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La contamination extraterrestre L'exobiologie (I) L'exobiologie (ou astrobiologie) est la science qui s'intéresse à la vie dans l'univers. Son objet consiste à découvrir dans l'espace des molécules prébiotiques et des sites où s'organiserait une chimie extraterrestre. Si certaines annonces hardies font penser que certaines terres du ciel seraient propices au développement de la vie, à l'heure actuelle seule la Terre est dépositaire de cette source vitale germe de l'Humanité. Avant d'étudier les formes de vie présentes sur Terre, en attendant de lui trouver un modèle prébiotique valable et sans évidence qu'une telle chimie se soit développée sur Terre depuis le stade abiotique, demandons-nous quelle est la chance de trouver des traces de vie ailleurs dans le système solaire ? Grâce à l'exploration spatiale, principalement grâce aux sondes Voyager, Viking, Giotto, Mars Exploration Rover et Cassini-Huygens, nous avons découvert de nombreux sites prébiotiques qui sont encore le siège d'une activité biochimique. Bien entendu cette activité bien que spontanée et émise par des entités autonomes, n'est pas provoquée par des organismes vivants. Ces composants sont dans une phase intermédiaire entre l'inerte et le vivant. Plus tout à fait inerte car ils incorporent de la matière organique mais pas encore vivant car certains mettent en jeu des substances minérales; plus tout à fait inerte car cette matière est capable de s'auto-organiser mais pas encore vivante car elle ne se multiplie pas par sélection naturelle et s'adapte difficilement; enfin plus tout à fait inerte car ces réactions se déroulent loin de l’état d'équilibre thermodynamique mais pas encore vivantes dans le sens où il n'y a pas de métabolisme au sens vital. Nous sommes encore loin de découvrir des petits hommes verts ou même des lucioles ou des bactéries ailleurs que sur Terre. Mais si un jour nous découvrons ne fut-ce qu'un seul astre abritant un seul organisme primitif nous pourrons sans trop nous tromper faire l'hypothèse que la vie a conquis l'univers. Mais avant de nous prononcer faisons un échantillonnage dans le système solaire en commençant par la Terre. Le rôle prébiotique des évents hydrothermaux Cela fait plusieurs décennies que les astrobiologistes s'emploient à reconnaître la vie sur d'autres planètes en étudiant les origines de la vie sur Terre. Parmi ces chercheurs, depuis 2014 Laura M. Barge du JPL de la NASA et ses collègues étudient la manière dont les éléments constitutifs de la vie se forment autour des évents hydrothermaux alcalins situés au fond des océans (cf. la faculté d'adaptation). Pour savoir s'il pourrait exister des éléments prébiotiques sur d'autres planètes ou lunes du système solaire, les chercheurs ont conduit une expérience de biochimie portant sur les ingrédients que l'on trouvait couramment dans les premiers océans terrestres. Cette expérience dont les résultats furent publiés dans les "PNAS" en 2019 est l'aboutissement de neuf années de recherche sur les origines de la vie. Les scientifiques ont reproduit en laboratoire les ingrédients prébiotiques qui auraient pu se former au fond des océans il y a 4 milliards d'années. Les résultats de cette étude offrent des indices sur la façon dont la vie débuta sur Terre et où nous pourrions la trouver ailleurs dans l'univers. Pour recréer les évents hydrothermaux en laboratoire, les chercheurs ont créé leurs propres fonds marins miniatures en remplissant des bacs avec des mélanges imitant l'océan primordial de la Terre. Ces océans artificiels ont servi de pouponnières aux acides aminés essentiels à la vie telle que nous la connaissons. Rappelons que les acides aminés se combinent les uns aux autres et avec d'autres éléments simples pour former des protéines à la base de tous les êtres vivants. A
voir : Hydrothermal vents in the deep sea Hydrothermal Vents: 2016 Deepwater Exploration of the Marianas, Oceanexplorergov Fumeurs noirs autour du volcan de Mata Ua (2100 m, Tonga) Fumeurs noirs à Endeavour Ridge (2500 m, près de Vancouver, Can.)
Les chercheurs ont combiné de l'eau, des minéraux et des molécules "précurseurs" telles la pyruvate (CH3-CO-COOH portant une fonction acide carboxylique (COOH) et une fonction cétone) et l'ammoniac (NH3) que l'on sait nécessaires au démarrage de la formation d’acides aminés. Ils ont testé leur hypothèse en chauffant la solution à 70° C, la même température que celle trouvée près des évents hydrothermaux, et en ajustant le pH pour imiter l'environnement alcalin. Ils ont également éliminé l'oxygène du mélange car, contrairement à aujourd'hui, la Terre primitive contenait très peu d'oxygène dans son vaste océan. Les chercheurs ont également utilisé l'hydroxyde de fer minéral (Fe(OH)2)) ou "rouille verte" qui était abondante sur la Terre primitive. La rouille verte a réagi avec de petites quantités d'oxygène que l'équipe a injectées dans la solution, produisant de l'alanine (un acide aminé) et du lactate (la forme ionisée de l'acide lactique, un α-hydroxyacide). Les alpha-hydroxyacides sont des sous-produits des réactions des acides aminés mais certains scientifiques pensent qu'ils pourraient également se combiner pour former des molécules organiques plus complexes pouvant conduire à la vie. Selon Barge, "nous avons montré que dans des conditions géologiques similaires à celles de la Terre primitive et peut-être à d'autres planètes, nous pouvons former des acides aminés et des acides alpha-hydroxylés à partir d'une simple réaction dans des conditions douces qui auraient existées sur le fond marin." Des études antérieures avaient pour objectif de déterminer si les évents hydrothermaux contiennent les bons ingrédients pour la vie et de déterminer la quantité d'énergie que ces cheminées peuvent générer (on sait aujourd'hui qu'elle est suffisante pour alimenter une ampoule électrique). Cette nouvelle étude est la première tenant compte d'un environnement très similaire à un évent hydrothermal et capable de déclencher une réaction organique. A présent, Barge et son équipe ont l'espoir de trouver plus d'ingrédients propices à la vie et de créer des molécules plus complexes. Pas à pas, ce type d'expérience est en train de gravir lentement la chaîne du vivant. Dans notre quête de la vie extraterrestre, ce type de recherche est important dans la mesure où les scientifiques étudient les autres mondes du système solaire dont certains pourraient potentiellement héberger des environnements habitables. Comme nous le verrons, Europe, un satellite de Jupiter, et Encélade, un satellite de Saturne, pourraient peut-être présenter des évents hydrothermaux dans les océans situés sous leurs croûtes glacées. On y reviendra. Comprendre comment la vie pourrait débuter dans un océan privé de la lumière du Soleil aiderait les scientifiques à concevoir de futures missions d'exploration ainsi que des expériences visant à creuser sous la glace à la recherche de traces d'acides aminés ou d'autres molécules prébiotiques. Les météorites et la panspermie Il y a au moins 3.8 milliards d'années, la Terre primitive connut un intense bombardement météoritique. Cet apport massif de roches et de gaz et très probablement de matière organique aurait permis d'apporter sur la Terre des éléments prébiotiques élaborés dans l'espace et peut-être la clé indispensable pour déclencher le processus de la vie; c'est l'hypothèse de la panspermie de Svante Arrhénius (1908) formulée par Cyril Ponnamperuma, elle-même inspirée des idées du philosophe grec Anaxagore (Ve siècle avant notre ère). Mais à ce jour cette théorie n'a toujours pas été validée. Nous verrons à propos des météorites que dès qu'elles pénètrent dans l'atmosphère terrestre, elles peuvent subir une contamination. Il faut donc être très prudent lors de leur analyse et avant de poser des conclusions sur l'origine des matériaux qu'elles contiennent, principalement en surface. Les météorites carbonées Les astronomes gardent l'espoir de percer les mystères de cette chimie extraterrestre. L'analyse des grandes météorites de la catégorie des chondrites carbonées - des météorites pierreuses du type C ayant des inclusions ou chondres de carbone et d'eau cristallisées - tombées à Murchison (groupe CM2) en Australie, à Murray (groupe CM2) aux Etats-Unis, à Allende (groupe CV3) au Mexique, à Orgueil (groupe CI1)[1] en France et plus récemment (2021) à Winchcombe en Angleterre (CM2), révélèrent jusqu'à 6% de matière organique. Elles contenaient des hydrocarbures et des acides aminés protéiniques et non protéiniques non contaminés, c'est-à-dire tant lévogyres que dextrogyres. A consulter : Les météorites
Du ribose - un atome à 5 atomes de carbone - que l'on trouve dans l'ADN et l'ARN, et d'autres sucres comme l'arabinose et le xylose furent également découverts dans des météorites dont celle de Murchison et NWA 801 (groupe CR) (cf. Y.Furukawa et al., 2019). Toutefois, le manque de diversité des pyrimidines (des bases azotées comme la cytosine, l'uracile et la thymine) dans les météorites reste un mystère puisque des modèles chimiques prébiotiques et des expériences en laboratoire ont prédit que ces composés peuvent également être produits à partir de précurseurs chimiques trouvés dans les météorites. Yasuhiro Oba de l'Institut des Sciences à Basse Température (ILTS) de l'Université d'Hokkaido et ses collègues ont découvert des purines et des pyrimidines - deux bases azotées - dans la météorite carbonée de Murchison et quelques autres. Ajoutées aux autres nucléobases déjà identifiées, les chercheurs estiment qu'elles pourraient servir de blocs de construction à l'ADN et et à l'ARN. Selon les chercheurs, "Étant donné la similitude de la distribution moléculaire des pyrimidines dans les météorites et celles des analogues de glace interstellaire frappés par des photons, certains de ces dérivés auraient pu être produits lors de réactions photochimiques se déroulant dans le milieu interstellaire et être incorporés ultérieurement dans les astéroïdes lors de la formation du système solaire" (cf. Y.Oba et al., 2022).
A elle seule, la météorite de Murchison contient 96 acides aminés (cf. D.P. Glavin et al., 2021). Au total, à ce jour plus de 100 acides aminés différents (parmi lesquels l'alanine, la glycine, la valine, la leucine, l'isoleucine, la proline, l'acide aspartique et l'acide glutamique) ont été découverts dans les météorites dont 8 se retrouvent dans les chaînes prébiotiques. Il y a donc une évidence, il existe de l'acide aminé extraterrestre. Plus significatif encore, toutes les nucléobases formant l'ADN et l'ARN ont été découvertes dans des météorites carbonées : la cytosine, l'uracile, la thymine, la guanine, l'adénine et la xanthine. Combinées à l'EtA (NH2CH2CH2OH) découvert dans un nuage moléculaire (cf. V. Rivilla et al., 2021) qui, sur Terre forme la tête hydrophile des molécules de phospholipides qui s'auto-assemblent en membranes cellulaires, nous disposons de tout le matériel nécessaire pour fabriquer une cellule élémentaire. Reste à lui donner une étincelle de vie et qu'elle se réplique pour créer un organisme vivant. Enfin, la première protéine extraterrestre aurait été découverte dans la météorite Acfer 086 (groupe CV3) trouvée en Algérie en 1990 : l'hémolithine (cf. M.W. McGeoch et al., 2020). L'hémolithine de cette météorite à la même structure que son homologue terrestre illustré ci-dessous sauf que le rapport deutérium/hydrogène est plus élevé (D/H = (4.1 ±0.5) x 10-3) soit ~30 fois plus élevé que celui de l'eau de mer (D/H = ~1.5 x 10-4) ou des chondrites carbonées (D/H = 1.4 ± 0.1) x 10-4), proche des comètes à longue période (celles issues du Nuage de Oort où D/H = (~1.6 ± 0.24) x 10-4). C'est aussi équivalent aux niveaux interstellaires et au rapport antérieur le plus élevé relevé dans des micrométéorites. Mais la découverte est au conditionnel car selon les chercheurs, la molécule n'est peut-être qu'un polymère - la grande classe des molécules dont les protéines ne sont qu'un exemple.
Ces météorites que l'on a récoltées par milliers mais dont à peine 4% sont des chondrites carbonées proviennent de la Ceinture des astéroïdes (quelques unes vraisemblablement de Mars[2] et de la Lune) et leur analyse apporte suffisamment de preuves que la formation des molécules organiques prébiotiques a pu se produire quelque part ailleurs que sur la Terre. On reviendra sur la nature des grains de poussière présolaires dans l'article consacré à la formation du système solaire. Les micrométéorites Selon les astrobiologistes E.Anders, C.Sagan et leurs collègues[3], ce ne sont probablement pas les grandes météorites qui contaminèrent la Terre, mais au contraire les micrométéorites d'une dimension de l'ordre du dixième de millimètre, pesant entre 100 et 1000 mg. Quand on évalue la quantité de matière qu'elles représentent au mètre carré, nous trouvons un apport 500 fois plus important qu'avec les grandes météorites. Selon les auteurs, 1014 tonnes de matière organique a ainsi pu recouvrir la Terre en 100 millions d’années, l'équivalent de 20 g/cm2. Ces micrométéorites contiennent 150 fois plus de carbone que les organismes vivants. Une équipe de chercheurs découvrit également dans les lacs peu profonds du Groenland que la petite taille des micrométéorites leur permettait d'éviter l'échauffement pendant la rentrée dans l'atmosphère, leur offrant la possibilité d'ensemencer la Terre de métaux et d'acides aminés, certains allant jusqu'à parler de contamination par des virus mais ici il s'agit de spéculation sans fondement. La collecte continue, des profondeurs de l'océan Pacifique jusque dans la stratosphère, à 20 km d'altitude. La station spatiale soviétique Mir retrouva même cette poussière interplanétaire autour de l'orbite terrestre. Ces "germes" que l'on retrouve un peu partout relancent l'idée de la panspermie. Ces résultats bien que très encourageants ne permettent pas encore d'élucider l'origine de la vie sur Terre, mais ils améliorent notre compréhension des mécanismes prébiotiques et complètent l'inventaire des molécules organiques présentes sur la Terre primitive juste avant l'émergence de la vie. Reste à trouver la clé qui les réunit et leur insuffle l'étincelle de la vie. De l'ARN se forme sur du verre volcanique Selon une étude publiée dans la revue "Astrobiology" en 2022, Elisa Biondi de la Foundation for Applied Molecular Evolution et ses collègues ont découvert que l'ARN se forme spontanément sur le verre volcanique (genre ponce et oscidienne). Ce verre était abondant sur Terre il y a 4.35 milliards d'années. Des basaltes similaires remontant à cette époque existent encore sur Mars de nos jours. L'étude montre que de longues molécules d'ARN composée de 100 à 200 nucléotides se forment lorsque les nucléosides triphosphates (NTP) ne font que percoler à travers le verre basaltique. Selon le géophysicien Stephen Mojzsis de l'Université du Colorado et coauteur de cette étude, "A l'époque [il y a plus de 4 milliards d'années], on trouvait du verre basaltique partout sur Terre. Pendant plusieurs centaines de millions d'années après la formation de la Lune, des impacts fréquents couplés à un volcanisme abondant sur la jeune planète ont formé de la lave basaltique en fusion, la source du verre de basalte. Les impacts ont également évaporé l'eau pour donner des terres sèches, fournissant des aquifères où l'ARN aurait pu se former." Les mêmes impacts ont également livré du nickel qui, selon les chercheurs, donne des nucléosides triphosphates à partir de nucléosides et de phosphate activé, également présents dans le verre de lave. Le borate (comme dans le borax), également issu du basalte, contrôle la formation de ces triphosphates. Les mêmes impacteurs qui ont formé le verre volcanique ont également réduit transitoirement l'atmosphère grâce à leurs noyaux métalliques de fer-nickel. Les bases d'ARN dont les séquences stockent l'information génétique, se forment dans de telles atmosphères. Les chercheurs avait précédemment montré que les nucléosides sont formés par une simple réaction entre le ribose phosphate et les bases d'ARN.
Ce modèle transpire par sa simplicité et peut résoudre les autres paradoxes en fabriquant de l'ARN dans une réaction qui va des simples molécules organiques au premier ARN. Par exemple, le borate gère la formation du ribose, le "R" de l'ARN. Cette séquence part de glucides simples qui pourraient se former dans l'atmosphère de la Terre primitive. Ces molécules furent stabilisées par le dioxyde de soufre volcanique, puis sont tombées sous forme de pluie sur la surface pour créer des réservoirs de minéraux organiques. Cette étude apporte du crédit à la formation de l'ARN à partir de petites molécules organiques qui étaient presque certainement présentes sur la Terre primitive. Un seul modèle géologique permet de passer d'une à deux molécules de carbone pour donner des molécules d'ARN suffisamment longues pour soutenir l'évolution darwinienne. Mais ils restent des questions sans réponses. Ainsi, nous ne savons toujours pas comment tous les éléments constitutifs de l'ARN ont pris la même forme générale, une relation connue sous le nom d'homochiralité. De même, les liaisons entre les nucléotides peuvent être variables dans le matériau synthétisé sur le verre volcanique. Cela reste un mystère. Des minéraux identiques, des verres volcaniques et des impacts existaient également sur Mars il y a plus de 4 milliards d'années. Mais Mars n'a pas connu la dérive des continents et la tectonique des plaques qui ont recyclé la plupart des roches de la Terre datant de cette époque. Sur Mars, ces roches sont toujours présentes en surface. Des missions d'exploration récentes de Mars ont d'ailleurs trouvé toutes les roches nécessaires à la vie, y compris le borate. En conclusion, si la vie a peut-être émergé sur la Terre via cette réaction simple, alors elle a probablement aussi émergé sur Mars. C'est pour cette raison que la recherche de la vie sur Mars reste une priorité de la conquête spatiale. On y reviendra. La Lune sans atmosphère Parmi les centaines de kilos d'échantillons lunaires ramenés par les équipages des missions Apollo, on a découvert 200 matériaux organiques dont des hydrocarbures, du monoxyde de carbone, mais pas d'acides aminés ou de sucres. Il semble n'exister aucune molécule qui puisse être utile à la chimique prébiotique. Les échantillons sont des roches de surface; l'exposition à la lumière ultraviolette et le bombardement micrométéoritique ont détruit les chaînes carbonées. Ceci dit quelques bactéries peuvent survivre aux rigueurs de l'espace. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que malgré tous nos efforts pour stériliser le matériel déposé sur la Lune notamment, certains microbes parviennent à y survivre plusieurs années. Nous y reviendrons quand nous aborderons la question de la vie sur Mars. Concernant l'activité lunaire, certains sites tels le cratère Aristarchus ou Alphonsus sont sujets à des luminescences provoquées par des dégagements occasionnels de carbone (C2). Une centaine de sites sont ainsi étudiés dans le cadre du programme sur les Phénomènes Lunaires Transitoires (LTP) de la NASA. Ces dégazages seraient en relation avec le lever du Soleil sur leurs remparts. Nous y reviendrons en détails. Des tardigrades sur la Lune S'il n'y a apparemment pas de vie extraterrestre sur la Lune, en revanche elle abrite à présent des milliers de tardigrades importés de la Terre lors du crash de la sonde spatiale israélienne Beresheet le 11 avril 2019. Vu les conditions régnant sur la Lune, il est probable que les tardigrades ayant survécu au crash ne sont pas restés actifs ou à l'état de veille mais sont passés en état de stase ou cryptobiose jusqu'à ce que les conditions s'améliorent ou, plus vraisemblablement, qu'une prochaine équipe d'astronautes les retrouve et les ramène sur Terre.
Rappelons que la sonde spatiale Beresheet transportait une bibliothèque lunaire, un DVD contenant 30 millions de pages d’informations, des échantillons d’ADN humains et des milliers de tardigrades, les "ours d'eau" (water bears) comme les appellent les Anglo-Saxons. Nova Spivack est le fondateur de la fondation Arch Mission, une organisation à but non lucratif dont le but est de créer "un backup – une sauvergarde - de la planète Terre" et à ce titre il participa à la mission Beresheet. Selon Spivack, ce qui est prometteur au sujet des tardigrades est qu'ils pourraient théoriquement être réanimés à l’avenir. En effet, les tardigrades sont connus pour entrer en cryptobiose lorsque les conditions de survie deviennent critiques. Dans cet état, tous les processus métaboliques s'arrêtent et l'eau de leurs cellules est remplacée par une protéine qui transforme leurs cellules quasiment en verre. Sous cette forme, ils sont apparemment morts mais pas tout à fait. En effet, des scientifiques ont réanimé des tardigrades qui ont passé plus de 30 ans dans cet état déshydraté. Les scientifiques commencent tout juste à comprendre comment les tardigrades parviennent à survivre dans des environnements aussi extrêmes que la surface de la Lune exposée au vide, au froid, aux écarts de température et aux rayonnements ionisants. Il est concevable qu'à mesure que nous en apprendrons davantage sur les tardigrades, nous découvrirons les moyens de les réhydrater après des périodes de stase beaucoup plus longues. Dans le meilleur des cas, Beresheet éjecta la bibliothèque lunaire de la fondation Arch Mission lors de l'impact et celle-ci se trouve en un seul morceau quelque part près du site de l'impact. Selon Spivack, il n'y a aucune raison de s'inquiéter du fait que les tardigrades prendraient le contrôle de la Lune. Tous les tardigrades lunaires que découvriront les futurs astronautes devront être ramenés sur Terre ou dans un lieu où règne une atmosphère afin de les réhydrater. Reste à savoir si cela suffira à les ramener à la vie. Des accessoires contaminés et des déchets organiques Enfin, il faut savoir que les différentes missions Apollo ont abandonné sur la Lune l'étage de descente du LEM qui a pu être contaminé par quelques dizaines de microbes présents dans les salles blanches lors de son assemblage. Mais les astronautes ont surtout abandonné près de 100 sacs de détritus dont certains contiennent des matières fécales qui comme chacun le sait contiennent des microbes. Toutefois, ce microbiote n'est pas réputé pour sa résistance et a certainement péri sous les rigueurs des conditions lunaires. Dans tous les cas ces microbes n'ont pas les facultés de survie extraordinaires des tardigrades. De la vie dans les nuages de Vénus ? Malgré la chaleur torride et la pression titanesque régnant sur Vénus, en 1967 l'astrophysicien et astrobiologiste Carl Sagan (1934-1996) et le biophysicien Harold Morowitz (1927-2016) avaient proposé dans un article publié dans la revue "Nature" que des microbes pourraient exister dans les nuages de Vénus, entre 50 et 65 km d'altitude, où la température est tempérée. Depuis, leur hypothèse a retenu l'attention de nombreux chercheurs. Dans un article publié dans la revue "Astrobiology" en 2020, Sara Seager du MIT et ses collègues ont suggéré qu'une vie microbienne pourrait exister dans la basse atmosphère de Vénus. La possibilité de vivre dans un endroit aussi exotique peut sembler étrange a priori. Mais rappelons que sur Terre, la vie a conquis pratiquement tous les biotopes, même si les conditions de vie sont parfois difficiles en termes de température, de pression, d'acidité ou de salinité.
Mais il faut surtout garder à l'esprit que Vénus était autrefois dans la zone habitable du système solaire et que le critère d'habitabilité doit prendre en compte la durée de vie entière d'une planète. En fait, selon une hypothèse soutenue par la majorité des spécialistes, au début de l'histoire du système solaire, trois des quatre planètes inférieures - Vénus, la Terre et Mars - abritaient une vie en surface. Vénus est devenue trop chaude par la suite, de sorte que le cas échant la vie ne peut plus subsister que dans l'atmosphère. Mars étant devenue trop froid, la vie ne pourrait exister que sous la surface. Seule la Terre est suffisamment hospitalière pour abriter une biosphère diversifiée. Étant donné que cette idée existe depuis des décennies, que nous apporte la nouvelle étude de Seager et ses collègues ? Jusqu'à présent, les articles n'avaient pas défini ce que signifie " la vie dans les nuages" et comment elle pourrait interagir avec l'atmosphère. La seule exception est un article publié en 2004 dans la revue "Astrobiology" par Dirk Schulze-Makuch (le coinventeur de l'incide BCI) et ses collègues, dans lequel les auteurs soulignent que le soufre (en particulier un composé appelé cyclooctasoufre, S8 (un allotrope du soufre naturel), pouvait être utilisé par les microbes comme écran solaire UV et comme moyen de convertir la lumière ultraviolette en d'autres longueurs d'onde lumineuses qui pourraient être utilisés pour la photosynthèse. Schulze-Makuch suggère que cela pourrait être la base d'un écosystème vénusien, où certains organismes chimiotrophes complètent le cycle des nutriments. Mais ce scénario soufre d'un défaut : la plupart de ces microbes tomberaient à travers les nuages dans la couche de brume inférieure où ils seraient exposés à une chaleur et une pression extrêmes et fatales. Les auteurs ont donc modifié leur scénario et proposé que les microbes ne résideraient dans les nuages que pendant environ un mois et que leur taux de reproduction dans l'atmosphère équilibrerait la perte de microbes tombant des nuages. Seager et ses collègues ont proposé une solution beaucoup plus élégante. Ils suggèrent que l'habitat des gouttelettes dans lequel résident les microbes se développerait inexorablement et serait forcé par la gravité de s'installer dans la couche plus chaude et inhabitable sous les nuages vénusiens. Au fur et à mesure que les gouttelettes s'évaporent pendant la décantation, les microbes se dessèchent et la couche inférieure de brume devient un dépôt pour une vie déshydratée et dormante. Mais les courants d'air ascendants (y compris ceux entretenus par les ondes de gravité telles qu'on en trouve au-dessus de la "Fontaine d'Aphrodite") ramèneraient régulièrement les microbes dormants dans les nuages, où ils seraient réhydratés et reprendraient leur activité. Certains de ces microbes seraient néanmoins perdus. Mais ce genre de cycle de vie augmenterait les chances qu'une biosphère aérienne puisse durer plusieurs millions d'années, et peut-être encore aujourd'hui. Les trois schémas ci-dessous préparés par Seager et al. décrivent le cycle de vie des hypothétiques micro-organismes vénusiens comparé à leurs homologues terrestres.
Découverte de phosphine L'hypothèse de Seager et ses collègues fut confirmée par peu après lorsque son équipe du MIT et des chercheurs de l'Université de Cardiff annoncèrent avoir détecté grâce au radiotélescope submillimétrique James Clerck Maxwell (JCMT) de 15 m installé au Chili, la présence d'importantes quantités de phosphine (PH3) dans l'atmosphère de Vénus. Son abondance est d'environ 20 ppb (20 parties par milliard ou 2x10-8). Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2020. Bien que toxique, ce gaz constitue une biosignature potentielle (car il est à l'état de trace sur Terre) comme l'ont bien expliqué Clara Sousa-Silva et ses collègues dans un article publié dans la revue "Astrobiology" en 2020. Rappelons que les biosignatures primaires sont l'oxygène et ses dérivés comme le méthane et le protoxyde d'azote. Selon Seager, "Il pourrait y avoir deux explications. Soit il existe un processus chimique inconnu qui pourrait d'une manière ou d'une autre produire la phosphine soit... il y a de la vie." En effet, selon les chercheurs, si la phosphine peut être produite de plusieurs façons, pour être présente en aussi grande quantité elle doit être émise par des organismes vivants. Il pourrait s'agir d'organismes anaérobies, c'est-à-dire qui ne consomment pas d'oxygène comme on en trouve également sur Terre (cf. la faculté d'adaptation à propos du cnidaire Henneguya salminicola). Actuellement, la présence de phosphine sur Vénus reste inexpliquée et les chercheurs recherchent d'autres preuves pour ne pas conclure hâtivement. A
voir : Possible signs of life on Venus
Ceci dit, l'idée qu'il existerait une forme de vie dans l'atmosphère vénusienne reste très spéculative. Seager elle-même souligne à quel point cet environnement est vraiment extrême, plus que tout autre environnement connu sur Terre. Mais le fait que ce scénario est théoriquement viable entrouvre un peu plus la porte d'une éventuelle vie sur Vénus. S'il existe ne fut-ce qu'une seule chance que la vie existe sur notre planète jumelle, nous devrons y retourner. Comme le rappellent la NASA et la Planetary Society, il existe des idées intéressantes pour explorer Vénus, y compris avec des dirigeables. On en reparlera dans quelques années. Prochain chapitre
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