Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

 

 

 

 

La faculté d'adaptation

Microfilaments (bleus), mitochondries (rouge) et noyaux marqués par fluorescence dans les cellules endothéliales (fibroblastes) d'une artère pulmonaire bovine. Document iStock.

Survivre au chaud et au froid (V)

Le chaud

Astronomiquement parlant, la limite supérieure de la vie est très basse sur Terre. A quelle température maximale peut résister un être humain ? Au repos, la température corporelle normale du corps humain adulte est de 37.0 ±0.9°C selon l'heure de la journée et on peut en principe supporter une variation d'environ ±3°C mais que le système de régulation géré par l'hypothalamus tentera de stabilier à 37°C. Des chercheurs ont toutefois découvert que les mitochondries qui sont les usines énergétiques des cellules affichent une température pouvant atteindre près de 50°C, bien au-delà des 37°C du corps humain (cf. P.Rustin et al., 2018).

Un être humain peut résister à un bain d'eau chaude mais tant qu'elle ne dépasse pas 40°C au-delà de laquelle nous risquons l'hyperthermie. En revanche, certaines personnes supportent un sauna porté à 100°C mais à condition qu'il contienne de l'air peu humide. Elles peuvent supporter ces conditions limites pendant une vingtaine de minutes maximum. Pour résister et réduire sa température interne et la maintenir vers 37°C, le corps élimine l'excédant de chaleur à travers une abondance transpiration de la peau.

La peau ne supporte pas une exposition à une température de 44°C qui provoque des brûlures du 1er degré. A partir de 52°C, on observe une destruction rapide des tissus et à partir de 60°C, les protéines de la peau sont détruites.

Parmi les autres animaux, les aquariophiles savent que les poissons tropicaux agonisent et s'asphyxient dans une eau portée au-delà de 38°C. Les oiseaux du désert ne peuvent supporter plus de 45°C environ et le serpent succombe à plus de 50°C.

Grâce à son adaptation unique la fourmi argentée (Cataglyphis bombycina) est le seul animal pouvant survivre jusqu'à 53.6°C dans le désert du Sahara. Ses poils denses jouent le rôle d'isolant et leur section triangulaire (et non pas ronde) aux faces argentées optimise la réflexion des rayons du Soleil. Cet effet miroir réduit sa température corporelle jusqu'à 2°C et d'autant plus si l'animal reste longtemps au Soleil.

Munie de grandes pattes, son abdomen est situé 4 mm au-dessus du sable où la température est déjà 7° inférieure à celle du sol. Cette fourmi peut aussi courir quelques minutes sur un sol porté à plus de 80°C, le vent passant sous son abdomen rafraichissant son corps. Mais vous n'en verrez jamais restant plus de 2-3 minutes sous le Soleil de midi car elles n'y survivraient pas.

Dans le monde végétal, la photosynthèse est interrompue vers 72°C comme l'ont montrées les expériences conduites par Jessica P. Allewalt de l'Université du Montana et son équipe dans le parc de Yellowstone aux Etats-Unis.

Familles de bactéries

Température

Hyperthermophiles :

Thermophiles :

Mésophiles :

Psychrophiles :

80-121°C

40-80°C

20-40°C

< 20°C

Enfin, seules des algues bleues (des bactéries et non des végétaux) peuvent vivre dans les geysers brûlants du parc de Yellowstone dont certaines vapeurs atteignent 100°C. Deux autres algues thermophiles, synechococcus et chloroflexus survivent dans la source thermale du lac Grand Prismatic Spring, colorant ses berges de vert et d'orange.

Sachant ce qui vient d'être dit, on ne sera pas surpris d'apprendre qu'il existe un meilleur anti-herbe que les produits chimiques : l'eau bouillante. En effet, la plupart des organismes n'étant pas thermophiles, il suffit de verser 1 litre d'eau bouillante au mètre carré et vous serez débarrassé des mauvaises herbes de manière tout à fait naturelle et non polluante (seul souci, à moins d'utiliser un jet de vapeur pendant quelques dizaines de secondes, une mauvaise herbe ne succombe pas sous une exposition de quelques secondes à l'eau bouillante mais de plusieurs minutes, ce qui rend ce traitement assez onéreux).

Généralement, aucune archéobactérie ni eubactérie ne survit au-dessus de 80°C à la pression de 1 bar. Mais à force de chercher, les microbiologistes ont découvert une poignée d'achéobactéries hyperthermophiles capables de résister bien au-delà. La première qui fut découverte est l'archéobactérie hyperthermophile nommée Pyrolobus fumarii qui vit près des évents hydrothermaux qui succombe à 113°C. Ensuite, les microbiologistes Derek Lovley et Kazem Kashefi de l'Université de Massachusetts à Amherst ont découvert "Strain 121" proche de Pyrolobus fumarii qui survit et se reproduit également près des évents hydrothermaux et résiste jusqu'à 121°C sous une pression de 240 bars ! Cet organisme d'environ 2 microns de diamètre, cent fois plus petit qu'un grain de sable, est capable de supporter le processus de stérilisation d'un autoclave (20 minutes à 121°C) ! Heureusement comme toutes les archéobactéries elle est inoffensive. Elle survit en oxydant les composés du fer et rejette de la magnétite en absence totale de lumière.

Les deux détenteurs des records de résistance à la chaleur. A gauche, une colonie de fourmis argentées (Cataglyphis bombycina) vivant dans le Sahara. Elles peuvent survivre jusqu'à 53.6°C, un record dans le monde animal. A droite, Strain 121 vit, respire et se reproduit près des évents hydrothermaux de l'océan Pacifique portés à 121°C. Cette archéobactérie hyperthermophile oxyde les composés du fer. Sur cette coupe, on reconnaît l'enveloppe cellulaire monocouche (S) et la membrane cytoplasmique (CM). La barre blanche représente 1 micron. Documents P.Landmann, Willot et al. et Derek Lovley/U.Mass.

Entre 140 et 350°C sous une pression de plusieurs centaines d'atmosphères, certains micro-organismes hyperthermophiles s'épanouissent et se reproduisent encore. Pyrococcus par exemple resserre son ADN pour éviter de succomber et produit de l’acide sulfurique. Cela dit toutes les formes de vie plus évoluées ont déjà disparu.

Cet éventail d'adaptations rassure les exobiologistes. Puisque certaines formes de vie peuvent évoluer dans de telles conditions extrêmes, rien ne dit qu’une forme de vie similaire n’a pas existé sur Mars dans un lointain passé, le long des canaux fluviaux qui ont laissé des traces d’alluvions[8] ou sur les pentes des volcans aujourd’hui éteints.

Le froid

Chez les plantes

Les notions de froid diffèrent d'un être vivant à l’autre. Nous savons tous que la plupart des plantes y compris celles qui survivent dans les toundras gèlent lorsque les sucs et la sève passent sous 0°C. Les végétaux doivent absolument connaître une période d’été de quelques mois pour survivre. Mais l'ensoleillement ne suffit pas et bien des végétaux meurent lorsqu'ils sont exposés au vent glacial, à l'enneigement ou à une trop forte luminosité solaire.

Toutefois nous verrons plus bas que des graines gelées depuis plusieurs dizaines de milliers d'années ont germé.

A lire : Vivre dans la glace

La cryogénie

Alors que jusqu'ici au cours du processus de cryogénie la déshydratation des cellules était obtenue pendant un prérefroidissement progressif (0.5-1°C/min) jusqu'à -40°C, le procédé cryogénique mis au point par Jean Dereuddre de l'Université de Jussieu en France exploite des techniques de vitrification et d'enrobage-déshydratation au cours desquelles l'extraction de l'eau cellulaire est réalisée à température ambiante. Les échantillons enrobés dans un gel d'alginate de calcium sont cultivés plusieurs jours dans un milieu fortement enrichi en saccharose, puis déshydratés sur gel de silice, jusqu'à une teneur en eau résiduelle compatible avec la vitrification des solutions extra- et intracellulaires. Les échantillons enrobés peuvent alors être directement plongés dans l'azote liquide. Document U.Jussieu/Y.Bachiri et al.

Chez les animaux

Si l'être humain ne résiste pas longtemps à plus de 40°C, la marge est encore plus réduite du côté froid. Un corps nu ne survit pas à une température inférieure à 15°C. Il faut recourir à des astuces comportementales (habitat et vêtements) pour survivre dans des conditions plus sévères, jugées hostiles.

Avec leur fourrure, leurs plumes ou leur couche de graisse, les animaux s'adaptent beaucoup mieux au froid que l'être humain. Les oiseaux par exemple sont protégés du froid par leur plumage qui ne contient que des éléments inertes : pas de nerf, pas de peau, pas de vaisseaux sanguins ni muscle. Leur plumage sert juste au vol et à les protéger. De plus, de nombreuses espèces présentent une température corporelle entre 38 et 42°C. Les oiseaux métabolisent également à une température plus élevée que l'être humain. En général, les oiseaux des climats froids sont également plus grands que sous les climats chauds car ils consomment moins d'énergie par unité de surface que les petits oiseaux. Enfin, il ne faut pas croire que les oiseaux ont froid aux pattes. Comme un coureur à pied ou un cycliste évacue son excédant de chaleur par ses cuisses et ses jambes, les oiseaux ont les pattes nues pour mieux évacuer la chaleur et éviter la surchauffe, surtout sous les climats froids.

Sous des climats polaires où l'être humain ne s'aventure même pas protégé par deux parkas en duvet, des gants épais et un casque, certains mammifères terrestres peuvent supporter les grands froids. Le renard polaire par exemple dispose d'une épaisse fourrure qui le protège jusqu'à -70°C où goupil commence seulement à ressentir la morçure du froid !

L'Antarctique peut-être comparé à Mars[9]. Si les sondes spatiales Viking et autres Opportunity n'ont rien relevé de significatif sur Mars, en revanche à quelques millimètres sous le grès poreux du sixième continent, lichens, champignons et bactéries se développent par -50°C.

Le Weta de Nouvelle Zélande peut se laisser congeler pendant 6 mois et retrouve ensuite toute son agilité. Document Kit Lane/Flickr.

Pour supporter les rigueurs de l'Antarctique, la podure (puce) et l'algue rose des neiges disposent d’une sorte d’antigel, tout comme les fourmis, les tiques ou les araignées de nos contrées qui peuvent ainsi chercher leur nourriture sans geler.

A l’inverse, certains animaux à sang froid se laissent geler pendant l’hiver. La chenille du Bombyx du Groenland par exemple peut rester gelée plus de 10 mois par -50°C, le Weta des cavernes (un insecte de l'ordre des orthoptères) qu'on trouve en Nouvelle Zélande peut se laisser congeler jusque -10°C voire plus bas encore pendant 6 mois et retrouve son agilité au printemps tandis que les balanes et les moules des zones intertidales des côtes de Norvège gèlent lorsqu’elles sont exposées au vent glacé à marée basse.

Physiquement, ces créatures congelées semblent mortes pourtant après avoir été ranimées sous des températures positives, leurs cellules ne semblent présenter aucun dommage apparent.

Nous savons portant que l’eau glacée détruit les constituants cellulaires. Par osmose la congélation vide les cellules de leur eau jusqu’à ce que le volume intérieur franchisse un seuil critique en dessous duquel les parois cellulaires se brisent et libèrent leur contenu. Lorsque la respiration et la circulation sanguine s’arrêtent, le métabolisme cellulaire devrait être détérioré, le fonctionnement des organes devrait être altéré et les tissus du cerveau devraient se nécroser au bout de 3 minutes. Pourtant ces animaux survivent aux rigueurs de l’hiver. Comment font-ils ?

Depuis les années 1980, les zoologistes ont découvert que les cellules de ces animaux disposent, ainsi que nous l’avons entrevu, de protéines antigel qui maintiennent les fluides corporels liquides sous zéro degré. Ces liquides sont en surfusion, un état physique très particulier qui leur permet de rester fluide jusqu’à -16°C dans le cas du plasma humain, qui autrement gèle à 0.8°C.

En étudiant les poissons polaires qui survivent dans l’eau glacée, l’équipe d’Arthur Devries de l’université d’Urbana-Champaign en Illinois a découvert que les solutions aqueuses du corps de ces poissons contenaient des protéines antigel qui se liaient aux cristaux de glace dès que les germes de cristallisation étaient amorcés, ce qui empêchait l’eau glacée de s’accumuler sur les molécules, bloquant ainsi la croissance cristalline. D’ordinaire, plongé dans l’eau salée le poisson carrette ne survit pas en dessous de -1.7°C. Mais en hiver, alors que les jours raccourcissent, ce poisson développe une protéine antigel qui maintient son sang liquide en dessous de cette température.

Pour l’anecdote, ceci confirme l’observation de mon père qui me disait qu’il lui était arrivé, étant enfant, de laisser des carpillons dans une bassine d’eau à l’extérieur pendant l’hiver. La glace a progressivement pris et les poissons ont été congelés plusieurs jours. Ils retrouvèrent toute leur vitalité avec le dégel. Des expériences récentes ont prouvé la réalité de ce phénomène étonnant.

Mieux encore, la chenille de la tordeuse de la verge d’or qui s’enroule autour des feuilles de chênes et des vignes utilise un antigel encore plus performant. Stockant du sucre (glycogène) pendant l’automne, elle se confectionne un antigel pour l’hiver à base de 40% de glycérol qui lui permet d’abaisser son point de congélation jusqu’à -38°C.

Même chose pour plusieurs espèces d'insectes, la brunette hivernale (une libellule), le télébrion monitor (un coléoptère), le Paon du jour (Aglais io) et le papillon citron (Gonepteryx rhamni) parmi d'autres qui se laissent prendre par le givre et gelent littéralement sur les feuilles mortes ou sur les branches pendant l'hiver. Comme le poisson killi évoqué précédemment (page 2), ces papillons passent en état de diapause, un état de léthargie profond où leur métabolisme est fortement ralenti pour ne pas dépenser d'énergie. De plus, ils préservent leurs cellules des effets du gel grâce à une forte concentration en glycol. Ces insectes reprennent vie au printemps avec les premiers rayons du Soleil.

A voir : Des poissons mis au surgélateur reviennent à la vie

Une rainette des bois gelée l'hiver revient à la vie

Deux photos spectaculaire d'animaux en état de diapause et gelés mais toujours vivants ils recourent au glycol pour protéger leurs cellules. A gauche, un papillon citron (Gonepteryx rhamni). A droite, une grenouille des bois d'Alaska (Lithobates sylvaticus). Elle peut rester six mois dans cet état et reprendre une vie normale au printemps. Documents NWVS et via Los Angeles Times.

Chez les reptiles, les rainettes dont la cruciforme du nord (Pseudacris crucifer) et les grenouilles des bois nord américaines (Lithobates sylvaticus) se préparent pour l’hiver en accumulant du glycérol dans des proportions 45 à 90 fois supérieure à celle de l’homme. On retrouve du sucre dans tous leurs organes, jusqu’à 45 gr/litre, ce qui leur permet de supporter une température de -8°C. Pour contrecarrer l’absence d’oxygène dans les cellules, ces animaux utilisent le glucose pour produire de l’énergie sous forme d’ATP. Ce processus peut durer une semaine chez la larve du Cynips qui vit sur les feuilles du chêne et jusqu’à trois jours chez la grenouille, le temps que la température remonte.

Ces découvertes sont riches d'enseignements. Des ingénieurs essayent aujourd'hui d'isoler ces protéines antigel et de les utiliser, par exemple pour conserver les greffons et éviter que le sang humain ne coagule lors des grèves d’organes. Un jour nous devrons remercier dame Nature pour tous ses bienfaits.

Concernant les bactéries, on a malheureusement découvert en 2016 que le bacille de l'Anthrax peut survivre des dizaines d'années dans des carcasses congelées dans le permafrost sibérien (cf. le permafrost). Cela n'étonne pas les scientifiques vu les conditions axoniques et le milieu neutre régnant dans les tourbières. C'est la raison pour laquelle les tissus contaminés ne sont jamais jetés dans des poubelles mais incinérés ou lavés à haute température pour éviter la propagation des pathogènes.

Deux amateurs de glycol et de grands froids. A gauche, la rainette cruciforme du nord (Pseudacris crucifer). A droite, un Cynips quercusfolii en train d'éclore. Documents Smith College et IRSNB.

On s'est longtemps demandé comment les bactéries parvenaient-elles à survivre au coeur des glaciers ou dans un congélateur (-20°C). Grâce aux travaux de chercheurs du CNRS dont Pascale Romby, associés ceux de l'Université de Camerino et de Düsseldorf, on sait aujourd'hui que les bactéries résistent aux basses températures grâce à l'adaptation de leur ADN. Au cours de l'expression de leur programme génétique, leur ADN est transcrit en ARN qui produit des protéines enzymatiques. Celles-ci participent à quantité de réactions dont l'une consiste justement à protéger d'autres protéines. On les appelle protéines chaperonnes telles que les "cold shock proteins" (CSP) dont le rôle est de défendre l'organisme contre le froid.

Ces CSP sont notamment chargées de faciliter les réactions biochimiques impliquant l'ADN et à l'ARN. Chez les bactéries, ces protéines apparaissent en plus grand nombre lorsque la température baisse. Cette surproduction est liée au fait que le froid stabilise l'ARN qui gagne en efficacité et produit plus de CSP. Sachant cela, les chercheurs étudient les moyens d'utiliser ce mécanisme pour prévenir la prolifération des bactéries en intervenant sur la régulation des gènes.

Pour ces bactéries dont le monde est limité à courte distance, vivre dans la glace ou subir une glaciation ne veut rien dire; étant capables de continuer à nager, se nourrir et procréer, la vie continue comme d'habitude ! En revanche, sil'eau venait à manquer, ce serait une catastrophe pour tous les organismes vivants.

L'état d'hibernation

Si la nourriture vient à manquer, notamment en hiver ou durant la saison sèche, d'autres espèces s'enfoncent dans une torpeur proche de l'état comateux. La souris à poches et les oiseaux-mouches du désert s'endorment lorsqu'ils sont privés de nourriture. Autour de 0°C, cette souris tout comme le chien de prairie entre dans un état d'hibernation. Bien qu'il s'agisse d'animaux à sang chaud, leur petite taille les rend plus vulnérable au froid. Cette parade leur permet de maintenir leur chaleur corporelle aux alentours de 6°C tout en préservant leurs réserves énergétiques.

Un écureuil terrestre Arctique (Citellus undulatus) en hibernation. Document Charles P. George. 

Lorsque le métabolisme de l'animal ne lui permet pas de survivre aux rigueurs hivernales, l'hibernation reste la seule chance de survie. En dormant et en abaissant sa température corporelle, les petits mammifères comme la marmotte par exemple passe d'une température corporelle de 36° à 4°C seulement. Cela lui permet d'économiser jusqu'à 88% de ses ressources d'énergie et de réduire son métabolisme de 90 à 99% en prévision du dégel.

En état d'hibernation, certains rongeurs comme l'écureuil terrestre Arctique ou spermophile arctique (Spermophilus parryii) laisse même certaines parties de son corps qui normalement sont à 37°C descendre jusque -3°C mais il préserve ses organes vitaux. Même la température de son sang passe sous le seuil de 0°C. Il ralentit également le rythme de son coeur qui n'effectue plus d'un battement par minute (cf. R.A. Long et al. , 2005; Y.Liu et al., 2010).

Cette faculté est la plus stupéfiante chez les reptiles et les insectes. Certains amphibiens et reptiles qui hibernent se laissent carrément geler : ils ne respirent plus, leur coeur s’arrête de battre et leur sang ne circule plus. Seule une faible activité neurologique témoigne de leur survie. C’est ainsi que plusieurs variétés de tortues, de grenouilles et le serpent jarretière survivent à la congélation. Des zoologistes soviétiques ont également découvert des salamandres en Sibérie qui hibernaient sur la terre, survivant par une température de -35°C.

Comme on le voit ci-dessous à droite, les Lithobates d'Alaska se laissent geler en état d'hibernation qui peut durer 193 jours. Des expériences de laboratoire conduites sur 18 spécimens montrent que grâce au glycol elles peuvent supporter une température moyenne de -6.3°C entre octobre et mars et des températures minimales entre -8.9 à -18.1°C avec 100% de survie (cf. D.J. Larson et al., 2015).

En revanche, ces animaux ne sont pas à l'abri d'un redoux temporaire, leur laissant croire que le dégel est amorcé. Elles peuvent alors sortir de leur état d'hibernation mais si entre-temps une vague de froid survient, elles peuvent malgré tout mourir de froid comme le montre cette photo.

Des marmottes sorties de leur hibernation hivernale (en principe elles se réveillent vers le 15 mars en Europe). Document Pixabay.

Au sommet de la pyramide, l'être humain est très sensible au froid. Avec une température corporelle de 37.2°C, l'homme tombe est état d'hypothermie à partir de 35°C et devient inconscient à 33°C. Un skieur qui tombe dans une crevasse ou un pêcheur qui tombe dans l'eau glacée survivra jusqu'à ce que la température de son coeur franchisse le seuil de 30°C. S'il panique ou ne contrôle pas sa respiration il peut mourir en quelques minutes par hydrocution ou sous l'effet du stress. Dans l'eau à 0°C un homme normalement vêtu ne tient pas plus d'une demi-heure. Son corps en état d'hypothermie devra impérativement être réchauffé avant d'envisager de le "ressusciter" par des électrochocs.

Mais l'être humain peut s'adapter au froid. Si vous passez des vacances dans les régions polaires et que votre corps est au contact du froid, pendant 2-3 jours votre température corporelle va augmenter en moyenne de 1°C et tout votre corps va frissonner afin que l'énergie libérée par vos muscles vous réchauffe. Si les tremblements sont importants et continus, vous éprouverez des douleurs musculaires et la situation ne pourra pas se prolonger sans risque.

Dans une situation normale, cette période d'adaptation dure 3 semaines au bout de laquelle vous pourrez vivre par -10°C sans protection particulière (en vêtement de travail) et votre corps ne frissonnera plus. Vous supporterez facilement une température de 15°C dans une pièce de séjour alors que quelques mois plus tôt vous aviez peut-être froid lorsque sa température passait sous 20°C. C'est l'une des raisons pour lesquelles beaucoup de jeunes campagnards supportent bien mieux les rigueurs hivernales que leur collègues vivant en ville à l'abri des vicissitudes du climat.

Mais que la température vienne à descendre sous -10°C, que vous y soyez préparé ou non, des vêtements supplémentaires sont indispensables, généralement en 3-4 couches séparées par de l'air, celle en contact avec la peau étant un vêtement dit technique qui absorbe la sueur pour éviter que la transpiration refroidisse le corps. Seule le vêtement au contact de l'air doit couper le vent, tout en étant respirant, étanche (déperlant ou hydrophobe) et facile à sécher. Pour le haut du corps, il peut s'agir d'une veste doublée en polar de type parka ou d'une épaisse fourrure. Cette façon de se protéger est bien connue des sportifs qui peuvent ainsi continuer à pratiquer leur sport favori par temps froid.

Les organismes relativement simples comme les insectes et les crustacés sont capables de supporter des périodes d'hibernation de plusieurs dizaines d'années. Ainsi, des crevettes d'eau douce ont été retrouvées en état hibernation par des naturalistes dans le sol d'un lac desséché. Progressivement réanimées puis réhydratées elles attendaient le retour de l'eau depuis 25 ans !

Survivre aux très basses températures

A une autre échelle, aux très basses températures l'énergie indispensable aux fonctions métaboliques est insuffisante et la plupart des animaux trépassent. Seules quelques bactéries et des spores de mousse, de varechs et d'algues ne meurent pas lorsqu'on les place dans l'air liquide par -181°C. Certaines mousses, certains varechs et quelques algues peuvent même continuer à vivre pendant plusieurs semaines dans l'air liquide à -190°C.

Les très basses températures, quand elles ne détruisent pas la vie peuvent la rendre latente. C'est ainsi que des rotifères, les aiguillules (vers ciliés) et les fameux tardigrades qui vivent dans les mousses et la vase subissent sans dommages des températures extrêmement basses : préalablement desséchés puis placés dans l'air liquide à -190°C pendant 25 h, dans de l'hydrogène liquide par -254°C pendant 26 h, dans l'hélium liquide à -272°C pendant 3 h, ces animalcules graduellement réchauffés puis humectés ont retrouvé leur activité !

A ces très basses températures pourtant, les propriétés de la matière changent et les manifestations de la vie sont totalement interrompues : la matière vibre en cohérence, les électrons s'ils n'ont pas arrêté leur course, l'on ralentie et le protoplasme qui baigne les constituants des cellules devient aussi dur que l'acier.

Rappelons également que des coeurs d'embryons de poulet soumis à -196°C ont été ressuscités.

Cette faculté de résister au froid ne devrait pas nous étonner car n’oublions pas que régulièrement des gamètes humaines congelées dans de l'azote liquide à -196°C puis "revitalisées" rendent espoir aux couples stériles. Pourtant ces ovules et ces spermatozoïdes restent parfois inertes plusieurs années.

La stase ou cryptobiose

La stase est un état biologique au cours duquel les fonctions de l'organisme sont temporairement suspendues suite à un stress environnemental (froid, sécheresse, etc.). On parle également de cryptobiose. L'un des animaux passé maître dans cette technique est le fameux tardigrade.

Le curieux tardigrade. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Le tardigrade ou "ourson d'eau" est un petit animalcule qui mesure entre 0.5-1.5 mm dont on connaît un bon millier d'espèces. Les plus anciens fossiles de cet animal remontent au Cambien, il y a plus de 500 millions d'années. Ils furent découverts en 1773 par le pasteur allemand Johann August Ephraïm Goeze. Trois ans plus tard, le pasteur et scientifique italien Lazzaro Spallanzani découvrit ses superpouvoirs. En effet, le tardigrade peut pratiquement tout supporter : il survit dans l'Himalaya à 5546 m d'altitude, sous des rayons UV extrêmes, dans le vide de l'espace à 270 km d'altitude, dans les sources hydrothermales du Japon, en Antarctique et même sous la pression des abysses. Vous pouvez le placer au surgélateur puis l'immerger dans l'eau bouillante et même l'écraser, il repartira encore se balader comme si de rien n'était !

Placé dans le vide par -273.1°C (1/20 K) pendant 20 heures, le tardigrade se met en cryptobiose et suspend littéralement ses fonctions vitales mais peut survivre à ces conditions extrêmes ! Pourtant à de telles températures, son organisme est plus dur que l'acier et a priori tout son métabolisme devrait être figé. Mais le fait que le tardigrade soit capable d'attendre des jours meilleurs pour sortir de son état de cryptobiose prouve qu'il reste en interaction et échange de l'énergie avec son milieu, même si actuellement ce phénomène reste en grande partie une énigme pour les scientifiques.

Ce petit animal est tellement extraordinaire et passionnant que nous lui avons réservé un article dans lequel nous décrivons également les dernières découvertes scientifiques et leurs futures éventuelles applications.

A lire : Les étonnantes facultés du tardigrade

Le dipneuse

Il y a aussi le cas particulier du dipneuse, l'un des rares poissons disposant d'un poumon et capable de respirer à l'air libre. S'il lui faut quelque temps pour s'adapter au changement d'environnement et s'il respire l'air libre avec difficulté, il est parfaitement adapté. C'est aussi le seul poisson qui s'enterre dans la terre ferme et capable de survivre dans une forme de stase pendant 10 ans !

La survie des tiques

La nourriture est indispensable à la survie de tous les organismes, du moins le croyait-on. Car il existe en Afrique de l'Est une espèce de tique capable de survivre sans se nourrir pendant 8 ans et de vivre 27 ans. De plus, cet arthropode (ce n'est pas un insecte) peut également se reproduire sainement 4 ans après la mort de la dernière tique mâle.

Julian Shepherd, professeur agrégé de sciences biologiques à l'Université de Binghamton, a découvert la longévité et les capacités de reproduction de la tique Argas brumpti après avoir avoir laissé quelques spécimens sans nourriture. Pour la petite histoire, en 1976 il avait reçu des tiques en cadeau et décida de les observer dans son laboratoire dans des conditions contrôlées. Il ne savait pas que le groupe original de tiques survivrait jusqu'au siècle suivant, avec une progéniture en bonne santé et se reproduisant parfaitement vingt ans plus tard.

La tique Argas brumpti est capable de survivre sans nourriture ni eau pendant 8 ans. Document Jonathan Cohen/Binghamton U.

Les espèces de tiques les plus connues ont une plaque dure sur le dos, mais Argas brumpti présente une enveloppe douce mais coriace. Mais la plus grande différence réside dans leurs habitudes alimentaires. Les tiques A. brumpti sont moins ballonnées, mangent plus vite et mangent plus fréquemment. Lorsque Shepherd n'avait plus de lapins de laboratoire, de souris et de rats pour nourrir les tiques, l'A. brumpti survivait en faisant de longs pauses entre les repas, une capacité qui s'est avérée plus importante qu'il ne l'avait imaginé au départ.

Après 45 ans de recherches sur les tiques, Shepherd publia ses découvertes dans le "Journal of Medical Entomology" en 2022 (lire aussi "Entomology Today", 2022) dans lequel il décrit l'adaptabilité et la survie record de la tique africaine Argas brumpti.

Shepherd avait initialement reçu six femelles adultes d'A. brumpti, quatre mâles adultes et trois nymphes de l'espèce (cf. les stades de la tique Ixodes scapularis). Les tiques se sont nourries des lapins, des souris et des rats du laboratoire jusqu'en 1984, date à laquelle Shepherd décida de cesser d'utiliser les animaux et n'eut plus de source de nourriture disponible.

Les tiques, cependant, ont survécu sans se nourrir jusqu'à ce que le dernier mâle d'origine meure quatre ans plus tard. Mais les femelles ont continué à vivre pendant quatre autres années. Shepherd renourrit ensuite les tiques femelles et découvrit un autre attribut surprenant d'A. brumpti.

Au moins une des femelles d'origine s'est reproduite et a pondu un lot d'œufs. La reproduction asexuée chez les tiques est rare, ce qui signifie que l'espèce peut stocker des spermatozoïdes viables pendant de longues périodes, dans ce cas-ci au moins 4 ans. Cette longévité et ce stockage à long terme du sperme constituent un record par rapport à toute autre espèce de tique. Le lot d'œufs contenait des descendants mâles et femelles qui étaient toujours en vie en 2022 soit après 26 ans.

Selon Sheperd, "La recherche sur la manière dont les organismes relèvent de tels défis peut éclairer la compréhension de la manière dont d'autres organismes, y compris nous, pourraient gérer des défis similaires."

Par la suite Shepherd envoya les tiques à des scientifiques d'Afrique du Sud afin qu'ils réalisent des recherches plus approfondies pour en savoir plus sur la capacité de survie de cette espèce et sa capacité à conserver l'eau et l'énergie.

Des organismes congelés ramenés à la vie après des millénaires

Si certaines espèces de tardigrades présentent des capacités de survie en état de cryptobiose étonnantes, ce n'est encore rien quand on apprend que certains végétaux (leurs graines) et même des animaux peuvent survivre à l'état de congélation pendant des dizaines de milliers d'années sinon davantage.

Germination de plantes à fleurs après 31800 ans

Actuellement la plus vieille plante congelée ayant survécu date du Pléistocène. L'histoire remonte à 2007, lorsque des chercheurs de Russie, de Hongrie et des États-Unis récupérèrent des graines et des restes de Silene stenophylla congelés dans de la glace de loess (des dépôts sédimentaires d'origine éolienne) à -7°C dans le nord-est de la Sibérie. Plus de 600000 fruits et graines furent ainsi conservés dans le permafrost.

Ce n'est que des années plus tard que des chercheurs de l'Académie des Sciences de Russie ont réussi à faire germer l'une des graines de cette plante à fleurs à partir d'un fruit daté au radiocarbone d'environ 31800 ans ! Le précédent record appartenait à des graines de palmier dattier de Judée datant de 30000 ans.

A gauche, fragment de placenta d'un fruit fossile de Silene stenophylla datant de ~31800 ans contenant des graines à différents stades de développement. La barre = 1 mm. Au centre, les différentes étapes de la germination d'une Silene stenophylla du Pléistocène cultivée in vitro. A droite, gros-plan sur la Silene stenophylla. (A) La plante cultivée in vitro à partir de graines d'une plante actuelle. (B) Plante régénérée in vitro à partir de tissus d'un fruit fossile. La fleur primaire est strictement femelle. (C) idem que (B) mais mais la plante présente des fleurs femelles (f) et bisexuelles (b). Celle-ci est donc hermaphrodite. Documents S.Yashina et al. (2012).

Comme on le voit ci-dessus à droite, la plante à fleur du Pléistocène ressemble au phénotype moderne qu'on trouve dans la même région de la toundra Arctique en Sibérie à la différence que les pétales de l'ancienne fleur sont plus longues et plus espacées que chez sa descendante. Les graines produites par ces plantes régénérées ont germé avec un taux de réussite de 100% contre 90% pour les spécimens modernes. Les scientifiques ignorent les raisons de cette différence de germination.

L'expérience fut documentée dans un article publié dans les "PNAS" en 2012 par Svetlana Yashina du Laboratoire de géocryologie de l'Académie des Sciences de Russie et ses collègues.

C'est de loin l'exemple le plus extraordinaire de longévité extrême pour du matériel provenant de plantes supérieures. Il n'est pas rare de trouver des plantes aussi anciennes, mais il est surprenant que du matériel viable puisse être récupéré.

Richard Hoover du centre Marshall de la NASA nous présente des mousses dormantes. Ces mousses ont été découvertes par David Gilichinsky et Elena Vorobyova de l'Institut soviétique de Géologie et de Photosynthèse dans le permafrost des plaines de Kolyma situées dans le nord-est de la Sibérie. Ces organismes distincts des plantes attendaient leur réveil depuis 40000 ans ! Cette espèce est très intéressante pour étudier les mécanismes cryoprotecteurs.

Plusieurs raisons peuvent expliquent le succès de cette expérience. Selon les chercheurs russes, les cellules tissulaires étaient riches en saccharose qui agit comme conservateur. Ils ont également noté que les dommages à l'ADN causés par le rayonnement gamma provenant de la radioactivité naturelle du sol sur le site étaient inhabituellement faibles pour l'âge des échantillons et sont comparables aux niveaux observés dans les graines de lotus (Nelumbo nucifera) vieilles de 1300 ans qui ont germé.

Les chercheurs ont l'espoir que les techniques développées pour la germination de cette plante à fleurs pourront un jour être utilisées pour ramener à la vie des espèces disparues.

Des rotifères ont survécu 24000 ans dans le permafrost

Selon une étude publiée dans la revue "Current Biology" en 2021, Stas Malavin et ses collègues du Laboratoire de Cryologie des Sols de l'Institut IPBPSS de Pushchino, en Russie, ont découvert que les rotifères bdelloïdes peuvent reprendre vie après des dizaines de milliers d'années de congélation.

Les rotifères font partie d'une poignée de créatures minuscules (~150 microns de longueur pour quelques dizaines de microns de largeur) avec les tardigrades capables de survivre dans des conditions extrêmes. Cette découverte montre également que des micro-organismes peuvent supporter des durées extrêmement longues en état de cryptobiose.

Un rotifère auprès des algues dont il se nourrit (sa tête est à gauche). Document iStock/Eduardo Baena.

Pour l'étude, les chercheurs ont foré une carotte dans le lit de la rivière Alazeïa située au nord-est de la Sibérie, dans l'Arctique russe, et ramené un échantillon d'environ 3 m sous la surface de permafrost. Ils ont découvert des rotifères bdelloïdes vivants mais congelés sous une température moyenne de -10°C.

La datation au radiocarbone a révélé que les rotifères avaient entre 23960 et 24485 ans. Ils sont contemporains des mammouths laineux !

Les rotifères sont des organismes multicellulaires ayant une anatomie complexe avec un corps divisé en trois parties (tête, tronc et pied). Ils disposent d'un cerveau, d'intestins, de muscles et d'un système reproducteur.

Ils comptent parmi les rares animaux capables de résister aux rayonnements ionisants. Ils résistent également aux acides forts, à la famine, à un faible taux d'oxygène et à des années de déshydratation. Comme les tardigrades, ils peuvent pratiquement résister à n'importe quel traitement.

Jusqu'à cette découverte, on estimait que les rotifères pouvaient survivre au gel jusqu'à une décennie. Selon Malavin, "Nous savons à présent avec certitude qu'ils peuvent résister à des dizaines de milliers d'années de cryptobiose."

Les rotifères bdelloïdes ont conquis tous les milieux humides : les mousses humides, les flaques d'eau, les plans d'eau douce jusqu'aux régions arctiques et tropicales. Ils ont été étudiés par les chercheurs depuis l'invention du microscope. En 1702, Antony van Leeuwenhoek les a décrits comme de "petits animalcules ronds", après avoir repéré les créatures dans l'eau des gouttières de sa maison. Il découvrit également leur faculté d'anhydrobiose ou de dessication (cf. Tunnacliffe et Lapinski, 2003).

Mais les spécialistes ne comprennent toujours pas exactement comment les rotifères bdelloïdes sont capables de protéger leurs cellules et leurs organes de conditions apparemment fatales et de réparer l'ADN brisé. Ils furent également étonnés de constater que cet animalcule s'est diversifié en plus de 450 espèces en quelques millions d'années, ne comptant apparemment que sur la seule reproduction asexuée, ce qui est souvent considéré comme un désavantage évolutif.

Cette découverte vient allonger la liste des questions ouvertes relatives à la survie de cette espèce.

Des virus géants congelés ranimés après 30000 ans

En explorant le permafrost des steppes du nord-est de la Sibérie, en 2014 et 2015 des chercheurs ont découvert des virus géants congelés depuis plus de 30000 ans. Ramenés en laboratoire et dans des conditions "normales", ils sont parvenus à les réanimer. C'est le cas du Pithovirus et du Mollivirus. Pour ne pas surcharger cet article, on y reviendra à propos du permafrost.

Des nématodes ramenés à la vie après 41700 ans

En 2018, le biologiste A.V. Shatilovich de l'Institut Rambler de Russie et ses collègues ont annoncé dans la revue "Doklady Biological Sciences" avoir réanimé avec succès deux nématodes congelés dans le permafrost de Sibérie depuis environ... 41700 ans !

L'équipe dirigée par des chercheurs russes en collaboration avec l'Université de Princeton avait extrait deux carottes de glace dans le permafrost sibérien, l'une prélevée en 2002 dans une cavité de 25 cm de diamètre située à 30 m de profondeur le long de la rive droite de la rivière Kolyma (68°37' N et 159°08' E) situé en Sibérie orientale et daté de 32000 ans, la seconde prélevée en 2015 près de la rivière Alazeya (69°20' N et 154°60' E) située à quelques centaines de kilomètres à l'ouest à 3.5 m de profondeur et datée de 41700 ±1400 ans. La datation au radiocarbone fut réalisée sur base des roches sédimentaires par les spécialistes du laboratoire AMS de l'Université d'Arizona.

Après avoir vérifié que les échantillons n'avaient pas été contaminés, ils furent décongelés et les chercheurs y ont trouvé plus de 300 nématodes dont deux femelles montraient des signes de viabilité. Il s'agit de deux vers des genres Panagrolaimus et Plectus. Les chercheurs ont ensuite placé les deux spécimens dans un milieu de culture à 20 °C pendant plusieurs semaines avec un peu de nourriture comprenant des algues agar-agar et des bactéries E.coli.

A voir : Nematoda

A gauche, des nématodes isolés des dépôts de permafrost du Pléistocène découverts sur les rives de la rivière Kolyma en Sibérie. ((a) et (b) l'espèce Panagrolaimus aff. détritiphage : (a) vue générale d'une femelle; (b) la partie pharyngée du corps. (c) et (d) espèce Plectus aff. parvus : (c) vue générale d'une femelle avec le reste de la cuticule exuviale située près de la queue; (d) photo obtenue au microscope électronique à balayage (MEB) de la surface du nématode à hauteur du pharynx moyen montrant la crête latérale et les soies somatiques; (e) photographie MEB de la tête du nématode. Barres d'échelle en μm: (a) 50; (b) 20; (c) 100; (d) 3; (e) 3. Ces deux spécimens furent réanimés après 41700 ans. Au centre, photographie MEB d'un nématode à kyste du soja (Heterodera glycines) et son oeuf grossis 1000x. Ce nématode qui vit en Asie mesure environ 530 nm de long et 25 à 28 microns de diamètre au milieu du corps. A droite, localisation des deux sites prospectés situés dans le nord-est de la Sibérie orientale. Documents A.V. Shatilovich et al. (2018), ARS et T.Lombry.

Comme on le voit ci-dessus, les nématodes sont des vers ronds non segmentés recouverts d'une épaisse cuticule mesurant entre 0.4 et 0.8 mm de longueur, la femelle étant légèrement plus petite que le mâle. Ils appartiennent à la même classe des ecdysozoaires que les tardigrades. Plus de 25000 espèces de nématodes ont été décrites dont plus de la moitié sont des parasites. On estime que le phylum comprend au total probablement plus de 40000 espèces (mais jamais des millions comme on le lit encore parfois). Les espèces parasitaires vivent dans les champignons, les végétaux (dans le bois) et les animaux y compris dans l'intestin humain où ils provoquent des parasitoses. Les spécimens découverts en Sibérie sont détritiphages; ils se nourrissent d'humus et de détritus organiques (comme les vers de terre ou les anémones de mer). Notons que les nématodes sont utilisés par les agronomes comme biomarqueurs de la qualité des sols. On peut aussi les utiliser dans le jardin pour lutter contre les insectes nuisibles (le traitement est sans danger pour l'homme).

Selon les chercheurs, il est inhabituel de trouver des nématodes enfouis aussi profondément dans le permafrost car généralement ils creusent à moins d'un mètre de profondeur du fait que la décongélation se limite à 80 cm de profondeur et n'a jamais dépassé 1.5 m de profondeur depuis 100000 ans (même au plus fort du maximum thermique durant l'Holocène il y a 9000 ans). Il est donc étonnant que des nématodes aient pu s'enfoncer à 30 m dans un sol littéralement cimenté par la glace depuis des milliers d'années. Peut-être se sont peut-être retrouvés à cette profondeur suite à la formation d'une crevasse aussitôt comblée.

Ce record est également extraordinaire car selon les chercheurs, les seuls nématodes congelés ramenés à la vie remontaient à 1946 lorsque des nématodes du genre Tylenchus polyhypnus trouvés dans un herbier vieux de 39 ans furent réanimés, ce qui était déjà étonnant.

Plus près de chez nous, en 2012 d'autres chercheurs avaient également ramenés à la vie un nématode du genre Plectus murrayi découvert en Antarctique (la même espèce que celle datant de 41700 ans) qui resta congelée pendant 25.5 ans dans des échantillons de mousse stockés à -20°C.

Mais une durée de conservation ou une "résurrection" après 42000 ans a étonné les chercheurs : "notre découverte montre la capacité d'organismes multicellulaires à survivre à une cryogénisation de plusieurs milliers d'années."

Les chercheurs ont également suggéré que le mécanisme de survie de ces créatures pourrait ouvrir une voie de recherche à la cryogénisation des tissus ou des organes voire même d'un être humain. Si l'expérience est séduisante, il est difficile d'imaginer qu'un être humain survivre à un tel traitement. Ramener à la vie un tardigrade, un vers ou une carpe est presque à la portée de tout le monde. En revanche, faute d'avoir tenté l'expérience, aucun "expert" ne peut exclure le risque que l'être humain congelé meurt en cours de cryogénisation suite à une défaillance du système cryogénique ou de son propre métabolisme ou qu'il survive mais à l'état végétatif. D'abord qui va accepter de subir ce traitement sans garantie ? Ensuite qui va payer et assurer la maintenance des caissons cryogéniques pendant plus d'un siècle ou pendant des milliers d'années ? De nos jours, à part une lampe à incandescence et quelques moulins à vent ou à eau, aucune machine sophistiquée ne fonctionne sans interruption depuis plus d'un siècle. Enfin, si le patient survit, est-il prêt à vivre sur une Terre qui n'a plus le visage qu'il connaissait, où il aura perdu tous ses repères et qui a subi 42000 ans d'évolution ? Le choc culturel sera aussi violent que de demander à un homme de Cro-Magnon de vivre parmi nous...

Nous verrons page suivante que des nématodes ont survécu à l'explosion de la navette spatiale Columbia.

Les immortels et les ressuscités

Quand les bactéries "ressuscitent"

Il existe des cas encore plus extrêmes où des bactéries ont repris vie non pas après des milliers d'années, ce qui est déjà extraordinaire, mais des millions d'années !

Après 25 à 40 millions d'années

Un hémiptère pris dans de l'ambre de l'Oligocène (34-23 Ma) de Rép. Dominicaine. Coll. T.Lombry.

L'équipe du microbiologiste Raul J. Cano du Cal Poly et aujourd'hui directeur scientifique de The Biocollective LLC a trouvé des spores de bactéries intacts dans l'abdomen d'abeilles fossilisées dans de l'ambre dominicain datant de 25 à 40 millions d'années. Mises en incubation dans un milieu de culture, elles ont repris vie, comme si elles n'avaient subi qu'une très très longue hibernation ou période de stase, dans lequel cas il faudrait revoir la signification et les limites de ces états. Depuis qu'ils travaillent sur le sujet, les chercheurs ont ramené à la vie plus de 1200 types de bactéries du genre Bacillus sphaericus (cf. R.Cano et M.Borucki, 1995; LAT, 1995).

Mais cette étude fut critiquée par Joshua Fischman en 1995 et même réfutée par l'analyse phylogénétique (cf. Yousten & Rippere, 1997). Selon Laura S. Weyrich de l'Université d'Adelaide et ses collègues, "Il est fort probable que des micro-organismes modernes aient contaminé les réactifs ou les outils utilisés pour isoler initialement les espèces bactériennes piégées dans l'ambre, que les auteurs ne peuvent vérifier et ne discutent pas dans leur manuscrit actuel" (cf. FEMS, 2014).

Cano et ses collègues n'ont jamais répondu à ces critiques ni démenti leur découverte qui reste tout au mieux sous caution. Toutefois, en 2022 ils annonçèrent avoir ramené à la vie une bactérie en hibernation depuis 120 millions d'années (voir plus bas).

Notons que le Dr Cano a fondé l'entreprise Ambergene Corporation à San Francisco, pour commercialiser ses recherches et a déjà déposé divers brevets. Selon Robin Steele, président d'Ambergene, "Nous avons essentiellement pu montrer que les organismes formant des spores conservés dans l'ambre ont la capacité d'être ranimés." (cf. NWT, 1997).

Bien que cette découverte de 1995 soit sous caution, elle est citée par le biologiste et spécialiste des végétaux marins Alexandre Meinesz de l'Université de Nice-Sophia Antipolis dans son livre "Comment la vie a commencé" (Belin, 2008, p64).

Après 100 millions d'années

Dans un article publié dans la revue "Nature Communications" en 2020, Yuki Morono de l'Agence Japonaise pour les Sciences et Technologies Marines et Terrestres (JAMSTEC) et ses collègues ont découvert qu'avec la bonne nourriture dans les bonnes conditions de laboratoire, des microbes collectés dans des sédiments âgés de plus de 100 millions d'années peuvent revivre et se multiplier, même après avoir été en dormance depuis l'époque des dinosaures !

Une équipe internationale de chercheurs américano-japonaise avait récolté en 2010 des échantillons de sédiments marins au cours d'une expédition dans le gyre du Pacifique sud (cf. Proceedings Expedition 329, 2010) connu pour présenter la plus faible productivité. Selon Morono, "Notre principale question était de savoir si la vie pouvait exister dans un environnement aussi limité en nutriments ou s'il s'agissait d'une zone sans vie. Nous voulions aussi savoir combien de temps les microbes pourraient se maintenir en vie en quasi-absence de nourriture."

À bord du navire de recherche JOIDES Resolution équipé d'un derrick de forage, l'équipe a récolté de nombreux carottes de sédiments à 100 mètres sous le fond marin situé à près de 6000 mètres de profondeur. Les scientifiques ont découvert que l'oxygène était présent dans toutes les carottes, ce qui suggère que si les sédiments s'accumulent lentement sur le fond marin à une vitesse ne dépassant pas 1 ou 2 mètres tous les millions d'années, l'oxygène pénètre dans les sédiments jusqu'au soubassement rocheux. Ces conditions permettent aux micro-organismes aérobies de survivre durant plusieurs millions d'années.

A gauche, Yuki Morono (à gauche) et Steven D'Hondt (extrême droite) à bord du navire de forage de recherche JOIDES Resolution étudiant des carottes de sédiments provenant du gyre du Pacifique sud récoltées au cours de l'Expédition 329 en 2010. A droite, agrandissement montrant des microbes "ressuscités" extraits  de sédiments marins vieux de 101.5 millions d'années. Documents IODP JRSO et Y.Morono et al. (2020).

Grâce à des procédures de laboratoire complexes, Morono et ses collègues ont placé les microbes dans des milieux de culture afin de vérifier s'ils se développaient. Les résultats ont démontré qu'au lieu d'être des fossiles d'organismes, les microbes présents dans les sédiments avaient survécu et étaient capables de croître et de se diviser.

Selon l'océanographe Steven D'Hondt de l'Université de Rhode Island (URI) et coauteur de cet article, "Nous savions qu'il y avait de la vie dans les sédiments profonds près des continents où il y a beaucoup de matière organique enfouie. Mais ce que nous avons découvert, c'est que la vie s'étend dans l'océan profond du fond marin jusqu'au soubassement rocheux."

Les résultats ont surpris les chercheurs. Selon Morono : "Au début, j'étais sceptique, mais nous avons constaté que jusqu'à 99.1% des microbes présents dans les sédiments déposés il y a 101.5 millions d'années étaient encore vivants et prêts à se nourrir."

Selon D'Hondt, "Ce qui est le plus excitant dans cette étude, c'est qu'elle montre qu'il n'y a pas de limites à la vie dans les vieux sédiments océaniques. Dans le sédiment le plus ancien que nous avons foré, ayant le moins de nourriture, il y a encore des organismes vivants, et ils peuvent se réveiller, grandir et se multiplier."

Avec ces nouveaux moyens de mise en culture, manipulation et caractérisation des micro-organismes très anciens, les chercheurs sont impatients d'appliquer une approche similaire à d'autres sites afin de comprendre comment ces microbes préhistoriques ont évolué. Selon Morono, "Cette étude montre que le sous-sol marin est un excellent emplacement pour explorer les limites de la vie sur Terre."

Après 120 et 135 millions d'années

Après avoir ramené à la vie une bactérie de 135 millions d'années en 1995, en 2022 le microbiologiste Raul J. Cano et ses collègues précités ont annoncé dans la revue "Microbial Ecology" (en PDF) "avoir isolé un cocci non sporulé pris dans un bloc d'ambre vieux de 120 millions d'années qui fut identifié comme appartenant à l'espèce bactérienne Micrococcus luteus."

Les chercheurs précisent : "Bien que la comparaison des séquences d'ARNr 16S des anciens isolats avec leurs homologues modernes ne soit pas en mesure de confirmer l'âge précis de ces bactéries, nous démontrons [...] que celles-ci (et les membres modernes apparentés du genre) ont de nombreuses adaptations pour survivre dans des environnements extrêmes pauvres en nutriments, des traits qui aideront à la persistance et à la dispersion de cette bactérie dans l'environnement. La capacité de la bactérie à utiliser l'acide succinique et à traiter les composés liés à la terpine, deux composants majeurs de l'ambre naturel, favorise sa survie dans cet environnement oligotrophe."

Cette étude doit toutefois être confirmée.

Après 250 millions d'années

Le record toute catégorie est une nouvelle fois détenu par les bactéries. En 2000, dans la revue "Nature", le biologiste Russell H. Vreeland de l'Université de West Chester et ses collègues annoncèrent la découverte de bactéries sporulées (sp. Bacillus) piégées dans des inclusions de saumure dans un cristal de sel formé il y a 250 millions d'années extrait de la formation de Salado au Texas. L'analyse de leurs séquences ribosomiales indiquent qu'elles appartiennent aux lignées Bacillus marismortui et Virgibacillus pantothenticus. Dès la sortie de leur sarcophage de sel et mises en culture, ces bactéries se sont remises à se diviser ! Bien que ce résultat soit controversé, l'équipe demeure sur ses positions.

Cristal d'halite de 3.5x3.5x2.5 cm formé il y a 250 millions d'années contenant les souches bactériennes. Il fut prélevé dans le tuyau de dissolution au niveau de 569 m de la formation de Salado en octobre 1998. L'inclusion contenant les bactéries (i) mesurait environ 3x3x1 mm. Le trou de forage réalisé lors de l'échantillonnage de l'inclusion est visible au-dessus de la flèche. L'épaisseur de ce cristal obscurcit certains détails internes. Document R.H. Vreeland et al. (2000).

Ces quelques exemples démontrent que seuls les micro-organismes qui ont une structure élémentaire peuvent s'adapter à des conditions extrêmement préjudiciables à toute autre forme de vie plus évoluée.

La régénérescence

Certains animaux souvent aquatiques peuvent être amputés d'un membre ou avoir un organe altéré suite à une agression mais grâce au pouvoir régénératif des cellules souches ou de macrophages (des cellules du système immunitaire qui chez l'homme facilitent la cicatrisation), ils retrouveront un nouveau membre ou un organe intact au bout de quelques mois. Chez certains animaux comme le crabe ou la blatte, la régénérescence d'un membre est facilitée par ses mues successives.

Dans le cas de la salamandre (Salamandra sp.), lorsqu'elle est amputée d'un membre, grâce à des cellules souches et un processus appelé "Extracellular signal-regulated Kinases" (ERK, cf. M.H. Yun et al., 2014), elle régénère un nouveau membre mais le processus est assez lent et dure plus d'un an. L'ADN de ce petit animal comprend 34 milliards de paires de bases contre 3 milliards chez l'être humain, offrant à la salamandre un pool génétique bien plus riche.

De gauche à droite, une salamandre tachetée (Salamandra salamandra), un poisson zèbre (Danio rerio) et un axolotl (Ambystoma mexicanum f.Leucistique). Documents T.Marthy/Flickr, D.R. et Paul Starosta/Getty Images.

Ce mécanisme de régénération est parfois tellement performant que le poisson zèbre (Danio rerio) par exemple bien connu des aquariophiles est capable de régénérer ses ailerons et même une altération de son muscle cardiaque.

En cas de danger, l'holoturie ou concombre de mer (Holothuria atra) expulse son système digestif qui se régénère ensuite.

Quant à l'axolotl, il peut pratiquement subir une régénération complète de n'importe lequel de ses tissus, y compris un oeil manquant ou une partie de son cerveau. Cette faculté extraordinaire que les chercheurs étudient en détails provient probablement du fait qu'il peut vivre toute sa vie à l'état embryonnaire. Son ADN comprend 28.4 milliards de paires de base. Comme la salamandre, un jour ce petit animal nous aidera à vaincre des maladies handicapantes ou dégénératives.

En 2011, Gerritt Begemann et les chercheurs de l'Université de Constance en Allemagne, ont démontré que cette faculté de régénération fait notamment appel à l'action de l'acide rétinoïque dont on ignorait jusqu'à présent le rôle précis (on sait qu'il s'agit d'une forme oxydée de la vitamine A dont il partage certaines fonctions et sert notamment à traiter les inflammations, l'acné et à prévenir certains cancers comme la leucémie).

La méduse Turritopsis

Un autre animal doté de facultés étonnantes est le petit hydrozoaire, la "vraie" méduse Turritopsis dont la T.dohrnii découverte en 1996 dans les eaux de Méditerranée et qui s'est répandue dans les eaux de Floride et du Japon notamment et la T.nutricula qu'on trouve dans les Caraïbes. C'est l'un des rares animaux capable après avoir atteint l'âge adulte et la maturité sexuelle et vécu en tant qu'individu solitaire de retourner au stade de polype sexuellement immature. On l'a surnommée la "méduse immortelle" (cf. Y.Matsumoto et al., 2019; S.Kubato, 2011).

A gauche, une méduse Turritopsis dohrnii. A droite, son cycle de vie (en bleu) : le stade de polype, polype ramifié, méduse juvénile nouvellement née, adulte, suivi par le stade alternatif de rajeunissement (en rouge). Documents anonyme (D.R.) et G3 Journal.

Comme toutes les méduses de ce type, Turritopsis dohrnii commence sa vie comme une larve flottante nommée "Planula". Lorsque la larve s'est complètement développée, elle se fixe sur une structure marine et forme des polypes. Lorsque les " bourgeons" sur les branches des polypes sont suffisamment développés, ils s'ouvrent et donnent naissance à de minuscules méduses. À ce stade, la vie solitaire de Turritopsis dohrnii commence. Sa taille augmente, elle chasse et se reproduit jusqu'à l'âge adulte. Si elle a de la chance et n'est pas mangée par des tortues ou d'autres prédateurs, elle parvient au stade que nous appelons la vieillesse.

Jusque là, cette méduse se comporte comme la plupart des organismes. Mais à partir de ce stade, les choses deviennent plus étranges. Turritopsis dohrnii trompe littéralement la mort. De la même manière que la structure de toutes ses cellules ont vieilli, ses mêmes cellules dépensent leur dernière énergie non pas pour s'améliorer et devenir plus performantes mais pour rajeunir et revenir au stade de polype.

Plus étonnant, cette méduse peut également revenir au stade de polype dans des conditions de stress extrême liés à des facteurs environnementaux, l'attaque par d'autres organismes ou la maladie.

Selon les recherches, Turritopsis dohrnii peut répéter ce processus à l'infini et est à ce titre considérée comme biologiquement immortelle. Aujourd'hui, les scientifiques tentent d'exploiter cette faculté extraordinaire cachée dans son ADN.

Parmi les autres méduses ayant cette faculté, citons l'Aurélie (Aurelia aurita) et Laodicea undulata qui peuvent également régénérer leurs tissus et revenir à un stade juvénile ou larvaire.

Le planaire

Le planaire Dugesia japonica est un ver plat translucide d'environ 1 cm de longueur. C'est un animal complexe doté d'un cortex, d'un système nerveux périphérique et de véritable connexions synaptiques. Comme la limace de mer, il présente la faculté extraodinaire de pouvoir se régénérer après avoir été sectionné en deux ou plusieurs morceaux, y compris après une décapitation comme on le voit ci-dessous à droite.

Grâce à des cellules souches omnipotentes, la partie sectionnée forme d'abord un corps composé de cellules indifférenciées qu'on appelle un blastème qui va ensuite former une tête et une queue. Il suffit de 3% de tissu de l'animal pour qu'il parvienne à reformer un individu complet en deux semaines qui sera un clone parfait de l'individu originel.

Le planaire Dugesia japonica. A droite, quelle que soit la partie du planaire que l'on sectionnaire, que ce soit au niveau de la tête ou vers la queue, il régénère en deux semaines. Documents D.R. et Éric Ghigo.

Plus intriguant, les chercheurs ont découvert que les parties régénérées à partir d'un segment de corps dépourvu de tête conservaient la mémoire de l'individu originel. En effet, des chercheurs ont réalisé des expériences pour sensibiliser des planaires à vaincre leur réticence face à la lumière naturelle pour obtenir de la nourriture (des morceaux de foie). La sensibilisation a duré 10 jours. Ils furent ensuite décapités. Après s'être régénérés, deux semaines plus tard les chercheurs refirent la même expérience. Alors que les planaires témoins n'étaient pas intéressés par la lumière, ceux ayant été régénérés se sont dirigés vers les sources de nourriture, preuve qu'ils avaient conservé la mémoire de leur vie antérieure !

Où se trouve leur mémoire ? Nul ne le sait. Etant a posteriori répartie dans tout l'organisme, une hypothèse est qu'ils conservent l'information grâce à des marqueurs épigénétiques qui modifieraient l'expression de l'ADN des cellules souches. Ce stockage particulier de l'information peut donner des idées de recherches aux neurobiologistes spécialistes de la mémoire.

L'autotomie des limaces de mer

Des chercheurs ont découvert par hasard les capacités de régénération de la limace de mer ou nudibranche (cf. S.Mitoh et Y.Yusa, 2021). Un jour, Sayaka Mitoh de la Nara Women's University de Kitauoya-nishi au Japon découvrit que 5 des 15 spécimens d'Elysia marginata cultivés en laboratoire s'étaient décapités, un comportement connu sous le nom d'autotomie. La blessure au cou se referma généralement en un jour et les têtes, en particulier chez les spécimens plus jeunes, commençaient à se nourrir d'algues en quelques heures et à régénérer leur corps. Au bout de 9 jours, on pouvait voir leur coeur battre et au bout de 20 jours, un tout nouveau corps s'était formé (mais la tête ne s'est jamais développée sur les corps abandonnés).

Cultivant également des spécimens d'Elysia atroviridis, les chercheurs découvrirent que 3 des 82 individus se sont autotomisés et deux des trois ont finalement développé de nouveaux corps. Les autopsies montrèrent que tous ces animaux étaient infectés par des copépodes, de petits crustacés planctoniques. Dans un autre groupe de 64 Elysia atroviridis sans parasites, aucun ne s'est auto-décapité, ce qui conduisit les chercheurs à émettre l'hypothèse que ces limaces de mer se débarrassent de leur corps pour se débarrasser des parasites.

A voir : Scientists discover incredible self-decapitating sea slug, 2021

Sea slug after autotomy

Une limace de mer Elysia marginata cultivée en laboratoire qui s'est auto-décapitée pour se débarrasser des copépodes parasites. Au bout de 20 jours (à droite), sa tête régénéra un corps complet. Documents S. Mitoh et Y. Yusa (2021).

Actuellement, les chercheurs ne comprennent pas comment ces nudibranches peuvent survivre sans cœur ni autres organes vitaux pendant près d'un mois. Mitoh et ses collègues supposent qu'elles survivent en se nourrissant d'algues photosynthétiques lorsque d'autres sources d'énergie ne sont pas disponibles. Mais cela n'explique pas tout. De toute évidence, un processus cellulaire inconnu faisant probablement directement appel à une synthèse chimique leur permet de survivre en l'absence d'organes vitaux.

Cette découverte est un parmi de nombreux exemples extraordinaires de la manière dont la nature peut trouver des solutions aux défis qui menacent la survie. Bien qu'une régénération de cette ampleur soit impossible chez les vertébrés (l'organisation du corps et notamment des cellules souches ne le permettent plus), les limaces pourraient constituer des organismes précieux pour comprendre la génétique derrière la refonte de segments corporels entiers.

Prochain chapitre

Aux limites extrêmes

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 -


[8] M.Walter et D.Des Marais, Icarus, 101, 1993, p129.

[9] Des micro-organismes vivent sous le désert glacé du bouclier Antarctique. Lire à ce sujet E.Friedmann, Science, 215, 1982, p1045. On peut imaginer qu'il existe une vie semblable sous la surface de Mars ou sous la surface glacée des satellites de Jupiter ou de Saturne, d'où l'intérêt d'y envoyer des sondes spatiales creuser leur surface à la recherche d'éventuelles traces de vie, de leur métabolisme voire de fossiles.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ