Particularités des APN haut de gamme
Ces petits détails qui font toute la différence (I) Nous avons expliqué dans l'article consacré à la photographie numérique quelles étaient les particularités des APN réflex et qu'en fonction de leur degré de sophistication ou de l'introduction d'une innovation, leur prix pouvait flamber. Les modèles haut de gamme tels le Canon EOS 1D Mark II, 1Ds Mark III, 1D Mark IV et autre 5D Mark III, les Nikon D1x, D2x, D2H, D3x, D3s, D4, D4s et D5 y compris le Fujifilm S1 Pro et le Kodak DSC Pro SLR /c notamment coûtaient à l'époque de leur sortie et selon les modèles, entre 3500 et 7000 € sans optique ! Il existe encore des modèles compacts aussi chers chez Leica et des modèles moyens-formats de 100 Mpixels à 33000$ chez Hasselblad voire même 49000$ chez PhaseOne. Nous allons essayer de comprendre dans cet article comment les constructeurs justifient le prix des APN haut de gamme qu'on peut juger exorbitant dans l'absolu mais sans doute tout à fait relatif. Discuter du prix de ces appareils peut être considéré comme un sacrilège pour les puristes, pertinent pour d'autres ou encore naïf pour celui qui connaît le secteur et estime leur prix justifié et reflétant l'état du marché. En effet, nous verrons que malheureusement un produit sophistiqué sur lequel des ingénieurs de talent ont travaillé plusieurs années mérite toujours de figurer dans une catégorie à part. En fait, le prix très élevé des modèles haut de gamme cache des spécifications peu communes à faire envier tous les propriétaires d'APN bon marché. Toutes les industries et tous les commerces divisent leurs produits en différentes catégories : usage grand public et industriel; amateur, professionnel ou scientifique; entrée de gamme, milieu de gamme, haut de gamme; produit discount, produit de luxe; pur ou en alliage, avec de petites ou de grandes tolérances, etc, en fonction du secteur. Cette classification en catégories est autant valable pour les produits domestiques que la décoration, les vêtements, l'électro-ménager, les ordinateurs, les mobiles ou les appareils photographiques parmi des millions d'autres produits. L'existence de ces catégories obéit à une loi élémentaire du commerce : cibler un certain public. Maintenant il est possible qu'en vertu du caractère élitiste de la marque ou de la griffe, de son niveau de technologie ou tout simplement du public qu'elle vise, tout le monde ne se retrouve pas dans l'un ou l'autre modèle. Chacun sait que Rolls-Royce ne vend pas de voiture aux jeunes étudiants comme on ne vend pas d'appareil photo jettable à un reporter. Les APN haut de gamme ne suivent pas une autre règle. Il y a beaucoup de choses à dire sur les APN haut de gamme et les raisons techniques et marketing qui justifient leur prix. Nous allons essayer de diviser la question en différents points, sachant qu'à un certain niveau ils se rejoignent tous pour déterminer le prix de vente du produit et la stratégie commerciale du constructeur. En effet, on ne crée pas un produit onéreux pour le plaisir de le vendre cher mais du fait qu'il rassemble un ensemble de spécifications qui justifient son prix. Les spécifications techniques Décrivons tout d'abord ce qui distingue techniquement un APN haut de gamme d'un autre modèle de la gamme. Un APN qualifié de "pro" car généralement destiné à un usage professionnel, se reconnaît déjà à son poids et son encombrement ! En effet, équipé d'une optique standard, d'un grip, d'un flash externe et de sa base comprenant des batteries supplémentaires, un tel appareil pèse environ 2 kg. Dans cette configuration l'APN occupe un volume 50% supérieur à celui d'un APN d'entrée de gamme ! Vraiment impressionnant, et plus encore quand on voit son prix ! Pour le dire vite, le prix élevé d'un APN haut de gamme s'explique par sa sophistication, ses performances techniques et sa robustesse. Ces qualités nécessitent des processeurs et des circuits intégrés supplémentaires, des algorithmes améliorés, des mécanismes de plus haute précision (obturateur et autofocus plus performants), mieux amortis et mieux équilibrés (miroir réflex ou autres pièces mobiles), un viseur et un moniteur plus large et plus lumineux ainsi que des protections mécaniques renforcées contre l'usure mécanique (frottements, griffes, etc), l'humidité et la poussière.
Un APN comme le Canon EOS 1-Ds de 11.1 Mpixels (9900 € sans optique en 2002) comprend des renforts en caoutchouc sur tout le boîtier, jusqu'à 90 joints waterproof et des O-ring autour de tous les boutons. D'autres prévoient des joints anti-ruissellement. Ces particularités permettent aux reporters d'utiliser l'appareil dans les pires environnements ou presque, dans l'humidité de la jungle, la boue des rallyes, la chaleur du désert, la poussière des bombardements et même dans des froids polaires moyennant quelques précautions. Ce modèle a subi 4 évolutions (jusqu'au Canon EOS 1-Ds Mark IV sorti en 2009) puis fut remplacé par le Canon EOS 1-D X et ainsi de suite. D'autres modèles tel le Nikon D4s présenté à gauche (6400 € sans optique en 2014) a spécialement été conçu pour améliorer la dynamique et réduire le bruit électronique. Bien que sa définition n'atteigne que 16.2 Mpixels, en son temps il surpassait tous les autres APN par sa sensibilité qui peut être boostée à 409600 ISO en mode Hi 4. Il présente un mode rafale de 11 fps, un mode vidéo full HD à 60 fps, un débit élevé (42 Mbps pendant 10 minutes) et une sortie HDMI supportant les flux non compressés. En revanche, les reporters lui ont reproché peut être un vite d'utiliser l'autofocus de l'ancien modèle (AF MultiCam 3500 FX) car il a été amélioré pour assurer un meilleur suivi des objets en mouvements. Rappelons que la plus haute sensibilité par défaut d'un APN est de 102400 ou 409600 ISO selon les fabricants et supporte facilement des agrandissements de 800 à 1000%. Toutefois, sur le Nikon D5 sorti en 2016 elle est extensible jusqu'à 3280000 ISO (mode Hi 5) mais comme l'a montré le test de Petapixel, à cette sensibilité le bruit est vraiment trop apparent. Le principal problème des APN même les plus endurants est leur sensibilité aux températures extrêmes et en particulier des éléments électromécaniques au froid. Généralement un obturateur fonctionne entre 0 et 40°C et ne supporte pas longtemps les froids polaires ni les fortes chaleurs. Toutefois, l'ancien Nikon F-1 par exemple pouvait fonctionner entre -30 et +60°C et sous 95% d'humidité, raison pour laquelle on le retrouvait dans toutes les expéditions extrêmes. Les matériaux dont est constitué un APN haut de gamme sont également beaucoup plus robustes que ceux équipant un modèle d'entrée de gamme. Tout en étant plus léger que jadis, les nouveaux alliages résistent mieux à la ductilité (capacité à se déformer sans se rompre), à la traction, à la compression, aux variations de température, etc. Ainsi, là où un entrée de gamme tombant de 1 m de hauteur ou frappant un mur risque de se casser, de bloquer tout le mécanisme optique, de déformer l'obturateur, de décoller le pentamiroir ou le capteur, un haut de gamme pourrait encaisser le choc en se déformant mais il sera éventuellement possible de rectifier le boîtier ou le corps de l'objectif à moindre frais. Au pire il conservera une petite bosse. Bien sûr quelques APN meilleurs marché présentent certaines de ces caractéristiques du fait que le haut de gamme qui les a introduites est devenu rentable pour le constructeur, ce qui a permis de répercuter cette technologie sur les autres modèles quelques années plus tard. On y reviendra. La technologie touche bien entendu le capteur photosensible et son processeur d'image : superCCD, réduction du pitch, etc. Pour ne prendre qu'un exemple, un APN comme le Nikon D2H sorti en 2003 (3000 € en 2006) utilise une technologie "JFET LBCAST" (transistor à effet de champ) qui ressemble au CMOS mais dont le débit de données en sortie est beaucoup plus élevé. Ce capteur présenté ci-dessous à gauche est capable de réagir plus rapidement, il offre une plus grande définition, consomme moins d'énergie et présente moins de bruit d'obscurité qu'un capteur traditionnel, autant de caractéristiques qui justifient déjà son prix très au-dessus de la moyenne. A voir : Un Nikon D3 testé dans des conditions extrêmes (sur le blog)
Un APN haut de gamme présente également une plage de sensibilité plus étendue (pouvant atteindre ou dépasser 102400 ISO), une meilleure gestion du bruit thermique, des paramètres ajustables par l'utilisateur touchant par exemple la correction d'exposition, le nombre de points IR de l'autofocus, la balance des blancs, la taille et la rapidité du buffer, les cadences des images, etc. Il se différencie d'un modèle d'entrée de gamme par des fonctions supplémentaires comme des modes d'exposition plus sophistiqués (matrice 3D couleur), l'anti-vibration (VR) ou la réduction du bruit (NR), et d'autres relatives à la sécurité, au traitement d'images ou à la gestion de fichiers. Certains peuvent ainsi créer des fichiers TIFF non compressés et BMP tout en atteignant une définition de 16, 24 ou encore 36 Mpixels, effectuer un zoom sur l'image du viseur ou disposent d'un volet de protection du viseur. Ces petits plus accumulés qui, individuellement peuvent se retrouver dans d'autres modèles de la gamme, augmentent le prix de l'APN qui finit par changer de catégorie. La sophistication s'étend à la vitesse d'obturation qui varie entre 1/16000e ou 1/8000e de seconde, au bus de données à au débit et au buffer mémoire de grande capacité et très rapide pour assurer des cadences jusqu'à 10 ou 11 images/seconde et une autonomie qui atteint 12 heures en utilisation.
Ces APN bénéficient également d'une connectique très complète. Certains boîtiers sont équipés d'un port Firewire IEEE 1394 et USB 2.0 pour le transfert d'images vers l'ordinateur, d'une sortie série RS-232C prévue dans le même but ou pour la connexion à un GPS, d'un kit Wi-Fi 802.11b pour les transmissions sans fil, d'une sortie audio WAV, sans oublier des classiques sorties synchro pour le flash d'appoint (terminal), la sortie vidéo NTSC/PAL et la sortie pour une télécommande RS-80E3 ou TC-80N3. Excusez du peu... Notons que généralement la moitié de ces connexions sont disponibles sur tous les APN mais parfois cela se limite aux seules prises USB et vidéo. Grâce à tout cet arsenal, un APN haut de gamme est potentiellement capable de réussir des photographies dans des conditions plus difficiles qu'un modèle d'entrée de gamme : il est en mesure de gérer correctement une image présentant de forts contrastes sans surexposer ni sous-exposer les différentes parties de la scène (sauf cas extrêmes), de donner des images nettes même à très grandes vitesses, d'éviter la saturation des pixels (fonction antiblooming), il supprime le risque de bougé jusqu'à des vitesses très lentes, dispose d'une fonction de réduction du bruit électronique utile pour les longues poses ou les grandes sensibilités, il adapte le champ de mise au point et des mesures d'exposition en fonction de la focale, réalise des images macros qu'envirait presque un binoculaire et certains peuvent même photographier en infrarouge sans modification hardware. Le prix de la dépréciation Ce "pouvoir d'adaptation" des APN haut de gamme est très enviable et peu de modèles réflex d'entrée de gamme peuvent le revendiquer. Mais avec le temps, on peut se douter que la miniaturisation, la rentabilité du produit et la concurrence changeront la donne; les technologies qui sont aujourd'hui réservées aux APN haut de gamme se retrouveront d'ici quelques années dans des modèles semi-pros à environ 1000 € sans optique voire même dans des modèles compacts. Finalement et c'est très dommage pour leur propriétaire, ces APN se déprécient proportionnellement plus vite que les modèles moins sophistiqués. Il suffit de voir l'évolution de la technologie en l'espace de 5 ans : le Nikon D1 de 1999 présentait une définition de 2.7 Mpixels, une révolution pour l'époque qui se payait 5000 € et qui se revend difficilement aujourd'hui (il n'est même plus côté à l'argus) car le plus basique des APN dépasse 10 Mpixels, y compris les modèles compacts. A l'argus, un Nikon D4s "vieux" d'à peine 4 ans vaut 36% de son prix d'achat (~2400 € en 2018). Ainsi va la loi du marché, alliée de la loi de Moore. En revanche, la situation est plus honorable pour les optiques. C'est l'objet du prochain chapitre.
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