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La Bible face à la critique historique

L'oeil d'Horus ou Oeil oudjat égyptien en faïence émaillée de 4.25 x 5.25 x 0.45 cm datant entre 1000-664 avant notre ère vendu par l'antiquaire AnticStore.

Amulette et talisman contre le mauvais oeil

L'amulette est l'ancienne forme du talisman et protège son porteur contre le mal, les esprits malveillants, et serait plus efficace lorsque le mal redouté est écrit, gravé ou illustré.

On retrouve sa présence dès la préhistoire en divers lieux géographiques autour de la mer Égée et de la Méditerranée où son association avec le "mauvais oeil" a conduit à la création d'amulettes en pierre dure (galène, géodes de quartz, cornaline), en ambre jaune, en faïence ou même en coquillage.

Depuis plusieurs milliers d'années, ces amulettes sont souvent associées à des objets décoratifs en forme d'oeil ou circulaire dont l'iris est généralement bleu. En Afrique du Nord, ces amulettes sont fabriquées en perle de verre bleu parfois serties d'or qui peuvent être accrochées aux maisons ou portées comme bijoux.

On trouve les premières traces de ces perles décoratives dans des documents datant du XVIe siècle avant notre ère.

On retrouve également le symbole de la protection, de la bonne santé et du pouvoir royal dans l'amulette de l'oeil d'Horus ou Oeil oudjat égyptien tel celui présenté à droite dont les premières représentations sont antérieures à la Iere dynastie, il y a ~3100 ans avant notre ère, date à laquelle la ville de Nekhen était dominée par Horus.

Il est également présent dans la Fatma ou Xamsa (cinq), une amulette en forme de main portant parfois un oeil dans la paume utilisée par les civilisations islamique, berbère et juive mais qu'on retrouve aujourd'hui jusqu'aux frontières de l'Asie, notamment en Inde et au Pakistan. La popularité de cette symbolique a persisté jusqu'à nos jours.

En Afrique du Nord, dès l'époque punique, vers 600 avant notre ère, des scarabées, des masques, des étuis et des tubes remplissaient une fonction prophylactique à l'image de la protection offerte par une divinité avec ce petit plus de l'influence bénéfique offerte par un texte sacré ou une combinaison pantaculaire (le pentacle étant l'émetteur-récepteur des ondes et fluides bénéfiques et isolateur des ondes maléfiques) écrite.

On trouve également des amulettes écrites par un lettré ou un saint homme mais elles sont rarement visibles. Chez les Berbères par exemple, elles sont enveloppées de chiffons et les femmes les dissimulent dans leur coiffure pour les protéger contre le mal de tête.

L'amulette d'Arbel à Yahvé

Alors qu'on imagine qu'un peuple croyant voire mystique comme le peuple juif n'adore aucune idôle et ne possède aucune représentation de Yahvé, comme dans tous les sociétés, des traditions héritées de l'époque préhistorique ont perduré jusqu'à l'époque romaine et subsiste encore localement. En fait les pratiques ou croyances magiques souvent empreintes de traditions païennes et religieuses ne nous ont pas réellement quitté.

C'est dans ce contexte ésotérique qu'une amulette fut découverte en Israël dans les années 1980 près d'une synagogue par Tova Haviv, un habitant du village d'Arbel fondé en 1949, situé juste à l'ouest de la mer de Galilée. En 2021, un membre de la famille fit don de l'amulette au département National Treasures Center de l'Autorités Israélienne d'Archéologie (IAA).

Selon Eitan Klein, archéologue et directeur adjoint de l'Unité de prévention du vol d'antiquités à l'IAA, la synagogue d'Arbel est souvent mentionnée dans les sources historiques de la période talmudique ; il y avait une industrie de production de lin et de nombreux érudits juifs s'y rendaient ou y enseignaient.

L'amulette découverte par un israélien dans les années 1980 près d'une ancienne synagogue du village d'Arbel situé à l'ouest de la mer de Galilée et qui fut offerte à l'IAA en 2021. Document Dafna Gazit/IAA.

L'amulette en bronze présentée ci-dessus porte le nom de Yahvé et des symboles  magiques de protection contre les démons et la malédiction du "mauvais œil". Elle remonterait au VIe siècle, de l'époque byzantine, du temps où la région était gouvernée par l'Empire romain d'Orient, l'Empire byzantin. Elle marque la fin de la période talmudique de l'histoire juive, lorsque la théologie et les lois juives traditionnelles ont été formalisées dans la collection d'ouvrages du Talmud.

Selon Klein, l'amulette en forme de larme mesure environ 8 x 4 cm. Bien qu'elle soit gravée en grec, elle mentionne le tétragramme juif du nom de Yahvé,  IAWΘ, une forme du nom divin YHWH.

L'amulette a été conçue pour être portée en pendentif autour du cou. Le côté face montre un cavalier auréolé sur un cheval au galop. Le cavalier tient une lance qu'il porte en direction d'une figure féminine allongée sur le dos au sol. La femme serait Gello, une démone qui était parfois associée à l'infertilité ou à la mortalité infantile. Le nom divin IAWΘ apparaît sous les sabots du cheval. Au-dessus du cavalier une inscription grecque déclare "Le Dieu unique conquiert le mal".

Le dos du pendentif montre un oeil percé par des flèches et un objet en forme de trident tandis qu'une ménagerie qui comprend un serpent, un scorpion, un oiseau et deux lions attaquent. L'oeil est une représentation courante du "mauvais œil", une force malveillante que beaucoup de ceux qui vivaient autour de l'ancienne Méditerranée ont tenté de conjurer avec des talismans, des objets de protection et d'autres mesures de protection ritualisées.

Selon Klein, "bien que les chercheurs identifient généralement les porteurs de telles amulettes comme des chrétiens ou des gnostiques, le fait que l'amulette ait été trouvée dans une colonie juive possédant une synagogue au Ve ou VIe siècle de notre ère peut indiquer que même les Juifs de l'époque portaient des amulettes de ce type pour se protéger du mauvais oeil et des démons".

Il est toutefois difficile de déterminer l'origine exacte de l'amulette puisqu'il s'agit d'une donation. N'ayant pas été trouvée dans le cadre d'une fouille autorisée, il est difficile de savoir exactement où elle fut originellement découverte. De plus, la popularité de ce type d'imagerie ne permet pas de savoir si le porteur de l'amulette était un ancien juif. Ce pendentif aurait facilement pu appartenir à un chrétien ou à un païen.

La mosaïque d'Antioche montre diverses protection contre le mauvais oeil. On y voit un nain ithyphallique et divers animaux attaquant un oeil, accompagné de l’inscription "KAI CY" (ET TOI) destinée à combattre les forces du mal. Document Hatay Museum.

La gravure sur l'amulette rappelle une mosaïque de l'antique Antioche, aujourd'hui Antakya en Turquie, présentée à gauche et exposée au Musée d'archéologie d'Antakya (Hatay Museum).

La mosaïque d'Antioche date du IIe siècle et illustre ce que l'historienne Sarah Bond de l'Université de l'Iowa appelle "l'approche de l'évier de cuisine pour se protéger" : un homme de petite stature avec un grand phallus, un trident, une épée, un scorpion, un chien, un serpent, un corbeau et une panthère sont représentés en train d'attaquer un oeil. C'est l'inclusion d'un mille-pattes qui submerge vraiment l'oeil. Ce type de représentation est familier aux érudits de la religion et de la magie anciennes.

Selon Jeremiah Coogan, chercheur postdoctorant à l'Université d'Oxford, il existe de nombreuses preuves suggérant que les Juifs de l'Antiquité ont utilisé ce type d'objet pour se protéger du mal : "Des textes rabbiniques comme la Mishna et le Talmud palestinien discutent également de la production et de l'utilisation d'amulettes". Nous n'avons pas d'autres exemples d'amulettes juives, car selon Coogan, la plupart des documents historiques impliquent "des amulettes écrites sur des matériaux comme du parchemin ou du papyrus qui ont tendance à ne pas survivre en Galilée à cause des pluies périodiques".

Des chercheurs comme Gideon Bohakl et Ra’anan Boustan étudient les technologies et les pratiques de l'ancienne "magie" juive. Leurs collègues David Frankfurter et Shaily Patel notamment soulignent que la distinction entre "magie" et "religion" sont des étiquettes que nous projetons souvent dans le monde antique. Selon Patel, le terme "magicien" était une ancienne insulte qui concernait la rhétorique et les fanfaronnades plutôt que la réalité et la description.

Les appels à IAΩ ou IAWΘ figurent sur de nombreuses amulettes et dans des textes rituels de l'autre côté de la Méditerranée, notamment en Turquie où ils apparaissent souvent sur les mêmes objets qui conjurent le mauvais sort, dits apotropaïques, utilisant des mots et des symboles ayant des racines puisées dans d'autres langues et traditions religieuses. Leur usage relève donc d'une convention et de convenances culturelles locales.

Selon Coogan, ce que la découverte de cette amulette montre réellement, c'est que les habitants de "l'ancienne Méditerranée tardive partageaient un répertoire de symboles, d'images et de termes apotropaïques tirés d'un certain nombre de langues et de contextes". Lire un texte religieux et porter un texte religieux n'étaient peut-être que deux manières dont les anciens juifs et chrétiens utilisaient les écritures; des images et des termes tirés de traditions ou usages, comme aujourd'hui certaines personnes portent des signes religieux ou culturels.

Amulette byzantine du V ou VIe siècle. Document Lapada.

Chance Bonar, doctorant bibliste du Nouveau Testament et du Christianisme primitif à l'Université d'Harvard a publié un article sur la condamnation antique tardive de la "magie" juive. Il rappelle que "Partout en Galilée, au Liban et en Syrie, nous avons découvert des amulettes qui représentent le cavalier sacré transperçant un dragon ou une femme. Les juifs, les chrétiens et les païens ont tous commandé et utilisé ce même modèle d'amulette", honorant parfois Salomon ou Saint Sissinos (Sinsinnios), des héros terrassant un démon ou une démone. Un exemple d'amulette de ce type vendue récemment chez un antiquaire est présentée à droite.

Ce qui intéresse les spécialistes, ce n'est pas que les Juifs utilisaient la superstition, mais plutôt que les Juifs, les Chrétiens et les païens utilisaient tous les mêmes modèles pour éloigner le mal. Selon Bonar, "Les Juifs de l'Antiquité tardive avaient bon nombre des mêmes préoccupations que leurs voisins de la Méditerranée orientale et recherchaient généralement les mêmes solutions".

Il y a peut-être eu une ancienne compétition pour les clients ou une condamnation des pratiques rivales, mais il ne semble pas y avoir eu de doute sur le fait que les images et les objets "fonctionnaient" réellement pour éloigner le mal, comme aujourd'hui l'effet placebo peut guérir.

Tout comme dans le monde antique, l'utilisation moderne des talismans est assez ambiguë : que vous achetiez une breloque ou un bijoux de mauvais œil, votre utilisation en dit moins sur votre appartenance religieuse que sur votre esthétique religieuse et votre style vestimentaire.

Rappelons également que la Kabbale qui est du ressort des rites magiques, se pratique toujours aujourd'hui, tant en Israël que dans la diaspora (cf. l'exposition du MAHJ en France sur le thème des anges et démons dans la tradition juive) et que certaines personnes y croirent autant qu'à leur religion.

Si généralement la population moderne prétend ne pas être superstitieuse, en réalité une fraction sensible de la population y compris des croyants l'est toujours et ne jure que par ses gri-gri, porte-bonheur et autres symboles religieux, une façon sans doute de se rassurer qu'une puissance supérieure veille sur elle et les protège des difficultés de la vie.

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