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A la recherche de la première cellule vivante

Les cellules primitives seraient à l'image de ces vésicules dont la membrane extérieure est constituée d'une double couche de protéine. Des expériences ont montré que ce type de cellule était capable de s'auto-assembler.

Aller du simple au complexe

Si la vie apparut sur Terre avec le succès que nous connaissons, celui qui a réalisé l'expérience n'a pas laissé d'instructions ni de recette à la postérité ! Bien que nous ayons bien compris et défini ce qui qualifie un organisme vivant - dans le sens anthropocentrique à défaut d'étendre cette définition en toute certitude à tout l'Univers - et connaissant a priori ses ingrédients, nous sommes toujours incapables de la reproduire artificiellement. Expérimentant à l'aveugle un scénario dont nous ignorons les règles, il est évident au vu des échecs successifs des laborantins que sur base de nos connaissances actuelles aucun chercheur en biologie ne pourra jamais élaborer un organisme complexe en laboratoire à partir de quelques réactions chimiques et d'ingrédients inertes mis en culture dans des conditions contrôlées.

Face à cet échec, nous devons réduire nos prétentions démagogiques à jouer au Créateur - pour autant qu'il existe - et nous limiter au domaine plus restreint de la création d'un organisme primitif autonome. 

Un organisme complexe voire même un organe comme un cerveau, un coeur ou un oeil s'est formé à partir d'un seul gamète ou oeuf fécondé. Si on essaye d'aborder globalement le sujet en se demandant comment un gamète pesant un microgramme peut donner naissance à un dinosaure pesant plus de 10 tonnes, on risque d'être ennivré par les grands nombres et perdu dans un abîme d'incompréhension sans plan d'orientation et de construction. Si on comprend que l'ADN a codé un algorithme de croissance de l'organisme, il fait intervenir une série de règles et d'actions contenant des milliards d'instructions qui se déroulent dans le temps et dans l'espace d'une manière que nous ne comprenons pas encore vraiment. De toute évidence, aborder la question à partir de cette échelle n'est pas la bonne méthode.

Schéma d'une cellule eucaryote animale. Document LadyofHats.

Descendons de quelques facteurs dans la complexité. L'échelle cellulaire serait-elle plus simple ? La cellule eucaryote la plus simple est un agencement de structures propres et de symbioses avec des organismes à l'origine "parasitaires" comme des bactéries et des virus à caractère ARN. L'ensemble de cette machinerie biologique est gérée par des instructions génomiques à l'efficacité redoutable. Rien que sa description est déjà un travail à temp plein et remplit des millliers de pages d'ouvrages de cytologie et de génétique. Par conséquent, même cette échelle du vivant ou du moins l'étude de ce type d'organisme est déjà trop complexe à comprendre pour saisir l'origine de la vie.

On peut alors descendre jusqu'à l'échelle moléculaire et étudier de quelle manière l'ordre émerge du chaos dans le monde de l'inerte et en particulier dans les molécules prébiotiques et autres molécules extraterrestres à la base de l'édifice du monde vivant. Malheureusement, les expériences de chimie prébiotique ont montré les limites de cette démarche et semblent indiquer qu'à cette échelle il n'est apparemment pas possible de créer de systèmes vivants qui exigent un niveau de complexité bien plus élevé. On en déduit que les ingrédients de notre recette doivent passer de l'inerte au vivant entre le niveau moléculaire et cellulaire. Par conséquent, les chercheurs sont repassés à l'échelle cellulaire la plus primitive où il semble possible d'entrevoir une voie vers l'assemblage de ce mystérieux puzzle qu'est la vie.

Dans ce contexte, on peut se demander si des unités plus simples comme les ancêtres des bactéries ou des champignons ne seraient pas à l'origine de la vie. Depuis plusieurs décennies des hordes de laboratins et de spécialistes en microbiologie, biologie moléculaire et biochimie parmi d'autres spécialités expérimentent et cherchent les traces de cette hypothétique première cellule autonome capable de se reproduire. Les hypothèses sont nombreuses, quelquefois hardies.

Quel est l'état actuel de la recherche en ce domaine ? Ce sont ces développements récents que nous allons à présent décrire.

Les choanoflagellés sur la piste de LUCA

Selon une étude publiée dans la revue "eLife" en 2021 par l'équipe de la biologiste évolutionnaire Nicole King qui dispose de son propre laboratoire de recherche à l'Université de Californie, à Berkeley (UCB), les animaux ont évolué à partir d'un ancêtre ressemblant aux choanoflagellés.

Les choanoflagellés sont des protistes, des organismes eucaryotes unicellulaires aquatiques découverts en 1867 par le naturaliste américain Henry James-Clark. Ils vivent dans les milieux saumâtres et d'eau douce de l'Arctique aux tropiques, occupant à la fois des zones pélagiques et benthiques. Selon King et ses collègues, l'ADN de cet organisme comprenant environ 9200 gènes riches en introns, c'est-à-dire des gènes transcrits en ARN et donc codants pour des protéines (contre ~25000 chez l'être humain). Il existe plus de 350 espèces dont Monosiga brevicollis et Salpingoeca rosetta qu'étudient King et ses collègues.

Les choanoflagellés ont un corps sphéroïdal mesurant entre 3 et 10 microns de diamètre (c'est au moins trois plus petit que la bactérie E.coli). Il est muni d'une couronne de microvilli ou tentacules grâce auxquelles ils capturent les bactéries dont ils se nourrissent. Sous certaines conditions ils présentent également un flagelle apical en forme de fouet qu'ils utilisent pour nager.

Le corps des choanoflagellés est généralement rigide, mais lorsqu'ils sont stressés, par exemple confinés ou piégés dans un espace restreint, ils changent de structure et se déplacent comme de la gelée, à l'image de la fameuse créature du film "The Blob" (1958). Sous cet aspect, les chercheurs ont observé la disparition de leur flagelle externe tandis que des parties de leur corps commencèrent à pousser, formant des bulles appelées "blebs" - une proéminence de la membrane plasmique - grâce auxquelles et ils ont pu se faufiler dans des espaces étroits, comme le font les animaux dépourvus de squelette.

A voir : Choanoflagellate colonies, bacterial signals and animal origins, N.King/UCB

The momentous transition to multicellular life may not have been so hard after all, Science

Animal Evolution Biology - Choanoflagellates, the ancestor of all animals

A gauche, des choanoflagellés. On distingue leur corps rigide (vert) contenant le noyau cellulaire (bleu), le flagelle (le trait vert) utilisé pour nager et se nourrir, entouré d'une couronne de microvilli ou tentacules (rouge) grâce auxquelles ils piègent les bactéries. A droite, aspect d'un choanoflagellé confiné (gauche) où on observe l'apparition d'un flagelle et d'un spécimen non confiné (droite). Les organismes sont placés sur la surface d'un gel d'agar à 1% dans de l'eau de mer artificielle, sous une couche d'huile anti-évaporation. Les images sont grossies environ 1000X. Documents Nicole King Lab/UCB et T.Brunet et al. (2021).

Du fait que les choanoflagellés sont des parents proches des animaux, cette découverte suggère que les mouvements complexes ont d'abord évolué chez l'ancêtre commun des deux groupes. Cela confirme également l'idée que les animaux ont évolué à partir d'un ancêtre qui ressemblait à des choanoflagellés. Selon King, "Le constat est si clair qu'on peut se demander pourquoi personne ne l'a vu auparavant".

Selon les auteurs, ces deux comportements - le mode flagellé et le mode bleb - rappellent ceux observés dans la vie animale aujourd'hui. Les animaux dépendent de deux types fondamentaux d'organisation des tissus. L'un est la structure plate des cellules épithéliales qui ont une orientation de haut en bas - comme la cellule d'un choanoflagellé nageur, qui a un haut et un bas distincts. L'autre forme une structure 3D et comprend davantage de cellules de forme libre qui peuvent ramper pendant leur développement, s'installant dans des endroits spécifiques pour devenir des organes.

Cette étude démontre que le choanoflagellé peut être des deux types, passant de sa cellule habituellement rigide à la cellule déformable en état de stress. Cette capacité à basculer dans les deux modes d'existence peut avoir été critique lorsque les premiers animaux ont commencé à explorer de nouveaux environnements.

Finalement, les organismes ont développé la capacité de former différents types de cellules en même temps dans différentes parties du corps. Cela ouvrit la voie à des organismes multicellulaires complexes, et finalement aux humains.

Les chercheurs se sont également demandés qui venait en premier : la capacité de se développer en un organisme possédant beaucoup de cellules, ou la capacité de produire différents types de cellules ? Selon King, cette flexibilité nouvellement acquise dans les choanoflagellés suggère "cette capacité d'alterner entre les états cellulaires antérieurs à la multicellularité".

En étudiant les choanoflagellés, les chercheurs espèrent en savoir plus sur l'organisme qui donna naissance aux choanoflagellés et aux animaux. Selon King, "Nous avons une vue beaucoup plus nuancée et détaillée du dernier ancêtre commun".

À la recherche de LUCA

Dans notre quête du premier organisme vivant, tous les indices convergent vers un ancêtre commun, ébauche des algues bleues du Précambrien : LUCA, acronyme de "Last Common Universal Ancestor" ou Dernier Ancêtre Universel Commun.

Cet organisme hypothétique primordial serait une cellule autonome déjà très organisée à l'origine de tout le règne du vivant : les archées et les eubactéries (organismes procaryotes), les eucaryotes unicellulaires (protistes) et les eucaryotes pluricellulaires comprenant les champignons, les éponges, les plantes et les animaux et "vivait" il y a plus de 4 milliards d'années dans des conditions qui restent à déterminer. En effet, il y a les défenseurs des conditions extrêmes où on retrouve des formes de vie hyperthermophiles et ceux qui privilégient des conditions plus "supportables" à la Darwin, bien qu'à ce stade de l'évolution, ce qui est supportable soit très relatif.

A gauche, phylogénie des gènes de LUCA, l'ancêtre des bactéries et des archées. L'arbre présente la phylogénie du phylum pour un gène présent dans deux phyla archéens et bactériens et dans lesquels les deux domaines procaryotes sont monophylétiques (ils contiennent l'espèce souche dont descendent tous ses membres). En appliquant les critères (1), le gène devrait être présent dans au moins deux des plus hauts taxas bactériens et archéens et (2), l'arbre doit remonter jusqu'à la monophylie des bactéries et des archéens, les chercheurs ont identifié 355 gènes remontant jusqu'à LUCA. A droite, résumé des principales interactions de LUCA avec son environnement (gazeux et métaux lourds) déduites des données génomiques. LUCA possédait vraisemblablement un code génétique. La question de savoir quels gènes utilisait-il est plus difficile à résoudre. Consulter l'article scientifique pour plus de détails. Documents W.F.Martin et al. adaptés par l'auteur.

Dans un article publié en 2016 dans la revue "Nature" (voir aussi cet article en PDF), William F. Martin de l'Université Heinrich Heine en Allemagne et ses collègues ont étudié l'arbre phylogénique des premiers organismes et sont parvenus à la conclusion que parmi les quelque 6 millions de gènes stockés dans les bases de données concernant des milliers d'organismes, seuls 355 gènes semblent remonter jusqu'à LUCA. Plus étonnant, ces gènes correspondent à un organisme vivant dans des conditions spécifiques qu'on retrouve dans des environnements gazeux chargés en métaux lourds tels ceux existants aujourd'hui au fond des océans près des fumeurs noires sur les dorsales de l'Atlantique ou du Pacifique. On y reviendra à propos de la faculté d'adaptation.

Les chercheurs ont également découvert que LUCA était déjà capable de réaliser la synthèse des protéines, une tâche complexe qui suppose que cet organisme était également capable de réaliser des tâches plus simples nécessaires à son métabolisme. Reste à trouver la clé (un gène ou autre chose) qui permettrait d'insuffler la vie à LUCA. Cela signifie aussi que la vie n'est peut être pas apparue à l'endroit où LUCA existait, c'est-à-dire dans un endroit qui ressemble aux fonds marins. Il faut aussi tenir compte du bombardement tardif de météorites qui s'est produit voici 3.8 milliards d'années et qui perturba l'environnement terrestre au point que certaines spécialistes estiment qu'à l'époque les mers sont entrées en ébullition !

Pour comprendre la nature de LUCA, dans un article publié en 2018 dans les "PNAS", la microbiologiste Antonella Caforio de l'Université de Groningue et ses collègues ont expliqué comment ils sont parvenus à convertir la fameuse bactérie Escherichia coli en archéobactérie protégée par une membrane hybride hétérochirale qui comprend 30% de phospholipides mimant exactement celle des archées, ce qu'on appelle des lipides miroirs ou des stéréoisomères. Autrement dit, cet organisme OGM apporte la première preuve dans l'histoire de la microbiologie qu'il existe un lien génétique entre les deux domaines apparemment séparés des bactéries et des archées.

Membrane cellulaire constituée d'une bicouche de phospholipides, c'est-à-dire une matière grasse hydrophobe comprenant un acide phosphorique. La partie extérieure de la membrane est hydrophile, ce qui facilite les interactions à l'échelle atomique. Cette membrane fournit une barrière de protection contre le milieu extérieur, elle protège la cellule et les organites qu'elle contient qui peuvent se spécialiser, elle est souple et perméable à certaines substances. Document Wikimedia.

On déduit de cette expérience que LUCA présentait une membrane cellulaire faite d'une combinaison instable de lipides miroirs. Sous la pression de la sélection naturelle, cet organisme évolua, transformant sa membrane cellulaire et donna naissance aux archées et aux bactéries voici environ 3.5 milliards d'années.

Les chercheurs confirment que cette bactérie OGM s'est développée à un rythme normal et était stable. Ce résultat infirme donc l'hypothèse qu'une membrane cellulaire mixte est par nature instable et donc non viable. Au contraire, cette cellule hybride était étonnement robuste et prouve qu'une nouvelle forme de vie inattendue peur exister malgré toutes les théories catastrophiques qu'on imagine à leur sujet. C'est un point très positif pour la recherche des origines de la vie, y compris dans l'univers.

Les protéasomes, un héritage des procaryotes

Des chercheurs de l'University College de Londres (UCL) et de l'Université de Lancaster ont découvert que les cellules eucaryotes ont hérité du protéasome des cellules procaryotes afin d'assurer leur cycle cellulaire en toute sécurité. Les résultats de leur étude furent publiés dans la revue "Science" en 2020.

Tarrason Risa de l'UCL et ses collègues ont analysé les mécanismes de réplication de la cellule archéenne Sulfolobus acidocaldarius, une procaryote thermophile qui vit dans les sources chaudes (optimal entre 75 et 80°C) et acides (pH 2 à 3). On la trouve dans le Parc National de Yellowstone aux Etats-Unis, au Salvador, à la Dominique et en Italie. Cette archée possède un mécanisme de réplication homologue à celui des eucaryotes nommé ESCRT (Endosomal Sorting Complexes Required for Transport).

Structure d'un protéasome, un complexe enzymatique multiprotéique composé de plusieurs sous-unités mesurant 15 nm de longueur. Il existe chez les cellules eucaryotes, les archées et certaines bactéries.

Découvert au début des années 1960, les complexes ESCRT (ils comprenent 6 complexes enzymatiques et des dizaines de protéines) jouent un rôle central dans diverses activités cellulaires. Cette machinerie de transport vésiculaire intervient notamment dans le recyclage et la sécrétion de molécules de signalisation, la séparation des cellules filles lors de la division cellulaire (elles coupent des chaînes protéiques pour permettre leur duplication), la régulation autophagique de l’homéostasie cellulaire ou dans la transduction de stimuli par des récepteurs de facteurs de croissance.

Les chercheurs ont découvert que nos cellules eucaryotes ont hérité cette machinerie ESCRT des cellules procaryotes. C'est la première preuve concrète que nous descendons bien des procaryotes.

En étudiant la division cellulaire chez cette archée, Tarrason Risa et ses collègues ont identifié cette preuve dans un rôle du protéasome dans le déclenchement de la division cellulaire (cytokinèse) : dans le cytosol de chaque cellule, des ensembles d'enzymes forment de petites structures cylindiques creuses de quelque 15 nm appelées les protéasomes. Ils sont associés au réticulum endoplasmique et assurent le rôle de centre de recyclage des déchets cellulaires. Les protéasomes dégradent les protéines mal repliées ou défectueuses baignant dans la cellule, les découpent et recyclent leurs fragments (des peptides composés de 7 à 9 acides aminés) afin que la cellule puisse les réutiliser.

La découverte de leur rôle dans la division cellulaire est importante car les protéasomes des archées sont très semblables à ceux des eucaryotes. Cela ne peut avoir qu'une explication : nous en avons hérité pour développer notre propre système de réplication.

Selon les chercheurs, "Notre étude suggère que le rôle vital du protéasome dans le cycle cellulaire de toute vie eucaryote aujourd'hui a ses origines évolutives dans les archées".

Cette découverte apporte la preuve que les cellules eucaryotes seraient issues de la symbiose entre un hôte archéen probablement thermophile et une bactérie procaryote (une alphaprotéobactérie), donnant respectivement naissance au corps cellulaire et aux mitochondries.

La faculté d'auto-organisation des cellules

Plutôt que de chercher à comprendre les mécanismes cellulaires visiblement encore trop complexes, les chercheurs ont eu des prétentions beaucoup plus modestes et se sont attachés à comprendre quelles étaient les règles minimales requises pour programmer les cellules afin qu'elles s'auto-assemblent en structures multicellulaires. Et cette approche du simple du complexe a fini par payer.

Avant LUCA qui est apparemment un organisme déjà complexe, il devait exister une cellule primitive plus simple mais viable, une sorte de coacervat ou de vésicule dont la membrane extérieure était constituée au moins d'un bicouche hydrophobe mais perméable. Cet ancêtre de LUCA n'a pas encore été découvert. Mais peut-on créer en laboratoire une cellule similaire à partir d'éléments simples ? Peut-elle ensuite s'auto-assembler ou se dupliquer d'elle-même, une première étape vers la constitution d'un organisme vivant autonome ? C'est à ces questions qu'en 2018 une équipe de chercheurs a répondu par l'affirmative.

Dans une étude publiée dans la revue "Science", Wendell Lim du Département de Pharmacologie cellulaire et moléculaire de l'Université de Californie à San Francisco (UCSF) et ses collègues ont démontré comment ils sont parvenus à programmer des groupes de cellules individuelles afin qu'elles s'auto-organisent en structures multicouches isolées du monde extérieur rappelant les organismes simples ou les premières étapes du développement embryonnaire (cf. le stade morula).

Nous savons que le rôle de l'ADN est essentiel pour les cellules autonomes. Au cours du développement d'un organisme, à mesure que les structures biologiques se forment, les cellules communiquent entre elles et prennent des décisions collectives coordonnées de manière à s'organiser structurellement.

Si actuellement on ne peut pas encore reproduire biologiquement ce mécanisme, on peut l'imiter. Dans le laboratoire de Lim à l'UCSF, le chercheur postdoctorant Satoshi Toda utilisa une molécule synthétique dite de signalisation appelée "synNotch" (signifiant "récepteur synthétique Notch") spécialement développée par les membres du laboratoire afin que les cellules répondent à des signaux spécifiques de communication entre cellules grâce à des programmes génétiques créés sur mesure. Concrètement, en utilisant synNotch, les chercheurs ont conçu des cellules capables de répondre à des signaux spécifiques provenant de cellules voisines en produisant des molécules d'adhésion de type Velcro (des cadhérines) ainsi que des protéines marqueurs fluorescentes. Le but était de vérifier si les cellules individuelles étaient capables suite à un signal de changer de couleur et de s'accrocher ensemble.

Résultats de la programmation des cellules pour s'auto-assembler en structures complexes comprenant jusqu'à trois couches de couleurs différentes ou "polarisés". A partir de cellules isolées, l'assemblage coloré se réalise en 50 heures. Document Wendell Limet al./UCSF.

Dans l'expérience la plus simple, Lim et ses collègues ont programmé deux groupes de cellules afn qu'elles s'auto-organisent en une sphère dont la membrane était composée d'un bicouche. Ils ont commencé avec un groupe de cellules bleues exprimant sur leur surface une protéine de signalement et un second groupe de cellules incolores arborant un récepteur synNotch personnalisé programmé pour détecter cette protéine de signalement. Lorsque les cellules sont isolées les unes des autres, ces populations ne réagissent pas, mais lorsque les deux groupes sont mélangés, les cellules bleues activent les récepteurs synNotch sur les cellules incolores dans lesquelles elles déclenchent des cadhérines collantes et une protéine marqueur verte appelée GFP. Résultat, de manière toute à fait étonnante, les cellules incolores ont rapidement viré au vert et se sont regroupées, formant un noyau central entouré par une couche externe composée des cellules bleues partenaires.

Dans une seconde expérience, les chercheurs ont réussi à programmer des groupes de cellules afin qu'elles s'auto-assemblent pour former des structures plus complexes comme des sphères à deux ou trois couches. Comme on le voit ci-dessus, leurs formes s'apparentent à celles des organismes simples ou à des tissus en développement. En 25 heures, les cellules formaient une sphère et au bout de 50 heures elles avaient acquis leur couleur définitive.

Enfin, dans une troisième expérience, les chercheurs ont conçu des cellules qui ont formé les prémices de la "polarité", par exemple les axes avant-arrière, gauche-droite, tête-queue distincts qui définissent les "plans corporels" de nombreux organismes multicellulaires. Pour se faire, ils ont exprimé différents types de molécules d'adhésion de la cadhérine forçant les cellules à se diviser en sections "tête" et "queue" ou pour produire quatre "bras" radiaux distincts.

L'équipe de Lim a également montré que ces sphéroïdes complexes s'auto-réparaient après que les chercheurs aient sectionné les sphéroïdes multicouches en deux avec une micro-guillotine développée par leurs collègues Lucas R. Blauch et Sindy Tang de l'Université de Stanford. Plus étonnant, les cellules restantes se reformèrent rapidement et se réorganisèrent d'elles-mêmes selon leur programme intrinsèque.

A l'avenir, l''équipe de Lim tentera de programmer des structures encore plus complexes comme des tissus cellulaires multicouches et envisage même de programmer des cellules utiles aux tissus de croissance pouvant par exemple servir à traiter des blessures ou des tranplants.

En revanche, il y a encore un pas de géant à franchir pour créer des organes par impression 3D comme certains y pensent. En effet, créer un tissu et un organe est aussi différent que d'imaginer fabriquer un humain en sachant où placer exactement chaque cellule à quel endroit du corps. Même la création d'un organe par impression 3D à partir d'une matrice de collagène sera difficile car il faut impérativement qu'il se raccorde correctement aux systèmes veineux et nerveux du corps ainsi qu'au reste du corps et sans rejet. Pour l'instant, la création d'un organisme complet comme celui de Liou dans le film "Le Sixième Sens" de Luc Besson reste du domaine de la science-fiction.

En attendant, Lim et son équipe guident les chercheurs sur la voie des thérapies cellulaires grâce aux cellules souches, une technique de génie génétique presque miraculeuse tellement les résultats sont positifs.

En guise de conclusion

En Science, le chercheur propose des hypothèses, pose des thèses et essaye de les démontrer. Si cela fonctionne et que l'hypothèse est confirmée, il progresse. Si cela ne fonctionne pas, il progresse malgré tout car c'est un cas qu'il peut éliminer. Il modifie alors la thèse soit change carrément d'hypothèse et réalise une nouvelle expérience pour essayer de la valider, et le cycle recommence.

Dans les expériences de programmation cellulaire, des cellules simples furent programmées pour se développer et former des structures plus complexes, comme un œuf fécondé se divise pour former différentes parties du corps et des tissus distincts comme la peau, les muscles, les nerfs et les os.

Seule différence et pas des moindres avec une cellule vivante, ces cellules sont programmées; elle ne vivent pas réellement comme nous avons défini un organisme vivant, ce qui limite a priori l'intérêt de ces expériences. Mais peut-être que derrière cet artifice se cache malgré tout le secret de la vie.

Qu'on y croit comme à la faculté de donner vie à des créatures artificielles ou qu'on estime que cela relève de l'utopie, celui qui ne tente rien n'a rien. Autrement dit, si on n'explore pas toutes les voies possibles, on ne risque pas non plus de trouver la solution et de comprendre le "miracle de la vie". Mais une chose est sûre, cette question métaphysique fait aujourd'hui partie de la Science et nous avons potentiellement les moyens de l'expliquer, c'est une question de temps.

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