Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

L'ascenseur spatial

Une idée en l'air

A l'image du propulseur Mass driver, le projet d'ascenseur spatial revient à l'avant-scène depuis qu'il est question de coloniser la Lune et de trouver une solution économique au remplacement des navettes spatiales.

L'idée remonte à 1895. C'est en voyant la construction à Paris de la future "Tour de 300 mètres" qui deviendra la Tour Eiffel que Konstantin Tsiolkovski imagina une tour de 36000 km de hauteur pour amener des charges en orbite autour de la Terre. Par la suite, son idée fera l'objet d'un essai de science-fiction intitulé "Спекуляции о Земле и небе и о Весте" (Spéculations sur la Terre et le Ciel, et sur Vesta) publié à Moscou en 1959 chez Izd-vo Akademii nauk Soiuza SSR.

En 1960, l'ingénieur russe Yuri Artsutanov (1929-2019) fut le premier à détailler tous les concepts de base d'un "ascenseur non stationnaire" spatial et à faire des calculs sur la faisabilité de construire un "ascenseur non stationnaire" spatial et constata qu'il y a d'énormes difficultés à surmonter en termes de poids et de contraintes sur la structure. Il en fit un article qui fut publié le 31 juillet 1960 dans la "Pravda" présenté ci-dessous au centre, intitulé "В Космос - на электровозе" (Dans l'Espace - sur une locomotive électrique) dans lequel il souligne notamment qu' "un vol dans le cosmos à l'aide d'une fusée ne sera jamais comme une sortie en bateau ou un voyage en tram."

A gauche, Yuri Artsutanov vers 2010. Au centre, l'article publié le 31 juillet 1960 dans la "Pravda" par Artsutanov sur "l'ascenseur non stationnaire" spatial intitulé "Dans l'espace - sur une locomotive électrique". A droite, l'illustration de l'ascenseur spatial publiée dans l'ouvrage "The Stars Are Awaiting Us" d'Alexei Leonov et Andrei Sokolov en 1967. Documents Pravda via Elementy et Mol. Gvardiia.

L'idée d'Artsutanov circula en URSS et sera notamment publiée dans le livre très richement illustré d'Alexei Leonov et Andrei Sokolov intitulé "The Stars Are Awaiting Us" (Les étoiles nous attendent), un livre de 106 pages écrit en russe et en anglais publié en 1967 à Moscou par Mol. Gvardiia. En page 25, comme on le voit ci-dessus à droite il y a une illustration intitulée "L'ascenseur spatial", montrant un assemblage de sphères suspendues au-dessus du Sri Lanka, à partir desquelles un câble s'étend jusqu'à la terre. Les auteurs écrivent à ce sujet : "Si un câble est abaissé du satellite (24 h) à la terre, vous aurez un chemin câblé prêt. Un ascenseur "Terre-Spoutnik-Terre" pour le fret et les passagers pourra alors être construit, et il fonctionnera sans aucune propulsion de fusée." Les auteurs ne créditent malheureusement pas l'invention à Arstutanov. Par la suite, l'illustration originale fut achetée par l'américain Fred Durant pour le Musée National de l'Air et de l'Espace du Smithsonian à Washington qui devrait toujours la détenir dans ses collections.

En 1969, Artsutanov exposa également son concept d'"ascenseur non stationnaire" dans un article publié dans le numéro 2 de revue russe "Знание-сила" (Savoir-Puissance) sous le titre "Dans l'espace sans fusées : une nouvelle idée pour un lancement spatial".

Par la suite, au moins quatre versions de l'ascenseur spatial furent proposées par des chercheurs américains. La solution la plus détaillée fut proposée par James Pearsons de STAR Inc. dans un article publié dans la revue "Acta Astronautica" en 1974 dans lequel il décrit le concept d'une "tour orbitale" en tension, passe en revue les divers matériaux susceptibles de convenir pour la fabriquer et les nombreux problèmes mécaniques et dynamiques à résoudre.

Parmi les matériaux les plus résistants et les plus légers (de faible densité), Pearsons explique que "Des matériaux qui promettent des hauteurs caractéristiques de milliers de kilomètres sont les moustaches de cristaux parfaits qui ont été produits à petite échelle (ainsi que) les cristaux de diamant et de graphite."

Pour rappel, les "moustaches de cristaux" (crystal whiskers) sont des monocristaux qu'on appelle aujourd'hui des nanofibres. En raison de leur résistance et de leur faible densité, Pearsons insiste sur l'intérêt des cristaux de graphite[1]. Pour une tour de 50 cm2 de section, il calcula qu'il faudra 24000 vols de navettes spatiales pour la construire. C'est suite à cet article que l'auteur et inventeur Arthur C. Clarke (1917-2008) prit contact avec lui et entretena une longue correspondance car il envisageait de publier un roman de science-fiction sur le sujet.

Arthur C. Clarke popularisa le concept en 1978 dans son roman "Les Fontaines du Paradis" dans lequel il décrit un transporteur spatial érigé sur une île fictive située plus bas que Ceylan (Sri Lanka) où il habitait, au niveau de l'équateur. Dans un article publié en 1981, Clarke déclare qu'il s'est inspiré des travaux d'Artsutanov.

Etudes de faisabilité

Sur le plan mécanique, dresser un câble dans l'espace et s'assurer qu'il ne retombe pas sur terre exige de maîtriser la résistance des matériaux et le principe de la mise en orbite géosynchrone. Installer un ascenseur spatial revient à placer en orbite l'équivalent d'un satellite géostationnaire (à 35786 km d'altitude où il effectue une révolution autour de la Terre exactement à la même vitesse que celle-ci, soit en 23h 56m 4.1s) et à tirer à partir de lui un long câble jusqu'au sol.

Illustration artistique de l'ascenseur spatial (space elevator) par Glenn Clovis.

Mais si on réalise l'expérience, on constate qu'il ne va pas rester immobile au-dessus du sol. En effet, le poids du câble va déplacer le centre de gravité du système vers le bas et donc hors de l'orbite géosynchrone ou GEO. Pour que le système reste immobile par rapport au sol il faut prolonger le câble sur 70000 à plus de 100000 km vers l'espace afin de remonter le centre de gravité du système jusqu'à l'orbite GEO. On peut aussi remplacer une partie du câble éloigné par un contrepoids. De cette façon, toutes les forces sont équilibrées au point que la tension au sol (la traction) est négligeable, ce qui évite l'arrachage de l'installation au sol. La structure est pour ainsi dire en suspension dans l'air. Sans tension résiduelle, le câble est simplement fixé au sol pour éviter qu'il se déplace sous l'effet du vent mais la fixation peut en théorie se réduire à un cheveu, ce qui est tout à fait étonnant pour une telle structure.

Techniquement, il faut trouver un équilibre entre le poids du système, la masse qui tend à l'attirer vers le sol et la (pseudo) force d'inertie centrifuge qui le tend vers l'extérieur. S'y ajoute deux forces de tension, l'une dirigée vers la terre, l'autre vers le haut. Ca c'est le cas idéal d'un ascenseur spatial théorique comme on le lit dans les livres.

En pratique, de nombreuses forces supplémentaires s'appliquent sur le système. Ainsi, étant soumis à des forces de compression ou de tension (traction), l'ascenseur spatial mais également le câble représentent une masse qui peut engendrer un moment (force x rayon) à l'origine d'un couple de torsion (le torque). Plus le câble est fin plus ce torque est faible et peut être facilement corrigé.

Il y a aussi le phénomène de battement que l'on connaît bien en optique et en acoustique. Le câble peut osciller autour de son axe et subir des vibrations importantes dans le plan axial et en travers et se mettre à vibrer comme une corde de guitare. En pratique, si on connait généralement la position d'un débris de satellite à 500 ou 1000 mètres près, vu la dimension ultra fine et la distance de l'ascenseur spatial, étant donné qu'il balance sur son axe, on ne peut pas connaître sa position sur l'orbite GEO à moins de 1 km.

Enfin, il faut aussi tenir compte des multiples perturbations gravitationnelles liées aux interactions du système avec la Terre, la Lune et leurs mouvements combinés. Il y a notamment les perturbations gravitationnelles liées aux marées lunaires. Toutes les 12 heures, l'écorce terrestre se déforme de 3 mètres. Cette déformation vient s'ajouter aux tensions existantes. Si on n'en tient pas compte, le câble risque d'entrer en résonance et de se briser comme un pont suspendu mal conçu. Ce n'est plus un problème à 2 corps mais à N corps et même très complexe à gérer.

Il faut donc trouver le moyen d'équilibrer toutes ces forces antagonistes et un matériau capable de supporter de telles forces en tension et compression mais également en torsion.

Illustration artistique de l'ascenseur spatial par Pat Rawlings qui sera reprise par la NASA.

Les calculs et les simulations montrent qu'il existe plusieurs solutions qui reposent grosso-modo sur deux principes.

Dans le premier cas, on utilise un câble d'une section ou épaisseur constante d'environ 120000 km de long dont la tension est variable le long du câble. Mais vu les masses et les distances en jeu, les tensions sont tellement élevées que même des alliages comme l'acier ou des fibres synthétiques comme le Kevlar ne résistent pas à moins d'augmenter leur section de plusieurs milliards fois. C'est irréaliste. Le seul matériau résistant sont les nanotubes de carbone dont la section devrait seulement être multipliée par trois à hauteur de l'orbite GEO.

Dans le deuxième cas, on équilibre constamment les forces sur toute la distance. Pour y parvenir, il faut adapter les efforts en faisant varier la section du câble; il serait par exemple plus fin aux extrémités et plus large à hauteur de l'orbite GEO. Mais dans cette configuration il faut tenir compte du facteur d'aire qui est le rapport des sections minimales et maximales aux extrémités du câble. Si on utilise la même section aux extrémités, pour résister aux forces de tensions un câble en acier ou en Kevlar doit être des milliards de fois plus épais à hauteur de l'orbite GEO. Ici aussi c'est irréaliste. En revanche, en utilisant un câble en nanotubes de carbone il serait seulement deux fois plus épais à hauteur de l'orbite GEO qu'aux extrémités.

Dans sa version initiale, Artsutanov utilisait un câble construit à partir de matériaux existants mais qui n'avaient jusqu'alors été produits qu'en quantités infimes. D'un diamètre d'environ 1 mm à la surface de la Terre, il aurait une masse totale de 900 tonnes et serait capable de soulever 2 tonnes. Il s'étendrait jusqu'à une hauteur de 50000 km, soit 14000 km au-delà de l'orbite géostationnaire, la longueur supplémentaire fournissant la masse nécessaire pour maintenir l'ensemble du système sous tension, à l'image d'un poids à l'extrémité d'une fonde.

Artsutanov proposa d'utiliser le câble initial et qu'il se démultiplie lui-même, dans une sorte d'opération d'auto-assemblage, jusqu'à ce qu'il soit mille fois renforcé. Ensuite, il avait calculé que le câble serait capable de tracter 500 tonnes par heure ou 12000 tonnes par jour.

Clarke souligna que "Si vous considérez que cela équivaut à peu près à un vol de navette par minute, vous comprendrez que le camarade Artsutanov ne pense pas tout à fait à la même échelle que la NASA. Pourtant, si l'on extrapole de Lindbergh à l'état du trafic aérien transatlantique 50 ans plus tard, oserons-nous dire qu'il est trop optimiste ? C'est sans doute une pure coïncidence, mais le système envisagé par Artsoutanov pourrait à peine faire face à l'augmentation quotidienne actuelle de la population mondiale, autorisant les habituels 22 kg de bagages par émigrant..." Bref, pour Clarke, l'invention était certes révolutionnaire mais le projet n'était pas insurmontable.

La version la plus originale est sans doute celle de l'ingénieur Alexander A. Bolonkin qui travailla pour la NASA. En 2007, il proposa un mât ou tour électrostatique gonflable d'au moins 25000 km de longueur contenant un gaz d'électrons. Son principal avantage est qu'on peut modifier localement sa densité et donc la rigidité et la tension de la tour. Parmi ses autres avantages, elle présente un poids négligeable. Financièrement, elle est également économique. Selon Bolonkin, "La tour électrostatique peut être construite à partir de la surface de la Terre sans utiliser de fusées. Cela diminue le coût du mât électrostatique par des milliers de fois." Son installation est également polyvalente et peut être utilisée pour le tourisme, la recherche scientifique et les télécommunications. Mais à part le fait que le concept est cité à titre de mémoire, il n'a jamais été développé dans d'autres études. Car comme beaucoup de projets, l'auteur n'a pas tenu compte des risques qui viennent sérieusement contrecarrer sa survie.

Etudes de cas

Dans sa version "classique", l'ascenseur spatial consiste en un immense ruban plat de 35000 km de longueur pour 20 cm à 1s mètre de largeur (par commodité et sécurité il faut bien 1 mètre de largeur pour fixer correctement l'ascenseur) et d'une fraction de millimètre d'épaisseur, prolongé par un ruban faisant office de contrepoids qui pourrait s'étendre jusqu'à 72000 voire 108000 km, portant sa longueur totale à 144000 km dans le cas de la tour de Pearsons, soit plus d'un tiers de la distance Terre-Lune !

Dans une autre version, la partie située au-delà l'orbite GEO est raccourcie et fixée un contrepoids constitué d'un petit astéroïde qu'on aurait capturé et qui servira en même temps de base de lancement vers la Lune ou d'autres astres.

Décrit ainsi cela paraît délirant, mais en vertu des lois de la mécanique et de l'attraction gravitationnelle, ça fonctionne.

L'ascenseur spatial selon Obayashi Corp.

Dans sa version la plus récente, l'ascenseur spatial utiliserait des nanotubes de carbone ou CNT (Carbon Nanotube) à paroi simple ou multiples, sa force de tension étant comprise entre 65 et 120 GPa, ce qui est 20 fois plus résistant qu'un câble en acier et 6 fois plus résistant qu'un câble en fibre de quartz. 

La conductivité thermique des CNT est environ deux fois supérieure à celle du diamant et ils présentent une stabilité thermique jusqu'à 2800°C (sous vide).

Le centre de gravité de la structure se situerait sur l'orbite géostationnaire et il se maintiendrait sous l'effet de la force d'inertie centrifuge comme une corde que l'on ferait tourner au bout de la main.

Une ascenseur y serait fixé afin de transporter en orbite GEO n'importe quelle charge utile. L'ascenseur se déplacerait non pas au moyen de câbles pour des raisons techniques mais en glissant le long du câble par un système de guidage qui reste à concevoir. Arrivé à destination, n'étant plus soumis à la gravité, il se maintiendrait sur le câble simplement en s'y accrochant au moyen de mâchoires mobiles.

L'ascenseur lui-même se déplacerait à quelques centaines de kilomètres par heure (~200 km/h), pas trop vite pour éviter les effets de la force d'inertie de Coriolis. Selon sa vitesse, il pourrait rejoindre l'orbite GEO entre trois jours et une semaine.

La propulsion de l'ascenseur peut être assurée selon deux modes. D'abord depuis le sol parun laser de puissance jusqu'à 100 km d'altitude. Au-delà, le système peut exploiter toute la puissance de l'énergie solaire qui atteint 1367 W/m2 par seconde au niveau de l'orbite terrestre sur une surface perpendiculaire à la direction du Soleil (cf. la constante solaire). Les simulations montrent qu'il faut développer une puissance de 20 MW pour que l'ascenseur fonctionne de façon optimale. On peut produire cette énergie équivalente à celle produite par 2 TGV avec un moteur électrique alimenté par de grands panneaux solaires.

Mais déplacer une masse sur un câble signifie aussi des frottements et une perte d'énergie. Il faut donc trouver le système le plus efficace pour transmettre le maximum de puissance sans pénaliser le rendement au risque de se retrouver avec un système poussif incapable d'accomplir sa mission.

Cette installation permettrait de placer des satellites sur l'orbite GEO et même de lancer des missions habitées vers la Lune et des sondes spatiales. Comme le disait Clarke, on pourrait également à terme envisager son exploitation à des fins touristiques. Mais avant d'en arriver là, il y a la question des risques à résoudre.

Les risques

Aucun projet n'est aussi risqué que celui d'un ascenseur spatial et, comme ses aspects techniques décrits ci-dessus, les risques sont multiples et certains ne pourront pas être éliminés.

Il faut d'abord s'assurer que les fournisseurs de nanotubes de carbone livrent un produit de qualité identique tout au long du projet et ensuite pendant la maintenance de l'ascenseur spatial. Car certains types de nanotubes sont moins rigides ou moins résistants que d'autres. Ainsi certains nanotubes se brisent sous une traction supérieure à 45 GPa, d'autres au-delà  de 63 GPa. Même si c'est déjà 50 fois plus élevé que l'acier, si le cahier des charges fixe le seuil de rupture à 120 GPa, on ne peut pas faire d'économie sur la qualité des composants au risque de s'exposer à une défaillance structurelle majeure et la chute de toute l'installation qui serait équivalente à celle de l'impact d'une météorite !

L'entreprise de construction japonaise Obayashi Corp. qui étude la faisabilité de construire un ascenseur spatial (voir plus bas) testa en 2020 la durée de vie des nanotubes de carbone en collaboration avec la JAXA, l'Université de Shizuoka et Japan Manned Space Systems Corp. Ces tests font suite à une première expérience conduite entre 2015 et 2018 (cf. DECN).

Les chercheurs ont exposé des CNT dans le module d'expérimentation japonais "Kibo" (espoir) installé à l'extérieur de la station ISS pour vérifier la durabilité du matériau dans l'environnement spatial.  Les échantillons de CNT étaient recouverts de métal et de silicium. Les deux types de matériaux furent exposés respectivement pendant 1 et 2 ans à l'avant et à l'arrière de la station ISS. Les images ci-dessous montrent la dégradation des fibres exposées aux conditions de l'espace vers 430 km d'altitude. On constate que la majorité des fibres sont brisées. Etant donné les brevets qui se cachent derrière ces expériences, Obayashi n'a pas fait de commentaires. Mais malgré ce problème, l'entreprise reste confiante et fait toujours de la publicité pour son projet.

Document Obayashi Corp.

Ensuite, pour la partie haute située dans l'espace s'ajoute le risque de collision avec Des débris de satellites qui sont surtout présents en dessous de 1000 km d'altitude. On ne peut déjà pas les éviter sur la station ISS qui est à ~425 km d'altitude, alors n'imaginons même pas gérer un accident à plus haute altitude. Si dans un premier temps l'ascenseur ne transportera pas de personnes, à terme il sera indispensable qu'il soit blindé et qu'on installe un système de sauvetage. On y reviendra.

Si on calcule le risque de collision sur base du nombre de débris existants ainsi que sur le nombre d'impacts reçu par la station ISS et autres satellites, les simulations montrent qu'on s'attend à ce que l'ascenseur spatial - la plate-forme mobile - subisse 14 impacts de 1 mm chaque jour et 2 impacts de 1 cm chaque semaine. Il faut donc prévoir des réparations et une maintenance continue de l'ascenseur spatial et donc prévoir des sorties dans l'espace (EVA) à chaque voyage, aller comme retour. En théorie, il faudrait même effectuer ces réparations "en vol", pendant que l'ascenseur se déplace. Ce ne sera pas évident à 200 km/h et même impossible dans l'atmosphère. On ignore aujourd'hui si on pourra confier ce travail à des robots, mais c'est en tout cas une idée sur laquelle travaille notamment la NASA avec ses fameux robonautes.

S'ajoute la présence éventuelle de courant parcourant le câble induit par le mouvement de l'ascenseur spatial dans un champ magéntique. S'ils sont très faibles, ils pourraient avoir des effets inconnues.

Il y a également les essaims de météores et autres bolides dont il faut se protéger. Ce n'est pas très grave tant que l'ascenseur spatial transporte du matériel mais cela peut malgré tout contrecarrer sérieusement une mission. Si on peut prédire le passage des essaims, il est pratiquement impossible de prévoir l'arrivée d'un petit impacteur inférieur à quelques dizaines de mètres de longueur. Seuls les quelques dizaines de milliers de débris spatiaux sont surveillés ainsi que les trajectoires des grands astéroïdes (à partir de quelques mètres de diamètre). 

A voir : Michio Kaku on the space elevator, 2011

Elon Musk on Why Space Elevators Won't Work, 2017

A gauche, l'ascenseur spatial selon Danny Gardner. A droite, le contrepoids placé au-delà de l'orbite GEO peut-être constitué d'une station-relais servant de base avancée pour des missions habitées vers la Lune et au-delà. Document Jeff Bartzsis.

Pour la partie basse de l'installation située entre la tropopause et le sol, il y a les questions météorologiques et géophysiques à résoudre. Comment s'assurer que l'installation résistera aux cyclones et aux tempêtes tropicales qui comme en septembre 2017 se sont mises à trois pour frapper les Antilles (cf. cette image). L'installer dans la partie sud-est des Etats-Unis comme en Floride par exemple ou dans le Golfe du Mexique est donc trop risqué. Il faut aussi éviter les zones sismiques comme l'Amérique centrale et l'Asie du Sud-Est qui sont également des sources potentielles de tsunamis. Dans ces conditions, l'installation doit être érigée à l'écart du couloir emprunté par les cyclones et la mousson, loin des failles tectoniques et des tremblements de terre. Le câble formant également un excellent paratonnerre, il faut aussi s'écarter des zones orageuses.

Les seules zones de calmes relatifs près de l'équateur sont la bande équatoriale de l'Afrique, l'Atlantique au large de l'Afrique de l'Ouest et l'Océan Indien. L'alternative serait de l'installer au large de la Guyane française ou du Brésil ou dans le Pacifique sud au large de la Colombie. Le site idéal, à la fois à l'abri des séismes, des cyclones et des orages a été identifié et il n'y en a qu'un seul sur la planète qui se trouve près des Galapagos. Quant aux perturbations gravitationnelles décrites plus haut, il faudra apprendre à les gérer.

En 2012, Obayashi Corp. (voir aussi ce lien) précitée présenta son concept d'ascenseur spatial construit à 10 km au large d'une île des Galapagos. Le câble ferait 96000 km de longueur et un contrepoids serait placé à son extrémité qui pourrait également servir de station-relais pour des missions spatiales. Le système permettrait de transporter sur orbite des masses jusque 100 tonnes. L'entreprise prétend que tout pourrait être prêt en 2050.

A voir : The Space Elevator Construction Concept, Obayashi Corp., 2022

The Space Elevator Construction Concept, Obayashi Corp., 2022

Japan’s Obayashi to Build Space Elevator by 2050

Le projet d'ascenseur spatial installé aux Galapagos selon Obayashi Corp.

Si l'ascenseur spatial est un jour utilisé par des astronautes ou à des fins touristiques, à hautes altitudes il faut s'assurer que le personnel pourra voyager en toute sécurité à l'abri du rayonnement des Ceintures internes de Van Allen situées vers 3500 km d'altitude et des CME éjectées par le Soleil. Heureusement on peut prédire l'arrivée d'une CME et d'une tempête géomagnétique quelques jours à l'avance.

Pour ne pas mettre en danger la vie de l'équipage ou des passagers en danger lors d'un vol au-dessus de 10 km d'altitude (cf. le mal de l'espace), on peut protéger les lieux habités contre les particules et les rayonnements ionisants et même contre les impacts en utilisant un sandwitch de plusieurs parois blindées et même des parois de plomb. Ceci dit, aucun blindage ne peut résister à un impacteur mesurant plus d'un centimètre se déplaçant à quelques kilomètres par seconde. Il faut également prévoir une solution de sauvetage d'urgence comme par exemple en plaçant une navette de sauvetage à côté de l'ascenseur qui reviendrait se poser sur la Terre en vol automatique.

Mais à rendement constant cela réduira le volume utilisable et le poids embarqué. Cela signifie qu'à terme, l'ascenseur spatial devra changer d'échelle si on veut l'utiliser pour transporter des personnes. Vu que le matériel vieillira, à cette époque il sera sans doute préférable de construire un nouvel ascenseur spatial adapté aux futurs besoins.

Ajoutons également tous les problèmes qui apparaîtront inévitablement en cours de construction et d'exploitation, ce que démentiront pas les chefs de projets.

Il faut aussi tenir compte du risque lié aux conflits sociétaux (crise, révolution, guerre, etc). L'ascenseur spatial est une cible idéale pour les terroristes comme Kim Stanley Robinson le décrit dans son roman "Mars la Rouge" (Red Mars, 1992).

Enfin, que fera-t-on si le câble casse ? Dans la série "Foundation" inspirée des romans d'Isaac Asimov diffusée par Apple TV+, des terroristes détruisent un ascenseur spatial utilisé par l'Empire Galactique. De la taille d'une tour circulaire aussi large qu'un superbuilding futuriste, comme illustré ci-dessous à droite la structure est divisée en milliers de sections le long desquelles circule des ascenseurs qui peuvent embarquer des passagers. Cela n'a donc plus rien à voir avec un petit ruban plat d'un mètre de large en nanotubes de carbone. Cependant, on peut extrapoler à grande échelle ce qu'on observerait avec un simple câble ou une tour spatiale segmentée.

A voir : Foundation - Bande-annonce officielle, Apple France, 2021

Extraits de la série "Foundation" inspirée des romans d'Isaac Asimov diffusée par Apple TV+. A gauche, un passager profitant du panorama dans un ascenseur spatial. A droite, un gros-plan sur le câble. Documents TCS, Prod.DB, Apple TV+.

Sous son poids, l'installation va d'abord céder aux sections aménagées lors de sa construction et aux endroits fragilisés. Si le câble est de petite section, il peut s'agir des endroits où il y a des faiblesses et des défauts stucturels comme des impacts.

La partie la plus proche du sol s'effondrera en premier de tout son long en raison de l'effet combiné de la gravité et de la force d'inertie de Coriolis qui l'entraîne dans sa chute. Elle va tomber le long de l'équateur et à moins d'être installée au milieu de l'océan Atlantique ou du Pacifique, elle s'effondrera sur plusieurs pays, provoquant des dégâts indescriptibles proportionnels à sa masse et ses dimensions.

Du fait de la rotation de la Terre sur son axe, mais n'étant plus en rotation géosynchrone, une structure massive large comme un superbuilding et longue de plus de 40000 km va s'enrouler sur plus de 6000 km autour de l'équateur. Environ 4-5 heures après le début de sa chute, les parties supérieures du câble ne toucheront plus la surface de la Terre. Si les sections se démantèlent très haut dans la structure, à plusieurs centaines ou milliers de kilomètres d'altitude, leur vitesse augmentera à mesure qu'elles se rapprocheront de la surface. Il est possible que des pièces accélèrent suffisamment pour atteindre la vitesse de satellisation sur une orbite non circulaire autour de la Terre soit 4.9 km/s à 10400 km d'altitude, 6.9 km/s à 2000 km d'altitude et 7.9 km/s à 200 km d'altitude. Ceux qui ne seront pas satellisés retomberont sur Terre à des vitesses de plusieurs kilomètres par seconde et auront le même effet que l'impact de météorites peu denses. Les dommages risquent d'être très élevés ainsi que le nombre de victimes.

Bien sûr, si le câble est toujours intact, chaque pièce exercera une force sur les autres pièces à proximité. Cela entraînera l'écrasement d'une plus grande partie du câble sur la Terre. Mais à un moment donné, les tensions dans le câble deviendront si fortes qu'il se brisera tout simplement. Le ciel sera alors envahi de débris spatiaux. Compe tenu de ce risque, c'est peut-être une bonne chose que nous soyons encore au stade des fusées !

Le professeur associé de physique Rhett Allain de l'Université de Southeastern de Louisiane a simulé la chute d'un câble constitué d'une centaine de sections depuis l'orbite GEO. Pour simplifier son modèle, chaque section n'est sensible qu'à la force gravitationnelle de la Terre. Le résultat de la simulation est présenté ci-dessous (cliquez sur l'image pour lancer la vidéo .MP4 de 900 KB) ainsi qu'un extrait du film "Foundation" au moment du crash de la structure sur la Terre.

A voir : Physics of Making and Breaking Space Elevators - Science of the Foundation

Le physicien américain Bradley C. Edwards de l'Institute for Scientific Research envisageait la construction de l'ascenseur spatial dès 2015 pour un investissement de 10 milliards de dollars, soit 2.5 fois le prix d'investissement d'une nouvelle navette spatiale. Il oubliait toutefois de préciser que pour construire cet ascenseur nous devons organiser plus de mille missions spatiales et disposer d'une véritable flotte de vaisseaux spatiaux réutilisables... Bref, son budget initial peut être multiplié par dix. Aussi en attendant, son employeur ainsi que le Congrès lui ont accordé un budget de 3 millions de dollars pour réfléchir à la question et revoir sa copie.

Compte tenu des aléas de tels programmes, il s'agit plutôt d'un appel aux mécènes comme il y en eut pour construire le VLT, le radiotélescope Allen de l'Institut SETI ou assurer la survie du projet Biosphère 2. Car une fois le plan financier établi et le budget voté, il faut non seulement construire cette structure mais il faut s'en servir, veiller à sa sécurité et assurer sa maintenance. Or à l'heure actuelle, ni la NASA ni aucune autre agence spatiale ne peut garantir la survie de tels projets qui dépendent de la manne financière du pouvoir public. Déjà aujourd'hui la NASA rechigne à réparer des satellites performants (comme ce fut le cas pour Hubble) pour une question de sécurité ou de changement de politique.

Un ascenseur spatial pour quoi faire ?

Finalement, avant de payer une avance sur la facture, les commanditaires voudront savoir à quoi servira l'ascenseur spatial et les financiers poseront la question du rapport coût/bénéfice. Question subsidiaire, cela vaut-il la peine de construire une telle structure ?

D'abord les chiffres. Pour placer à 400 km d'altitude (vitesse orbitale de 8 km/s) un objet de 1 kg, il faut une énergie totale de ~36 mégajoules (par comparaison, élever un objet de 1 kg de 1 mètre dans le champ de pesanteur terrestre exige 10 joules ou ~2.4 calories). Il faut donc beaucoup d'énergie pour réaliser une mise en orbite. Les fusées à pergols chimiques doivent également embarquer leur carburant. Rien que pour atteindre l'orbite LEO, jusqu'à 85% de la masse totale d'une fusée est du carburant. Ce mode de propulsion est très inefficace.

L'ascenseur spatial selon Frans Blok.

Un lancement spatial au moyen d'une fusée Ariane V de l'ESA coûte environ 1 milliard d'euros. Son concurrent SpaceX propose un lancement par une fusée Falcon 9 ou Falcon Heavy pour respectivement 62 et 90 millions de dollars (2018). Falcon Heavy peut transporter 63.8 tonnes en orbite LEO et 26.7 tonnes en orbite GEO (cf. Spaceflight, 2017).

Avec sa future fusée Starship, Elon Musk annonce un coût opérationnel de 2 millions de dollars dont 900000$ pour le carburant, qu'il considère lui-même comme bon marché (cf. Spacenews, 2019). Starship pourra transporter en orbite LEO une charge utile de 100 à 150 tonnes, ce qui porte le prix de la charge utile à moins de 2$ par kilo. C'est au moins 5000 fois moins cher que ce que demande l'ESA et 10000 fois moins cher que ce que demande la NASA pour son SLS dédié aux futures missions lunaires (plus de 2 milliards de dollars par fusée). Dans un premier temps, le SLS pourra transporter en orbite LEO des charges de 95 à 130 tonnes. Dans cette configuration, s'il s'agit d'un vol unique, cela porte le prix de la charge utile à 2000$ par kilo en orbite LEO. Les fusées réutilisables légères de SpaceX et la future fusée Thémis de l'ESA prévue vers 2026 feront baisser le prix des charges utiles

Outre le prix, une fusée exige des équipes d'astronautes hautement qualifiés et en très bonne santé, des systèmes de survie et de secours fiables et une grande organisation au sol.

L'ascenseur spatial sera utilisé dans un premier temps pour lancer des charges utiles sans équipage. On peut donc ignorer la question de la sécurité des passagers et tout le système de survie (zones de séjour, nourriture, habitacle blindé et navette de sauvetage).

Vu sa situation sur l'équateur avec une inclinaison orbitale de 0°, il ne peut lancer que des satellites géostationnaires. Il ne peut pas servir à placer sur orbite des satellites présentant une inclinaison orbitale comme les satellites en orbite basse (LEO), moyenne (MEO), polaire ou héliosynchrone (SSO) ni les placer sur une orbite de transfert (GTO). Cela limite grandement son potentiel d'autant plus à l'heure des réseaux câblés et d'Internet. En revanche, il peut lancer des sondes spatiales ou transporter des charges utiles vers une station-relais d'où des astronautes partiraient en mission vers la Lune ou des astéroïdes. A plus long terme, il pourrait aussi embarquer des touristes.

La construction de l'ascenseur spatial coûte aussi cher que le programme des navettes spatiales. Mais tout est relatif quand on sait que l'organisation de la coupe du monde de football au Quatar en 2022 coûta deux fois plus cher, soit 200 milliards de dollars.

L'ascenseur spatial est un outil très rentable, bien plus rentable que les navettes et les fusées. A l'heure actuelle la mise en orbite d'un kilo de charge utile par l'ESA, la NASA ou Roscomos coûte entre 15000 et 22000 dollars. Avec l'ascenseur spatial nous parlons d'un budget entre 200 et 500 dollars seulement et à chaque mission on peut emporter au moins 100 tonnes en orbite GEO ou au-delà. Toutes les trois semaines ou tous les mois, on peut envoyer du matériel et plus tard du personnel en orbite.

Fin de vie

Admettons qu'on construise cet ascenseur spatial. Si tout se passe bien et qu'il est bien entretenu, on pourra peut-être l'utiliser pendant un siècle en attendant une meilleure solution. Que fera-t-on ensuite de la structure lorsqu'elle ne sera plus utilisée ? D'ici 2100 ou 2200, nos descendants auront bien le temps d'y penser et de trouver la meilleure solution mais on peut déjà proposer diverses solutions.

Lorsque l'ascenseur spatial sera déclassé et hors service, il est impossible de le laisser là-haut. Sans maintenance et sans contrôle, il représente un danger potentiel et un obstacle pour le trafic aérien et astronautique. Vu la nature et la taille de la structure, on ne peut pas la désorbiter en espérant qu'elle se consumera dans l'atmosphère et que les rubans de carbone d'un mètre de large tomberont dans un lieu inhabité.

Si les métaux ordinaires fondent entre ~420 et ~1500°C, les nanotubes de carbone de 60 nm fondent vers 3100°C. Lors d'une rentrée atmosphérique, la montée en température n'apparaît que lors de la traversée des couches denses de l'atmosphère vers 100 km d'altitude et disparaît vers 30 km d'altitude (cf. les débris de satellites). Même en tombant depuis l'orbite GEO, la température du câble de carbone restera largement inférieure à 1000°C (contre 1650°C pour le bord d'attaque des ailes de la navette spatiale et 1800°C aux jointures des ailerons des ailes) et il ne se consumera pas. En revanche, selon les dimensions du câble, il risque de se désassembler aux sections aménagées lors de sa construction. Même si une partie du câble tombera hors de la Terre en raison de sa rotation (cf. la simulation plus haut), étant donné qu'on ne connaîtra pas la position du câble et donc sa trajectoire avec précision, on ne peut pas prendre le risque que des fragments de plusieurs kilomètres ou centaines de kilomètres de long pesant des dizaines de kilos voire davantage tombent sur des avions et encore moins dans des endroits habités sur des buildings ou au milieu de la circulation. Par conséquent, cette solution est définitivement écartée.

Il reste deux autres solutions : le démantelement et la libération de la structure. Les deux solutions coûteront le prix d'un programme spatial et se feront à fond perdu. Cela n'intéressera donc personne mais c'est une tâche qu'il faudra accomplir.

Le démantelement sera l'inverse du processus d'assemblage. Ce sera complexe à mettre en oeuvre, long, cher et les seuls qui gagneront de l'argent seront les ferrailleurs reconvertis dans le recyclage des CNT. Vu son coût, cette solution sera donc probablement rejetée.

On peut aussi libérer la structure. Vu les tensions qui s'appliquent sur le câble avec et sans le contrepoids, ce projet sera un vrai défi car personne n'a jamais essayé de tracter une structure de cette taille. Le projet sera planifié en plusieurs étapes. On ramène d'abord l'ascenseur au sol. Ensuite on fixe un propulseur près de l'extrémité extérieure du câble ou sur le contrepoids. Puis on libère le câble du sol et on commence à le tracter loin de la Terre. Tout en maintenant solidement le câble pour éviter qu'il dérive vers la Terre ou vers la Lune, on règle la question du contrepoids. Soit on le récupère pour un autre usage soit on s'en débarrasse en l'expédiant dans l'espace. Enfin, il reste à tracter le câble et l'expédier par exemple vers le Soleil pour éviter d'avoir des débris supplémentaires en orbite.

A l'inverse du propulseur Mass driver (cf. NSS) qui verra probablement le jour sur la Lune ou dans l'espace d'ici un ou deux siècles, il n'est pas certain que l'on construira un jour l'ascenseur spatial qui à tous les attributs du projet chimérique. En effet, sa construction dépendra des progrès technologiques, de la stratégie à long terme des sponsors et des sources de financement mais également de l'analyse des risques. Or si on peut gérer la technologie et trouver des financements si la demande existe, le facteur risque est en partie incontrôlable et de ce fait beaucoup plus pénalisant que tous les autres. Mais il a toujours des ingénieurs optimistes prêts à relever tous les défis pour lesquels ce projet n'est pas irréaliste ni irréalisable.

La Spaceline, une ligne directe vers la Lune

Si ce projet n'était pas assez extravagant et complexe, Z.Penoyre et E. Sandford ont proposé en 2019 la "Spaceline", un ascenseur spatial entre la Terre et la Lune... soit plus de 380000 km de câble dont une extrémité serait ancrée sur la Lune. Et ce qui fonctionne sur la Terre et sur la Lune, peut aussi fonctionner sur Mars...

Mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs et essayons déjà de mettre au point cet ascenseur spatial jusqu'à l'orbite GEO.

L'ascenseur spatial lunaire. A gauche, la version de Z.Penoyre et E. Sandford imaginée en 2019. A droite, une autre version de l'ascenseur Terre-Lune. Document Alamy et Getty/Walter Myers/Stocktrek. 

Défaut d'impulsion

Si l'ascenseur spatial a théoriquement de l'avenir, avant de lancer le projet, c'est un euphémisme de dire qu'il y a quelques problèmes à résoudre. D'abord quel matériau faut-il utiliser pour fabriquer le câble de l'ascenseur ? Il est impossible d'utiliser de l'acier car il s'effondrerait sous son propre poids (la masse volumique des CNT est de 1.3 à 1.6 g/cm3 contre 7.5 à 8.0 g/cm3 pour l'acier soit 5 à 6 fois plus lourd). Comme évoqué plus haut, les nanotubes de carbone semblent prometteurs, mais nous ne possédons pas d'usine capable d'en produite en grande quantité (nous avons besoin d'au moins 100000 km de câble...).

Fabriquer un câble en CNT de "qualité spatiale" ne s'improvise pas et tout est encore à inventer. Soit on fabrique des nanotubes de carbone de plus de 100000 km de long sans aucun défaut, ce qui est irréaliste, soit on les assemble comme on le fait avec un filin en acier mais avec une étape de coagulation et de filage (voir note en bas de page).

Le problème est que les propriétés observées à l'échelle nanoscopique ne sont pas toujours au rendez-vous à l'échelle macroscopique. Une fois assemblés, les nanotubes peuvent par exemple glisser les uns sur les autres et se déformer, altérant leurs propriétés. Sous cette forme, ils sont moins rigides que les nanotubes originaux. On ne peut donc pas simplement extrapoler leurs propriétés à grande échelle. De plus, elles vont dépendre de la qualité des nanotubes au début de la chaîne de fabrication, et cela augmente le prix de la facture.

En 2005, le géant allemand Bayer, leader de la fabrication des matériaux, avait commencé à produire des nanotubes de carbone. En 2009, Bayer Material Science (BMS) avait investi 22 millions d'euros dans une usine pilote capable de produire 200 tonnes de nanotubes chaque année. Mais le transfert technologique du laboratoire aux applications industrielles n'a pas été réalisé. Pour un industriel, un investissement doit être rentable et une promesse ou un rêve américain n'est pas synonyme de bénéfice. Bayer a donc abandonné face au manque de volonté politique et ferma son usine de production de CNT de Leverkusen en 2013. Bayer a même cédé la majorité de ses brevets dans ce domaine à FutureCarbon GmbH, une entreprise spécialisée dans ls nanomatériaux basée à Bayreuth, en Allemagne. Les deux sociétés étaient auparavant partenaires.

Il existe bien entendu d'autres entreprises dans le monde fabriquant des nanotubes de carbone mais ces derniers ne présentent pas tous la même qualité. Actuellement, le prix le plus bas de la poudre de CNT est d'environ 1000$Can/g chez Raymor au Canada. Mais il s'agit pas encore d'un câble prêt à l'emploi. Cela demandera encore quelques années de recherches.

Comme toute nouvelle invention géniale (l'électricité, l'ampoule à incandescence, le nylon, le réacteur nucléaire à fusion, etc), encore faut-il que le monde politique se décide à investir non seulement dans les CNT ou les feuilles de graphène (des CNT déroulés) où le potentiel économique est réel (cf. les applications militaires, sportives, etc) mais également dans un projet aussi ambitieux qu'un ascenseur spatial. Nous en sommes encore à des années-lumière.

En guise de conclusion

Ainsi qu'on le constate, le cahier des charges de l'ascenseur spatial est très volumineux et très complexe, sa conception, sa planification et sa construction plus difficiles et plus longues que la plus grande structure construite à ce jour. Sa construction exigera des synergies entre de nombreuses disciplines scientifiques et technologiques. Une fois terminé ce ne sera pas la fin du projet mais le début d'une autre phase toute aussi importante, la maintenance de l'ascenseur spatial. Ici aussi, sa maintenance continue sera réalisée d'une manière qui n'a jamais été faite à ce jour et elle durera aussi longtemps qu'il sera en l'air, c'est-à-dire non seulement jusqu'à sa mise hors service mais tant qu'il sera présent au-dessus de nos têtes et représente un danger potentiel. En effet, compte tenu des risques et en particulier ceux liés aux gros impacts ou un accident, on ne peut pas se permettre d'abandonner une telle structure à proximité de la Terre sans l'entretenir jusqu'au dernier jour.

Si tous les chercheurs peuvent apprendre beaucoup de choses en concevant l'ascenseur spatial et en profiter pour innover dans des domaines connexes, ne nous faisons pas d'illusions, il faudra des décennies avant de maîtriser tous les processus et aboutir à un projet viable. Envisager sa construction vers 2050 est peut-être aller un peu vite en besogne quand on connaît les problèmes à résoudre et tous ceux qu'on découvrira encore.

Si actuellement on ne voit pas trop l'utilité d'un ascenseur spatial qui paraît même superflu avec les fusées réutilisables de SpaceX, si un jour il prendra son envol ce sera par nécessité, comme depuis peu, le tourisme spatial est une réalité.

Retour à L'astronautique


[1] A l'époque on avait découvert les nanotubes de carbone en Russie (cf. L.V. Radushkevich et V. M. Lukyanovich, 1952) mais la Guerre Froide empêcha tout échange scientifique entre la Russie et l'Occident. Il faudra attendre plus de vingt ans pour que des chercheurs américains découvrent ce matériau (cf. A.Oberlin et al., 1976; J.Abrahamson, 1979, 1999). C'est en 1991 que Sumio Lijima et Toshinari Ichihashi de NEC et l'équipe de Donald S. Bethune d'IBM parviennent à synthétiser des nanotubes monofeuillets (SWCNT) en phase gazeuse.

De nos jour, on fabrique de la poudre de carbone qu'on dilue ensuite dans un solvant. Pour obtenir des fibres, on injecte ce mélange dans un autre solvant appelé un bain de coagulation dans lequel la poudre n'est pas soluble mais coagule. Comme cela se fait avec d'autres polymères, durant leur coagulation, on étire les nanotubes sur plusieurs mètres pour obtenir un fil très fin. Il est ensuite lavé et séché avant d'être bobiné. Il est alors prêt à l'emploi.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ