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Une théorie alternative à la physique des particules L'ordre implicite de David Bohm Ancien professeur du Birkbeck College de l'Université de Londres, David Bohm fut l'un des plus éminents physiciens théoriciens de notre temps et comptait à son actif plusieurs lois, dont la "diffusion Bohm" (plasma) et l'effet "Bohm-Ahranov"[1] (EDQ). Bien qu'il ait travaillé sur la physique quantique et relativiste, s'intéressant de près aux propriétés de la matière, il s'est surtout passionné par les implications philosophiques de ces théories. Son oeuvre suscite un grand intérêt, tant par les solutions qu'il proposa à propos du statut de la réalité que par les polémiques qu'il souleva dans son non-conformisme à vouloir redéfinir notre façon de penser. Physicien et philosophe, David Bohm avait trouvé le point d'articulation d'une nouvelle compréhension de l'univers : le holomouvement ou ordre implicite, une théorie alternative à celle des particules élémentaires que nous venons d’étudier. Il nous quitta en 1992. Auteur d'une bonne dizaine d'ouvrages de vulgarisation, David Bohm parle de "plénitude" de l'univers comme s'il s'agissait d'une oeuvre traitant de la totalité des choses. Ce terme a quasiment une inspiration métaphysique car son idée est incommensurable. Pourtant, après réflexions, sa théorie semble pouvoir modéliser l'univers, mais elle reste controversée. Sa conception du Monde, "en harmonie à l'intérieur de l'individu ainsi qu'à l'intérieur de la société comme tout" est très avant-gardiste et choc l'esprit mécaniste des chercheurs occidentaux. Ses positions non-conformistes ont été critiquées dans maints ouvrages. Son point de vue est intéressant car il permet de s'extraire du paradigme actuel qui domine la Science. Peut-être ses idées sont-elles en train de donner naissance à une nouvelle vision du Monde. Peut-être ne sont-elles que des élucubrations, mais dans ce cas il faudra que les physiciens parviennent un jour à unir toutes les interactions de la nature dans une seule théorie, formule universelle qui devrait également éluder tous les paradoxes de la physique dont le problème de la dualité de la lumière. A consulter : La philosophie des sciences Pour Bohm la Science a perdu sa créativité[3] dans la mesure où les chercheurs sont réticents à franchir les limites de leur ordinaire. Bohm est l'inventeur de la théorie de l'"ordre implicite" (invelopped order, hidden order)[4]. Cette hypothèse originale lui offre l'occasion de libérer Einstein et Bohr de leur inévitable confrontation. Mathématiquement exprimé, son concept impose que les particules sont entièrement déterminées à chaque instant par une description d'un ordre supérieur, bref des variables cachées. Cela permet d'apprécier à tout moment l'état du phénomène, la position et l'énergie des particules, levant toute ambiguïté sur d'éventuelles propriétés dualistes du rayonnement. Sans ultimatum, Bohm rejette les mots comme "particule" et "système" qui ne font qu'accentuer cette fragmentation et isole les théories les unes des autres. Bohm choisit trois analogies précises pour expliquer sa philosophie, des exemples qui sont seulement des analogies fait-il remarquer, leur correspondance avec l'ordre implicite étant limitée : - L'hologramme, pour expliquer que toute théorie fondamentale est sans signification car on ne peut jamais complètement réduire les phénomènes, tout point de l'image reflétant toute la réalité, - La goutte insoluble d'encre diluée dans la glycérine, pour prouver que la non-séparabilité ou la notion d'ordre implicite est continue, - Le poisson d'aquarium filmé sous deux angles différents, pour démontrer que les particules sont les projections d'une réalité multidimensionnelle.
Bohm et ses collègues s'attaquent à tous
les paradoxes, qu'ils surviennent en relativité, en physique quantique,
en cosmologie ou qu'ils débattent de l'évolution, du langage ou de la
conscience. Pour chaque phénomène l'ordre implicite apporte une réponse,
ce qui est déjà un succès en soi. Prenons quelques exemples. L'ordre de nature supérieure "Le holomouvement [l'ordre implicite] dit Bohm,
indéfinissable et inmesurable implique que cela n'a pas de sens de parler
d'une théorie fondamentale sur laquelle tout ce qui appartient à la
physique pourrait trouver une base permanente, à laquelle tous les phénomènes
de la physique pourraient être définitivement réduits"[5]. A partir de ces trois analogies mécanistes, Bohm démontre que la perception immédiate d'un phénomène n'est qu'une approximation. Dans le cadre d'une description totale de la réalité, pour donner un sens à l'ordre implicite "nous devons dit-il, manifester conceptuellement certains ordres de mouvements plus vastes ". Tout est dans tout dit Bohm, la masse, l'énergie contiennent des informations sur l'univers tout entier (on retrouve le principe de Mach et le positivisme du Cercle de Vienne). Quand un son ou une lumière parvient jusqu'à nous, que la conscience les reconnaît, nos organes sensoriels sont confrontés à tout l'Univers. Nous devenons le sujet de notre étude, l'observateur s'observe. Pour Bohm, l'observateur et son objet d'étude
sont les perceptions explicites d'un ordre implicite, "une
subtotalité relativement autonome", comme le courant du Gulf
Stream fait partie de l'océan. Cette théorie conduit au solipsisme,
cette philosophie selon laquelle le Monde est dans l'esprit de celui qui
l'observe. Y aurait-il une relation particulière entre le sujet et
l'objet de son étude, le moi et autrui cher à Hegel ? L'ordre implicite se retrouverait dans les
structures éloignées de l'équilibre, les structures dissipatives de
Prigogine. En abordant la thermodynamique, Bohm considère que le chaos et
la turbulence ont également une structure fractale. Comme Mandelbrot l'a
démontré, la complexité se ramène à utiliser de simples règles. Le
complexe et le simple sont infiniment entremêlés. Leurs interférences
créent la réalité, comme l'hologramme dans lequel le plus petit éclat
contient toute l'image. Dans un phénomène dissipatif, les zones en régimes
plus stables contiennent des bifurcations qui sont autant d'instabilités
chaotiques. Ce phénomène de bifurcations est récurrent et prend la
forme d'une arborescence sans cesse renouvelée. A consulter :
La théorie du chaos Bohm prend d'autres exemples pour asseoir sa théorie. Le phénomène de Big Bang par exemple. Bohm nous rappelle que dès l'Antiquité, l'école de Parménide et de Zénon considéraient déjà l'espace comme un plénum, un espace plein plutôt que vide, point de vue que contestera Démocrite[6]. Selon Bohm, au "point zéro" d'énergie d'une théorie quantifiée de la gravitation (Bohm applique en fait la théorie des quanta à la relativité générale), un centimètre cube d'univers contiendrait autant d'énergie que toute celle contenue dans la matière de l'univers connu. C'est l'émergence d'une petite "ride" à la surface de cette mer d'énergie qui aurait provoqué le phénomène de Big Bang. Bohm
inventa en 1957 le concept de "potentiel quantique" que l'on
peut rapprocher de celui "d'énergie du vide" qui permet
aujourd'hui - tiens, tiens ! - aux cosmologistes d'imaginer des théories
de symétries locales ou globales qui expliqueraient les mécanismes de
formation de l'univers à partir de fluctuations quantiques, thème sur
lequel nous reviendrons largement. Bohm prend d'autres analogies. Il cite
l'exemple du soliton, également appelé "l'équation KdV". Il
s'agit d'une onde solitaire qui, telle une ride à la surface de l'eau, peut
voyager longtemps avant de se dégrader.
Ce mascaret qui se forme
notamment sur la Gironde en France (qu'on appelle bore
sur la Severn en Angleterre, pororoca
sur les affluents de l'Amazone au Brésil ou le Dragon Noir ou Argenté
sur la Qiantang en Chine) se forme tant dans les cours d'eau à haut
débit qu'en plein océan lorsque
le rapport de la longueur d'onde sur la profondeur d'eau est approprié.
C'est un effet qui se manifeste surtout durant les grandes marées. Nous pouvons également citer l'exemple des raz-de-marée ou des
tsunamis.
La description de ce type de phénomène est complexe car l'évolution
d'ondes sinusoïdales de fréquences différentes crée des harmoniques,
dont la crête résultante est complexe mathématiquement parlant. Mais
celle-ci est temporaire car les perturbations du courant et d'autres
facteurs finissent par la briser. Il doit donc exister une rétroaction
sur les ondes sinusoïdales successives. Il s'agit de phénomènes non linéaires,
où, passé un seuil critique les ondes sont en interactions les unes avec
les autres. Pour expliquer la dualité onde-corpuscule ou le paradoxe EPR, Bohm considère ces descriptions non pas comme des paradoxes mais comme l'émergence d'une plénitude indivise. Cette nécessité globale, qu'il appelle "holonomie" représente l'ordre caché. Voici un exemple. Si deux images d'un poisson prises sous deux angles différents semblent représenter deux poissons différents, il existe néanmoins entre les deux images certaines corrélations. Quand l'un des poissons vire à gauche, l'autre vire à droite. Un observateur subtil découvrirait bientôt une réalité implicite : les deux images reproduisent un objet tridimensionnel. Cet ordre implicite permet également à
Bohm d'expliquer le hasard et la nécessité de la vie. Ce qui semble aléatoire
à notre niveau de perception est une réalité ordonnée à un niveau supérieur.
Le hasard dit-il, comme le mouvement brownien cache un ordre de degrés
illimité, fortuit, que la mécanique classique considère comme non déterminé
par les conditions initiales. Si l'homme de la rue s'accommode de cette définition,
Bohm considère qu'elle tend vers la même ambiguïté que la théorie
quantique, pour renouveler sa proposition : nous devons "développer
une nouvelle théorie qui impliquerait un nouvel ordre et une nouvelle
mesure [..] cela nous mènerait à de nouvelles structures".
Cette conception va très loin. Il imagine ainsi que le fait qu'une plante
s'acclimate dans un nouveau site crée un ensemble d'états particuliers
qui renforcent cette espèce, facilitant l'émergence des nouveaux germes.
Ce renforcement implicite expliquerait non seulement la prolifération des
espèces mais également les dons de certains d'entre nous pour la
musique, les mathématiques ou la peinture. Bohm propose aux botanistes,
aux biologistes et aux psychologues de confirmer son hypothèse. Mais
d'ores et déjà ses détracteurs lui rétorquent que les mathématiques
ont beau exister depuis 2500 ans, elles n'en restent pas moins aride pour
chacun d'entre nous ! La théorie de Bohm relevant plus de la "métaphysique" que des sciences exactes pour le moment, il envisage également un ordre implicite de la conscience qui serait celui de l'humanité. Plusieurs philosophes et quelques physiciens ont déjà écrit avant lui qu'il existait une conscience globale de l'humanité. Bohm n'est pas franchement un idéaliste mais peut-être faut-il le considérer comme un surréaliste. Il rétorque à qui veut l'entendre que le corps et l'esprit ne sont pas deux choses distinctes, ni la même chose. Il s'agit plutôt des deux formes d'une même chose : l'enfouissement d'une réalité d'ordre supérieur. L'âme de l'homme serait-elle hors de l'espace-temps ?
L'implicite poursuit Bohm, s'exprime dans toute réflexion intuitive, qui
à l'instar du rayon laser de l'hologramme éclaire sous forme explicite
les interférences de l'ordre implicite. Peut-être cet ordre implicite
explique-t-il la prémonition de certaines personnes. S'il existe une
conscience de niveau supérieur il y a peut-être un lien entre cet ordre
implicite et notre "sixième sens". Enfin, Bohm s'attaque au statut de la réalité.
Admettons dit-il que la réalité soit non-linéaire. Cette impression
s'explique parce que les ensembles de l'ordre implicite se "désenfouissent"
à Mais tout ce verbalisme ne rapproche
pas Bohm de la réalité scientifique. Il faut des preuves, et non
seulement démontrer La suite de cette passionnante aventure est décrite dans mon livre :
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