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Le mal de l'espace

Edward H. White lors de son EVA de 23 minutes lors la mission Gemini IV le 3 juin 1965. Document NASA.

Un milieu hostile (I)

L'étude du mal de l'espace remonte avant la Seconde guerre mondiale, en 1939, lorsqu'un groupe de chercheurs de la British Interplanetary Society se mit à inventer les scénarii les plus horribles et les effets les plus inattendus qu'était supposé provoquer l'état d'apesanteur sur les astronautes et les futurs pilotes au long cours galactique. A l'époque personne ne savait comment le corps réagirait en état d'apesanteur, si même il y survivrait.

Plus tard en 1957, en préparant la conquête de la Lune, les Soviétiques ont envoyé une chienne, Laika, dans une fusée pour étudier son comportement dans ce milieu hostile à l'homme. Elle y perdit malheureusement la vie.

Les Américains firent de même avec des singes et plus tard avec toute une série de vivarium portatifs contenant des batraciens mais également des araignées et des mouches. Les effets des rayonnements ionisants furent également mesurés sur des matériaux inertes et des tissus organiques (bactéries, champignons, plantes, etc).

Plus récemment les effets de l'apesanteur ont été étudiés à loisir sur les êtres humains au cours de vols balistiques en avion-cargo (par exemple l'Airbus A300 Zero-G de l'ESA ou de société privée), durant des chutes libres dans des "tours du vide" et lors d'expériences d'impesanteur réalisées en ballon stratosphérique ou embarquées sur des satellites artificiels éloignés de tout influence terrestre. Plus récemment des civils volontaires ont participé à des programmes de recherche sur les effets liés à l'état d'apensateur en vivant la tête en bas durant plusieurs semaines sous contrôle médical.

Avec le recul d'un demi-siècle d'expériences en apesanteur et plusieurs années d'analyses médicales continues grâce au bon vouloir de civils et surtout des cosmonautes et autres astronautes embarqués pour des séjours prolongés dans les stations Skylab, Spacelab, Saliout, Mir et à présent ISS, on peut dire aujourd'hui que la majorité des organismes s'adaptent à l'état d'apesanteur mais au détriment de transformations sur les plans physiologique et biomécanique. Quant aux créatures les plus primitives (insectes, etc.) elles parviennent difficilement à coordonner leurs mouvements dans cet espace privé de gravité et parfois soumis à un intense bombardement corpusculaire du Soleil. En revanche, les bactéries s'adaptent très bien à l'apesanteur et ce n'est pas nécessairement une bonne chose quand elles parasitent les êtres humains ou dégradent leur matériel en l'enveloppant dans un biofilm !

Nous allons décrire les principaux effets auxquels notre organisme est sensible, les moyens mis en oeuvre pour les contrer ou les diminuer et les conséquences que provoque ce changement d'environnement après le retour sur Terre.

Les effets de l'apesanteur

En 1968, dans le célèbre film "2001: l'Odyssée de l'espace" (dont voici un résumé ASX de 499 KB, Ainsi parlait Zarathustra, Le Danube), Arthur C. Clarke et le réalisateur Stanley Kubrik mettaient en scène une prestigieuse station spatiale tout confort qui tournait lentement sur elle-même au rythme de la valse de Strauss afin que la force centrifuge procure à ses habitants une sensation de poids comparable à celle de la pesanteur terrestre, ce qui leur permettait de marcher au plafond ! Effet garanti ! En quelques instants on avait l'impression de vivre la tête à l'envers... L'effet de l'apesanteur nous faisait perdre le sens de l'orientation, il n'existait plus de "haut" ni de "bas". Mais comme nous allons le découvrir tout ceci n'est pas sans conséquence sur l'organisme et sa façon de s'adapter aux forces qui régissent le monde qui nous entoure.

La station SS5, vedette du célèbre film d'anticipation "2001: l'Odyssée de l'espace" d'Arthur C. Clarke et Stanley Kubrik. Une prestigieuse station spatiale comme on n'en verra sans doute jamais. Seule une entreprise privée pourrait un jour nous inviter dans une station de cette catégorie. Image restaurée par l'auteur en hommage à S.Kubrik et S.Kubrik/Warner Bros Entertainment.

En inventant cette roue, les chercheurs avaient trouvé une solution simple pour éviter que les astronautes ne soient pris du mal de l'espace et ne subissent une crise cardiaque suite à l'emballement du rythme du coeur en l'absence de gravité, comme le pensaient à l'époque certains spécialistes. Et de fait pourrions-nous dire, le seul être qui ait jamais subit les effets du mal de l'espace dans ce palace spatial fut HAL 9000, Carl, l'ordinateur de bord prit d'une folie meurtrière envers l'équipage en mission vers Jupiter... Allez, assez halluciné[1] !

Si les auteurs de science-fiction ont eu plus d'une fois des idées avant-gardistes, ou plutôt si certaines de leurs inventions ont été récupérées par les ingénieurs, aucun n'a vraiment déliré sur le mal de l'espace même si certains ont prétendu avoir inventé une pilule miracle pour éviter les effets sur l'organisme des vols dans l'hyperespace comme il en existe pour le mal de mer.

Car quoi qu'en disaient à l'époque Arthur C. Clarke et ses conseillers scientifiques de la NASA, si la station orbitale en forme de roue et tournant sur elle-même permet de simuler une force de gravité, de part sa conception elle est plus difficile à protéger des rayons nocifs et des impacts qu'une colonie cylindrique de O'Neill. Mais qu'elle soit en forme de roue ou de grappes cylindriques (cf. les colonies spatiales en images), ces merveilleux laboratoires ne peuvent éviter à leurs occupants de subir un mal bien inattendu.

Car il y a bel et bien un mal dont les deux tiers des astronautes sont victimes lorsqu'ils s'affranchissent de la gravité terrestre, c'est le mal de l'apesanteur dont certains effets sont vraiment surnois et n'apparaissent qu'après une analyse fine de tout l'organisme.

Ci-dessus, configurations de vol balistique de l'avion KC-135A de la NASA photographié le 4 mai 2001. Ci-dessous de gauche à droite, l'entraînement de David R.Scoot, de Wernher von Braun en octobre 1968 et de Willam Anders. Documents NIX/John H.Glenn Research Center.

Parmi les malaises qui frappent les astronautes, le plus immédiat est la perte du sens de l'équilibre dès le passage en état d'apesanteur[2]. Il se manifeste par un effet similaire à celui du mal de mer, ce qui donna son surnom à l'avion-cargo Comet de la NASA transformé pour les vols balistiques, surnommé le "Vomit Comet"... A peine êtes-vous passé une ou deux fois en état d'apesanteur que ce désagréable effet se manifeste, forçant même les amateurs de sensations fortes les plus téméraires à user du petit sac adéquat et à abandonner la partie aux vieux baroudeurs.

La perte du sens de l'équilibre et de toute information relative à la gravité terrestre rend également l'esprit confus et les nouveaux arrivants à bord de la station spatiale ISS deviennent sensibles aux hallucinations. Forcés de se déplacer dans des coursives et des modules où il est presque impossible de se repérer, les "bleus" finissent par s'y perdre et sont pris de nausées.

Mais ces phénomènes sont passagés et les astronautes en mission de longues durées dans l'espace finissent par s'habituer à cette absence de gravité et s'adaptent très bien à ce nouvel environnement. Ils jouent de l'absence de pesanteur comme d'une aide précieuse pour se déplacer ou transporter les objets : à chaque action correspond une action de même intensité et de même direction mais de sens contraire. Aussi il suffit de donner une chiquenaude d'impulsion aux objets que l'on veut transmettre à un collègue pour qu'ils leur parviennent en ligne droite, sans même insister sur la force puisqu'il n'y a pas de frottement pour les ralentir, un peu comme le lancé tout en finesse d'une boule de bowling. Et hop une impulsion, et je traverse le module. Génial !

Les joies de l'apesanteur

Gymnastique à bord de Skylab (Mpeg de 2.4 et 2.8 MB).

Mais l'apesanteur à des revers et il serait trop long de citer toutes les situations critiques de la vie quotidienne, des toilettes au lavabo, en passant par les poussières en suspension ou la réaction qu'offre tout objet sur lequel on essaye de s'appuyer. Chaque jour les astronautes de la station ISS perdent en moyenne une dizaine d'objets dans leur cabine, interrompus dans une action par un message radio ou un collègue. Mais ce n'est pas tout.

Si le séjour en apesanteur se poursuit les astronautes subissent une extraordinaire adaptation sur les plans physique et physiologique. Homo sapiens sapiens devient Homo sapiens... cosmicus. Constatez par vous-même.

Redistribution des fluides corporels

Dès que l'astronaute ou le touriste spatial se trouve en état d'impesanteur, on constate une redistribution des fluides corporels qui, libérés de la force de pesanteur, "remontent" dans le corps et envahisssent la poitrine et la tête. Tous les astronautes se plaignent que pendant les premiers jours de leur mission ils éprouvent des migraines mais cela disparait ensuite. Certains se plaignent d'avoir chaud ou présentent une fièvre persistante. On constate physiquement que les veines de leur cou enflent et que leur visage gonfle. Tous les organes augmentent de volume. Le coeur grossit avant de rétrécir. Dans ces circonstances les astronautes ont latéralement du mal à se déplacer et éprouvent des difficultés pour exécuter le moindre exercice.

En réaction à cette redistribution des fluides, le corps rejette du calcium, des électrolytes et du plasma sanguin. Les médecins de bord constatent que les astronautes produisent moins de globules rouges et l'organisme commence à souffrir d'anémie. La tension artérielle se dérègle. Si cela ne suffisait pas, n'étant plus soumis à la force de gravité, les disques intervertébraux se dilatent et provoquent des douleurs dorsales.

Fièvre persistante

Le cas de la fièvre est un autre problème qui est difficile à résoudre en état d'apesanteur. Selon les résultats d'une étude publiée dans la revue "Nature" en 2017, des mesures effectuées sur 11 astronautes ayant séjourné à bord de la station ISS montrent que leur température corporelle augmenta d'environ 1°C pour atteindre 38°C sur une période de deux mois et demi.

L'exercice physique est une partie importante de la routine quotidienne des astronautes à bord de la station ISS pour prévenir la perte osseuse et musculaire et pour maintenir la santé cardiovasculaire. Les astronautes s'astreignent à pratiquer deux heures d'exercices par jour. Document NASA.

Pire, pendant les exercices physiques quotidiens que pratiquaient les astronautes pendant 2 heures chaque jour, leur température corporelle dépassait souvent les 40°C lors des efforts. Cela provient du fait qu'en état d'apesanteur la sueur s'évapore plus lentement que sur Terre. Or durant un exercice soutenu, le corps dépense de l'énergie qui est convertie en chaleur. La sueur permet justement d'évacuer l'excédant de chaleur mais les conditions d'apesanteur empêchent de l'éliminer, ce qui explique pourquoi les astronautes ont plus chauds quand ils font de l'exercice dans l'espace.

Pour assurer le bien-être des astronautes lors de séjours de longues durées (et notamment pour les futurs voyages vers Mars et la Lune), si les astronautes veulent éviter de connaître des problèmes d'hyperthermie et de "coups de chauds", il faut que les experts approfondissent ce sujet afin de comprendre comment ils pourraient y remédier.

Si le séjour en état d'apesanteur se prolonge plus de 2 mois, les problèmes biomédicaux s'aggravent sans qu'ils aient de lourdes conséquences immédiates, mais plutôt à long terme après le retour sur Terre ou dans un milieu à gravité contrôlée.

Tout commence au contact de la gravité. Aujourd'hui encore un astronaute sur trois perd connaissance lorsqu'il remet les pieds sur Terre. L'effet est le même que celui qui reste trop longtemps la tête en bas ou allongé sur son lit et se redresse rapidement. Les fluides dont le sang n'ont pas le temps de retraverser tout le corps, et la tension sanguine chute un court instant entraînant un voile noir. Mais cet effet est passagé contrairement à d'autres symptômes.

Atrophie musculaire et décalcification osseuse

Les cosmonautes qui ont séjourné à bord de la station orbitale Mir parfois plus d'une année comme Valery Polyakov - 437 jours - ont grandi en moyenne de 10 cm; la masse musculaire a diminué tandis que les muscles porteurs des jambes se sont atrophiés; ils ont subi une diminution de poids et de la densité osseuse et leurs jambes se sont raccourcies; le système immunitaire s'est affaiblit, la structure cellulaire a parfois variée et les cycles du sommeil ont été perturbés.

La décalcification osseuse est la plus grave en soi car de la densité de l'os dépend sa résistance mécanique. Malgré des exercices physiques journaliers à raison de 3 heures par jour, les astronautes présentent au niveau des jambes et des os du pelvis qui supportent toute la partie haute du corps avec la colonne vertébrale, une régression qui peut atteindre 2% par mois (contre 0.2% par an à partir de 30 ans pour un homme soumis à la gravité terrestre). Après avoir séjourné de 6 mois à bord de la station ISS, les astronautes ont perdu 7% de densité osseuse alors qu'une femme ménopausée ne perd en moyenne que 2% de densité osseuse par an.

A gauche, zone de minéralisation d'un os in vivo observé en lumière UV. Au centre, la structure trabéculaire osseuse d'aspect spongieux et dense d'un os normal (ni âgé ni d'un sportif). A droite, structure trabéculaire naturelle et de synthèse fabriquée dans le cadre d'applications cliniques. Documents MEDES/LBBTO, Patrick Siemer/Flickr et MEDES/Millenium Biologix.

Dans un article publié dans la revue "Nature Scientific Reports" en 2022, l'équipe du Dr Steven Boyd, directeur de l'Institut McCaig pour la santé des os et des articulation et professeur à l'Ecole de Médecine Cumming de l'Université de Calgary au Canada a suivi des astronautes avant, pendant et jusqu'à 12 mois après leur mission à bord de la station ISS. Les chercheurs ont examiné la résistance, la densité, la microarchitecture des os et la masse musculaire de 17 astronautes (dont 14 hommes d'un âge moyen de 47 ans) à l'aide d'une tomodensitométrie quantitative périphérique à haute résolution (HR-pQCT à 61 μm).

Selon les résultats de cette étude, 12 mois après le vol, la force osseuse médiane du tibia du groupe (F.Load), la densité minérale osseuse (DMO) totale, corticale et trabéculaire, la fraction de volume et l'épaisseur de l'os trabéculaire sont restées entre -0.9 et -2.1% inférieurs par rapport à la situation avant le vol. Les astronautes en longue mission (> 6 mois) présentaient une moins bonne récupération osseuse. Par exemple, concernant la charge de rupture (F.Load), 12 mois après le vol, les astronautes ayant fait des missions courtes (< 6 mois avec -0.4% de déficit médian) avaient récupéré mais pas ceux ayant fait de longues missions (-3.9%). Des disparités similaires ont été notées pour la densité minérale osseuse ou DMO totale, trabéculaire et corticale. Au total, neuf des 17 astronautes n'ont pas complètement récupéré la DMO totale du tibia après 12 mois. Les astronautes dont la récupération était incomplète avaient des biomarqueurs de renouvellement osseux plus élevés que les astronautes dont l'os s'était rétabli.

Selon la kinésiologue Leigh Gabel coautrice de cette étude, "un an après le vol spatial, les os porteurs de poids ne se sont que partiellement rétablis chez la plupart des astronautes. Cela suggère que la perte osseuse permanente due aux vols spatiaux est à peu près la même qu'après une décennie de perte osseuse liée au vieillissement sur Terre."

Selon Boyd, "Nous avons vu des astronautes qui avaient du mal à marcher en raison de leur faiblesse et de leur manque d'équilibre après leur retour d'un vol spatial et d'autres qui ont joyeusement fait du vélo sur le campus du Johnson Space Center pour nous rencontrer pour une visite d'étude. Il y a une grande variété de réactions parmi les astronautes lorsqu'ils reviennent sur Terre."

L'ancien chancelier et astronaute Robert Thirsk de l'Université de Calgary témoigna avoir vécu ce phénomène lors de son retour de l'espace : "Tout comme le corps doit s'adapter au vol spatial au début d'une mission, il doit également se réadapter au champ de gravité terrestre à la fin. La fatigue, les étourdissements et le déséquilibre ont été des défis immédiats pour moi à mon retour. Les os et les muscles mettent le plus de temps à récupérer après un vol spatial."

A gauche, variables osseuses HR-pQCT (High-resolution peripheral computed tomography ou Tomodensitométrie périphérique à haute résolution) avant le vol spatial et changement absolu et en pourcentage par rapport au prévol de la résistance, de la densité et de la microarchitecture trabéculaire du tibia. Les valeurs sont le pourcentage de changement par rapport au prévol au retour (R+0), 6 mois (R+6) et 12 mois (R+12) de récupération. Les lignes pointillées correspondent aux astronautes en missions de > 6 mois (n=8) et les lignes pleines pour les astronautes en missions de < 6 mois (n=9). Les cercles noirs reliés par une ligne continue épaisse indiquent le changement de groupe médian. Les barres ombrées indiquent le changement le moins significatif. Au centre, force osseuse du tibia, densité et microarchitecture trabéculaire selon la durée de la mission spatiale. Les valeurs sont le pourcentage de changement par rapport au prévol au retour de mission après (R+0), 6 mois (R+6) et 12 mois (R+12) de récupération. Légendes: F.Load=Charge de rupture, Tt.DMO=densité minérale osseuse totale, Ct.DMO=densité minérale osseuse corticale, Tb.DMO=densité minérale osseuse trabéculaire, Tb.Th=épaisseur trabéculaire, Tb.Sp=séparation trabéculaire, Conn.D=densité de connectivité, SMI=indice de modèle de structure. A droite, variables osseuses DXA (ostéodensitométrie ou absorptiométrie biphotonique) avant le vol spatial et changement absolu et en pourcentage par rapport au prévol. DMO totale de la hanche (TH), du col fémoral (FN) et de la colonne lombaire (LS), masse corporelle totale, masse grasse corporelle totale et masse maigre corporelle totale moins le contenu minéral osseux. Documents S.Boyd et al. (2022).

Par extrapolation, à 45 ans un astronaute revenant d'une mission martienne qui durera au total plus d'un an et demi, verra sa densité osseuse passer de 1.2 à moins de 0.8, l'équivalent de celle d'un homme de plus de 70 ans ! Après 5 ans d'étude on ne sait toujours pas si un os brisé pourra se resouder dans l'espace et personne n'a envie de faire l'essai !

Il va sans dire que ce phénomène d'ostéoporose doit être endigué si nous voulons assurer des missions de longue durée et permettre à l'astronaute de revenir sur Terre en conservant toutes ses facultés et notamment se déplacer sans risquer de se briser les os au moindre choc.

Mais pourquoi observe-t-on ces bouleversements et un déficit si important de densité osseuse ? Les raisons de ces modifications physiologiques et biomécaniques restent en grandes parties mystérieuses. Si on connaît l'origine du problème, son développement demeure obscur. En état d'apesanteur le corps n'a plus besoin de ses muscles pour se déplacer ou porter des objets. Seule la masse qui se manifeste par l'inertie des objets intervient quand il faut porter ou arrêter un objet en mouvement. Ce changement d'habitudes peut provoquer des accidents si les intervenants n'y ont pas été préparés, par exemple en exécutant des exercices en piscine où la force d'Archimède permet de simuler l'absence de gravité tout en conservant l'effet de l'inertie.

Sans muscles porteurs et sans forces à subir, le squelette ne doit plus être aussi résistant. Les muscles exercent moins de torsions et de compression sur les os et sur les cuisses, ce qui provoque un mécanisme physiologique encore inconnu qui réduit le renouvellement de la matière osseuse et atrophie les muscles qui ne sont plus sollicités. Inversement, si l'os subit des contraintes comme des vibrations[3] de manière régulière sa structure osseuse se renforce.

A gauche, une colonne vertébrale saine (gauche) et des vertèbres souffrant d'ostéoporose (droite). Au centre, un schéma explicatif. A droite, les quatre stades de l'évolution de l'ostéoporose. Documents U.Utah, Drugs.com et CreVis2/iStock.

En attendant de pouvoir simuler dans l'espace une gravité artificielle, des exercices de vii-brr-aa-tii-onn-s seront peut-être un jour intégré aux programmes des astronautes. Mais dans tous les cas le message que l'on leur transmet est clair : "entraînez-vous et tout ira bien. Ne faites aucun excercice et on devra vous porter pour sortir du vaisseau." Aussi, avec le temps, la station ISS comprend dorénavant des appareils d'entraînements et notamment des poulies et des élastiques que les astronautes doivent utiliser quotidiennement afin de simuler l'effet de la gravité. ISS dispose de la salle d'exercice la plus chère au monde !

A l'avenir, les vaisseaux spatiaux (et plus tard les futures bases lunaire et martienne) disposeront d'une salle équipée d'une petite centrifugeuse dans laquelle les astronautes pourront subir l'effet de la gravité (pour un bras mesurant 2 m, à peine 0.5 rpm permet d'atteindre 0.5 g). L'installation ne doit même pas être électrifiée car comme un vélo, elle peut être mise en rotation par la seule force musculaire appliquée par les jambes de l'astronaute en position assise ou couchée. Pour que l'exercice soit efficace, ils devraient l'utiliser à raison d'une séance d'une heure tous les 3-4 jours.

L'anémie spatiale

Lors d'un séjour dans l'espace, l'organisme des astronautes subit de nombreuses adaptations. Dans une étude publiée dans la revue "Nature" en 2022, l'équipe du clinicien Guy Trudel spécialiste en médecine physique et réadaptation à l'Hôpital d'Ottawa et chercheur à l'Université d'Ottawa, a constaté que les astronautes souffraient d'une "anémie spatiale". En deux mots, l'organisme des astronautes détruit son propre sang à des taux plus élevés.

Selon les relevés effectués à bord d'ISS dont le taux de CO libéré dans la station par la réaction d'hémolyse (voir plus bas) et le taux des analytes sériques, comme illustré ci-dessous à droite, le phénomène s'est déclenché dès le deuxième jour de mise en condition de prévol puis augmenta rapidement d'un facteur 6 à 7 une fois dans l'espace. Au retour de mission sur Terre, l'anomalie ne s'est pas résorbée et s'est même accélérée pour atteindre 8 fois les taux d'avant le vol puis diminua légèrement dans les mois qui suivirent avant de se stabiliser pendant plus d'un an après la mission où on observa encore des taux entre 2 et 4 fois plus élevés qu'avant le vol. Cette anomalie persistante pourrait avoir des implications majeures pour les futurs séjours et voyages spatiaux de longues durées vers la Lune et au-delà.

A gauche, l'astronaute Tim Peake de l'ESA se faisant prélever du sang par l'astronaute Tim Kopra de la NASA sur la station ISS au cours de l'Expédition 46 en décembre 2015. A droite, la découverte des médecins concernant la réaction adipeuse de la moelle osseuse rouge (ISS monitoring) ou blanche (Marrow). Au-dessus figure la ligne temporelle de l'activité des 11 astronautes recrutés avant, pendant et jusqu'à 1 an après le vol spatial à bord d'ISS. L'intervalle entre le dernier échantillonnage de CO libéré par la réaction d'hémolyse dans l'espace et le premier échantillonnage sur Terre après l'atterrissage était de 14 ±5 jours. Les cercles représentent les mesures de CO, les carrés sont les mesures des analytes sériques (fer, taux de saturation de la transferrine, ferritine, haptoglobine, bilirubine, protéine C-réactive et EPO) et les diamants sont la numération globulaire complète (CBC) et les réticulocytes. Au milieu, les courbes montrent l'évolution dans le temps de la concentration de CO dans l'air ambiant à bord d'ISS. En dessous sont affichées les dates respectives. Documents NASA/ESA et G.Trudel et al. (2022).

Selon les auteurs, "Alors que l'humanité planifie des voyages au-delà de l'orbite terrestre, il sera essentiel de comprendre les implications pour la santé des astronautes dans l'espace afin de planifier des voyages sûrs. L'anémie chez les astronautes fut observée depuis les premières missions spatiales, mais les mécanismes contribuant à l'anémie pendant les vols spatiaux sont restés flous."

L'anémie spatiale fait partie d'une série de problèmes auxquels les astronautes sont confrontés et la NASA lui a même donné un nom : "RIDGE" signifiant "space Radiation, Isolation and confinement, Distance from Earth, Gravity fields, and hostile/closed Environments" (Rayonnement spatial, Isolement et confinement, Distance à la Terre, champs de Gravité et Environnements hostiles/clos) qui décrit les principaux problèmes physiques et mentaux courants rencontrés par les astronautes.

Nous avons expliqué qu'une gravité plus faible dans l'espace entraîne également une perte de densité osseuse. Les auteurs de l'étude pensent que cela pourrait également être lié à l'anémie spatiale.

L'hémolyse est la dégradation ou la destruction naturelle des globules rouges afin que l'hémoglobine libère l'oxygène qu'elle transporte. Selon les résultats de cette étude, l'hémolyse se produit dans quatre parties du corps : la moelle osseuse, les vaisseaux sanguins, le foie ou la rate. Parmi ces quatre, Trudel pense que la moelle osseuse et/ou la rate sont probablement les zones problématiques et souhaite que son équipe poursuive ses recherches.

Selon Trudel, "Ce qui cause l'anémie, c'est l'hémolyse, mais ce qui cause l'hémolyse, c'est la prochaine étape. Il y a un manque de connaissances pour les missions plus longues, pour les missions d'un an, ou les missions vers la Lune ou Mars ou d'autres corps."

Thrombus et reflux sanguin dans la veine jugulaire

Les médecins de la NASA ont également observé un autre effet bizarre durant les vols spatiaux habités : le sang reflue dans les veines des astronautes. Ce phénomène entraîna également la coagulation du sang chez un astronaute, provoquant la panique chez les médecins de la NASA.

En 2019, à bord de la station ISS, un astronaute anonyme effectuait une échographie sur son propre corps, guidé par des experts au sol. Des tests similaires réalisés au sol avant le départ de l'astronaute n'avaient rien relevé d'anormal. En revanche, l'échographie effectuée dans l'espace révéla un thrombus, un caillot de sang. Selon Karina Marshall-Goebel, physiologiste aérospatiale à l'Ecole de Médecine de Harvard, "Nous ne nous attendions pas à cela. Cela n'a jamais été rapporté auparavant."

L'astronaute n'a présenté aucun symptôme lié à ce caillot mais par précaution il reçut des médicaments anticoagulants pour le reste de sa mission en orbite.

Cette coagulation est un nouveau risque pour les humains effectuant des vols spatiaux. Mais un autre symptôme tout aussi étrange est apparu chez d'autres astronautes.

A voir : Ebullition du sang dans le vide, BBC Earth Lab

A gauche, illustration d'un caillot de sang se formant dans un vaisseau sanguin. Les hématies sont maintenues par de la fibrine. A droite, localisation et ramifications de la veine jugulaire (en bleu). Documents iLexx​/Deposit Photo et SciePro/Shutterstock.

Des chercheurs de la NASA ont observé à l'aide d'ultrasons la veine jugulaire de 11 astronautes en mission à bord de la station ISS. Chez cinq d'entre eux, le flux sanguin dans la veine jugulaire s'était arrêté. Selon Marshall-Goebel, "Parfois, il se balançait un peu d'avant en arrière, mais il n'y avait pas de mouvement vers l'avant."

La veine jugulaire est l'une des parties les plus importantes du corps. Située dans le cou, derrière les mâchoires, elle draine le sang désoxygéné de la tête vers le coeur. Ce processus de drainage est essentiel pour réduire la pression dans le cerveau. Le blocage du flux sanguin dans les veines est très rare et n'est généralement observé que dans les jambes, notamment après de longs vols en avion.

Le sang stagnant est une préoccupation majeure car il peut entraîner la coagulation et provoquer de graves problèmes comme des dommages aux poumons. Une coagulation grave peut être mortelle.

Encore plus bizarre, les médecins ont constaté que le sang dans la veine jugulaire commença à se déplacer dans la direction opposée (du coeur vers la tête) chez deux astronautes.

Les médecins de la NASA ont décrit cela comme "extrêmement anormal" et ont déclaré que le sang avait peut-être changé de direction en raison d'un blocage. Pour l'heure le problème reste entier car les médecins ignorent l'origine de ces anomalies passagères, ce qui n'est pas très encourageant pour les futurs astronautes.

Découverte de bactéries à l'extérieur de la station ISS

Selon un article publié par l'agence de presse russe Tass en 2017 qui rapporte les propos du cosmonaute Anton Chkaplerov qui passa 533 jours dans l'espace entre 2011 et 2021, des bactéries qui étaient absentes lors du lancement d'un module d'ISS ont été découvertes à l'extérieur de la station, dans les endroits où des résidus de carburant sont rejetés pendant le fonctionnement des moteurs ou sur des surface à l'abri de la lumière de la station elle-même. Les échantillons relevés sur écouvillons entre 2010 et 2016 furent ramenés sur Terre pour analyse.

Selon Chkaplerov, "ces bactéries sont venues de l'espace et se sont installées le long de la surface externe. Elles sont étudiées et jusqu'à présent il semble qu'elles ne présentent aucun danger."

A gauche, EVA des cosmonautes Oleg Kononenko et Anton Chkaplerov lors de l'Expédition 30 d'ISS le 16 février 2012. A droite, les cosmonautes Alexander Misurkin (gauche) et Anton Chkaplerov contrôlant l'ajustement de leur combinaison spatiale semi-rigide Orlan avant leur départ pour ISS (Expédition 54), le 31 janvier 2018. Documents NASA.

On ignore l'origine de ces bactéries mais selon Chkaplerov, il ne s'agirait pas de formes de vie extraterrestre. Rappelons que pour survivre dans les conditions hostiles régnant dans l'espace, un organisme doit s'accomoder de l'apesanteur, résister à la chaleur (> 120°C), au froid (-157°C dans l'ombre), aux rayonnements ionisants du vent solaire et des particules cosmiques, aux impacts des micrométéorites, aux pressions et accélérations extrêmes, etc. ll doit s'agir d'une espèce particulièrement robuste et même sur Terre, ces espèces dites "astrotolérantes" capables de survivre à plusieurs actions létales ne sont pas nombreuses (cf. la faculté d'adaptation).

Selon Chkaplerov, il est possible que ces bactéries furent amenées accidentellement à bord de la station ISS via des tablettes connectées et divers matériaux destinés à étudier le comportement des matériaux dans l'espace. Il est aussi possible qu'elles y soient arrivées d'elles-mêmes grâce aux courants ascendants se développant dans l'ionosphère. Le nom de ces espèces n'est pas encore connu.

De nouvelles bactéries dans la station ISS

Dans une étude publiée dans la revue "Frontiers in Microbiology" en 2021, des chercheurs comprenant des spécialistes du JPL ont découvert de nouvelles souches de bactéries à bord de la station ISS. Elles appartiennent à la famille des Methylobacteriaceae et furent isolées sur 8 surfaces à différents endroits de la station spatiale au cours de deux vols consécutifs au cours de l'expérience "Microbial Tracking-1" réalisée entre 2015 et 2016. Trois souches appartiennent à une nouvelle espèce. La première souche fut isolée dans le Rack 1 où sont stockés du matériel scientifique, la deuxième dans la coupole (Cupola) et la troisième sur la table de repas.

Cladogramme montrant les relations de parenté entre les Méthylobactéries M. ajmalii et les autres espèces. Document Nitin K. Singh/JPL et al. (2021).

Ces trois souches appartiennent à l'espèce Methylobacterium ajmalii qui est proche de Methylobacterium indicum. Selon les chercheurs, ces bactéries M. ajmalii sont "mobiles à Gram négatif, en forme de bâtonnet, catalase-positives, oxydase-positives, désignées IF7SW-B2T, IIF1SW-B5 et IIF4SW-B5, tandis que la quatrième a été identifiée comme Methylorubrum rhodesianum."

L'analyse génétique montre que ces bactéries sont de nouvelles espèces inconnues sur Terre. Elle se sont développées de manière optimale à des températures entre 25 et 30°C, un pH entre 6 et 8 et des concentrations de NaCl entre 0 et 1%.

Comment sont-elles arrivées à bord d'ISS ? Les bactéries du genre Methylobacterium font partie du taxon des Rhizobiales de l'ordre des Alpha Protéobactéries. Elles existent partout sur Terre, tant dans l'air, le sol que dans l'eau. Elles sont présentes dans les sédiments et vivent en symbiose avec les plantes. Les trois souches ressemblent à M. aquatiqueum et M. terrae et se seraient développées à partir des végétaux mis en culture dans de la terre à bord de la station spatiale.

Selon les chercheurs du JPL, "les espèces Methylobacterium sont impliquées dans la fixation de l'azote, la solubilisation des phosphates, la tolérance au stress abiotique, la promotion de la croissance des plantes et l'activité de lutte biologique contre les pathogènes des plantes."

Le fait que ces bactéries survivent dans l'environnement stressant de la station ISS suggère qu'elles pourraient rendre services aux astronautes, par exemple lors de la colonisation de Mars.

Pour l'heure, ces bactéries n'exposent les astronautes à aucun risque sanitaire mais il faut les éliminer comme tous les biofilms qu'on trouve dans la station.

Des bactéries plus résistantes

Nous verrons plus loin que si le vaccin antigrippe offre la même protection immunitaire aux astronautes, qu'ils soient sur Terre ou dans l'espace, il en va autrement de l'action des bactéries.

La bioimprimante 3D Organ-Avt installée à bord de la station ISS en 2018. Document Nikolai Galkin/TASS.

Les médecins ont constaté que les bactéries deviennent rapidement résistantes aux antibiotiques dans l'environnement de microgravité régnant dans la station ISS. Ce phénomène se produit en raison de la formation rapide de biofilms. En conséquence, de nouvelles maladies dont nous ignorons l'existence, pourraient apparaître lors de vols spatiaux de longue durée.

Si les équipages ne nettoient pas et ne désinfectent pas régulièrement la station ISS, à long terme ces bactéries peuvent devenir nocives pour les astronautes et les biofilms peuvent notamment corroder les câbles et mettre en danger la survie des astronautes. S'ils venaient à se former sur une prothèse par exemple, on sait que les biofilms bactériens peuvent résister aux antibiotiques et que seuls des bactériophages peuvent les éliminer.

Pour étudier le risque de contamination bactérien, des chercheurs du Laboratoire 3D Bioprinting Solutions, une startup russe filiale de la société Invitro, ont fabriqué la bioimprimante magnétique Organ-Avt présentée à gauche. Elle permet d'imprimer des bactéries en 3D à bord de la station ISS afin d'étudier la probabilité d'apparition de nouvelles maladies lors de vols spatiaux de longue durée.

Cette bioimprimante peut fabriquer des tissus vivants et éventuellement des organes. Selon Yusef Khesuani, directeur du laboratoire, les expériences sont "sans danger pour les cosmonautes, car elles se déroulent dans des systèmes complètement fermés (aucun liquide ne doit être versé d'un conteneur à un autre) avec trois niveaux de protection."

La première expérience développée par Invitro fut réalisée à bord de la station ISS le 3 décembre 2018. Le cosmonaute russe Oleg Kononenko a imprimé 2-3 mm de tissus de la glande thyroïde d'une souris et du cartilage humain à partir d'un matériau à base d'hydrogel. Les échantillons biologiques ont été renvoyés sur Terre à bord de la navette Soyouz MS-09 le 20 décembre 2018. On reviendra sur la bioimprimante lorsque nous aborderons la médecine à l'ère numérique.

Réactivation des virus dormants

Selon une étude publiée par l'équipe de Brian E. Crucian du centre GSFC de la NASA dans la revue "Frontriers in Microbiology" en 2019, les médecins ont constaté que chez les astronautes ayant effectué un vol dans l'espace ou ayant séjourné à bord de la station ISS et porteurs du virus de l'herpès (HSV-1 pour l'herpès labial et HSV-2 pour l'herpès génital), le microbe s'est réactivé. On sait que ce virus dormant est présent chez ~50% de la population occidentale et se réactive lorsque les défenses immunitaires du porteur faiblissent (grosse fatigue, épuisement, maladie, stress, etc).

Illustration du virus de l'herpès simplex (HSV-1) à l'origine du bouton de fièvre. Voici le HSV-2.

Les causes les plus probables de cette réactivation virale sont l'état de microgravité, l'effet des rayons cosmiques et d'autres facteurs de stress comme le confinement, la perturbation des rythmes de sommeil et l’isolement social qui entraînent une "dérégulation du système immunitaire observé chez les astronautes en missions à bord des navettes et de l'ISS."

Selon les chercheurs : "pendant les vols spatiaux, la sécrétion d'hormones du stress, telles que le cortisol et l'adrénaline, augmente, ce qui réduit l'efficacité du système immunitaire. Dans cette optique, nous constatons que les cellules immunitaires des astronautes, en particulier celles qui suppriment et éliminent normalement les virus, perdent de leur efficacité en vol spatial et parfois même jusqu’à 60 jours après le vol." Comme le disent les chercheurs "au milieu de cette amnistie provoquée par le stress sur les meurtres viraux, les anciens ennemis se réactivent et refont surface."

La réactivation de l’herpès a été testée sur des astronautes qui ont passé entre 10 et 16 jours en vol spatial et d’autres qui ont séjourné moins de 180 jours à bord de la station ISS. Les chercheurs ont analysé des échantillons d’urine et de salive, collectés avant, pendant et après les missions. Sur 89 personnes qui avaient effectué un vol spatial, 53% étaient concernés par la réactivation de l'herpès. Sur les 23 astronautes qui étaient partis en mission à bord de l'ISS, ce taux passait à 61%.

Les chercheurs soulignent toutefois qu'il faut distinguer la charge virale des symptômes : les auteurs évoquent 6 astronautes présentant des symptômes liés à la réactivation de l’herpès et concluent : "Il est essentiel de développer des contre-mesures pour les vols spatiaux afin d’empêcher la réactivation virale."

De façon générale, la prrésence de virus dormants chez les astronautes embarquant pour des missions de longues durées vers la Lune ou Mars est préoccupante car certaines maladies virales risquent de mettre en danger la vie des astronautes et de compromettre leur mission.

Notons qu'en 2018, le premier vaccin contre l'herpès a été testé sur des animaux (cf. Jaishankar et al., 2018). Mais il est encore prématuré d'espérer le transposer chez l'être humain car il n'existe pas de bon modèle animal compatible avec l'homme, les infections étant différentes chez les animaux et chez les humains.

Des champignons à risque dans les vaisseaux spatiaux

On sait tous que les moisissures et autres levures qui se développent sur les murs et les plafonds des habitations insalubres peuvent incommoder les éventuelles personnes qui vivraient à cet endroit, provoquant notamment des toux, une congestion nasale, une irritation des yeux voire des crises d'asthme ou des bronchites. On suppose que les mêmes symptômes pourraient se manifester chez les astronautes vivant dans un vaisseau spatial où se développerait éventuellement ces champignons (un peu d'humidité dans un endroit chaud, confiné et mal ou jamais aéré suffit).

La biochimiste Gilke De Middeleer de l'Université de Gand en Belgique et son équipe ont publié une étude dans la revue "Astrobiology" en 2019 concernant des champignons découverts à bord de la station ISS. 

A voir : Aspergillus flavus

A gauche et au centre, une culture in vitro d'Aspergillus flavus sur gélose de Saboraud Dextrose d'Agar (SDA). La partie centrale de la colonie est verte en raison de la présence de conidies. Le mycélium incolore (hyaline) est visible à la périphérie de la colonie. A. flavus est fréquente dans les régions chaudes et humides du monde. C'est un champignon potentiellement dangereux. C'est un agent pathogène opportuniste provoquant des allergies et des infections pulmonaires pouvant être invasives chez les individus immunodéprimés. On a retrouvé la même espèce dans les vaisseaux spatiaux dont la station ISS. A droite, la levure Alternaria alternata sur gélose EM (vue recto/verso). On la retrouve régulièrement sous forme de taches brunes sur le feuillage. Elle pourrait résister aux conditions martiennes. Documents Faculty of Health and Medical Sciences/U.Copenhage, Pinterest et INSPQ.

Sachant que les bactéries et les champignons sont presque omniprésents sur Terre, en soi il n'est pas surprenant que ces micro-organismes aient réussi à s'adapter à bord de la station ISS et d'autres vaisseaux spatiaux.

Bien que les scientifiques aient effectué de nombreuses recherches sur les bactéries dans l'espace, les champignons restent relativement peu étudiés. L'une des raisons est que ces cousins des champignons microbiens ne causent généralement de problèmes sanitaires que chez les personnes qui vivent dans des conditions stressantes ou dont le système immunitaire est gravement compromis. Mais on a démontré que le stress prolongé des vols spatiaux affecte le système immunitaire des astronautes. Par conséquent, les chercheurs se sont demandés comment les champignons pourraient affecter la santé des astronautes.

Jusqu'à présent, dans la littérature scientifique, les rares questions ouvertes concernent principalement la détection des différentes espèces de champignons. Selon la pharmacologue Sarah de Saeger, coautrice de cet article, "à propos des mycotoxines, nous n'avons presque rien trouvé." C'est problématique car les champignons spécifiques trouvés sur les vaisseaux spatiaux, tels que Aspergillus flavus et l'espèce Alternaria, sont connus pour être mycotoxigéniques; ce sont des producteurs potentiels de mycotoxines : ils produisent des composés carcinogènes et déprimants immunitaires. De plus, ces molécules se forment souvent lorsque les champignons sont stressés (si l'apesanteur est un environnement stressant pour les humains, il peut l'être aussi pour les bactéries et les champignons).

On ignore aujourd'hui si les astronautes peuvent être réellement affectés par ces toxines. Mais par mesure de précaution, les chercheurs recommandent aux agences spatiales de mieux détecter et rechercher les mycotoxines dans les vaisseaux spatiaux. En particulier, l'équipe suggère que de nouvelles méthodes soient mises au point pour surveiller les surfaces et les atmosphères des engins spatiaux déjà connues pour attirer la condensation et les slimes.

Actuellement, la plupart des détections fongiques sont effectuées en renvoyant les échantillons à des laboratoires sur Terre, mais cela ne sera pas possible pour des missions de longue durée, telles qu'un vol habité vers Mars.

Colonie de Cryomyces antarcticus. 60% de la colonie a survécu pendant 18 mois dans un environnement martien (mais protégé des UV et des radiations) simulé à bord de la station ISS. Document S.Onofri et al. (2015).

Selon De Saeger, la présence de mycotoxines ne signifie pas nécessairement un danger pour les astronautes. D'une part, ici sur Terre, les gens sont souvent exposés à ces composés, mais leur contribution spécifique à différentes maladies n’est pas toujours facile à établir. D'autre part, personne ne sait vraiment comment les champignons pourraient se développer et évoluer dans l'environnement clos d'une mission spatiale de longue durée, que ce soit en orbite ou sur le sol de la Lune ou de Mars.

Pour en savoir un peu plus, Silvano Onofri de l'Université de Tuscia en Italie et ses collègues ont étudié le comportement des champignons Cryomyces antarcticus et Cryomyces minteri prélevés dans la vallée sèche de McMurdo en Antarctique où le froid et la sécheresse sont très proches des conditions martiennes (à part les UV et la gravité). Ces champignons furent ensuite cultivés dans la station ISS dans des conditions martiennes (atmosphère de 95% de CO2, 1.6% d'argon, 0.15% d'oxygène, 2.7% d'azote et 370 ppm d'eau sous une pression de 1000 Pa). Au bout de 18 mois, 60% des spécimens étaient intacts. Ils ont observé la même résistance avec des champignons prélevés dans la Sierra Gredos en Espagne et dans les Alpes en Autriche. Les résultats de leur expérience furent publiés dans la revue "Astrobiology" en 2015. On en déduit que nos champignons terrestres s'adaptent facilement à des conditions jugées hostiles et stressantes, qu'il s'agisse de la station ISS ou d'un environnement martien protégé des UV. Il y a donc un risque sanitaire potentiel pour les astronautes.

Selon Adriana Blachowicz qui analysa les champignons de la station ISS, "je pense que le message le plus important est que les champignons et les bactéries font partie intégrante du corps humain. Où que nous allions, les champignons et les bactéries suivront. Étant donné qu'on a démontré que les bactéries deviennent plus virulentes dans l’espace il est donc à craindre que les champignons le soient également."

A côté du risque sanitaire lié à des micro-organismes potentiellement dangereux, il y a celui induit par les radiations qui est beaucoup plus surnois car ces rayonnements sont invisibles. C'est l'objet du prochain chapitre.

Prochain chapitre

Les radiations

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[1] Le mot est approprié car l'absence de gravité provoque aussi des hallucinations...

[2] Nous continuerons à utiliser le terme apesanteur mais il s'agit en fait d'impesanteur ou de microgravité car tant qu'on évolue dans l'environnement terrestre, il subsiste une infime gravité. Le terme est toutefois peu utilisé dans la littérature grand public.

[3] Le Dr Clinton Rubin et son équipe de l'Harvard Medical School ont démontré à partir d'expériences faites sur des dindes et des moutons que le fait de subir de légères vibrations à raison de 20 minutes par jour durant 1 an pour simuler l'interaction entre les muscles et les os renforçait la densité osseuse. On sait aussi que les sports auto-portés comme le vélo ou la natation par exemple peuvent fragiliser les os en réduisant la densité osseuse alors que la marche, la course à pied, le basquet ou la boxe fortifie les os. On peut réduire le risque d'ostéoporose en faisant de la musculation ou en pratiquant un sport non auto-porté, qui par réaction va inciter la matrice osseuse à se densifier.


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