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Journal de bord
Février 2005

Nouvelle

Agée de 17 ans, Kazouine Houlam nous livre une nouvelle en trois chapitres. Nous vous proposons ici le premier.
Son rêve ? Voir sa prose publiée sur support papier ! Si vous avez aimé, faites-le lui savoir...

Le passeur

Chapitre premier

« Sloan »

Il avait le nez et la bouche en sang... Le liquide ayant généreusement coulé sur son menton, tâchait de vermeille son unique sweat-shirt de la semaine. Il allait devoir le laver avec soin ce soir, puis le suspendre à une branche du pommier du jardin avant de se coucher. Avec un peu de clémence divine, il n'allait pas pleuvoir cette nuit et au matin, il aurait de quoi se vêtir décemment.

Sloan marchait en traînant les pieds, la tête baissée, les mains dans les poches de son vieux jean un peu juste, son antique besace de cuir défoncée passée en travers de la poitrine. Le vent sec et froid de cette fin d'après midi d'octobre ébouriffait sans douceur aucune ses fins cheveux châtains et agressait son nez qui lui semble être réduit à quelques cuillérées de compote de poires.

« Le pire, dans tout ça, ce doit être que je n'ai absolument rien fait, se dit-il avec une triste amertume. J'ai seulement eu ce 18 en maths. La meilleure note. Et Dave à encore trouvé le moyen de me tomber dessus à bras raccourcis. »

Juste comme ces pensées amères lui effleuraient l'esprit, il rentra de plein fouet dans quelqu'un, et le choc, violent, manqua de le jeter au sol. Avant que le garçon ne puisse balbutier une excuse confuse, une main rose et dodue se refermait autour de sa nuque par endroits tâchée de sang sec, l'obligeant à lever la tête. Ce faisant, Sloan pu voir à qui il avait à faire. Ses jolis yeux bleu d'eau s'écarquillèrent sous l'horreur inquiète qui faisait, en cet instant précis, se précipiter les battements de son coeur dans sa poitrine oppressée par l'angoisse.

Dave et sa bande, qu'on surnommait les Bedonnants dans leur large dos. Ils étaient tous quatre aussi larges que hauts, gras donc, parfaitement imbéciles, et une perpétuelle lueur de défi insolente animant leur regard prédateur. Leurs énormes poings ressemblaient de loin à s'y méprendre à des balles de hand et leurs rares sourires n'étaient jamais autres que carnassiers.

« T'es une demi-portion déjà morte, Shelburn, annonça Dave, le plus stupide de la meute et le chef également. Déjà morte ! »
Sur cette affirmation, il leva le poing, avec de toute évidence la louable intention de l'abattre sur le visage déjà congestionné de Sloan, mais ce dernier lui décocha un terrible coup de sa vieille basket dans le tibia. Criant sans tarder de douleur, la brute se saisit de son mollet endolori et hurla à ses troupes de poursuivre le malotru qui s'enfuyait, slalomant entre les passants avec le même brio qu'un professionnel du genre.

C'est que le garçon avait peur. Dave et sa fidèle escorte lui avaient déjà refait une mine joyeuse à la sortie du collège, prétextant son excellent résultat scientifique, et sans qu'il puisse leur rendre leurs coups, naturellement. En vérité, Sloan ne se défendait jamais. Il craignait qu'alors les heurts ne redoublent d'intensité et de quantité. En temps normal, ses ennemis le frappaient jusqu'à ce se qu'il commence à saigner, peu importait d'où. Et maintenant que, cédant à une brusque impulsion de défense, il avait frappé Dave, ils allaient probablement le tuer.

Heureusement pour Sloan, les Bedonnants firent honneur à leur surnom, cessant assez vite de le pourchasser en poussant des cris de gorets qu'on se reprend à deux fois pour égorger. Ils étaient lourds, peu rapides et s'essoufflaient rapidement... A quoi bon donc tenter le diable, en d'autres termes rattraper un rapide et fluet insecte qui allait bien payer son impertinence le lundi matin suivant, à l'école ? Tant pis, il y avait bien d'autres souffre-douleurs à brutaliser dans le quartier avant de s'occuper du mufle slalomeur.

Sloan, par mesure de prudence, ne cessa de courir aussi vite qu'il le pu jusqu'à arriver en vue de son pâté de maisons. Là, à bout de souffle et de fatigue, les jambes tremblotantes et transi de froid, le garçon commença à longer la rue, se dirigeant vers la dernière bâtisse. Il s'agissait de la plus petite, de la moins entretenue, de la moins jolie, bref, de la moins coûteuse. La maison qu'il habitait depuis toujours, lui semblait-il, avec sa mère, Amanda Shelburn

Le garçon introduisit sa clef dans la serrure de la porte d'entrée, la tirant de sa poche de jean. A peine poussait-il du bout du pied le battant qu'une désagréable certitude lui sautait au visage. Il y avait quelqu'un dans la maison. Et ce quelqu'un n'était pas sa mère, qui travaillait du matin au soir pour tenter de les nourrir quotidiennement.

Sloan referma silencieusement la porte dans son dos et tendit l'oreille tout en détaillant avec une attention extrême la minuscule salle de séjour. Elle était déserte. Et tout était paisible.

Le jeune adolescent, légèrement décontenancé, haussa les épaules et, jetant sa besace sur le canapé, s'en alla emprunter l'escalier qui liait le salon au premier étage. Il n'y avait personne à part lui, bien sûr. Il avait dû se faire des idées.

Mais juste comme il posait sa basket sur le palier, il entendit les bruits d'une... démarche. Oui, exactement comme si l'on faisait les cent pas dans le couloir, devant lui. Or, il n'y avait personne. Le corridor, éclairé par la lumière douce du soleil d'octobre, était aussi vide qu'il pouvait l'être.

Sloan, glacé soudain, se précipita sur la porte de la salle de bains qu'il claqua derrière lui, s'y adossant, les yeux clos et la respiration précipitée. Que se passait-il, bon sang ? Que se passait il ? Il était seul dans la maison. Seul, mais pourtant, quelqu'un semblait lui tenir compagnie ! Devenait-il fou, bon à interner ? Entendait-il des choses qui n'avaient pas lieu d'être ?

Le garçon resta appuyé au battant une minute environ, s'efforçant de recouvrer un semblant de calme. Il ne comprenait pas ce qui arrivait, si du moins quelque chose se passait vraiment, mais une chose était incontestable à ses yeux : il devait garder le peu de présence d'esprit qui lui restait encore avec lui. Il ne servait à rien de paniquer. Et paniquer à quel sujet, parce qu'il croyait avoir entendu quelqu'un évoluer dans la maison ? Ridicule !

Sloan, inspirant profondément pour se tranquilliser, alla se placer au dessus du lavabo. Il était surmonté par une glace rectangulaire si âgée qu'elle en était tâchée par endroits. Le garçon s'y jeta un petit coup d'oeil hésitant en ouvrant le robinet d'eau froide. Il avait véritablement une tête à effaroucher le pire sale gosse du quartier.

Quand le garçon eut terminé de nettoyer avec précaution son visage à l'aide d'un gant rêche humidifié, il se sourit dans le miroir, avec un timide soulagement. Son petit nez droit, comme il l'avait craint, n'était pas cassé... Seul un énorme hématome, largement épanoui sur sa joue gauche, témoignait de sa rencontre avec les poings des Bedonnants.

Sloan ôta son sweat-shirt sale et, en T-shirt trop court, entreprit de le laver au savon dur. Mais, juste comme il passait l'objet jaunâtre sur une tâche de sang, un souffle glacé vint lui caresser la nuque, immédiatement suivi d'un léger rire moqueur. A peine perceptible. Restait que le garçon l'avait tout de même entendu.

Il laissa vivement échapper son pull, saisi, la respiration coupée, soudain aussi raide, si ce n'est plus, qu'une baguette de bois peut l'être. De tout son être alarmé, il écoutait.

Mais non, rien. Evidemment. Oh, il était fatigué, la journée avait été atrocement longue, il croyait voir, non, entendre des choses, les Bedonnants avaient probablement fini par lui détraquer le cerveau avec leurs coups répétés. Une bonne nuit de sommeil et tout irait de nouveau bien. Oui, il avait dû tout imagi...

Un brusque souffle de vent, si froid que Sloan en sursauta, passa soudainement dans son dos. Le garçon, cette fois bel et bien effrayé, pivota si vivement qu'il manqua se tordre les chevilles. De son regard dilaté par la peur, il se mit à sonder la petite pièce carrelée, mais, bien entendu, elle était déserte. Il n'y avait personne ! Pourtant Sloan était prêt à jurer, sur tout ce qu'il possédait, quitte à passer une nuit sur le trottoir qui bordait sa rue, que quelqu'un venait de passer « en coup de vent » (C'est bien le cas de le dire!) derrière lui.

« Allez, Slo, arrête. Arrête. Arrête ! Tu te fais des idées. Tu vois bien que la salle de bains est vide. La maison l'est aussi. Tu es tout seul, tout seul, tout... »
Ce rire ! Encore ce rire, sardonique cette fois !

Sloan, prit de panique pour de bon, se rua sur la porte. Elle lui opposa une brève résistance, exactement comme si quelqu'un de robuste s'y appuyait de l'épaule, avant de consentir, comme le garçon au désespoir tirait dessus de toutes ses inutiles forces, à pivoter. Le jeune adolescent déboula dans le couloir, le traversa à toute vitesse, survola les marches de l'escalier plus qu'il ne les descendit avant de débouler dans la salle de séjour en trombe. La peur le portait littéralement vers la sortie.

Derrière lui, le rire, désormais haut et prononcé, le traquait. L'on se moquait de lui, l'on désirait le tuer ! Des pas, à présent lourds et rapides, très alertes, semblaient dévaler l'escalier, traverser le salon à leur tour comme Sloan se jetait sur la porte d'entrée.

On parla, d'un timbre aigu. Le garçon était cependant trop terrorisé pour saisir le sens desdites paroles. Tout ce qu'il comprenait, c'était que quelque chose était à ses trousses et que, s'il tenait à garder la vie, il était tout dans son intérêt de quitter la maison au plus vite !

Mais la porte refusait, oh, elle refusait, comme celle de la salle d'eau un peu plus tôt, de se laisser ouvrir. Sloan, au désespoir, forçait comme un damné sur la poignée, mais rien à faire, elle semblait verrouillée. Or, en rentrant, il n'avait fait que la fermer. Il ne s'était en aucun cas servi de sa clé.

Et puis, comme il se retournait, le souffle court, la mémoire lui revint, lui faisant l'effet d'un électrochoc. La porte de derrière ! Dans la cuisine ! Bien sur, mais bien sûr ! Tout n'était peut être pas perdu !

Sloan, le coeur battant d'une frénétique chamade, se mit à galoper. Entre l'entrée et la cuisine, il n'y avait pas dix pas à faire. En courant, ce n'était pratiquement rien. Et pourtant... Et pourtant le garçon avait la désagréable impression qu'il n'y parviendrait jamais.

Neuf pas... Six... Quatre !

L'enfant tendit la main pour pousser la porte de la cuisine mais, exactement au même moment, une femme se matérialisa devant lui. Elle était de petite taille, un sourire cruel assombrissant son visage, et surtout, surtout, constituée d'une étrange brume sombre. Le bout des doigts tendus de Sloan toucha la poitrine nébuleuse de l'apparition au lieu du battant de bois peint qu'il visait. Le garçon perdit instantanément conscience et s'effondra en avant, passant au travers de l'étrange femme exactement comme on jette un gros caillou dans un épais mur de brouillard. L'apparition, dans un dernier éclat de rire cynique, se volatilisa, abandonnant à son sort Sloan évanoui sur la moquette rêche qui recouvrait le sol de la salle de séjour.

A suivre...