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Bactéries et virus

Des bactéries Escherichia coli. Document Dennis Kunkel.

Les parasites des cellules (I)

L'univers des microbes car c'est bien de cela qu'il s'agit quand on parle des bactéries et des virus, est un monde inconnu de la plupart d'entre nous. Pourtant nous allons voir que ces créatures font partie intégrale de notre corps et de la planète depuis l'aube des temps ou presque. En effet, comme ils l'ont expliqué dans la revue "eLife" en 2016, William E. Diehl de l'Université du Massachusetts et ses collègues ont découvert les traces de rétrovirus (le groupe auquel appartient le HIV-1 et le virus de la leucémie) dans l'ADN de mammifères fossilisés datant entre 15 et 30 millions d'années.

Quand on parle de microbes et principalement des virus, on les associe immédiatement aux infections et aux maladies. Médicalement parlant, les parasites cellulaires représentent un grand défi pour les chercheurs dans leurs combats quotidiens contre les maladies infectieuses. L’origine des maladies, la façon dont elles se développent et se propagent, ainsi que la diversité de leurs agents et leurs facultés mutagènes sont extraordinaires.

Ce sont tous ces écosystèmes résultant de dizaines et de centaines de millions d'années d'évolution que nous allons explorer.

Les bactéries

Les microbes ont peuplé tous les biotopes, de la haute atmosphère aux entrailles de la terre en passant par les abysses, qu'il fasse chaud, froid ou humide. Ils ont même trouvé refuge, parasitent ou vivent en symbiose avec les autres organismes dont les êtres humains. Certaines bactéries sont actives dès leur naissance d'autres restent sous forme larvaire en état de stase parfois durant près d'un an, en attendant des conditions propices pour se développer et se reproduire.

Inventaire

On dénombre environ 1 million de bactéries dans une goutte d'eau de mer et environ 100 millions dans 1 gramme de terre et nous verrons que le corps humains en abritent des milliards. Ce monde comprend d'étonnantes créatures, utiles ou nuisibles, de toutes les tailles et de toutes les formes, toutes recherchant les conditions propices à leur développement et luttant pour survivre. Quant aux virus, ceux qui se propagent dans l'air jusqu'à 3000 m d'altitude sont environ 10 à 500 fois plus nombreux que les bactéries. Ils n'ont qu'une mission : rencontrer un organisme vivant pour pénétrer ses noyaux cellulaires et y injecter leur patrimoine génétique afin de créer des gènes viraux. Les conséquence de cette action dépendent des opportunités et du hasard. On y reviendra.

Grâce à des techniques de séquençage du génome de plus en plus performantes, les microbiologistes ont identifié plus de 10000 espèces de bactéries dont 95% étaient encore inconnues avant 1990. Dans le cadre du projet MetaHIT, entre 2008 et 2014 les chercheurs européens ont découvert pas moins de 500 nouvelles espèces de bactéries dans les intestins humains. En 2019, des chercheurs de l'Institut Européen de Bio-Informatique (EMBL-EBI) et leurs collègues du Wellcome Sanger Institute ont annoncé dans la revue "Nature", la découverte de 1952 espèces potentielles supplémentaires dans les intestins humains, augmentant la diversité phylogénétique de 281%. Autrement dit, c'est tout un monde qu'ont découvert les chercheurs dans les microbiomes de nos viscères. Sur base statistique, on estime qu'il existerait des centaines de milliers voire des millions d'espèces de bactéries. On y reviendra à propos du système digestif.

Microbe, bactérie ou virus ?

On qualifie de microbe tout micro-organisme généralement unicellulaire, y compris les archéobactéries (archaea) et certains champignons (funji). La plupart sont capables de survivre dans des conditions extrêmes et tolèrent un certain niveau de stress.

Une bactérie est un organisme procaryote (sans noyau) mesurant entre 0.5 et 5 microns. Beaucoup ont une forme de bâtonnet, à l'origine de leur nom. Les bactéries seraient les plus anciens organismes vivants (mais le podium est sans doute partagé avec les champignons). La plupart des bactéries sont des parasites mais certaines sont inoffensives et nous aident par exemple à digérer. Elles se reproduisent de manière asexuée ou sexuée. Elles ne peuvent être détruites que par des bactériophages, des globules blancs, des virus bactériens (phages T4) ou des antibiotiques (des molécules soit naturelles à base de bactéries ou de champignons ou des molécules de synthèse). La bactérie la plus connue est Escherichia coli.

Un virus est organisme parasitaire intracellulaire qui s'attaque aux cellules eucaryotes (à noyau). Ils sont en général dix fois plus petits que les bactéries (18 nm à ~400 nm). Les bactériophages sont des virus infectant les cellules procaryotes (bactéries ou pseudo). Ils disposent d'un acide nucléique de nature ADN (95%) ou ARN (5%). Du fait qu'ils utilisent la machinerie d'une cellule hôte pour se développer et se reproduire, ils sont difficiles à tuer. En général les antibiotiques sont inefficaces. Les vaccins peuvent les éliminer sinon il faut que le malade produise ses propres anticorps. Le plus commun est le rhume, un virus qui compte plus de cent variétés.

Il existe également des virus géants (> 300 nm de diamètre soit presque aussi grand qu'une bactérie) possédant des enzymes et capables de fabriquer des protéines, ce donc les virus classiques sont incapables de faire sans parasiter une cellule hôte.

Un germe désigne l’ensemble des micro-organismes à l’origine de maladies infectieuses : bactérie, virus et autres parasites.

Un pathogène désigne tout agent à l'origine d'une infection ou d'une maladie, non seulement les germes mais également les substances inertes et toxiques.

Contrairement au passé où les chercheurs devaient cultiver les bactéries en laboratoire pour les étudier et donc se limiter aux seules bactéries qu'ils connaissaient, grâce aux moyens informatiques et l'accès à des bases de données publiques (cf. l'Open Data du EMBL-EBI), aujourd'hui les chercheurs disposent d'outils et de méthodes d'analyses numériques qui leur permettent d'approfondir leurs connaissances et de réaliser des découvertes inconcevables avant les années 1990. Ainsi, il y a encore une génération, il était parfois impossible en raison du manque de données et d'outil adaptés de mettre en évidence des liens de parenté entre micro-organismes non-bactériens (entre virus, archées et eucaryotes), analyse dite métagénomique qui est aujourd'hui très courante et permet de reconstruire rapidement la diversité de l'arbre phylogénétique (voici un arbre phylogénétique microbien).

La population humaine étant distribuée sur tous les continents, les bases de données moléculaires et géonomiques contiennent surtout des informations sur les microbiotes (voir plus bas) des populations européennes et nord-américaines et un minimum sur les autres populations (d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Asie). Malgré ces limitations, les chercheurs ont déjà découvert que de nombreuses espèces de bactéries sont identiques dans les populations européennes et nord-américaines mais la diversité des micro-organismes varie selon les populations et leur style de vie.

Grâce aux progrès de la science, aujourd'hui on peut séquencer les gènes de l'ADN bactérien en quelques heures afin notamment de mieux comprendre de quelle manière elles deviennent résistantes aux antibiotiques. On y reviendra. C'est ainsi que les chercheurs du EMBL-EBI ont pu reconstruire plus de 92000 génomes bactériens.

De manière générale, les bactéries (et les virus) vivent soit en symbiose avec les animaux et les végétaux soit les parasitent et dérèglent leur physiologie avec parfois des effets mortels conduisant à l'extermination d'une population. On y reviendra.

Les microbiotes

À l'image de la population humaine qui s'est adaptée à différents biotopes, il existe des phyla ou groupes et espèces de micro-organismes qu'on appelle les microbiotes. Ils sont composés essentiellement de bactéries mais également de virus, de champignons, de levures, d'archées (unicellulaires procaryotes) et de protozoaires (protistes eucaryotes) adaptés à certains écosystèmes humains; certains microbiotes préfèrent vivre au frais à la surface de l'épiderme, les uns au sec les autres sur des surfaces plus grasses par exemple ou au contraire préférant les régions chaudes et humides ou chimiquement très actives comme le tube digestif. Les microbiotes sont donc spécialisés : il existe un microbiote intestinal (anciennement appelé à tord la flore intestinale car elle n'a pas grand chose en commun avec le monde végétal), buccal, cutané, vaginal, urinaire, respiratoire et ORL (Oto-Rhino-Larynx). Le microbiote buccal  qui se concentre sur la langue par exemple contient au moins 17 espèces de bactéries dont les Actinomyces, Rothias et Streptococcus (voir la vidéo ci-dessous).

Selon les microbiologistes, chaque centimètre carré de notre peau contient entre 1 million et 10 millions de bactéries, des levures et des acariens tels que des démodex (cf. La peau).

La diversité des bactéries.

Le nombril est également un foyer microbien. Au cours d'une étude, des chercheurs américains ont identifié 2368 espèces (phylotypes) différentes de bactéries dans des échantillons prélevés sur seulement 60 personnes. Plus de 2100 espèces sont présentes dans moins de 10% des échantillons et souvent sur un seul d'entre eux (cf. R.R. Dunn et al., 2012).

En moyenne, le nombril abrite 76 espèces bactériennes (entre 29 espèces chez les habitants de la plaine de la Beauce en France et une centaine d'espèces chez les tributs d'Amazonie). la moyenne est de 8 espèces présentes chez 70% des humains et 6 espèces présentes chez plus de 80% des humains. Les staphylocoques, les actinomycètes et les clostridiales sont les plus communs et représentent jusqu'à 40% des micro-organismes de nos microbiotes. Ces bactéries nous protègent également contre certains virus.

Même si nous nous lavons les mains ou tout le corps et que la plupart des bactéries disparaissent, du fait qu'elle présentent un taux de reproduction élevé et sont omniprésentes, leur population se reconstitue en une demi-heure.

Selon une étude publiée en 2016 dans la revue "PLoS Biology" par le biologiste Ron Senders de l'Institut des Sciences Weizmann d'Israël et ses collègues, sachant que 1 gramme d'excréments contient environ 100 milliards de bactéries, la majorité provenant du microbiote intestinal, le corps d'un homme (20-30 ans, 70 kg, 1.70 m) abriterait en moyenne 39 mille milliards de bactéries (3.9x1013) en symbiose avec leur hôte contre 30 mille milliards de cellules humaines, soit un rapport de 1.3:1.

Selon la biologiste Lynn Margulis[1] de l'Université du Massachusetts à Amherst, étant donné que les cellules humaines sont plus massives que les microbes et que le corps contient environ 60% d'eau, "10% du poids sec d'un être humain [soit plusieurs kilos] sont composés de bactéries." Chez un adulte, le poids du microbiote représente entre 1.5 et 2 kg de sa masse corporelle !

Mais ne soyez pas dégouté et ne vous inquiétez pas. Cette symbiose nous est généralement salutaire et même indispensable. Dès sa naissance le bébé né par les voies naturelles est déjà enduit de bactéries, il boit ensuite le lait maternel contenant des agents antimicrobiens et est au contact de la peau de ses parents qui le protègent des infections en renforçant son système immunitaire (ce qui expliquerait pourquoi les enfants nés par césarienne seraient plus sensibles aux maladies auto-immunes et à l'asthme notamment). Beaucoup parmi ces microbes sont essentiels à notre survie et nos défenses immunitaires veillent sur cette harmonie.

A voir : Le microbiote de la langue

A gauche, microphotographie du microbiote des intestins humains. En 2019, les chercheurs avaient identifié 35000 espèces de bactéries dans les intestins humains. A droite, des salmonelles S.typhimurium. Ces bactéries sont à l'origine de la fièvre typhoïde et de troubles intestinaux. Documents NIAID.

Selon une étude publiée dans la revue "Nursing Times" en 2019, le microbiote intestinal comprend 35000 espèces de bactéries qui représentent une population de 1014 bactéries (100000 milliards ou 100 téra de bactéries !), des archées et autres protistes qui assurent plus de 15000 fonctions. Ces bactéries sont réparties en plusieurs phyla : les Firmicutes, les Bactéroïdètes, les Actinobactéries et les Protéobactéries comprenant eux-mêmes de nombreuses classes, ordres, familles et genres. La plupart des bactéries appartiennent aux genres des Bactéroïdes, Clostridium, Eubacterium, Faecalibacterium, Ruminococcus, Peptococcus, Peptostreptococcus et Bifidobacterium. Chaque genre peut avoir plusieurs milliers de souches. Chaque année par exemple, l'institut Pasteur séquence entre 8000 et 10000 souches de Salmonella.

Évolution du microbiote intestinal avec l'âge. Document Science for Health. Lire aussi C.Jiang et al. (2021).

Ces microbes nous permettent d'assimiler les aliments et nous protègent des infections. Ils entretiennent nos muqueuses et synthétisent des vitamines, sans lesquels nous serions rapidement infectés par des bactéries pathogènes. Ces acteurs de l'ombre veillent à la bonne marche de notre système digestif et indirectement sur notre santé.

Selon une étude publiée dans la revue "Cell" en 2021, s'y ajoute le virobiote intestinal comprenant pas moins de 142809 espèces de virus dont le rôle reste en grande partie inconnu. Des études sur les souris ont montré que l'infection par le norovirus murin (MNV) restaure la structure intestinale et protège l'animal des inflammations intestinales chez les souris privées de microbiote bactérien. On en conclut que certains virus partagent des caractéristiques avec certaines bactéries du microbiote intestinal. Mais on sait peu de choses sur leurs équivalents humains.

Les microbiotes varient selon les populations. On a constaté que les anciennes populations africaines qui vivent toujours de chasse et de cueillette présentent un microbiote intestinal 30 à 80% plus diversifié que celui des populations occidentales. Or un microbiote plus riche a des effets bénéfiques sur la santé, notamment antioxydant en protégeant l'organisme des inflammations et en le rendant plus résistant face aux maladies. C'est à ce point vrai que sachant que les médicaments ne soignent généralement que les symptômes d'une maladie (à l'exception de certains petits cancers), les chercheurs s'intéressent de plus en plus à la bactériothérapie fécale : la matière fécale est utilisée comme traitement pour restaurer ou compléter le microbiote intestinal (le gastro-entérologue réalise une transplantation fécale lors d'une coloscopie. On pourra bientôt prescrire des gélules - surnommées "crapsules" ou "cacapsules" - contenant une solution fécale congelée ou lyophilisée). Cette méthode permet de guérir de certaines maladies sans aucun traitement médicamenteux et parfois en quelques jours. Ces remèdes probiotiques sont pour ainsi dire miraculeux et pourraient révolutionner la pratique médicale.

Des chercheurs du MIT ont conçu une souche de bactéries appelée L.lactis spTEM1 qui peut aider à protéger le microbiote naturel du tube digestif humain contre les antibiotiques et empêcher le développement d'infections opportunistes telles que Clostridiodes difficile.

Des études récentes indiquent même que les microbiotes auraient des effets sur notre santé mentale. De plus, en étudiant le microbiote intestinal de nourrissons, des chercheurs ont découvert que les garçons âgés d'un an ayant une composition bactérienne intestinale riche en bactéries Bacteroidetes présentent des compétences cognitives et langagières plus avancées un an plus tard (cf. A.L. Kozyrskyj et al., 2021). Ce constat est spécifique aux enfants de sexe masculin car il est bien connu que les filles obtiennent des résultats plus élevés à un âge précoce, en particulier en termes de cognition et de langage. On y reviendra à propos du système digestif.

Nous verrons à propos du rôle des virus dans l'évolution que le placenta est également le résultat d'une interaction des organismes mais cette fois avec un rétrovirus. Bien sûr, comme toute chose, il ne faut pas en abuser et la prolifération de certains bactéries peut évidemment être à l'origine d'infections et de contagions. On y reviendra à propos des maladies associées au système digestif.

Sachant cela, si quelqu'un vous dit que l'évolution se résume à "la survie du plus apte" comme le disait Darwin, c'est une métaphore un peu dépassée et même fausse. En effet, s'il n'avait dû compter que sur lui-même, l'être humain ne se serait jamais hissé au "sommet de l'évolution". Comme tous les métazoaires et en particulier les mammifères placentaires, nous sommes en fait le résultat d'une coopération continue faite d'interactions fortes et de dépendances mutuelles entre les différentes formes de vie, y compris les bactéries et les rétrovirus. 

Ce n'est pas une lutte pour survivre comme le souligne Margulis : "la vie n'a pas conquis la planète par la force et le combat, elle y a tressé son réseau. Les formes de vie se sont multipliées et complexifiées en en cooptant d'autres, et non pas en se contentant de les tuer." On peut donc fièrement considérer les bactéries non seulement comme nos ancêtres mais, à part quelques exceptions que nous allons décrire, également comme des organismes "amis" car les microbiotes notamment nous aide à combattre les maladies.

Pour rappel, lors d'un baiser les couples échangent 9 ml d'eau, 0.7 mg de protéines, 0.18 mg de composés organiques, 0.71 mg de graisses et 0.45 mg de chlorure de sodium, ainsi qu'entre 10 millions et 1 milliard de bactéries. De nombreux pathogènes peuvent également être transmis par le contact bouche-à-bouche, y compris les virus à l'origine du rhume et des maladies respiratoires dont le Covid-19, l'herpès simplex (le bouton de fièvre), mais aussi la tuberculose, la syphilis et le streptocoque. Mais rassurez-vous, en principe les personnes malades évitent les baisers romantiques. On reviendra sur le rôle du baiser à propos du système digestif.

Une évolution codiversifiée depuis 200000 ans

Selon une étude publiée dans la revue "Science" en 2022 par le microbiologiste Taichi A. Suzuki de l'Institut Max Planck de Biologie et ses collègues, nos microbes intestinaux évoluent à nos côtés depuis que les humains ont quitté l'Afrique il y a environ 200000 ans (cf. la sortie d'Afrique) comme illustré ci-dessous à gauche.

Les chercheurs ont examiné les différences et les similitudes entre nos bactéries chez 1225 humains vivant au Gabon, au Vietnam et en Allemagne, y compris les mères et leurs enfants. Ils ont trouvé 59 espèces bactériennes et un archéon (un domaine d'organisme unicellulaire qui serait similaire aux eucaryotes, des organismes multicellulaires), qui ont évolué en parallèle avec les humains. Leurs histoires évolutives indiquent qu'il y eut une codiversification (cf. A.H. Moeller, 2022).

A gauche, les supposées vagues de migrations humaines hors d'Afrique et emplacement de certains fossiles humains et des sites archéologiques les plus pertinents. A droite, les taxons enrichis dans les microbiomes des différentes populations humaines à travers le monde. Une flèche vers le haut indique une abondance dominante du phylum/genre ou famille par rapport à la population respective. Une flèche vers le bas indique une faible abondance de phylum/genre ou famille par rapport à la population respective. Documents S.López et al. (2015) et UNICEF via V.K. Gupta et al. (2017).

Nous avons expliqué que les communautés bactériennes intestinales ne sont pas des collections aléatoires de bactéries. L'analyse de leur ADNmt montre qu'elles reflètent l'évolution ancestrale des différentes populations humaines. Cependant, au sein des espèces microbiennes, certaines souches peuvent présenter une diversité génétique remarquable entre des populations humaines spécifiques. Que cette diversité soit née ou non d'une histoire évolutive partagée entre les humains et leurs microbes n'a pas encore été entièrement comprise.

Les chercheurs ont également découvert que les espèces bactériennes affichant la plus forte codiversification semblaient également avoir des traits évolués indépendants tels que l'intolérance à l'oxygène et à la température et des génomes réduits, ce qui signifie qu'avec le temps, elles sont devenues dépendantes de l'hôte.

Microbiomes domestiques

Dans le cadre du projet "Home Microbiome", en août 2014 des chercheurs de l'Université de Chicago ont publié dans la revue "Science" les résultats d'une étude sur les microbiotes présents dans l'environnement domestique, du salon à la chambre en passant par les sanitaires. Ils ont demandé à 7 familles comprenant 18 personnes, 3 chiens et 1 chat, de prélever quotidiennement dans leur logement des échantillons de diverses surfaces pendant six semaines au moyen d'écouvillons humides qu'ils ont frottés sur les poignées de porte, les interrupteurs, la table de la cuisine, la cuvette des toilettes, le sol, les tapis, etc.

A voir : The Home Microbiome Project, ANL, 2014

A gauche, résultat plutôt spectaculaire de la mise en culture (quelques jours à 37°C ) de l'empreinte de la main d'un enfant de 8 ans qui était simplement sorti jouer dehors comme d'habitude. Document Tasha Sturm/Cabrillo College. Au centre, en 2014, pour illustrer un cours sur les différents vecteurs de transmission des bactéries, un professeur enseignant à l'Université de Surrey, au Royaume-Uni, demanda à ses élèves de réaliser une empreinte de leur smartphone dans un milieu de culture bactérien. L'idée était de voir et d'étudier les types de bactéries qu'on rencontrait couramment sur la surface des téléphones portables. Les résultats de cette expérience furent publiés en ligne sur le site "Exploring the Invisible". À moins d'avoir un système immunitaire déficient, ces bactéries ne sont pas dangereuses mais comme l'illustre le dessin de droite, cela prouve qu'il y a au moins cinq bonnes raisons de se laver les mains régulièrement ! Document SafeDon.

Les parents bien informés savent que leurs jeunes enfants risquent d'attraper de nombreuses maladies bénignes et notamment cutanées du fait qu'ils se baladent à quatre pattes dans l'habitation ou ailleurs et mettent tout ce qu'ils touchent en bouche. L'usage du savon et des désinfectants devient vite une habitude. Mais malgré ce bon réflexe, en raison des contacts sociaux mais également des courants d'air, des portes et fenêtres restées ouvertes, des microbes pénètrent sans cesse dans l'habitation et certains s'y incrusent.

L'étude américaine a montré que les tapis par exemple jouent un rôle essentiel dans le développement des microbes car ils sont leurs derniers refuges après la désinfection. En effet, bien enfouis dans les profondeurs des fibres, leurs microhabitats sont protégés du dessèchement. Ailleurs, les draps de lits hébergent un microbiote spécifique et important dominé par les bactéries cutanées (propioniques, staphylocoques, streptocoques, ...). De tout l'habitat, les oreillers présentent la plus forte concentration de microbes oraux (actinomycé-tales, fusobacterium, ...), soit 25% des microbiomes domestiques. Les microbes fécaux surtout présents sur la lunette des toilettes représentent 45% du microbiote, soit presque autant que le microbiote cutané. La famille la plus représentée sont les entérobactéries, des bacilles qu'on rencontre également dans les sols, dans l'eau et nos intestins. Toutes ces bactéries peuvent survivre plus de 8 heures, ce qui rend compte de leur résistance, y compris dans les environnements artificiels, où elles sont supposées ne pas exister.

Les chercheurs ont également découvert que les membres d'un ménage, y compris les animaux partagent plus que l'habitation; ils partagent également leurs microbiotes, probablement à cause de l'excrétion de la peau et de la contamination des mains et des pieds. En effet, lorsque les familles ont déménagé, leurs "compagnons" microbiologiques les ont suivis. Si une personne quittait la maison même pour quelques jours, sa contribution au microbiome diminuait. Ces résultats ont des implications non seulement sur l'identité et la composition du ménage, mais également sur les indicateurs de la santé et du bien-être de ses membres.

Zoom au microscope électronique à balayage sur les bactéries présentes sur une tête d'épingle. Le fait d'inciser la peau avec des instruments non stérilisés peut entraîner de graves infections. Sur la première image, le sommet de la tête d'épingle mesure 70 microns de large. Sur la dernière image, la longueur des bacilles est d'environ 30 microns. Document P. Cau/SMPM.

Une étude publiée dans la revue "Biofilms and microbiomes" en 2022 par l'équipe de Christine Moissl-Eichinger de l'Université Médicale de Graz en Autriche confirme que "l'environnement bâti pourrait représenter une source puissante de microbes commensaux", c'est-à-dire ceux qu'on trouve sur un hôte habituel sans lui causer de dommage comme ceux présents sur la peau et les muqueuses. Pour rappel, l'environnement bâti ou BE (Built Environment) varie des huttes simples dans les villages ruraux aux habitats très confinés et extrêmes, tels que les unités de soins intensifs et les salles blanches (cf. R.L. Corsi et al., 2012; S.T. Kelley et J.A. Gilbert, 2013; T.Konya et J.A. Scott, 2014; A. L.Martin et al., 2015; R.Singh et al., 2021; C.Moissl-Eichinger et al., 2022).

Les chercheurs ont échantillonné les salles de bains de dix ménages et évalué la viabilité des procaryotes collectés. Ils confirment que "la plupart des taxons microbiens dans les échantillons sont associés à l'homme. Moins de 25% des signatures procaryotes proviennent de cellules intactes, ce qui indique que les taxons aérobies et résistants au stress présentent un avantage de survie apparent. Cependant, nous avons également confirmé la présence de taxons intacts strictement anaérobies sur les sols des salles de bains, y compris les archées méthanogènes [...qui ] peuvent survivre dans des conditions oxiques pendant au moins 6 heures [...]. Cela suggère que le BE sert de source potentielle de commensaux humains anaérobies." Nous verrons page suivante que les éponges de cuisine représentent également un important foyer microbien, potentiellement pathogène.

Enfin, un autre étude a également montré qu'une brosse à dent peut abriter jusqu'à 1 million de microbes ! C'est une bonne raison de la plonger régulièrement dans l'eau bouillante et de la remplacer dès que les poils présentent des signes de fatigue.

Nettoyer et désinfecter les surfaces et les objets chaque semaine n'est donc pas un luxe, même si les populations microbiennes reviendront systématiquement. Selon les chercheurs, chaque centimètre carré de notre habitation est recouvert en permanence de centaines de milliers de bactéries, mais aussi de quelques champignons et virus. D'autres études ont montré que chaque personne est exposée à ~60000 types de microbes chaque jour !

Maintenant que les présentations sont faites et savons que ces microbes nous cotoyent parfois intimement, voyons de quoi sont constituées ces bactéries et quelles sont leurs fonctions.

Microbiologie

Les bactéries sont des êtres unicellulaires procaryotes, sans noyau individuel et sans structure interne mais portant un chromosome de nature ADN. La plupart des bactéries sont entourées d'une paroi solide qui entoure la membrane cellulaire, dite plasmique. Cette paroi peut-être sphérique chez les bactéries cocci, cylindrique chez les bacilles ou encore hélicoïdale chez les spirilles, donnant aux bactéries la forme de filaments, de bâtonnets, de sphérules, etc.

Les bactéries vivent en colonies. Elles sont autonomes et capables de se reproduire. En moyenne une bactérie vit 20 minutes mais certaines vivent près d'une heure (Pseudomonas fluorescens se divise toutes les 52 minutes).

La bactérie la plus connue est Escherichia coli précitée, un colibacille en forme de bâtonnet et couvert de poils, bien connue des laborantins. Elle réside en bonne intelligence dans notre tube digestif et notre intestin, fière représentante des bactéries saprophytes (non pathogènes ou non infectieuses). E.coli possède environ 4000 gènes.

A gauche, une colonies de bactéries Escherichia coli. A droite, E.coli est à la fois amie et ennemie des humains car certains souches sont infectieuses. Documents Manfred Rohde/HZI et CDC, ScienceDaily, AFP adapté par l'auteur.

En revanche, sa cousine Escherichia coli souche O157:H7 est une tueuse. Vivant dans les aliments (hamburgers), elle provoque une diarrhée sanglante accompagnée de violentes douleurs abdominales. De plus, les toxines qu'elle sécrète sont susceptibles d'entraîner, en plus de la déshydratation, une anémie (perte de globules rouges), une thrombocytopénie (perte de plaquettes sanguines) et une insuffisance rénale aiguë (arrêt de la fonction rénale). L'issue fatale est heureusement rare.

Mais en comparant le matériel génétique de cette bactérie avec celui de sa cousine qui habite pacifiquement notre organisme, les scientifiques ont constaté qu’E.coli O157:H7 possède un millier de gènes de plus que les autres souches; un millier de gènes qui expliquent d’ailleurs le pouvoir destructeur du micro-organisme qui subit des mutations spontanées à un taux tellement rapide qu'il n'a jamais été observé chez un autre organisme vivant !

Taille des bactéries

La taille des bactéries varie entre ~50 et 500 nm ou 0.00005 et 0.0005 mm pour Patescibacteria, 1 et 2 microns pour E.coli,  0.1 mm pour Achromatium oxaliferum et 0.75 mm pour Thiomargarita namibiensis soit 15 ordres de grandeur, avec un record de 9.66 mm pour Candidatus (Ca.) Thiomargarita magnifica (voir plus bas). Avec une taille moyenne de 0.002 mm ou 2 microns, pourquoi les bactéries sont-elles si petites alors que la plupart du temps leur environnement leur permettrait d'atteindre de grandes tailles ?

Pour le savoir, les biologistes ont proposé un modèle informatique pour prédire comment le métabolisme microbien et la composition cellulaire changent à mesure que la taille des cellules varie, basé sur des détails sur l'espace dont une bactérie a besoin pour ses composants - ADN, protéines et ribosomes - pour fonctionner. (cf.C.P. Kempes et al., 2016; R.Galletet al., 2017).

Document J.-M. Volland et al. (2022) adapté par l'auteur.

Selon les auteurs, les contraintes d'espace contrôlent la taille des bactéries les plus grandes et les plus petites. Les bactéries ne peuvent pas rétrécir plus qu'elles ne l’ont déjà fait car il n'y aurait plus assez d'espace pour contenir l'ADN et les protéines nécessaires. Elles ne peuvent pas non plus devenir beaucoup plus grandes car les espèces plus grandes ont des besoins énergétiques beaucoup plus importants proportionnellement à leur circonférence accrue. En conséquence, elles ont besoin de beaucoup plus de ribosomes. Si leur taille augmente encore, elles ne pourraient plus contenir tous les autres composants dont elles ont besoin.

En fait l'environnement terrestre exclut les formes de vie trop petites. En revanche, puisque les bactéries ont une taille maximale, d'autres microbes, comme les eucaryotes unicellulaires (les paramécies, les algues, les champignons, les levures, ...) ont contourné cette limitation.

Découverte d'une bactérie géante

Dans un article publié dans la revue "Science" en 2022 (en PDF sur bioRxiv),  Jean-Marie Volland du LBNL et ses collègues ont annoncé la découverte dans les mangroves de Guadeloupe d'une bactérie géante. La bactérie appelée Candidatus (Ca.) Thiomargarita magnifica a l'aspect d'un long filament mesurant jusqu'à 9660 microns soit 9.66 mm de long (aussi grosse qu'un cil humain). Elle est donc visible à l'œil nu. Elle est 5000 fois plus grande que la majorité des bactéries !

Cette bactérie géante fut découverte en 2009 par Olivier Gros, professeur de biologie marine à l'Université des Antilles en Guadeloupe. Gros cherchait des symbiotes oxydant le soufre dans les sédiments de mangroves riches en soufre quand il découvrit ce spécimen qu'il pensa d'abord être un filament attaché au sédiment comme peut l'être une feuille. Des analyses microscopiques réalisées en laboratoire au cours des deux années suivantes ont montré qu'il s'agissait d'un procaryote oxydant le soufre; c'est une bactérie chimiosynthétique.

A voir : Giant Bacteria Discovered in the Mangroves, SciTech Daily, 2022

Au dessus à gauche, la mangrove de Guadeloupe où fut découverte la bactérie géante Ca. Thiomargarita magnifica. Au centre, une photo de cette bactérie dont l'unique cellule géante compartimentée forme un long filament mesurant près de 1 cm. A droite, une illustration de la bactérie. En dessous à gauche, une microphotographie montrant l'organisation cellulaire compartimentée. A droite, schéma de la disposition des organites près de la membrane cellulaire. Documents J.-M.Volland et al. (2022)/LBNL.

En utilisant différentes méthodes d'observation dont la fluorescence, les rayons X, la microscopie confocale à balayage laser et la microscopie électronique à transmission, en conjonction avec le séquençage du génome, Volland a réussi à caractériser cette bactérie.

Il s'agit bien d'une cellule unique géante plutôt que de filaments multicellulaires, comme cela est courant chez d'autres grandes bactéries soufrées. L'analyse microscopique a révélé la présence de compartiments liés à la membrane contenant des grappes d'ADN. Volland a surnommé ces organites des "pépins", par référence au raisin. Les grappes d'ADN étaient abondantes dans les cellules individuelles.

Chez la plupart des bactéries, leur ADN flotte librement dans le cytoplasme de leur cellule. Cette nouvelle espèce de bactérie garde son ADN de manière plus organisée. Selon Volland, "La grande surprise fut de constater que ces copies du génome qui se propagent dans toute la cellule sont en fait contenues dans une structure possédant une membrane. C'est très inattendu pour une bactérie."

Comme l'a noté Volland, "cette bactérie contient trois fois plus de gènes que la plupart des bactéries et des centaines de milliers de copies du génome (polyploïdie) qui se propagent dans toute la cellule."

Selon les chercheurs, cette bactérie a grandi au-delà des limites théoriques de la taille des cellules bactériennes, affichant une polyploïdie sans précédent de plus d'un demi-million de copies d'un très grand génome. Elle présente également un cycle de vie dimorphe avec une ségrégation asymétrique des chromosomes en cellules filles. Ces caractéristiques, ainsi que la compartimentation du matériel génomique et des ribosomes dans des organites translationnellement actifs liés par des membranes bioénergétiques, indiquent un gain de complexité dans la lignée Thiomargarita et remettent en question les concepts traditionnels de cellules bactériennes.

La découverte de Ca. Thiomargarita magnifica a soulevé de nouvelles questions dont celle de savoir si les nouveaux organites ou "pépins" ont joué un rôle dans l'évolution de la taille extrême de cette bactérie atypique, et si ces "pépins" sont présents dans d'autres espèces bactériennes. La formation précise des grappes d'ADN sous forme de "pépins" et la façon dont les processus moléculaires se produisent et sont régulés à l'intérieur et à l'extérieur de ces structures doivent encore être étudiés.

Prochain chapitre

Des bactéries aux deux visages

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[1] Lynn Margulis et Dorion Sagan, "L'Univers bactériel”, Albin Michel, 1989, p23. Dorion Sagan est auteur, le fils de Lynn Margulis et Carl Sagan.


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