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La contamination extraterrestre
Les raies moléculaires (V) Quittons les planètes et allons au-delà du système solaire. Depuis 1960 environ, la radioastronomie récolta un franc succès auprès des exobiologiste qui comprirent qu'il leur était dorénavant possible de sonder l'univers sur les traces d'éventuelles formes prébiotiques de vie. Nous avons déjà entrevu son potentiel à travers les différents programmes SETI. Pour ceux qui ne croient pas aux "petits hommes verts", la question qui se pose maintenant est tout à fait concrète. Quelles sont les traces d'une chimie organique dans l'espace ? L'arôme de la cosmochimie Grâce au moment dipolaire des molécules asymétriques et leurs raies de rotations, les radioastronomes peuvent détecter leur présence dans la Voie Lactée sur les raies millimétriques et submillimétriques et tracer les lignes d’isodensité des nuages qu’ils observent. Selon Brett A. McGuire du NRAO, en 2018 les radioastronomes avaient détecté 204 molécules dans les nuages interstellaires, principalement dans les nuages moléculaires. Parmi ces molécules bon nombre sont passionnantes pour l'exobiologiste. Nous savons que les vieilles étoiles éjectent dans l'espace les composants lourds qu'elles ont synthétisés durant toute leur vie. Il en est de même pour les supernovae qui créent en une fraction de secondes la plupart des éléments du tableau de Mendeleïev. Parmi les éléments fabriqués lors de la nucléosynthèse, il y a le carbone. Les atomes d'hydrogène étant très abondants dans l'univers, le carbone libéré peut rapidement interagir. Plus de la moitié des raies moléculaires découvertes dans l'espace sont en relation avec les processus prébiotiques, dont le monoxyde de carbone (CO) qui est l’espèce la plus abondante après l’hydrogène moléculaire (H2), l'acide cyanhydrique (HCN), le formaldéhyde (HCHO) ou le formamide (NH2CHO) qui conduisent au monde vivant. Nous ne pouvons pas affirmer que ces molécules interagissent dans le milieu interstellaire pour produire des polymères ou des composants aromatiques réactifs à base de benzène (C6H6), mais la séquence hydrogène-azote-carbone vers l'HCN et l’HCHO ne nous permet pas d'affirmer qu'elle est impossible. Les biochimistes ont découvert qu’en se complexifiant, ces chaînes carbonées “s’aromatisaient” (elles sont odorantes) et les plus compactes se stabilisaient. Cela permet aussi de dire qu’il ne faut pas nécessairement une atmosphère calme pour porter la vie. Il nous manque seulement un maillon dans notre histoire : une macromolécule capable d'en créer une autre à l'image de son code génétique, indépendamment du milieu qui l'entoure. Les atomes C,H,O,N peuvent former des molécules organiques qui semblent être le premier maillon d'une chaîne qui conduisit à l' "oeuf électrique" de Miller. Le fait le plus troublant et qui incite les professionnels à continuer leurs recherches, est le milieu dans lequel elles existent qui est fortement hostile alors que ces molécules sont très fragiles. Le milieu interstellaire est carrément glacé et n’est pas très dense. Les molécules évoluent dans des nappes gazeuses dont les températures oscillent entre 8 et 100 K, plus de 160° sous zéro. A de si basses températures il relève du prodige que la matière ne soit pas inerte. On y dénombre entre 100 et 100000 molécules par centimètre cube, contre 1019 dans l’air. La fréquence des rencontres est donc très rare, tout au plus une tous les mille ans. Ces découvertes ont remis à l’ordre du jour l’hypothèse de la panspermie de Svante Arrhénius reprise par Fred Hoyle, il est vrai dans une version quelque peu “électrisée”. Nous savons que dans l’espace, les photons éjectés des étoiles peuvent frapper les atomes ou les molécules et arracher leurs électrons. La matière porte alors une charge électrique et est ionisée. Jusqu’à présent les astronomes considéraient que la chimie interstellaire ne pouvait se passer de ce mécanisme. Dans un milieu aussi raréfié et glacé, l’énergie thermique ambiante est incapable de créer seule la moindre réaction chimique. L’agitation moléculaire est considérée comme un phénomène marginal qui n’intimide même pas la force de répulsion des molécules neutres. Or il faut bien expliquer l’existence de l’hydrogène moléculaire, H2. Paradoxalement à de si basses températures la moindre libération d’énergie est capable de briser cette liaison chimique. Comment donc dame Nature a-t-elle pu préserver cette réaction ? A consulter : Molecules in Space, U.Cologne, 2019 List of Discovered Interstellar Molecules, Obs.Paris En 1990, Ian Smith et Bertrand Rowe de l'Université de Rennes (CNRS) ont découvert qu'en présence d'un radical (des poussières carbonées telles la suie, les silicates, la glace ou les benzènes), des molécules neutres se constituaient et ce, d'autant plus rapidement que la température était basse, entre 10 et 40 K. Ils trouvèrent dans leurs ballons des molécules organiques telles que NH3, C2N2, C2H4, C2H6, bref des complexes prébiotiques neutres. Le phénomène trouva une explication. Les poussières carbonées étaient tellement froides qu'elles présentaient une disparité dans la distribution de leur charge électrique. Lors d'une collision avec deux molécules, le froid leur donnait le temps de trouver la bonne configuration spatiale leur permettant de réaliser une réaction chimique. Quand on apprend qu'il existe également du sucre glycolaldéhyde (CH2OHCHO) dans les nuages moléculaires froids (8 K) de Sagittarius B2 situés au coeur de la Voie Lactée (cf. J.Li et al., 2017), combiné à des atomes de carbone, il n'y a plus qu'un petit à franchir pour former du ribose (C5H10O5), l'une des molécules à la base de la structure de l'ADN et de l'ARN.
Quoi qu'il en soit, à l'actif des exobiologiste et des radioastronomes il y a donc cette liste de molécules interstellaires, enrichies par on ne sait quel hasard. Les radioastronomes en découvrent de nouvelles à chaque fois qu'ils sondent le milieu interstellaire dans les longueurs d'onde millimétriques, que ce soit la nébuleuse d'Orion perdue dans les bras de la Voie Lactée ou le grand nuage du Sagittaire au centre de la Galaxie. Mieux encore, le formaldéhyde, bien que centré sur la fréquence de 4830 MHz (6.2 mm) est, à la fréquence de 1660 MHz (1.8 cm), tout aussi abondant que l'hydroxyle OH qui dessine toute la Voie Lactée.
L'espace interstellaire est un milieu très particulier car nous y trouvons aussi des molécules qui, sur Terre, sont instables, tel le radical éthynyle (HCC) que l'on observe à la fréquence de 8.82 GHz (3.4 mm). Cette molécule est abondante dans la Galaxie et peut interagir avec un grand nombre d'autres molécules organiques (acétylène C2H2, nitrile propiolique HC≡CCN, etc). Des molécules organiques ayant jusqu'à 13 atomes telle H(C≡C)5CN survivent même dans les conditions des nébuleuses interstellaires. Ainsi, même si les expériences de laboratoire ne sont pas concluantes, rien ne permet d'affirmer qu'il en est de même dans l'océan glacial de l'espace. Des PAH jusqu'à 12 milliards d'années-lumière Selon les chimistes, la nébuleuse d'Orion pourrait contenir des composants aromatiques forts proches des résidus de combustion des hydrocarbures[17]. Puisque ces régions sont intensément irradiées par le rayonnement ultraviolet des étoiles proches, cette énergie brise les liaisons des petites molécules aromatiques. En revanche, les grosses molécules polycycliques compactes pourraient survivre. Les chimistes ont démontré que les régions HII pouvaient contenir des "circumanthracène" et des "dodécabenzocoronène", c'est-à-dire des enchaînements aromatiques stables agencés en nids d’abeilles ayant jusqu'à 19 cycles de carbone (liaisons C-C ou C=C, tel le coronène illustré ci-dessous).
Tous les chimistes qui ont étudié ce sujet confirment que les hydrocarbones polycycliques (qu'ils soient ou non aromatiques comme les PAH), ont une énergie de résonance[18] très élevée dans les états excités qui favorise leur stabilité dans un environnement hostile. Les PAH sont par ailleurs beaucoup plus réactifs que les benzènes ordinaires. Pour rappel, les PAH sont des composés hydrocarbonés polycycliques et aromatiques ("aromatique" car ces molécules produisent une odeur généralement douce). Comme illustré ci-dessous, ils sont constitués d'un anneau comportant habituellement 6 atomes de carbone formant un hexagone. Le plus simple est le benzène, le solvant bien connu. Les composés aromatiques obéissent à la règle de Hückel (un hydrocarbure est aromatique s'il est plan et s'il possède 4n + 2 électrons délocalisables dans un système cyclique). Ni le benzène ni le coronène ne comportent d'azote dans leur cycle. Ils peuvent cependant réagir avec d'autres molécules pour former des nitriles. Bien que les radioastronomes n'aient pas encore découvert de composants aromatiques tel le benzène dans les bras de la Voie Lactée, grâce à leurs émissions infrarouges (3.3, 6.2, 7.7, 8.6, 11.3 and 12.7 μm), des grains de poussière formés de PAH ayant jusqu'à 100 atomes ont été détectés dans la Voie Lactée et dans d'autre galaxies dont M83 et NGC 2403, jusqu'à des distances supérieures à ~12 milliards d'annbées-lumière (cf. A.G. Jones et al., 2015; A.Li, 2020), ce qui est de bonne augure dans notre quête des signes précuseurs de la vie ailleurs dans l'Univers. En effet, après plus d'un siècle de calculs théoriques, pour la première fois les observations confirment les prédictions des chercheurs. Dernière partie Du méthoxyméthane autour de l'étoile IRS 48
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