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La science du chaos

Simulation du disque d'accrétion formé par le vent stellaire d'une étoile Wolf-Rayet soufflant autour de son compagnon.

Une dynamique non linéaire (I)

Le monde de la dynamique non linéaire, ce monde en proie au chaos diront les mauvaises langues, est largement méconnu du public. Pourtant nous en voyons les effets tous les jours dans les mouvements turbulents ou les structures fractales.

Cette "Terra incognita" pour les uns a été explorée par des chercheurs téméraires qui en sont revenus fascinés et riches d'étonnantes découvertes. En leur compagnie nous allons explorer ce monde étrange et ses phénomènes qui jadis relevaient de l'incertitude et du désordre et tenter de déterminer les lois qui les gouvernent.

Que sont devenus nos certitudes du temps jadis ? Si Newton ou Laplace existait encore, à l’instar d’Einstein il aurait assisté impuissant à l’écroulement de pans entiers du plus formidable édifice érigé à la gloire du déterminisme. Voyez plutôt.

Le début du XXe siècle vit la théorie de la relativité d’Einstein faire table rase des notions qui nous paraissaient le plus aller de soi; ni l’espace ni le temps n’étaient absolus. Une génération plus tard, la physique quantique balaya l’idée que l’on pouvait tout mesurer avec certitude. Simultanément les logiciens démontrèrent l’incomplétude des énoncés mathématiques et les limites du pouvoir de la logique. Enfin, le déterminisme que nos célèbres hommes de sciences revendiquait présentait tous les symptômes du désordre et du chaos. Allions nous pouvoir vivre dans un tel monde si incertain et si subtil ?

Force est de constater que la réponse est on ne peut plus affirmative. Nous vivons dans un monde plein d’incertitudes peut-être, faillibiliste diront certains, mais à toutes les échelles le chaos lui a donné cette harmonie qui permet aujourd’hui à des chercheurs de disciplines aussi diverses que l’astronomie, la biologie ou l’informatique de se rencontrer par delà les spécificités de leur spécialité.

Pour autant la science du chaos reste une dynamique non linéaire complexe à cerner. Elle ne connaîtra son véritable essor que dans les années d’après guerre, suite à l’invention des ordinateurs capables de calculer en une fraction de secondes ce qu’une cohorte de mathématiciens exécutaient durant des journées entières.

Toute cette aventure débuta par la simple observation des phénomènes naturels. Observer un fleuve majestueux qui s’écoule à travers les méandres d’un lit sinueux. Ici, au détour d’un méandre la surface de l’eau est calme, le mouvement est à peine perceptible. Un peu plus loin le flot franchit quelques écueils et plonge dans une cascade en créant des tourbillons voluptueux en soulevant des embruns. L’écoulement est devenu irrégulier et très instable; il est chaotique. Les notions d'ordre et de désordre englobent des concepts très complexes et ambigus.

Le démiurge façonnant le monde. Peinture réalisée par Jonathon E. Bowser.

Pour le scientifique, le désordre signifie que les lois sont violées, que l'Ordre n'est plus absolu. En fait le monde devient dynamique, affecté d'une direction temporelle et en devenir permanent, turbulent.

Dans l'Antiquité grecque, philosophes et mathématiciens imaginaient que les étoiles étaient fixées sur la voûte céleste. Devant celles-ci des astres "errants" accomplissaient des révolutions périodiques d'un mouvement régulier. Cette harmonie qu'ils retrouvaient dans la nature donna naissance au mot "Cosmos". Frappé par la régularité des mouvements des astres, les Grecs furent rapidement confrontés aux questions de l'existence.

L'harmonie de la Nature semblait être la preuve d'une influence divine, dans laquelle on ne retrouvait pas la trace d'une participation humaine. Mais grâce au regard des philosophes, une représentation intelligible du monde se dessina.

Pour expliquer le réalisme de la nature, Platon posa l'existence d'un Etre divin, le démiurge qui, à partir du Khaos construisit le monde harmonieux et ordonné qui nous entoure. Le chaos, défini aujourd'hui comme "l'état de confusion, de grand désordre" (Larousse) représentait le vide primordial, en dehors duquel rien n'existait. Platon rejoint ici la philosophie Taoïste. Il est remarquable que son concept ait perduré jusqu'à aujourd'hui. Bien que l'astronomie semble, a priori, être l'une des rares sciences qui obéisse à des lois parfaitement intelligibles, le dieu Khaos est omniprésent. La nature cache un comportement très étrange, se caractérisant parfois par une auto-organisation ou le chaos, deux aspects de la dynamique que nous allons aborder.

En laissant tomber une bille du haut d'un cône, il est très difficile de savoir de quel côté elle glissera. Seule une analyse de probabilité pourra nous aider. Etant donné qu'il est déjà impossible de déterminer l'évolution d'un système n'ayant qu'une seule composante, comment peut-on imaginer maîtriser des phénomènes plus complexes ?

Les chercheurs nous disent qu'il existe encore des phénomènes où le degré de liberté est mal défini : en numérologie, en biologie, en astrophysique, en physique des particules, en thermodynamique. On peut toujours tenter de réduire les degrés de liberté des systèmes les plus complexes, mais le chaos restera sous-jacent. Nous verrons dans ce dossier plusieurs exemples.

L'algorithme de Mandelbrot

En étudiant les attracteurs, Giuseppe Peano démontra en 1890 que la courbe de remplissage du plan prenait une pente non définissable. Une droite parvenait à occuper un espace bidimensionnel !

Répartis dans un espace bi ou tridimensionnel, les attracteurs chaotiques contiennent un ordre caché : la trajectoire calculée se replie sur elle-même et se répète à l'infini. Quel que soit le grossissement, on retrouve une homothétie interne, un même aspect géométrique. Dans ces conditions, les mathématiciens peuvent décrire l'infini comme un attracteur.

Ces objets sont appelés des "fractals"[1], terme choisi en 1975 par le mathématicien Benoît Mandelbrot du Centre de Recherche J.Watson d'IBM, pour rappeler la structure irrégulière des objets dont ce terme tire son origine.

La formule qui généralise tous les cas de figures est appelée l'algorithme logistique de Mandelbrot. Il est du genre :

x → x2 + c

Il est très facile d'écrire un programme informatique qui tracera l'image de cet algorithme sur un écran. On constate alors que pour certaines valeurs de "c" les résultats convergent puis soudainement le système a un comportement très étrange. La trajectoire déterministe bifurque. Le système ne peut plus prendre une valeur inférieure, les nombres deviennent de plus en plus grands et tendent vers l'infini.

Dessins réalisés sur ordinateur. A gauche, la figure créée par l'algoritme logistique décrit ci-dessus. Noter la bifurcation soudaine et sa répétition périodique. Elle obéit en fait à une loi fractale comme toutes les autres illustrations de cette page. Tous ces dessins dont la géométrie se répète à l'infini s'expliquent par la récurrence d'une ou plusieurs variables à différentes échelles. Par la répétition de leurs motifs et leur complexité ces dessins se prêtent admirablement bien à des simulations informatiques.

Si la formule est réitérée à partir d'un point de référence (c est situé dans le plan), le système est récurrent et boucle sur lui-même. En fonction du nombre d'itérations de la formule (100 à 100000), le facteur de zoom sera plus ou moins élevé.

Ainsi, partant d'une figure de Barnsley de base dessinée avec Ultra Fractal, un grossissement de 8x ou de 20x sur la boucle qui apparaît dans la partie supérieure gauche permet de distinguer la forme fractale. Avec 250 itérations l'agrandissement maximum est limité à environ 400 milliards de fois (4x1011) où la structure élémentaire est apparente. Avec 100000 itérations même au grossissement astronomique de mille milliards de milliards de fois (1021) on n'en voit pas encore la fin... Un passionnant voyage dans l'invariance d'échelle.

Cette "invariance d'échelle" se retrouve dans les images fractales bien connues comme la "courbe de von Koch", "l'ensemble de Mandelbrot", "l'attracteur étrange de Lorenz" ou les paysages réalisés en images de synthèse. Poincaré appela ces figures fantasmagoriques la "galerie des monstres".

Le logiciel Ultra Fractal vous permet d'explorer la géométrie de Mandelbrot. La licence pour Windows coûte $59. Il existe beaucoup d'autres logiciels gratuits dont Fractal Explorer.

Dans la nature, la dimension fractale se retrouve dans les trous du fromage Emmenthal, l'écume des vagues ou les dendrites des cristaux[2].

Ce phénomène répétitif trouve des débouchés très sérieux. Pour peu qu'il s'attache à une loi, l'étude du chaos peut modéliser la dynamique d'une grande diversité de systèmes, qu'il s'agisse de l'évolution d'une population animale, la croissance des arbres, le mouvement brownien ou la trajectoire d'un électron. Il permet de modéliser des structures complexes comme les flocons de neige, la côte d'une île, la distribution des cratères sur la Lune ou la circulation atmosphérique. Rappelons également que Mandelbrot a démontré que la distribution des galaxies dans l'Univers pouvait obéir aux lois fractales.

A consulter : La galerie des fractals de Tiedyeman

Objets fractals artificiels et naturels

Ces quelques illustrations nous montrent combien les fractals peuvent également être la source d'une grande richesse créatrice. Ci-dessus, trois images artificielles parfois plus vraies que de nature. Ci-dessous, la structure fractale de quelques objets naturels : la structure cellulaire du concombre, une variété de chou-fleur, des cristaux de carbonate de calcium et un cristal de neige. On peut également citer les cours d'eau, le corail, le réseau sanguin ou les éclairs. Documents Eclectasy, Cognitive Distorsion, Yale/classes, Natan Dror-Bar, U.Jussieu.

Prochain chapitre

Chaos et probabilité

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[1] Le mot "fractal" vient du mot latin fractus qui signifie irrégulier ou brisé. Lire Benoît Mandelbrot, "Les objets fractals", Flammarion, 1973/1984.

[2] Vous trouverez de merveilleuses images fractales dans l'ouvrage "Fractals", G.Briggs, Touchstone-Simon & Schuster, 1991.


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