admettre sa réalité. Il faut l’observer attentivement et
pendant plusieurs années. Si les deux étoiles sont véritablement associées, et
forment un système, on reconnaît qu’elles voguent ensemble dans l’espace et qu’en
général elles tournent l’une autour de l’autre. Elles sont liées entre elles
par les liens de l’attraction universelle ; elles ont la même destinée. Si
la réunion n’était qu’apparente, on reconnaîtrait avec le temps que les deux
astres, ainsi fortuitement réunis par la perspective n’ont rien de commun l’un
avec l’autre. Leurs mouvements propres étant différents, finiraient avec les
siècles par les séparer tout à fait.
Plusieurs
étoiles doubles ont été découvertes depuis assez longtemps et forment des
systèmes assez rapides pour avoir accompli une ou même plusieurs révolutions
sous nos yeux. D'autres n'ont tracé dans le ciel qu'une partie de leurs
orbites. Mais avec un mouvement angulaire suffisant pour permettre également de
calculer tous les éléments de ces orbites. D'autres en très grand nombre n'ont
décrit qu'un arc de leur courbe, insuffisant pour calculer l'orbite entière
mais suffisant pour affirmer la nature orbitale du mouvement. Dans certains
couples, les composantes se meuvent en ligne droite en vertu d'un déplacement
parallactique prouvant qu'elles ne sont pas physiquement associées et qu'elles
n'ont été réunies momentanément que par le hasard de la perspective.
Il
y a encore d'autres systèmes plus singuliers dont les composantes décrivent des
lignes droites dans l'espace tout en étant animées d'un mouvement propre
commun. Ce qui m'a conduit à corriger des orbites prématurément supputés (comme
celle de la 61ème du cygne) et même à conclure que ces soleils peuvent ne pas
graviter l'un autour de l'autre mais suivre des lignes droites en obéissant à
une force qui les domine et les conduit ensemble à travers l'espace. Plusieurs
causes fort distinctes agissent ainsi sur les étoiles doubles pour leur donner
un mouvement réel ou apparent. La gravitation des composantes d'un système
binaire, ternaire ou multiple autour de leur centre de gravité ; la
gravitation de deux ou plusieurs étoiles emportées ensemble dans l'espace sous
l'influence d'attractions sidérales inconnues. Les mouvements propres
différents de deux étoiles lointaines fortuitement placées sur notre rayon
visuel causes auxquelles il faut ajouter la translation séculaire de notre
système solaire dans l'espace, laquelle se réfléchit en donnant aux étoiles les
moins lointaines un déplacement apparent en sens contraire.
J’ai
publié en 1878 un premier Catalogue des étoiles doubles et multiples en
mouvement certain, résultat de la comparaison que j’ai faite (1873-1877)
des deux cent mille observations faites sur les dix mille étoiles doubles
connues dans le ciel, et de la discussion minutieuse du mouvement de chaque
étoile. De ce travail, est résulté un catalogue de 819 groupes en mouvement
certain , sur lesquels j’en ai mesuré micrométriquement 133 parmi les plus
douteux. Ce catalogue renferme 28000 mesures et l’histoire de chaque étoile. Il
est impossible de nous étendre ici sur ce vaste et important sujet et nous ne
pouvons que le résumer au niveau descriptif. Mais on trouvera au supplément l’exposé
des méthodes d’observation, la carte générale des étoiles doubles, l’examen des
cas les plus curieux, tels que le mouvement du satellite de Sirius, le
transport rectiligne des composantes de 61 du cygne, l’orbite en épicycle du système
ternaire Zeta du Cancer, ainsi que les orbites de toutes les étoiles doubles
calculées et mes types des principales doubles colorées.
Dans
l'état actuel de la science, nous connaissons 819 groupes en mouvement relatif
certain. Il y a 558 systèmes orbitaux certains ou probables. 317 groupes de
perspective. 17 systèmes physiques dont les composantes se déplacent en ligne
droite. 23 systèmes ternaires. 32 triples non ternaires formé d'un système
binaire et d'un compagnon optique, etc ; etc...
Afin
que le lecteur puisse se rendre compte de la nature et de la variété de ces
orbites, je réunis ici les systèmes qui ont pu être calculés jusqu'à ce jour en
les inscrivant par ordre croissant de période ; Il y en a 35 qui ont
parcouru depuis l'année de leur découverte une partie de leur orbite assez
considérable pour que cette orbite ait pu être calculée et la période
déterminée.
On
voit que les durées des révolutions déjà calculées s'étendent depuis quelques
années jusqu'à dix siècles. Je pourrais en ajouter d'autres presque aussi
sûres, qui ne demandent pas moins de deux milles années pour s'accomplir, et
d'autres encore, dont la période s'étant à 4500 et 6000 ans. Mais l'observation
de ces lointains systèmes est commencée depuis si peu de temps (la plus
ancienne mesure date de 170 ans) que les longues périodes commencent à
peine à se révéler. Lorsque l'un des deux soleils associés est doué d'une masse
beaucoup plus puissante que l'autre, il paraît être le centre du mouvement,
comme notre Soleil paraît être le centre du mouvement de translation de la
Terre et des planètes. Quoi que, en réalité, les planètes et le Soleil lui-même
tournent ensembles autour de leur centre commun de gravité : la plus
petite des deux étoiles tourne autour de la plus grande. Quoi qu'un peu
technique, ce tableau comparatif est du plus haut intêret. (TABLEAU)
Nul
spectacle n'est plus imposant que celui de ces révolutions sidérales. Dans tels
systèmes la révolution est parcourue en moins d'un demi-siècle ;
exemple : le couple de l'étoile êta de la couronne boréale composée de
deux soleils d'or, dont le siècle est de 40 ans. En d'autre systèmes, la
période se rapproche du siècle, comme dans celui de la 70ème d'Ophiuchus,
composée d'un soleil jaune clair et d'un soleil rose, qui gravitent l'un autour
de l'autre en une révolution de 93 ans. Le couple brillant gamma de la Vierge
se compose de deux soleils égaux qui tournent lentement sur eux-mêmes et qui
tournent ensembles autour de leur centre commun de gravité en une période de
175 ans. Le système ternaire de zêta du cancer se compose de trois
soleils ; le second tourne autour du premier en un cycle de 68 ans et le
troisième autour des deux autres en 600 ans, en décrivant des épicycloïdes que
j'ai découverts au commencement de l'année 1674 et qui m'avaient rendu fort
perplexe, ainsi que les astronomes auxquels je les avais communiqués dès cette
époque.
Nous
connaissons enfin des systèmes orbitaux, tels que ceux de gamma du Lion de
epsilon de la Lyre, de l'Etoile Polaire dont le cycle dépasse un millier et
même plusieurs milliers d'années. D'autres marchent plus lentement encore.
Ainsi, les étoiles doubles sont autant de cadrans stellaires suspendus dans les cieux, marquant sans arrêt
dans leur majesté silencieuse la marche inexorable du temps, qui s'écoule
là-haut comme ici, et montrant à la Terre, du fond de leur insondable distance
les années et les siècles des autres univers, l'éternité du véritable
empyrée ! Horloges éternelles de l'espace ! Votre mouvement de
s'arrête point : votre doigt, comme celui du Destin, montre aux êtres et
aux choses la roue toujours tournante qui élève au sommet de la vie et plonge
dans les abîmes de la mort ! Et, de notre séjour inférieur, nous pouvons
lire sur votre mouvement perpétuel l'arrêt de notre sort terrestre qui emporte
notre mesquine histoire et qui emportera notre génération comme un tourbillon
de poussière s'envolant sur les routes du ciel, tandis que vous continuerez de
tourner en silence dans les mystérieuses profondeurs de l'infini !...
Dans
l'ensemble des systèmes d'étoiles doubles, on remarque une grande variété de
grandeur comme de distance entre les composantes : plusieurs couples sont
formés de deux soleils absolument égaux, tandis qu'en d'autres le satellite est
très petit, et donne l'idée d'une simple planète encore lumineuse : il est
probable que dans ce dernier cas ce sont des systèmes planétaires que nous
avons sous les yeux. Ainsi, le satellite de Sirius découvert dès 1844 par
l'analyse des perturbations observées sur cette étoile, et en 1862 par le
progrès de l'optique, pourrait être à Sirius ce que Jupiter est à notre Soleil.
Il n'y aurait même rien d'impossible à ce qu'il fut énorme et obscur, ne
brillant que parce qu'il est éclairé par son éblouissant soleil. Mais il y
a un grand nombre de systèmes composés
de deux soleils égaux. La plupart sont blancs ou jaunes ; mais nous en
connaissons 130 chez lesquels les deux soleils ont des couleurs différentes,
et, parmi eux, 85 où le contraste est remarquable, le soleil principal étant
orangé et le second vert ou bleu.
On
se formera une idée du mouvement annuel observé et calculé sur les systèmes
rapides par l'examen de notre figure 336, qui montre l'orbite apparente de
l'étoile double zêta Hercule telle que nous la voyons de la Terre : c'est,
parmi les plus rapides, celle qui est la plus sûrement déterminée. L'étoile
intérieure (A) étant prise pour centre de comparaison, on détermine la position
de la seconde (B) en prenant le nord pour 0°, l'est étant à 90°, le sud à 180°,
et l'ouest à 270°. On voit ainsi que, en 1838, la seconde étoile de ce système
double venait de passer au sud de l'étoile principale ; suivez sa marche,
et vous la voyez passer à l'est en 1851, au nord en 1862, à l'ouest en 1865,
revenir au sud en 1872 ; elle est en ce moment (1880) vers 120°. Depuis sa
découverte en 1782 par Herschel, cette étoile a presque déjà parcouru 3 révolutions ;
sa période est de 34 ans et demi.
Comme
nous voyons ses mouvements en perspective, l'orbite ainsi tracée ne représente
pas la vraie forme du mouvement vu de face : il faut calculer
l'inclinaison et relever l'orbite plus ou moins couché sur notre rayon visuel
pour déterminer l'orbite absolu. On trouve ainsi tous les genres d'ellipses,
depuis le cercle jusqu'aux plus fortes excentricités.
Quelle
est la nature des orbites décrites par les mondes appartenant à ces singuliers
systèmes ? Ces planètes inconnues tournent-elles autour des deux soleils à
la fois pris pour centre, et ont-elles pour foyer de leur mouvement le centre
de gravité de ces soleil jumeaux, ou bien chacun des deux soleils a-t-il son
propre système planétaire ? Ce dernier cas doit être le plus probable et
le plus général.
Malgré
la différence essentielle qui existe entre ces systèmes et le nôtre, nous
pouvons cependant nous servir de la disposition même de celui-ci pour deviner
l'arrangement possible de ceux-là. Déjà, dans notre système, une planète
surpasse toutes les autres par son volume, et sans doute aussi par sa chaleur
intrinsèque, et elle forme le centre d'un petit système de 4 mondes qu'elle
emporte avec elle dans sa révolution de 11 années autour du Soleil. Supposons
que Jupiter qui déjà est 1240 fois plus gros que la Terre, soit encore d'un
volume plus considérable, et brille d'une lumière bleue ; cette seule
supposition modifie notre système planétaire au point de créer trois espèces de
mondes :
-1°
Quatre globes (satellites de Jupiter) dont l'un est plus gros que la planète
Mercure, éclairés et régis par un soleil primaire bleu, et recevant en même
temps l'illumination plus lointaine de notre soleil actuel
-2°
Trois mondes immenses, Saturne, Uranus et Neptune, tournants autour d'un double
Soleil, l'un blanc et l'autre bleu
-3°
Quatre globes moyens, Mars, la Terre, Vénus et Mercure, tournants autour du
Soleil blanc mais éclairés pendant la nuit à certaines époques, par un second
soleil bleu. Illuminant maintenant le soleil d'une lumière rouge, nous
reproduisons ainsi l'un des types les plus répandus parmi les étoiles doubles
colorées de nuances complémentaires. Essayons de nous rendre compte de cette
étrange succession de phénomènes. D'abord, il n'y a plus de nuit pour aucun
point de notre globe : tandis que le soleil rouge éclaire un côté de la
Terre, le soleil bleu éclaire l'autre ; il y a ainsi jour rouge sur un
hémisphère et jour bleu pour l'autre, et tous les méridiens du globe viennent
passer successivement, en 24 heures, à travers ces deux espèces de jour,
distribuant à tous les pays douze heures de jour rouge et douze heures de
jour bleu sans nuit.
Mais
notre soleil bleu ne restant pas immobile dans l'espace, circule lui-même
lentement autour du soleil rouge. Bientôt, il se lève avant que le premier ne
soit couché, et apparaît au-dessus de l'horizon orientale, lorsque le rubis
céleste n'est pas encore éteint. Le jour bleu succède alors ; mais, le
soleil saphir se couchant à son tour avant le lever de son rival écarlate, on a
une nuit de quelques instants, orné de deux aurores boréales d'un nouveau
genre : l'une rougeâtre à l'est, l'autre bleuâtre à l'ouest. La durée de
cette nuit augmente de jour en jour et même temps celle du double-jour illuminé
par les deux soleils à la fois. Les heures bleues et les heures rouges
diminuant dans les mêmes proportions. A la fin, et à l'époque qui
correspond à la conjonction de Jupiter, le soleil bleu se rapproches du soleil
rouge, et il n'y a plus ni jour rouge, ni jour rouge, mais un double jour suivi
d'une nuit complète. La lumière du double jour est formée naturellement par la
réunion des couleurs des deux soleils ; elle est violette mais
pourrait être tout à fait blanche, si ses couleurs étaient complémentaires.
Emporté toujours par son mouvement propre, le soleil secondaire passe à l'ouest
du premier et produit bientôt des matinées bleues, suivies d'un jour blanc ou
violet d'un soir rouge et d'une nuit devenant de plus en plus courte, jusqu'à
ce que le soleil bleu revienne en opposition, comme nous l'avons placé au
commencement de cette description.
Dans
la plupart des systèmes d'étoiles doubles, la petite étoile tourne autour de la
plus grande, non pas en cercle mais en décrivant une ellipse très allongée. La stabilité
du système veut que cette petite étoile ne s'approche pas trop de la
grande ; car, dans ce cas, en supposant, ce qui est naturel, que les
planètes circulent dans le même plan que l'étoile elle-même, elles pourraient
être attirées par le soleil central au moment du passage au périhélie, et
abandonner leur soleil primitif au grand détriment de leurs habitants qui
seraient sans doute morts de chaleur avant que les astronomes de ces contrées
eussent pu constater régulièrement la désertion. Il est indispensable que ces
systèmes soient très resserrés autour de chacun des deux soleils, et que les
planètes obéissantes gravitent, serrées sous l'aile protectrice de leur soleil
réciproque. Mais, dans tous les cas, les plus singulières alternatives de
chaleur, de lumière et de saisons sont la conséquence cosmologique de ces
mouvements.
Ainsi,
dans tout système planétaire régis par un double soleil, notre double
alternative du jour et de la nuit est remplacée par une alternative
quadruple : premièrement, un jour double éclairé par deux soleils à la
fois, deuxièmement, un jour simple éclairé par un seul soleil, troisièmement,
un autre jour simple éclairé par un autre soleil ; quatrièmement, enfin,
quelques heures de nuit complète quand les deux soleils sont à la fois
au-dessous de l'horizon. La splendeur de ces illuminations naturelles peut à
peine être conçue par notre imagination terrestre. Les teintes que nous
admirons d'ici sur ces étoiles ne peuvent que donner une idée lointaine de la
valeur réelle de leurs couleurs. Déjà, en passant de nos latitudes brumeuses
aux régions limpides des tropiques, les couleurs des étoiles s'accentuent et le
ciel devient un véritable écrin de pierres précieuses. Que serait-ce si nous
pouvions nous transporter au-delà des limites de notre atmosphère ? Vu de
la Lune, ces couleurs doivent être splendides. Antarès, alpha d'Hercule,
Pollux, Aldébaran, Bételgeuse, Mars, brillent comme des rubis ; l'Etoile
polaire, Capella, Castor, Arcturus, Procyon, sont de véritables topazes
célestes ; tandis que Sirius, Véga, et Altaïr sont des diamants éclipsant
tout par leur éblouissante blancheur. Que serait-ce si nous pouvions nous
rapprocher des étoiles jusqu'à découvrir leur disque lumineux, au lieu de ne
voir que des points brillants dépourvus de tout diamètre.
Jours
bleus, jours violets, jours rouges éblouissants, jours verts livides !
L'imagination des poètes, le caprice des peintres créeront-ils sur la palette
de la fantaisie un monde de lumière plus hardi que celui-ci ? La main
folle de la chimère jetant sur la toile docile les éclats bizarres de sa
volonté, édifiera-t-elle au hasard un édifice plus étonnant ? Hegel a dit
que « tout ce qui est réel est rationnel » et que « tout ce qui
est rationnel est réel ». Cette pensée hardie n'exprime pas encore toute
la vérité. Il y a bien des choses qui ne nous paraissent point rationnelles et
qui néanmoins existent en réalité dans les créations sans nombre de l'infini.
Les
plus beaux contrastes de coloration ne se présentent pas dans les systèmes à mouvement
rapide, mais dans les systèmes à mouvement lent et même dans ceux qui sont
restés immobiles depuis leur découverte.
Beta
du Cygne, 3ème et 5ème grandeur, jaune d’or et bleu
saphir
Gamma
andromède, 3ème et 5ème grandeur, orange et verte,
celle-ci se dédouble en verte et bleue
Gamma
Dauphin, 4ème et 5ème grandeur, jaune d’or et vert bleu
Alpha
Hercule, 3ème et 6ème grandeur, jaune orange et bleu
marine
Alpha
Lévrier, 3ème et 5ème grandeur, or et lilas
Epsilon
Bouvier, 3ème et 6ème grandeur, topaze et émeraude
Antares,
1ère et 7ème grandeur, orange et vert clair
Cette
remarque curieuse n'empêche pas que les planètes qui gravitent autour de ces
derniers soleils ne subissent les plus singulières alternatives d'illuminations
de saisons et d'années. Notre soleil blanc et solitaire, notre système solaire
formé d'un seul foyer, autour duquel gravitent des mondes obéissants, suivant
des orbites régulières, ne constitue pas le type et le modèle de la
constitution universelle. Les soleils multiples que nous étudions ici tantôt
marient leurs couleurs, tantôt les opposent l'une à l'autre, tantôt les
alternent successivement dans un même ciel, soleils de volumes et de masses
dissemblables agissant souvent en direction contraires, pour déformer les
singulières orbites des mondes inconnus qui gravitent sous leur puissance. Nul
spectacle n'est plus magnifique que la contemplation télescopique de ces
étranges soleils. Lorsque, pendant la nuit silencieuse, pendant le sommeil de
la nature terrestre, en ces heures nocturnes où l'humanité qui nous entoure est
endormie dans une mort anticipée, nos regards et nos pensées s'élèvent à l'aide
du merveilleux télescope vers ces lumières célestes qui sont allumées pour
d'autres mondes et rayonnent autour d'elles la chaleur, l'activité et la vie.
Le contraste est si grand que l'on croit rêver. Ici la nuit, là-haut la
lumière ; ici la léthargie, là-haut le mouvement ; ici l'ombre,
là-haut la splendeur ; ici la pesante et obscure matière, là-haut la
flamme dévorante et la vie sidérale. Qu'il est pauvre, notre Soleil, à côté de
ses grands frères, de ses aînés de l'espace ! Qu'il est misérable notre
monde, à côté de ceux qui voguent là-haut sur les ailes rapides et multipliées
d'une telle attraction ! Quelles heures délicieuses les esprits pensifs et
les âmes curieuses passeraient en dirigeant un télescope vers les cieux. Si les
hommes les plus instruits, si les femmes du monde les mieux élevées
n'ignoraient universellement les vérités les plus élémentaires de l'astronomie
et s'ils ne vivaient en tournant toujours dans un même cercle plus ou moins
monotone, sans se douter des merveilles que la divine Nature tient en réserve
pour ceux qui la comprennent.
Et
que dirions-nous des systèmes triples et quadruples, dont les mondes ne
connaissent jamais la nuit, où l'astronomie n'a pu naître puisqu'on n’y voit
jamais de ciel étoilé et dont les habitants ne connaissent pas le
sommeil !
Il
y a, à n'en pas douter, des yeux humains qui là-bas, contemplent chaque jour
ces singularités. Qui sait ? Et la chose est probable, ils n'y accordent
sans doute qu'une médiocre attention, et, dès leur berceau, habitués comme nous
à la même vue, ils n'apprécient pas la valeur pittoresque de leur séjour. Ainsi
sont faits les hommes : le nouveau, et l'attendu seul les touchent ;
quant au naturel, il semble que ce soit là un état éternel, nécessaire,
fortuit, de l'aveugle nature, qui ne mérite pas la peine d'être observée.Si les
humains de là-bas venaient chez nous, tout en reconnaissant la simplicité de
notre petit univers, ils ne manqueraient pas de l'observer avec surprise et de
s'étonner de notre indifférence.
Si,
comme notre Lune, qui gravite autour du globe, comme celle de Jupiter, de
Saturne, qui réunissent leurs miroirs sur l'hémisphère obscur de ces mondes,
les planètes invisibles qui se balancent là-bas, sont entourées de satellites
qui sans cesse les accompagnent, quel doit être l'aspect de ces lunes éclairées
par plusieurs soleils ? Cette lune, qui se lève des montagnes lointaines,
est divisée en quartiers diversement colorés, l'un rouge, l'autre vert ;
cette autre n'offre qu'un croissant d'azur ; celle-là est dans son
plein ; elle est verte et paraît suspendue dans les cieux comme un immense
fruit. L'une rubis, l'une émeraude, l'une opale, quel singulier lustre ! Ô
nuit de la Terre, qu'argentent modestement notre Lune solitaire, vous êtes bien
belles quand l'esprit calme et pensif vous contemple, mais qu'êtes-vous à côté
de ces nuits merveilleuses !
Et
que sont les éclipses de soleil sur de tels mondes ? Soleils multiples, à
quel jeu infini vos lumières mutuellement éclipsées ne doivent-elles pas donner
naissance ? Un soleil bleu et un soleil jaune se rapprochent ; leur
clarté combinée produit le vert sur les surfaces éclairées par tous deux. Le
jaune ou le bleu sur celles qui ne reçoivent qu'une lumière. Bientôt, le jaune
s'approche sous le bleu ; déjà il entame son disque, et le vert répandu
sur le monde pâlit, pâlit jusqu'au moment où il meurt, fondu dans l'or qui
verse dans l'espace ses rayonnements cristallins. Une éclipse totale colore le
monde en jaune ! Une éclipse annulaire montre une bague bleue encadrant
une pièce d'or translucide ! Peu à peu, insensiblement, le vert renaît et
reprend son empire... Ajoutons à ce phénomène celui qui se produirait si quelque
lune noire venait, au beau milieu de cette éclipse dorée, couvrir le soleil
jaune lui-même et plonger le monde dans l'obscurité. Puis, suivant la relation
existant entre son mouvement et celui du soleil d'or, continuer de le cacher
après sa sortie du disque bleu, et laisser alors la nature retomber sous le
rideau d'une nouvelle couche azurée ! Ajoutons encore... Mais non, c'est
le trésor inépuisable de la nature : y plonger à pleines mains, c'est n'y
rien prendre.
Ces
descriptions suffisent pour donner une idée de la nature du sujet et de
l'intérêt captivant qui s'attache à ces études. La science commence seulement à
pénétrer dans l'immensité étoilée. Hier encore, on ignorait le nombre des
étoiles doubles réelles actuellement observées, la diversité des mouvements et
leur proportion dans l'organisation des cieux. On peut estimer que le cinquième
environ des soleils dont l'univers se compose ne sont pas simples, comme celui
qui nous éclaire, mais associés en systèmes binaires, ternaires, ou multiples.
Ainsi, les étoiles doubles sont de véritables soleils, gigantesques et
puissants, gouvernant, dans les régions de l'espace éclairés par leur
splendeur, des systèmes différents de celui dont nous faisons partie. Le ciel
n'est plus un morne désert ; ses antiques solitudes ont fait place à des
régions peuplées comme celles où gravite la Terre ; l'obscurité, le
silence, la mort qui régnait en ces hauteurs ont fait place à la lumière, au
mouvement, à la vie ; des milliers et des millions de soleils versent à
grands flots dans l'étendue l'énergie, la chaleur et les ondulations diverses
qui émanent de leurs foyers ; tous ces mouvements se succèdent et
s'entrecroisent, se combattent ou s'unissent dans l'entretien et le
développement incessant de la vie universelle ; l'Univers est transfiguré
pour nos pensées ; les soleils succèdent aux soleils, les mondes aux
mondes, les univers aux univers ; des mouvements propres formidables
emportent tous ces systèmes à travers les régions sans fin de l'humanité ;
-et partout, jusqu'au-delà des bornes les plus lointaines, où l'imagination
fatiguée puisse reposer ses ailes, partout se développe dans sa variété infinie
la divine création dont notre microscopique planète n'est qu'une imperceptible
province.
Extrait de Paul
Couteau « Observation des étoiles doubles visuelles »
« Il
n'est pas difficile d'imaginer le spectacle qui s'offrirait à nous si la Terre
était une planète d'une étoile double. Tel Micromégas, imaginons-nous habitants
de Sinus, situé à 2,5 parsecs, ou huit années de lumière, sur une Terre
circulant autour de cette étoile à la même distance que nous nous trouvons du
Soleil. Sirius, sphère d'un blanc éclatant de plus d'un degré de diamètre,
brillerait cent fois comme le Soleil. Le compagnon de Sirius nous apparaîtrait
la nuit comme une simple étoile d'une seconde de degré de diamètre, répandant
une lumière blanchâtre d'intensité analogue à notre pleine lune. Cette naine
blanche mesure quinze mille kilomètres de diamètre, malgré une masse comparable
à celle du Soleil.
Vue de chez nous, cette petite étoile serait cachée
par l'épaisseur d'un cheveu à deux mille kilomètres de distance. La surface de
cet astre serait indiscernable, c'est probablement une plage uniforme, car la
force de pesanteur, dix mille fois la nôtre, y interdit tout échafaudage ou
relief quelconque.
Sur notre proche voisine α du Centaure, à quatre
années de lumière, nous retrouvons une étoile analogue au Soleil, rien ne nous
paraîtrait changé le jour, mais nos nuits seraient éclairées par le compagnon
d'une belle couleur cuivre, circulant sur une orbite grande comme celle de
Neptune. Ce compagnon nous apparaîtrait sous un diamètre insensible à l'oeil
nu, mais d'un éclat insoutenable, répandant une lumière mille fois supérieure à
celle de la Lune. A certaines époques, voisines de l'opposition, il n'y aurait
pas de nuits, les deux soleils se relayant au dessus de l'horizon.
Le système comprend une troisième étoile naine
rouge très éloignée. L'astre A est comparable au Soleil. L'astre B circule sur
une orbite de l'étendue de celle de Neptune. En bas à droite, les disques
représentent les dimensions relatives des composantes et du Soleil.
De nombreux systèmes comportent plus de deux
étoiles et forment une association dynamiquement hiérarchisée de type
Soleil-Terre-Lune. Ainsi les habitants du système Kui 23, à soixante et onze
années de lumière de nous, sont éclairés par un astre central, ressemblant à
Capella, cinquante fois plus gros que le Soleil. Leurs nuits sont illuminées
par un soleil lui-même double, circulant sur une orbite intermédiaire entre
celles de Jupiter et Saturne. Ce système satellite est formé de deux étoiles,
indissociables de chez nous, à peu près de la taille du Soleil, tournant l'une
autour de l'autre en neuf jours à une distance de sept millions de kilomètres.
Ces deux astres jumeaux, d'une belle couleur rouge, s'éclipsent parfois
mutuellement et forment une horloge naturelle dans les cieux des habitants de
Kui 23, ils inspirent peintres et poètes et donnent aux astronomes du lieu des
sujets inépuisables de recherches.
Ce système comprend une primaire simple et un
satellite double B1 B2 circulant, en treize ans, sur une orbite peu allongée de
la dimension de celle de Saturne. Dans le carré le système B, non visuel, est
représenté à l'échelle agrandie cent fois. La révolution de B1B2 autour du
centre de gravité G est de neuf jours, sur une orbite circulaire de sept
millions de kilomètres de diamètre. En bas, les dimensions des étoiles sont
comparées à celle du Soleil.
Les habitants du système triple 13 Ceti, à
cinquante-six années de lumière, bénéficient d'un astre central double
lui-même, formé de deux astres dissemblables jaune et rouge, tournant en trois
jours à cinq millions de kilomètres de distance. La valse éternelle de ces
soleils inspirent là aussi artistes et astronomes. Les nuits sont éclairées par
le compagnon rouge qui s'approche tous les sept ans au point de rivaliser
d'éclat avec l'étoile principale. C'est une féerie de lumière, car à certaines
époques il n'y a pas de nuit, le soleil rouge éclatant se lève pendant que
descend sous l'horizon l'astre double bicolore autour duquel tournent les
habitants. A d'autres moments ce sont trois soleils qui éclairent le paysage,
jetant trois ombres pour chaque objet.
Le système triple 13 Ceti comprend une primaire
A1A2, elle-même double non visuelle, et un satellite B tournant en sept ans
autour du système central sur une orbite assez allongée, un peu plus petite que
celle de Jupiter. Le carré montre à une échelle vingt fois plus grande les dimensions
et la distance de A, A2 avec leur centre de gravité G. La révolution du système
A est de deux jours. En bas les dimensions des étoiles sont comparées à celle
du Soleil.
Dans d'autres systèmes, comme ξ de la Grande Ourse,
chaque composante de l'étoile double est double elle-même. Castor est sextuple,
le couple visuel est formé de deux composantes doubles, et autour de ce
système, très loin, tourne une naine rouge double elle aussi.
Ces quelques exemples montrent que les étoiles
doubles visuelles sont constituées d'astres très éloignés les uns des autres,
des centaines ou des milliers de fois leur diamètre, même dans les cas où les
composantes paraissent se toucher. L'image de diffraction est beaucoup plus
étendue que l'astre lui-même dont le diamètre apparent est de l'ordre du
millième de seconde de degré.
Dans tous ces systèmes il y a une hiérarchie, à
l'inverse des amas d'étoiles, où le centre attractif est formé par l'amas
lui-même. Dans ce dernier cas, les étoiles ne se meuvent pas sur des orbites
mutuelles, ce sont des systèmes en voie de dissociation, comme les Pléiades, ou
en équilibre comme les amas globulaires. Les étoiles doubles offrent le
spectacle de mouvements képlériens autour de plusieurs centres de gravité. Nous
en trouvons des exemples avec les satellites du système solaire. Par exemple,
les satellites artificiels de la Lune obéissent au
centre de gravité de la Lune, qui, elle-même gravite autour du barycentre
Terre-Lune, l'ensemble tourne autour du Soleil, mais non autour du centre de
gravité du système solaire. Nous effleurons ici les problèmes compliqués de la
mécanique céleste, dont certaines étoiles triples, à la limite de la stabilité
dynamique, comme ζ Hercule, sont un bon exemple d'application ;