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La Bible face à la critique historique

Le songe de Nabuchodonosor (f.106v) dans la Bible Historiale de Guyard des Moulins (XIVe.s.).

Jésus et le sens des prophéties (II)

Les prophéties de Daniel

Daniel fait également partie des quatre "grands prophètes" bibliques (avec un livre de 23 pages dans la Bible de Jérusalem). Ses prophéties reflètent l'histoire des civilisations et en particulier le totalitarisme religieux imposé aux populations par les différents empires et la résistance spirituelle du peuple juif avec plus ou moins de succès. A ce titre, son livre occupe une place à part parmi ceux des prophètes ainsi que nous allons le découvrir.

Que prédit Daniel ? Beaucoup de choses, raison pour laquelle ses prophéties furent rassemblées sous forme d'illustrations et de tableaux dont quelques exemples sont présentés ci-dessous. En résumé, Daniel utilise deux genres littéraires différents :

- 1. La Haggadah ou conte instructif à vocation théologique ou morale de la tradition rabbinique

- 2. L'Apocalypse représenté par des visions allégoriques décrivant le destin du monde.

1. La Haggada : La statue et la chute des empires

Selon Daniel, "au cours du second règne de Nebuchadnessar" (le nom hébreu du roi de Babylone), c'est-à-dire sous Nabuchodonosor II, le roi fit d'étranges songes que Daniel interpréta comme suit :

"Ton songe et tes visions de ton esprit que tu as eues sur ta couche, les voici [...] Toi, ô roi, tu regardais, et voici une grande statue. Cette statue était immense et sa splendeur extraordinaire; elle se dressait devant toi, et son aspect était terrible. Cette statue avait la tête d'or fin, la poitrine et les bras d'argent, le ventre et les cuisses d'airain, les jambes de fer, les pieds en partie de fer et en partie d'argile. Tu regardais, jusqu'à ce qu'une pierre fut détachée, non par une main, et frappa la statue à ses pieds de fer et d'argile, et les brisa. Alors furent brisés eu même temps le fer, l'argile, l'airain, l'argent et l'or, et ils devinrent comme la balle qui s'élève de l'aire en été, et le vent les emporta sans qu'on en trouve plus aucune trace; et la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne et remplit toute la terre" (Daniel 2:28 et 2:31-35). Notons que selon les versions de la bible, le bronze est traduit par l'airain (le nom antique du bronze) et l'argile par la terre cuite ou la céramique.

Illustrations des visions prophétiques décrites dans le livre de Daniel à travers son interprétation inspirée par Yahvé des rêves du roi Nabuchodonosor II (Nebuchadnessar en hébreu). A gauche, les quatre empires dominants de l'époque. A droite, la destruction des quatre empires par Yahvé. Documents T.Lombry illustrés par Bruce Long.

Interprétation du songe

Dans le rêve du roi Nabuchodonosor II, chaque section du corps de la statue représente un empire dominant le monde. Les métaux sont progressivement de moindre valeur mais chacun est plus résistant que le précédent, autrement dit chaque nouvel empire est plus puissant que le précédent. Grâce à Dieu, finalement une pierre se détacha de la montagne et frappa les pieds en fer et en argile de la statue, la fracassant et dispersant les débris. En résumé, aussi puissants soient-ils, les empires babylonien, perse, grec et romain finissent par disparaître, mettant ainsi fin à l'occupation de la terre que Yahvé avait promis au peuple juif.

Certains auteurs modernes ont interprété l'image de la fragilité des pieds et la multitude des orteils comme la période géopolitiquement instable qui suivit la décadence de l'Empire romain et la multiplication des nations. Certains y ont même vu une corrélation avec l'époque actuelle jusqu'à prétendre y voir la trace de l'Union européenne et même un nouvel Ordre mondial ! A chacun son interprétation.

2. L'Apocalypse : la Fin des temps

Inspiré par Yahvé, Daniel proposa également un décompte chronologique, un compte à rebours précis jusqu'à la Fin des temps : "Sois attentif à la parole, et comprends la vision ! Soixante-dix semaines ont été fixées sur ton peuple et sur ta ville sainte, pour faire cesser les transgressions et mettre fin aux péchés, pour expier l'iniquité et amener la justice Éternelle. Depuis le moment où la parole a annoncé que Jérusalem sera rebâtie jusqu'à l'Oint, au Conducteur, il y a sept semaines ; dans soixante-deux semaines, les places et les fossés seront rétablis, mais en des temps fâcheux. Après les soixante-deux semaines, un Oint sera retranché, et il n'aura pas de successeur" (Daniel 9:24-26).

Ensuite, Daniel termine sa prophétie en disant : "... "Encore deux mille trois cents soirs et matins, alors le sanctuaire sera revendiqué." [...]  Elle est vraie, la vision des soirs et matins qui a été dite, mais toi, garde silence sur la vision, car il doit s'écouler bien des jours" (Daniel 8:14 et 8:26). Selon les versions de la bible, celle présentée ici étant celle de Jérusalem, on n'évoque pas une revendication mais une purification du sanctuaire et on parle de secret plutôt que de silence. Mais dans les faits, les conséquences sont identiques.

A lire : Les grands prophètes (dont Daniel), Bible Quest

Illustrations des visions prophétiques et de la chronologie des nations telles que décrites dans le livre de Daniel. Ses récits se terminent par la prophétie de la Fin des temps annoncée par Dieu. L'une de ces prophéties évoque la venue du Messie, l'Oint, qui restaurera Jérusalem et l'unité du peuple. Voir le texte pour les explications. Documents adaptés de Elishean.

Interprétation du songe

Cette prophétie profondément mystique ne peut se comprendre qu'en lisant en parallèle le livre des Nombres (verset 14:34) qui précise notamment : "Vous avez reconnu le pays pendant quarante jours. Chaque jour vaut une année : quarante ans vous porterez le poids de vos fautes, et vous saurez ce que c'est que m'abandonner". La même punition est également décrite dans le livre d'Ezéchiel à qui Yahvé ordonne de se coucher 390 jours d'un côté et 40 jours de l'autre en applicant la règle : "Je t'en ai fixé la durée à un jour pour une année" (Ezéchiel 4:6).

Daniel utilise la même règle "un jour vaut une année" qui permet de déduire que la semaine dont parle Daniel vaut donc 7 ans et donc au total 490 années doivent s'écouler entre le décret de la restauration de Jérusalem et du temple cinq siècles plus tôt (les travaux d'Esdras en 457 avant notre ère) et l'acte final du Messie, roi des juifs qui restaurera Jérusalem et l'unité de la maison de David. Pour leur part, les Esséniens avaient divisé les 490 années en 10 jubilés de 49 ans. Le dernier jubilé était celui de l'action du Messie dont la génération "ne passera pas tant que toutes choses n'auront pas été accomplies". Ensuite, la dernière année sabbatique marquerait le début des 7 ans dans lesquels prend place le ministère du Messie et qui précèdent l'Apocalypse.

La Bible de Jérusalem ouverte sur les prophéties de Daniel (versets 8-9). Document T.Lombry

Selon un calcul rapide, on arrive à une date ultime en l'an 27 de notre ère pour le début du ministère de Jésus auquel on ajoute 7 ans pour arriver à l'an 34 pour la mort et la résurrection du Christ. Toutefois, certaines interprétations comme celle de Robert Anderson tiennent compte d'une année dite prophétique et arrivent à une année de crucifixion décalée de 2 ans (année 32 au lieu de 34).

A la fin des 490 années et un total de 69 semaines (7 semaines + 62 semaines) Daniel dit : "Et après les soixante-deux semaines, un messie sera supprimé" (Daniel 9:26). Pour Jésus comme dans l'interprétation chrétienne, "supprimé" que d'autres bibles traduisent par "retranché" signifie "crucifié". Le Christ doit donc être crucifié après 3 ans et demi de ministère public. Selon les biblistes qui se sont penchés sur la prophétie, Jésus devrait mourir au milieu de la semaine prophétique qui serait aussi le milieu de la semaine civile (précisément le mercredi après-midi). Toutefois, la prophétie ne précise pas les autres évènements qui doivent survenir à l'échéance de la 70e semaine, que d'ailleurs l'Eglise refuse de considérer.

Pour les années suivant la crucifixion, Daniel proclame la "revendication" du sanctuaire terrestre au terme de 2300 jours-années, ce qui nous conduit en théorie à l'année 2300-490+34 soit l'an 1844 où Marc entrevoit que "les étoiles tomberont du ciel" (Marc 13:25). Certains ont interprété cette date comme le "temps de la fin" que d'autres considèrent comme la date à laquelle le Christ est entré défendre la cause des hommes auprès du Père.

Ce jour des expiations se terminerait dans un futur indéterminé lors du retour du Christ parmi les hommes; ce serait le jour du Jugement Dernier mais au cours duquel selon Paul, "il n'y a maintenant aucune condamnation pour celui qui est en Jésus-Christ" (Romains 8:1).

Le sens des paroles de Daniel pour Jésus

Selon les Évangélistes, Jésus déclara que certaines prophéties bibliques se réaliseraient de son temps et que d’autres se réaliseraient ultérieurement. En tant que juif pratiquant, Jésus était convaincu probablement dès sa jeunesse que les prophéties d'Isaïe et de Daniel devaient s'accomplir, en particulier celles prédisant la destruction des grands empires, la malédiction sur Jérusalem, "l'abominable dévastation" du lieu saint (sous Antiochus IV) et l'arrivée de la Fin des temps que nous venons de décrire (Isaïe 29:13 et Matthieu 15:7, Daniel 2:31-35, 9:24-27 et Matthieu 24:15).

On peut supposer qu'un passionné de numérologie (et le texte de l'Ancien Testament en donne de nombreux exemples à celui qui veut y croire) ou d'eschatologie (les discours sur la fin du monde) replacé à l'époque du Christ serait interpellé par ces nombres prophétiques, alors imaginez dans quel esprit devaient être les gnostiques, les mystiques, les disciples baptistes ou esséniens apocalyptiques. On imagine que les Esséniens, Jean-Baptiste et Jésus étaient tous persuadés que la fin des temps était proche, et d'ailleurs Jésus l'a proclamé en reprenant mot-à-mot les paroles des Esséniens : "Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera point, que tout cela n'arrive" (Matthieu 24:33-34), ce qu'avait déjà confirmé Marc quelques années plus tôt : "Le temps est accompli, et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous, et croyez à la bonne nouvelle" (Marc 1:15).

Etant donné ses influences spirituelles et le sens de sa doctrine respectant en tous points les paroles des prophètes, on ne doit donc pas s'étonner que Jésus proclame que la volonté divine va s'accomplir et qu'il est prêt à se sacrifier pour sauver le monde. On y reviendra.

En résumé, en lisant la bible hébraïque et notamment les prophètes Daniel, Isaïe, Malachie et Zacharie et leurs interprétations talmudiques, il n'est donc pas étonnant que Jésus comme tous les Juifs aient aspiré à ce que deux messies, un roi et un prêtre, règnent conjointement sur le royaume d'Israël. En effet, si Jésus proclame la venue du royaume de Dieu et qu'il siégera sur le trône à la droite du Père, il aurait été anormal qu'il ne considère pas lui aussi sa fonction de guide royal comme choisie directement par Dieu. Pratiquement tous les rois et empereurs ont succombé à cette tentation. Or n'étaient-ils pas de simples hommes ? Pourtant, selon les récits, eux aussi prétendent avoir réalisé des miracles ! Alors, faut-il croire que tous ont des pouvoirs divins ou plutôt aucun d'eux ? Et si aucun d'eux n'en est doté, pour quelle raison Jésus en serait-il le seul dépositaire ? On y reviendra.

Critique textuelle et faits historiques

Si Jésus et les gnostiques croyaient en la parole des prophètes, à l'exception de quelques communautés de croyants dogmatiques et sectaires, la majorité de la population a aujourd'hui un avis différent. Pour les curieux à l'esprit un peu plus critique, analysons le texte du livre de Daniel à la lumière des résultats des analyses des biblistes et des découvertes archéologiques. Le résultat est pour le moins révélateur.

La rédaction des prophéties. Document Watchtower.

Qui est Daniel ? Les annales sont peu disertes mais par recoupement on estime que le Daniel "biblique" naquit vers 626-624 avant notre ère à Jérusalem et, selon sa brève biographie, il descend d'une famille si non royale du moins noble (Daniel 1:3). En 606 avant notre ère, à l'âge de 14 ou 16 ans, sous le règne de Jéhojakim (Yehoïaqim) il fut déporté à Babylone puis devint fonctionnaire à la cour du roi et interpréta notamment les songes du roi Nabuchodonosor II (Nebuchadnessar en hébreu, qui régna entre 604-561 avant notre ère) qui était polythéiste, ce que n'appréciait guère Daniel.

Selon la chronologie biblique, Daniel rédigea sa dernière prophétie vers l'âge de 90 ans, précisément durant "la troisième année du règne du roi Cyrus" II (Daniel 10:1) dit Cyrus le Grand qui régna entre c.559 et 530 avant notre ère, fondateur de l'Empire perse. Mais apparemment ce ne serait pas la 3e année de son règne mais la 3e année qu'il fut à Babylone. Sachant que les Perses n'ont pas conquit Babylone avant 539 avant notre ère, Daniel aurait donc rédigé ses dernières prophéties vers 536 avant notre ère. Daniel aurait été assassiné par Haman, le Premier ministre du roi de Perse Cambyses II (529-522 avant notre ère) peu après 529 avant notre ère et fut enterré à Suse (l'actuel Iran) où sa tombe est vénérée. Au Moyen-Âge, son cercueil aurait été transporté à Samarkande en Ouzbékistan, où dit-on son corps continue de croître, raison pour laquelle son cercueil mesure 18 m de longueur (cf. cet article en anglais). Daniel aurait donc vécu 95 à 97 ans[1].

Ezéchiel, son contemporain plus âgé de quelques années, le place parmi les sages et les Justes aux côtés de Noé et de Job (Ezéchiel 14:14- 20 et 28:3).

Examinons à présent le livre de Daniel et essayons de le dater. Le livre de Daniel comprend 14 chapitres dont les récits ne sont pas présentés dans l'ordre chronologique. Les six premiers chapitres décrivent la vie de Daniel et celle de ses compagnons pendant leur déportation à Babylone sous Nabuchodonosor II qui dura plus de 40 ans. Il s'agit de leçons théologiques et morales visant à réconforter et renforcer la foi du peuple juif en train de perdre tout espoir et en quête de spiritualité. Les chapitres 7 à 12 décrivent les huit visions de Daniel dans lesquelles il interprète l'histoire du monde dans un but théologique et évoque notamment la venue du Messie et la Fin du monde. Les chapitres 13 et 14 deutérocanoniques sont des allégories tardives.

Le livre de Daniel n'est pas signé et cela pour une bonne raison. Les premiers chapitres sont décrits à la troisième personne tandis que les suivants sont écrits à la première personne, Daniel étant l'acteur de ses visions. Si on se base également sur les différents styles de narration, on en déduit que ce livre fut rédigé par plusieurs auteurs parlant des langues différentes qui ont compilé une série d'histoires parfois disparates à des fins théologiques.

A quelle époque fut rédigé le livre de Daniel ? La langue utilisée, le style et les détails historiques vont nous apporter la réponse. Dans la bible hébraïque, le livre de Daniel est rédigé partiellement en hébreu (ch.1-2 et 8-12) et partiellement en araméen (ch.3 à 7). On retrouve un style de hébreu influencé par l'araméen mais ce dernier présente des caractéristiques plus tardives que l'araméen du livre d'Esdras (par exemple le Cantique d'Azarias de Daniel 3:24-50 et Esdras 9:6-15) et des manuscrits d'Eléphantine rédigés au VIe et Ve siècle avant notre ère.

Comme le livre d'Enoch et certains manuscrits apocryphes dont les papyri esséniens évoqués précédemment, le livre de Daniel contient un message messianique apocalyptique typique du style employé à l'époque de la dynastie des Hasmonéens (Maccabées) au IIe siècle avant notre ère, une datation confirmée par l'archéologie. En effet, si les auteurs nous laissent croire que les prophéties s'appliquent aux temps futurs, les descriptions les plus précises concernent précisément ces temps futurs, laissant penser qu'ils vécurent à cette époque, c'est-à-dire à partir du IIIe siècle avant notre ère voire un ou deux siècles plus tard et non pas au VII-VIe siècle avant notre ère comme le sous-entend le texte biblique.

Quatre fragments des manuscrits du Papyrus 967 écrits en grec relatifs au livre de Daniel. A gauche, PT16.12r concernant le songe de Nabuchodonosor (Daniel 2:27-24). A sa droite, PT31r concernant le Temps de la fin (Daniel 11:40-45). A droite du centre, deux manuscrits deutérocanoniques, PT37r concernant l'histoire de Suzanne (Daniel 13:55-59) et PT33r concernant Bel et le Dragon (Daniel 14:10-14). Documents Robert Daniel et al./U.Cologne.

Selon le professeur américain John Collins, expert de l'Ancien Testament et auteur du livre "Daniel: With an Introduction to Apocalyptic Literature" (1959/1984), les six Haggadahs des chapitres 1-6 datent du IIIe ou du début du IIe siècle avant notre ère, l'ajout des visions tardives des chapitres 7-12 remontant à la fin du règne d'Antiochonos IV (175-164 avant notre ère), roi séleucide déjà cité qui tenta de remplacer le culte de Yahvé par celui de Baal, soit entre 167 et 164 avant notre ère.

Quelques textes deutérocanoniques (donc absents de certaines bibles protestantes) comme la Prière de Daniel (ch.9), la Prière d'Azarias (Daniel 3:24-50), le Cantique des trois enfants (Daniel 3:51-90), l'histoire de Suzanne et des vieillards (Daniel 13) et les deux contes de Bel et le Dragon (Daniel 14) furent ajoutés au Ier siècle avant notre ère.

Notons que huits fragments de manuscrits du livre de Daniel furent découverts parmi les Rouleaux de la mer Morte dans les grottes de Qumrân. Ces manuscrits ont été datés entre 100-150 avant notre ère (4Q114 et 4Q116), de 50 de notre ère (1Q71, 1Q72, 4Q113 et 6Q7), entre 50-74 de notre ère (4Q112, 4Q115) et ~200 de notre ère (PT37 présenté ci-dessus) pour les plus récents.

L'expert en papyrologie Robert Daniel de l'Université de Cologne a dressé un inventaire illustré de ces manuscrits et de nombreux autres découverts à ce jour. Voir également le descriptif des papyri de Qumrân de Robert Kraft de l'Université de Pennsylvanie.

En résumé, le livre de Daniel contient des prophéties déguisées. Il s'agit en réalité d'un récit historique mêlé de contes arrangé dans un style théologique. Il n'y a donc pas d'inspiration divine ni rien de surnaturel dans les récits de Daniel qui n'a de prophète que le nom.

Précisons encore que le livre de Daniel contenu dans la Bible des Septante date de ~170 avant notre ère et comprend notamment une copie du chapitre 13 extrait du Papyrus 967 (un ensemble de 236 fragments de manuscrits comprenant le livre de Daniel et une partie de celui d'Esther) découvert en 1931 à Aphroditopolis en Égypte et présenté ci-dessus rédigé à la fin du IVe siècle ou au début du IIIe siècle avant notre ère. Par la suite, le Codex Vaticanus rédigé au IVe siècle de notre ère intégra la révision du chapitre 14 faite par Théodotion dans les années 30-50 de notre ère. Enfin, la Vulgate écrite en grec a repris le livre Daniel ainsi que les livres deutérocanoniques ajoutés par la Grande Eglise.

La théorie selon laquelle le livre de Daniel est authentique et fut rédigé au VIe siècle avant notre ère est donc difficile à défendre d'autant plus qu'elle implique que l'auteur serait doté du pouvoir surnaturel de prémonition et confirme l'existence de Dieu puisqu'il évoque allégoriquement l'intervention de Dieu dans la restauration du royaume du peuple juif en terre sainte au cours des siècles qui suivirent. Pourtant, malgré les faits archéologiques nombreux à toutes les époques, certains chrétiens protestants dogmatiques continuent de croire que "la présence d'une "pieuse fraude" dans la Bible serait, pour le moins, théologiquement surprenante"[2]. Même en sachant que le livre évoque des situations détaillées du IIe siècle et contient des passages identiques à ceux de manuscrits apocryphes rédigés entre le IIe et le Ier siècle avant notre ère plaidant en faveur d'une rédaction tardive, ils prétendent encore qu"'il paraît peu probable qu'un ouvrage d'un genre si inhabituel ait été aussi rapidement (si sa rédaction remonte à 165 avant notre ère) accepté et mis en circulation en tant qu'Ecriture faisant autorité"[3]. Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Les prophéties de Jérémie

Le prophète Jérémie (ou Jérémiah) compte également parmi les "grands prophètes" (76 pages dans la Bible de Jérusalem). Selon la tradition il serait l'auteur du livre des Rois et celui des Lamentations (d'où est issu le mot "jérémiades"). Ses visions ou songes sont peu cités, juste dans quelques livres apostoliques (Évangile selon Matthieu 2:17-23, 16:13-14, 27:8-10 et l'Épître aux Hébreux).

Incipit de la première page du livre de Jérémie de la Bible de Winchester (f.148r) datant de c.1150-80. Document du Chapître de la Cathédrale de Winchester.

Notons que la Septante contient environ 2700 mots de moins que le texte massorétique original, soit plus de 12 % du contenu  du livre, rendant cette traduction peu conforme au texte hébreu original. Heureusement, saint Jérôme et les copistes-traducteurs y ont remédié.

Jérémie aurait commencé à écrire son livre "aux jours de Josias [...] la treizième année de son règne" (Jérémie 1:2) soit en 627 avant notre ère, à la même époque que le prophète Sophonie. Mais selon ses propres mots, "dans la quatrième année du roi Jehoïaqim" soit en 625 avant notre ère, après la lecture de son livre, le roi de Juda brûla son livre et lui demanda de recommencer : "Procure-toi de nouveau un rouleau - un autre - et écris dessus toutes les paroles primitives qui étaient sur le premier rouleau qu'a brûlé Jehoïakim le roi de Juda" (Jérémie 36:21-28).

Certains auteurs prétendent que Jérémie qui est un prêtre de la tribu de Benjamin aurait écrit seul son livre "sous l'inspiration de Yahvé". Mais compte tenu des détails politiques qu'il évoque à propos des dynasties lagide et séleucide, certains passages furent vraisemblablement écrits entre 199-195 avant notre ère. Il s'agit donc d'un travail collectif qui s'étendit sur plusieurs siècles, notamment par des rédacteurs deutéronomiques et peut-être par Baruch ben Neria, un secrétaire proche de Jérémie (Jérémie 36:32). Le texte comprend également des passages se référant à la tradition orale. Il est donc assez difficile de considérer ses prophéties comme "authentiques" comme le prétendent encore certains lecteurs dogmatiques et les Eglises sectaires.

Parmi les "prophéties", Jérémie "prédit" la déportation des juifs à Babylone durant 70 années ainsi que sa libération: "Oui, tout ce pays deviendra un lieu dévasté, un objet de stupéfaction, et ces nations devront servir le roi de Babylone soixante-dix ans [...] Car voici ce qu'a dit Yahvé : Conformément à l'accomplissement des soixante-dix ans à Babylone, je m’occuperai de vous, et vraiment je réaliserai à votre égard ma bonne parole, en vous ramenant dans ce lieu" (Jérémie 25:11 et 29:10)

Jérémie prédit ensuite le retour des juifs en Terre Sainte : "Car voici, les jours viennent, dit Yahvé, que je ramènerai les captifs de mon peuple d'Israël et de Juda, a dit Yahvé, et je les ferai retourner au pays que j'ai donné à leurs pères, et ils le posséderont" (Jérémie 30:3 et 16:14-15).

Enfin, comme les prophètes Amos, Daniel ou Isaïe parmi d'autres, Jérémie évoque clairement la venue d'un nouveau messie dans la lignée de David : "je susciterai à David un germe juste; un roi régnera et sera intelligent, exerçant dans le pays droit et justice. En ses jours, Juda sera sauvé et Israël habitera en sécurité. Voici le nom dont on l'appellera : 'Yahvé-notre-justice' " (Jérémie 23:5).

Nous reviendrons sur le thème du Messie quand nous évoquerons les noms dont Jésus s'est revendiqué ou que les apôtres lui ont attribué. En attendant, nous allons décrire dans le prochain article, les autres influences qui semblent avoir été déterminantes dans la vie de Jésus.

A lire : Jésus de Nazareth

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[1] Dans ses commentaires coraniques Abdullah Yusuf Ali prétend que Daniel vécut entre 620-538 avant notre ère. Mais cette période n'est pas compatible avec les dates bibliques. D'autres dates ont également été proposées pour le début du règne de Cyrus le Grand. Toutefois, Diodore qui vécut au Ie.s. avant notre ère situe le début du règne de Cyrus "dans la première année de la 55e olympiade", soit en 560-559, date également validée par plusieurs Eglises et mentionné dans diverses encyclopédies et qu'on considéra donc comme correcte.

[2] La Bible, édition Segond 21 avec notes d'étude archéologiques et historiques, Archéo, 2015, p1228.

[3] La Bible, édition Segond 21, op.cit., p1231.


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