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Le mal de l'espace

Le Long Duration Exposure Facility (LDEF) lancé par la navette spatiale en 1984 et abandonné pendant un an dans l'espace. Exposé en permanence aux rayonnements solaires et galactiques, il mesura la dégradation de différents matériaux dans le vide. Document NASA.

Les radiations (II)

Dans l'espace, il existe un risque invisible et mortel dont les effets ne se ressentent en général qu'au bout de plusieurs années seulement. En-dehors de la Terre les astronautes ne sont plus protégés contre les rayonnements solaires nocifs et les rayons cosmiques (des particules ionisantes de haute énergie émises par les étoiles et principalement les supernovae) par les écrans protecteurs que nous offrent l'atmosphère et le champ géomagnétique, sans parler de l'exposition aux impacts des micrométéorites.

Si ces rayonnements et ces particules sont invisibles ils n'en sont pas moins très dangereux. On connaît en particulier un effet spectaculaire du rayonnement solaire dans l'environnement terrestre; ce sont les manifestations des aurores polaires où le rayonnement corpusculaire émis par le Soleil rencontre les éléments du champ géomagnétique. Dans ce cas les effets sont inoffensifs et n'excitent que la bonne humeur des observateurs !

Chacun connait aussi les effets du rayonnement ultraviolet à travers les "coups de soleil". Contrairement à ce qu'on pensait il y a encore quelques décennies, selon l'Institut national du cancer (F), les UV-A (315-400 nm) sont également à l'origine des cancers de la peau et pas uniquement les UV-B (280-315 nm) de plus courte longueur d'onde. En effet, les hautes énergies des photons UV peuvent rompre les liaisons organiques moléculaires et provoquer des tumeurs cancéreuses. Les UV sont tellement efficaces qu'ils sont germicides et servent dans l'industrie à nettoyer et traiter les surfaces, notamment en réduisant la tension superficielle.

Pour rappel, les UV-A provoquent une pigmentation de la peau en quelques minutes par oxydation des précurseurs de la mélanine. Ce hâle disparaît en quelques heures. Les UV-B sont les principaux responsables du bronzage. Sous l'effet des rayons UV, les cellules de la peau produisent de la mélanine. Ce pigment coloré est expulsée par les mélanocytes et va colorer les cellules voisines de l'épiderme. Le bronzage apparaît environ 2 jours après l'exposition au Soleil. Il atteint un maximum vers le 20e jour puis disparaît progressivement en l'absence de nouvelles expositions suite au renouvellement de l'épiderme. Les UV-B brûlent 1000 fois plus que les UV-A et font bronzer 1000 fois plus vite.

Dans l'espace, le risque est bien plus élevé. Une exposition directe aux UV solaires brûle la peau en 30 minutes. Lors des sorties extravéhiculaires (EVA), les astronautes doivent abaisser leur visière protectrice au risque de contracter des cancers ou de développer une cataracte (opacification progressive du cristallin, voir plus bas). Mais ce n'est pas le seul risque.

Qu'est ce qu'une radiation ?

Une radiation ou un rayonnement est un champ d'énergie se déplaçant à grande vitesse (100 - 300000 km/s) constitué de particules et d'ondes électromagnétiques. Le rayonnement électromagnétique nous est familier; on le retrouve sous forme de lumière, d'ondes radio, de télévision ou de micro-ondes par exemple.

Le rayonnement est divisé en deux catégories : les rayonnements ionisants et non ionisants.

- Un rayonnement est dite ionisant lorsque le rayonnement présente une énergie suffisante pour libérer les électrons des orbitales des atomes, générant des particules chargées. C'est ce type de rayonnement qui est utilisé à des fins de radioprotection (protection des personnes contre les rayonnements ionisants). Parmi les rayonnements ionisants citons les rayons gamma, les protons et les neutrons. Un rayonnement ionisant est différent d'un atome ionisé (ion) dans une réaction chimique ordinaire, telle la formation du sel de cuisine (molécule NaCl). Lorsque les cristaux sont dissouts dans l'eau (Na+ Cl-), seul l'électron extérieur du sodium est libéré, l'atome se transformant en ion chargé. Dans un rayonnement ionisant, si l'énergie est suffisante des électrons situés sur des orbitales plus "profondes" peuvent être libérés ; ce processus rend l'atome très instable, et ces ions sont chimiquement très réactifs.

- Un rayonnement non ionisant est un rayonnement dont l'énergie n'est pas suffisante pour libérer les électrons de leurs orbitales. C'est le niveau d'énergie que l'on rencontre dans les micro-ondes, les ondes radio ou la lumière visible.

Les radiations qui se propagent dans l'espace sont principalement des rayonnements ionisants constitués de particules de haute énergie et chargées. Il existe trois sources naturelles de rayonnement dans l'espace : le rayonnement piégé (magnétosphérique), le rayonnement cosmique galactique (GCR) dont celui émis par les supernovae et les particules émises par le Soleil (SPE) à travers le vent solaire, les éruptions chromosphériques et les CME.

Tous les matériaux, inertes et vivants, sont sensibles à l'ionisation de surface suite au bombardement par des protons de forte énergie émis par le Soleil et des ions lourds émis par les supernovae. Ces derniers éléments favorisent l'apparition de radicaux libres capables de briser localement l'ADN tandis que les ions lourds et les rayons X peuvent en théorie provoquer des mutations génétiques. Problème, les experts ignorent à ce jour s'il y a des risques de cancer mais on ne peut pas l'écarter.

Aussi dans l'incertitude, pour éviter ce genre d'exposition nocive, les EVA sont interdites parfois durant plusieurs jours lors des plus puissantes éruptions chromosphériques (classe X) et lors des éjections de masse coronale (CME) par le Soleil ou lors des tempêtes géomagnétiques importantes. Pour réduire encore un peu plus les risques d'irradiation pour l'équipage, les vaisseaux spatiaux font le gros dos et présentent leur meilleure protection face au Soleil. Ceci dit il ne s'écoule par un jour où les satellites ne sont pas bombardés par des protons rapides ou des électrons ce qui entraînent régulièrement des anomalies pouvant aller jusqu'à la panne totale ou la perte des instruments.

Malheureusement la protection qu'offre une navette spatiale, une station orbitale ou un module de commande lunaire est bien peu de chose contre les rayons cosmiques issus de la Voie Lactée dont les supernovae et des objets extragalactiques face auxquels aucun bouclier n'est vraiment efficace. Que faire en effet lorsque des ions de fer traversent le système solaire à près de 300000 km/s... S'ils sont capables de traverser les blindages de la navette spatiale, ils peuvent facilement traverser les tissus, déchirer les cellules et fracasser les chaînes d'ADN, provoquant des dommages cellulaires et des mutations génétiques avec le risque de développer des cancers.

Les sorties extravéhiculaires (EVA) exposent les astronautes au vide, aux radiations, aux malaises et aux impacts micrométéoritiques sans parler des pannes éventuelles de l'un des dispositifs de survie de la combinaison spatiale comme une fuite d'eau ou un manque d'air. La prise de risque est maximale et les alertes toujours graves. A gauche, EVA d'Edward H.White lors de la mission Gemini IV le 9 juin 1965. Au centre, EVA de Buzz Aldrin lors de la mission Gemini XII le 11 novembre 1966. A droite, EVA de Bruce McCandless II équipé de son MMU lors de la mission STS-41B de la navette spatiale Challenger en 1984. Voici une vue générale en haute résolution. Documents NASA.

Pour être efficace contre tous les types de rayonnements (des UV aux rayons cosmiques), les astronautes doivent se protéger derrière un blindage d'au moins 1 m d'épaisseur de plomb (ou 10 m d'eau ou d'hydrogène). Etant donné qu'ils doivent également se protéger des impacts micrométéoritiques, nous verrons que les blindages sont en fait des multicouches d'alliages de métaux et de plastiques qui servent également à dissiper l'énergie de l'impact.

Si nous prenons la dose de rayonnement reçue annuellement sur Terre pour unité (1 mSv), un séjour de 10 jours en orbite basse expose les astronautes à une dose de radiations 5 fois plus importante et un séjour de 3 mois à bord de la station ISS expose son équipage à une dose 70 fois supérieure ! Un séjour de 100 jours à bord de la station ISS expose l'astronaute à 60% de la dose de rayonnement qu'une personne au sol reçoit en 1 an en bordure de mer. Autrement dit, sur la même période le corps de l'astronaute absorbe 8.7 fois plus de rayonnement qu'une personne restée au sol ! Heureusement, en temps normal cela ne représente jamais que la dose de rayonnement de quelques radiographies.

Mais le risque sanitaire est encore bien plus élevé sur la Lune où les doses absorbées sont jusqu'à 341 fois plus élevées que sur Terre, en bordure de mer !

Mais là où la situation s'aggrave serait lors d'un voyage vers Mars ou les astéroïdes qui durerait environ 2 ans durant lequel les astronautes devraient subir des doses de radiations 1000 fois plus importantes que sur Terre !

A voir : Les rayonnements cosmiques, IRSN

A gauche, le rayonnement et les particules issues du Soleil ou des rayons cosmiques présentent une énergie suffisante pour endommager les chaînes d'ADN, conduisant à des mutations génétiques. Elles peuvent occasionnellement développer des cancers. Au centre, un échantillon d'ADN sanguin prélevé chez un astronaute d'ISS et marqué par fluorescence. Tous les brins d'ADN colorés sont des segments d'ADN brisés qui ont mal été réparés. Une couche de plastique en polyéthylène de 1 cm d'épaisseur permet d'éviter de telles symptômes. Mais dans le cas d'éruptions solaires libérant des protons de plusieurs dizaines de MeV, cette protection est insuffisante. Si 5% des cellules de moelle survivent, la régénération est possible et la personne survivra sans nécessiter de transplant. Toutefois, même protégé, un astronaute pourrait encore développer des problèmes de santé à long terme : cancer, cataracte et autre maladie. Aucune combinaison spatiale ne peut stopper tous les protons solaires. Si le sang peut être régénéré, l'astronaute survivra mais devra surveiller les incidences à long terme. La NASA envisage aujourd'hui de fabriquer des combinaisons spatiales filtrantes, protégeant spécialement la moelle osseuse. A droite, le niveau des doses de radiation et des risques associés relevés durant les missions Apollo. Documents NASA/MFSC et Mike Lockwood (2007) adaptés par l'auteur.

Dans une étude publiée en 2014, Francis Cucinotta du Centre Spatial Johnson de la NASA et ses collègues ont démontré que l'irradiation du cerveau de rats par des doses non mortelles d'ions lourds de fer-56 provoquait une réduction de la production de dopamine par l'encéphale. Or ce neurotransmetteur agit sur les fonctions de la mobilité, les processus de la connaissance et de la mémoire. A fortes doses d'ions lourds des tumeurs se développent. Cependant la prise d'antioxydant comme... de la confiture aux myrtilles ou la prise de Tamoxifène, un anticancérigène, réduisait la prolifération des tumeurs ou refigorait nos petits rats.

Dans une autre étude publiée en 2022, des chercheurs de l'Université de Californie à Berkeley ont également confirmé sur base d'analyses in vitro que les rayons cosmiques (fer-56) ont un effet sensible sur l'ADN de cellules épithéliales bronchiques humaines. Ils confirment que "ces rayonnements ont un effet sur la santé et contribuent à la variabilité de la méthylation de l'ADN", un phénomène épigénétique qui joue un rôle important dans l'embryogenèse et la cancérogenèse (cf. INSB).

Ces conclusions confirment une ancienne étude publiée en 2010 sous la direction de Cucinotta sur les risques pour la santé liés aux rayons cosmiques galactiques lors de missions spatiales habitées. Les chercheurs suggèrent que "la NASA limite l'exposition des astronautes à un risque de 3% de décès induit par exposition" (cela ne veut pas dire que la NASA s'accomoderait de 3 décès pour 100 astronautes !).

Concernant le programme de rayonnement spatial (SRP) de la NASA, dans le cadre d'une mission habitée vers Mars, Cucinotta et ses collègues proposent que les projections du risque "doivent atteindre moins de 50% d'erreur [...], un niveau de tolérance nécessaire en raison des risques de rayonnement plus élevés associés à l'exploration de Mars". Les anciennes limites et tolérances sont donc revues à la baisse. 

Reste à voir si les astronautes accepteront ces normes car c'est tout de même leur santé et leur vie qui est en jeu. On reviendra sur le risque lié aux rayonnements à propos de la colonisation de Mars.

A l'heure actuelle, les médecins de l'espace travaillant pour les agences spatiales nous disent qu'ils connaissent bien les effets de ces rayonnements sur l'organisme, ils savent comment les arrêter mais tous les chercheurs constatent que si certaines cellules mutantes deviennent malignes, d'autres ne développent pas de cancer. La réaction des cellules est souvent inattendue. On ignore en fait comment et pourquoi un cancer se déclenche. Une voie de recherche consiste actuellement à traiter directement les gènes. Si nous savions sous quelles conditions se développe un cancer, les ingénieurs et les médecins pourraient mieux protéger les astronautes ainsi que les futurs touristes spatiaux. En attendant, seul le port d'une combinaison spatiale anti-radiation, mais jamais étanche à 100%, et le confinement dans des pièces blindées permet de protéger les astronautes mais ces mesures de protections ne peuvent pas leur garantir une inocuité totale, ce qui pose la question des conséquences après le retour sur Terre.

Le risque de cataracte

Mais un autre risque était jusqu'ici totalement ignoré, celui des "flashes" que perçoivent les astronautes en orbite. Des particules rapides frappent en effet régulièrement la rétine des astronautes, produisant de faux signaux qui se manifestent comme autant de flashes dans leurs yeux. A priori inoffensifs, pendant plus de 30 ans personne ne s'en est vraiment inquiété jusqu'au jour où le Dr. Francis A. Cucinotta du Radiation Health Office du Centre Spatial Johnson de la NASA étudia les dossiers médicaux de 295 astronautes. A défaut de données épidémiologiques, jusqu'en 2001 on ignorait quels étaient les effets des radiations sur le développement des cancers ou des cataractes.

Cucinotta démontra qu'il existait un lien entre l'augmentation de la dose de radiation (plus de 8 mSv) et le risque de cataracte, phénomène qui n'apparaissait pas chez les astronautes ayant été exposés à des doses inférieures. Aujourd'hui 48 astronautes retraités sont concernés par cette maladie, principalement ceux ayant participés aux missions lunaires et aux activités extravéhiculaires.

L'oeil et le phénomène de cataracte qui consiste en un opacissement progressif du cristallin. La chirurgie permet aujourd'hui de remplacer cette petite lentille bien utile. Documents Safir.

La cataracte présente plusieurs stades évolutifs, plus ou moins handicapants. Elle se manifeste par des images qui paraissent plus sombres ou dédoublées, des halos autour des lumières et des modifications des couleurs. Dans la pire des situations le cristallin devient totalement opaque et le seul remède consiste à le remplacer par un implant souple.

La NASA a développé des contre-mesures afin de protéger ses futurs équipages. Parmi celles-ci, elles imposent une réduction de la durée d'exposition aux rayonnements ultraviolets solaires, le port de lunettes anti-UV, l'installation de nouveaux écrans protecteurs sur la station ISS, et poursuivent la recherche sur les antioxydants tels que les vitamines C, E et beta-carotène qui ralentissent la progression de la cataracte.

La NASA a déjà amélioré la protection d'ISS, principalement autour des quartiers d'habitation comme les couchettes et la cambuse (la "galley" ou "cuisine") où les astronautes passent l'essentiel de leur temps. Des matériaux riches en hydrogène comme les polyéthylènes ont démontré leur faculté de réduire sensiblement les doses de radiations. Enfin, les stations de contrôle au sol surveillent de près le niveau de radiation au niveau de l'orbite d'ISS afin que les astronautes se réfugient dans les compartements les mieux blindés si le taux de radiation augmente suite à une éruption solaire. Le métier d'astronaute comprendra donc toujours une part de risque non négligeable.

Perte d'acuité visuelle et syndrome VIIP

Au cours des missions spatiales de longue durée à bord de la station ISS, les médecins ont constaté que l'acuité visuelle des astronautes se détériorait. Ainsi, dans le cas de John Phillips né en 1951 et qui séjourna plus de six mois à bord d'ISS en 2005, son acuité visuelle est passée de 20/20 à 20/100 après sa mission. Les experts estiment que 80% des astronautes souffrent de ce que les scientifiques ont appelé le syndrome de tension intracrânienne de déficience visuelle, VIIP en abrégé (visual impairment intracranial pressure syndrome).

La rétine d'un oeil sain emmétrope (sans défaut visuel). La tache jaune est la papille au centre de laquelle est attachée le nerf optique. La tache sombre est la macula au centre de laquelle se trouve la fovéa contenant ~50000 cônes photosensibles où se forme l'image lors de la vision directe. Document UHB Trust.

Les chercheurs ont observé plusieurs changement structurels dans les yeux des astronautes dont certains furent permanents. Les tests médicaux dont Phillips a fait l'objet et notamment les scans de sa rétine effectués à l'École Miller de Médecine de l'Université de Floride à Miami ont montré que pendant son séjour dans l'espace, la partie arrière de ses yeux s'est aplatie et sa rétine fut poussée en avant. Son nerf optique s'est enflammé et ses yeux ont présenté des plis choroïdiens, principalement sous forme de stries. Les astronautes qui ont effectué des séjours de longues durées dans l'espace présentent également un niveau anormalement élevé de liquide cérébro-spinal dans le cerveau[4].

En 2016, les chercheurs ont suggéré que ces symptômes avaient été provoqués par une augmentation de la pression sanguine intracrânienne pendant le vol spatial. Ce problème oculaire serait provoqué par des changements dans les liquides oculaire et cérébro-spinal en réponse à la microgravité. Mais à l'époque, ce n'était qu'une hypothèse qu'il fallait encore étudier.

Au cours du meeting annuel de la Radiological Society of North America (RSNA) qui s'est tenu en 2017, pour la première fois les chercheurs ont présenté des preuves du rôle direct du liquide cérébro-spinal dans les déformations oculaires que présentent les astronautes atteints de VIIP.

Malheureusement sur Terre, il est pratiquement impossible de simuler la microgravité de l'espace et donc de reproduire et de mesurer la pression intracrânienne d'un séjour dans l'espace et encore moins de mettre en évidence ces signes cliniques. Selon les chercheurs, il n'existe que deux tests chirurgicaux permettant de mesurer la pression sanguine dans le cerveau : la ponction spinale et la trépanation (le perçage d'un petit trou dans le cerveau). Selon J.D. Polk, docteur aviateur auprès de la NASA, outre "le risque d'infection, ce sont des opérations hasardeuses et franchement difficiles à réaliser dans l'espace" a-t-il précisé au "Washington Post". L'alternative est d'étudier ce syndrome sur Terre pendant les quelques dizaines de secondes de gravité zéro lors de vols paraboliques en mettant des volontaires en position inclinée tête vers le bas de façon à augmenter la pression oculaire. Mais jusqu'à présent, ces méthodes n'ont pas apporté beaucoup d'informations.

Ceci dit, certains astronautes comme Clayton Anderson n'a pas subi ces problèmes de vision pendant les 5 mois qu'il passa à bord d'ISS. Après avoir étudié son cas au Centre Spatial Johnson de la NASA, Anderson déclara sur un forum : "il est apparu que je possédais une protéine spéciale dans mon corps qui évitait l'apparition de ce phénomène".

Le syndrome VIIP est un obstacle majeur dans les plans de la NASA visant à envoyer des humains sur Mars. Ce voyage aller-retour devrait durer au moins un an et demi et les responsables ne peuvent pas se permettre d'avoir des astronautes qui perdent leurs facultés visuelles à la moitié du voyage. Mais nous verrons dans d'autres articles qu'un voyage vers Mars présente bien d'autres risques.

Parmi les solutions envisagées, l'ingénieur biomédical Ross Ethier du Georgia Tech a conçu un système permettant de drainer les fluides corporels vers les jambes durant le vol. Toujours à l'état de développement, l'encombrement du dispositif n'est pas encore déterminé ni combien de temps les astronautes devraient le porter chaque jour. Une autre solution serait de recourir à des ultrasons ou même à un implant crânien qui pourrait aider les scientifiques à étudier la pression intracrânienne des astronautes pendant les vols spatiaux sans recourir à la chirurgie. 

Dans tous les cas, il est impératif que ce problème soit résolu pour assurer la sécurité d'un voyage spatial ou d'un séjour dans une station spatiale au-delà de quelques jours.

Le risque d'infection

Dans une étude publiée en 2023 dans la revue "Frontiers in Immunology", la doctoresse Odette Laneuville, professeure agrégée au Département de Biologie de l'Université d'Ottawa et ses collègues ont montré que les astronautes en mission dans l'espace sont plus sensibles aux infections. Ainsi, les astronautes à bord de la station ISS ont fréquemment des éruptions cutanées ainsi que des maladies respiratoires et non respiratoires. Les astronautes portent également plus de particules virales actives que leurs coéquipiers au sol. Parmi les virus concernés, il y a le virus d'Epstein-Barr (herpevirus 4) responsable d'une infection des voies respiratoires ou d'une mononucléose infectieuse (généralement durant l'enfance), le varicelle-zona (herpes zoster) responsable du zona, l'herpès simplex-1 responsable des plaies et le cytomégalovirus (ou CMV, un autre virus de la famille des Herpes dangereux en cas de grossesse). Ces virus se transmettent par contact avec la salive y compris par la toux (ou les urines et les sécrétions nasales). Ces observations suggèrent que le système immunitaire des astronautes pourrait être affaibli lors de voyages dans l'espace.

Qu'elle est l'origine de cette déficience immunitaire ? Selon Laneuville, "l'expression de nombreux gènes liés aux fonctions immunitaires diminue rapidement lorsque les astronautes atteignent l'espace, alors que l'inverse se produit lorsqu'ils reviennent sur Terre après six mois à bord d'ISS."

Les chercheurs ont étudié l'expression des gènes dans les leucocytes ou globules blancs d'une cohorte de 14 astronautes, dont trois femmes et 11 hommes, qui ont résidé à bord de l'ISS entre 4.5 et 6.5 mois entre 2015 et 2019. Les leucocytes furent isolés à partir de 4 ml de sang extraits de chaque astronaute à 10 moments : une fois avant le vol, quatre fois en vol et cinq fois après le retour sur Terre. 15410 gènes se sont exprimés de manière différentielle dans les leucocytes. Parmi ces gènes, les chercheurs ont identifié deux groupes de respectivement 247 et 29 gènes, qui ont changé leur expression en tandem tout au long de la période étudiée.

Analyse temporelle des transcriptomes leucocytaires avant, pendant et après le vol spatial. Au-dessus à gauche (A), les niveaux d'expression génique de 276 gènes tracés sous forme de scores (Z) mis à l'échelle sur des points de temps individuels pour les 14 astronautes. A droite (B), proportions de biotype d'ARN pour les deux groupes de gènes. La catégorie "Other" comprend divers ARN, les pseudogènes et les ARN à confirmer expérimentalement. En dessous (C), une carte thermique des termes de l'ontologie du gène obtenue à partir de l'analyse de surreprésentation des gènes pendant toutes les phases de la mission. Consultez l'article académique pour plus de détails. Documents O.Laneuville et al. (2023).

L'expression des gènes du premier groupe s'est réduite lorsqu'ils ont atteint l'espace et s'est rétablie lors du retour sur Terre, tandis que les gènes du second groupe ont suivi le schéma inverse. Les deux groupes étaient principalement constitués de gènes codant pour des protéines, mais avec une différence : leur fonction prédominante était liée à l'immunité pour les gènes du premier groupe, et aux structures et fonctions cellulaires pour le second.

Ces résultats suggèrent que lorsqu'une personne voyage dans l'espace, ces changements dans l'expression des gènes provoquent une diminution rapide de la force de son système immunitaire et l'expose à un risque plus élevé d'infection.

Selon le Dr Guy Trudel, médecin en réadaptation et chercheur à l'Hôpital d'Ottawa et professeur au Département de médecine cellulaire et moléculaire de l'Université d'Ottawa, "une immunité plus faible augmente le risque de maladies infectieuses, limitant la capacité des astronautes à accomplir leurs missions exigeantes dans l'espace. Si une infection ou une affection liée au système immunitaire devait évoluer vers un état grave nécessitant des soins médicaux, les astronautes dans l'espace auraient un accès limité aux soins, aux médicaments ou à l'évacuation."

Mais il y a un point positif : les données ont montré que la plupart des gènes de l'un ou l'autre groupe sont revenus à leur niveau d'expression d'avant le vol dans l'année suivant le retour sur Terre, et généralement beaucoup plus tôt - en moyenne, après quelques semaines. Ces résultats suggèrent que les astronautes de retour courent un risque élevé d'infection pendant au moins un mois après leur retour sur Terre.

En revanche, les auteurs ne savent pas encore combien de temps il faut pour que la résistance immunitaire retrouve complètement son niveau d'avant le vol : la durée de cette période dépend probablement de l'âge, du sexe, des différences génétiques et de l'exposition aux agents pathogènes des porteurs dans leur jeunesse.

Les auteurs ont émis l'hypothèse que la modification de l'expression génique des leucocytes en microgravité est déclenchée par un "changement de fluide", où le plasma sanguin est redistribué de la partie inférieure vers la partie supérieure du corps, y compris le système lymphatique. Cela provoque une réduction du volume plasmatique de 10 à 15% au cours des premiers jours dans l'espace. Le déplacement des fluides est connu pour s'accompagner d'adaptations physiologiques à grande échelle, incluant apparemment une expression génique altérée.

Selon Laneuville, "la question suivante est de savoir comment appliquer nos découvertes pour guider la conception de contre-mesures qui empêcheront la chute immunitaire dans l'espace, en particulier pour les vols de longue durée. La santé des astronautes dans l'espace, en particulier lors de longues missions, bénéficierait de la détection à la fois d'un dysfonctionnement immunitaire et d'une inflammation subclinique. La détection précoce offre des possibilités d'intervention, dans le but d'empêcher une progression vers des symptômes graves."

La mortalité cardiovasculaire

Le physiologue Michael D. Delp du Département de Nutrition de l'Université de Floride et son équipe ont publié  une étude dans "Scientific Report" en 2016 montrant que les astronautes ayant participé au programme Apollo présentent une mortalité d'origine cardiovasculaire significativement plus élevée que leurs collègues ayant effectué des missions en orbite terrestre basse (LEO) ou n'ayant pas encore effectué de mission dans l’espace.

Cette étude porta sur 42 astronautes dont 37 hommes et 5 femmes y compris 7 hommes du programme Apollo dont certains étaient des vétérans des programmes Mercury, Gemini et Skylab, le groupe n'ayant jamais volé servant de groupe de contrôle. Certains astronautes ont cumulé un temps dans l’espace en dehors de la magnétosphère d'environ 15 jours.

Les résultats montrent que si les taux de décès par cancer ne différent pas dans les deux groupes d’astronautes, le nombre de décès d’origine cardiovasculaire est près de 4 fois supérieur chez les astronautes du programme Apollo que chez les membres d'équipage de la NASA ayant participé à des missions en orbite LEO et 5 fois supérieur à celui des astronautes n'ayant pas encore volé. En revanche, les chercheurs n'ont pas observé de différence en ce qui concerne le taux de décès d'origines cardiovasculaires entre les deux derniers groupes.

De plus, tous les décès ont été observés chez des astronautes de sexe masculin, et ce quel que soit le groupe considéré. Rappelons que Neil Armstrong qui fut le premier homme à fouler le sol lunaire, est justement décédé le 25 août 2015 à l'âge de 82 ans des suites de complications cardiovasculaires survenues après un pontage coronarien.

Pour expliquer cette différence de mortalité cardiovasculaire, Michael Delp et ses collègues en collaboration avec des chercheurs du centre Ames de la NASA ont analysé 6 à 7 mois après leur retour sur Terre les paramètres biochimiques de rongeurs embarqués à bord de vaisseaux spatiaux afin de connaître l'état inflammatoire de l'épithélium vasculaire, c'est-à-dire des cellules tapissant l’intérieur des vaisseaux sanguins, suite à leur exposition aux rayons cosmiques.

A lire : The Impact of Sex and Gender on Adaptation to Space: A NASA Decadal Review, 2014

A gauche, taux de mortalité proportionnel de la population américaine de 55-64 ans comparé à celui des astronautes. * Les différences significatives (Prob. ≤ 5%) avec la population américaine de 55-64 ans à l'époque du décès. ° Les différences significatives (Prob. ≤ 5%) parmi les astronautes n'ayant pas volé. ^ Les différences significatives (Prob. ≤ 5%) parmi les astronautes ayant volé en orbite basse (LEO). A droite, les différents risques biomédicaux auxquels sont exposés les astronautes en fonction du sexe. Documents NASA/NSBRI adaptés par l'auteur.

Il est apparu chez ces rongeurs des malfonctions de l'épithélium vasculaire suite à l'exposition aux radiations, et ce indépendamment de la présence simulée ou de l'absence de pesanteur. Les chercheurs soupçonnaient déjà que chez l'être humain, les rayonnements ionisants pouvaient induire des complications à longue échéance suite à des inflammations chroniques au niveau du système cardiovasculaire. Elles pourraient par exemple se manifester par une obstruction de certains vaisseaux sanguins, ce qui pourrait provoquer un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral (cf. le système circulatoire).

Toutefois les chercheurs ont relevé un paradoxe : la dose de rayons cosmiques galactiques reçue (0.29 cGy soit 2.9 mSv, un taux comparable à la radioactivité naturelle du sol européen qui est de 2.54 mSv/an) était voisine entre le groupe d'astronautes du programme Apollo et celui ayant volé en orbite LEO. Les chercheurs supposent que les astronautes restés sous la protection de la magnétosphère terrestre auraient été exposés à des doses inférieures de rayons cosmiques. En revanche, les astronautes ayant été sur la Lune et qui n'étaient que faiblement abrités des rayonnements cosmiques par le module lunaire auraient probablement été exposés à des neutrons, ce qui n'arrive pratiquement pas à intérieur des vaisseaux spatiaux plus lourds comme la navette spatiale ou la station ISS qui dispose de protections antiradiations.

Bien que cette étude porte sur un échantillon réduit et qu'il reste certaines inconnues quant à l'origine de ces décès, cette étude indique qu'un vol spatial même de courte durée en-dehors de la magnétosphère terrestre présente un risque significatif de mortalité cardiovasculaire qui jusqu'ici a été sous-estimé. Dans ce cas, on peut sérieusement revoir à la hausse les systèmes de protection antiradiations des futurs vaisseaux spatiaux habités, des habitats lunaires. C'est pour mieux évaluer ce risque que lors de la mission lunaire Artémis 1 non habitée qui décolla pour la Lune en 2022 que la NASA plaça des mannequins bardés de capteurs dans la capsule Orion afin de connaître le taux et la nature des rayonnements qu'absorberaient les futurs astronautes.

Dans ce contexte, on peut se demander si les équipages prêts à s'envoler à destination de la Lune, de Mars ou d’autres astres du système solaire sont encore partant pour l'aventure... Autant le dire franchement, connaissant tous les risques d'une telle aventure, mieux vaut être célibataire et sans attaches et pourtant les candidats se bousculent au portique d'embarquement ! On en reparlera dans quelques décennies.

Lésions cérébrales

Dans une étude publiée dans la revue "Jama Neurology" en 2021, une équipe internationale de chercheurs dirigée par Peter zu Eulenburg, professeur de neuroimagerie à l'Université Ludwig-Maximilien de Munich analysa des échantillons sanguins de cinq cosmonautes russes avant et après leur séjour de 169 jours à bord de la station ISS lors des Expéditions 39 et 40 de la NASA en 2014.

Illustration de protéines bêta-amyloïdes agglutinées en plaques (orange) autour des neurones. Document iStock.

Après leur retour sur Terre, les chercheurs ont remarqué que plusieurs biomarqueurs sanguins présentaient des niveaux élevés pouvant indiquer des lésions cérébrales et un type de neurodégénérescence, notamment du niveau de bêta amyloïde (βA) connu dans la maladie d'Alzheimer.

Selon zu Eulenburg, les protéines bêta-amyloïdes indiquent une lésion des fibres nerveuses dans la substance blanche et dans leurs tissus de soutien (la glie) ainsi que dans la matière grise. La protéine bêta-amyloïde augmenta durant les trois semaines que dura l'étude. Du côté de la matière grise, la protéine tau (qui interagit avec la tubuline pour moduler la stabilité des microtubules des axones des neurones) chuta par rapport aux niveaux d'avant la mission. Cette disparité trahit les réactions de l'ensemble du cerveau, pas seulement de l'une ou l'autre substance : "Lorsqu'ils sont regroupés, nos résultats indiquent des lésions cérébrales légères mais durables et une neurodégénérescence potentiellement accélérée. Tous les tissus cérébraux pertinents semblent être affectés".

Sur le plan médical, une neurodégénérescence est une usure - naturelle ou non - des neurones, qui perdent leur capacité au fil des années. C'est un effet naturel chez l'homme à mesure qu'il vieillit, mais certains troubles cérébraux peuvent accélérer ce processus. La neurodégénérescence est l'un des principaux symptômes de la maladie d'Alzheimer, de la maladie de Parkinson et de la maladie de Huntington (cf. les maladies du système nerveux).

Les chercheurs n'ont pas déterminé les causes de ces dommages. Mais ils spéculent que le problème pourrait résider dans la microgravité : elle perturbe le flux sanguin veineux vers et depuis la tête. Concrètement, les mécanismes à l'origine de ce flux peuvent conduire à une augmentation de la pression exercée sur les matières blanche et grise au cours du temps.

Selon zu Eulenburg, "Des études supplémentaires sont nécessaires sur les moyens de lutter contre ces effets sur le cerveau humain afin de minimiser les risques inhérents aux missions à long terme - en particulier avant de planifier un voyage habité vers Mars."

Notons que dans une étude précédente (cf. K.O'Banion et al., 2012), des chercheurs ont montré que le rayonnement cosmique galactique entraîne une déficience cognitive et une augmentation de l'accumulation de plaques Aβ dans un modèle murin de la maladie d'Alzheimer.

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L'équilibre psychologique

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[4] Le liquide cérébro-spinal est le liquide biologique transparent dans lequel baigne le cerveau et la moelle épinière secreté par les plexus choroïdes. Il se compose de 99% d'eau, de glycémie (glucose), de protéines et d'ions Na+, Cl-, K+ et CA2+. Ce liquide joue plusieurs rôles : il amortit les mouvements ou les chocs qui risquent d'endommager le cerveau ou la moelle épinière, il transporte les hormones, les nutriments, il évacue les déchets du métabolisme et permet d'isoler électriquement la moelle épinière. C'est grâce à une ponction lombaire entre les 4e et 5e vertèbres lombaires qu'on peut prélever un peu de liquide cérébro-spinal et analyser ses propriétés.


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