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Ciel bleu et rayon vert Le rayon vert (III) Beaucoup de récits relatent l'observation d'un rayon vert ou bleuté émis par le Soleil au moment du coucher, surtout de la part d'observateurs revenant de voyages en mer. Pour l'homme de la rue le rayon vert est tout simplement un mythe, pour d'autres c'est un phénomène inexpliqué et même pour certains astronomes amateur il s'agit d'un phénomène tout à fait banal... Tout cela est faux ! Malgré la couverture quelque peu mythique qui enveloppe le "rayon vert" je dois malheureusement décevoir certaines personnes car de mythe ou de phénomène inexpliqué il n'en est point. Le rayon vert est un phénomène atmosphérique qui se manifeste au coucher ou au lever du Soleil et non pas comme on le lit encore quelquefois uniquement après le coucher du Soleil. Et de fait lorsqu'il est près de l'horizon on peut observer une discrète lueur verte à son sommet ou un dernier flash vert avant qu'il ne disparaisse.
Rayon vert et faisceau "laser" vert En anglais le terme "rayon vert" est traduit par plusieurs substantifs "green flash", "green ray" ou "green beam". Mais le mot anglais "flash" est également synonyme en français de lampe torche, d'éclair, de lumière clignotante ou de phare d'où une certaine ambiguïté quand il faut décrire avec précision un phénomène optique. Etant donné l'usage du seul terme "rayon vert" en français, il est difficile de le remplacer par un autre mot plus approprié, fonction la durée ou de l'étendue du phénomène (lumière, flash, etc). Aussi dans cet article nous conserverons la dénomination francophone habituelle. Signalons également que les scientifiques font une distinction entre le rayon vert (green flash) et un faisceau vert étroit (green ray). Nous verrons plus loin (cf. l'observation de Pieter Feenstra Kuiper en 1926) que si le premier a généralement l'aspect d'une petite surface ovale déformée au sommet du Soleil et a souvent été photographié, le faisceau vert ressemble à un rayon laser un peu évasé projeté verticalement au-dessus du Soleil dans la seconde qui suit le coucher du Soleil. Il a rarement été photographié. Cela signifie aussi qu'il faut être précis quand on décrit l'aspect d'un "rayon vert"; une surface verte déformée n'est pas un rayon vert même si les deux phénomènes peuvent être traduits par le même terme. Et naturellement un faisceau laser au sens propre n'est pas le genre de "rayon" que peut émettre le Soleil. Il faut donc être prudent quand on adresse une notification à un scientifique pour analyse en prenant soin de mentionner autant de détails que possible, et notamment le lieu exact, son altitude, les dimensions et la durée du phénomène, la présence ou l'absence du Soleil, de flash ou de rayon vert ainsi que les conditions météos. L'histoire au service de la science Les plus anciennes traces historiques de ce phénomène, hormis les effets optiques liés à la réfraction atmosphérique, remontent à l'observation de Sir George Back relatée dans son récit de voyage en Arctique "Narrative of an expedition in H. M. S. Terror, undertaken with a view to geographical discovery on the Arctic shores, in the years 1836-7". Le 17 janvier 1827, il notait dans son journal "Dans la matinée cependant, à 9h45, pendant que nous étions montés sur un promontoire élevé de 15 pieds, j'observais le limbe supérieur du Soleil alors qu'il remplissait une crevasse située sur la crête du cap de la plus brillante couleur émeraude, un phénomène dont je n'avais jamais été témoin dans ces régions." (p191, trad. libre).
Quelques années plus tard, en 1869, James Prescott Joule relata l'observation suivante dans une lettre adressée à la Société Littéraire et Philosophique de Manchester. Il nota tout d'abord "A l'instant de la disparition du Soleil sous l'horizon, [on aperçut] un dernier éclat de couleur vert-bleuté". Comme en témoigne les simulations reprises ci-dessus ce rayon vert est associé au mirage inférieur, ce phénomène de réfraction familier que tout le monde a observé soit sur une route surchauffée par le Soleil soit dans le désert. Ce phénomène optique est provoqué non pas par une inversion thermique mais par le phénomène inverse, un gradient ou lapse rate superadiabatique (la courbe d'état de la couche d'air est inclinée vers la gauche des adiabatiques sèches), elles sont donc en instabilité absolue au-dessus d'un sol surchauffé. Ce phénomène apparaît d'autant mieux lorsque l'observateur se place quelques mètres au-dessus du niveau de la mer et il sera d'une couleur plus saturée encore et plus dense si l'observateur se place à quelques centaines de mètres de hauteur où le rayon se réduira à un fine trait vert sur l'horizon. Pour rappel, le gradient superadiabatique dont on parle est le "négatif" de ce que les physiciens nomment le gradient thermique. Une forte convection associée à un gradient ou une différence de valeur importante entre deux couches, est à l'origine du mirage inférieur tandis qu'une inversion thermique, avec un gradient négatif, produit des faux mirages ainsi des guides d'ondes ou ducting.
Le physicien anglais James P. Joule (1818-1889) observa également que "juste à la limite supérieure, là où les bandes du disque solaire sont séparées les unes des autres par la réfraction, chaque bande pris une couleur bleue juste avant de disparaître". Cette seconde forme de rayon vert est associée à des faux mirages (mock mirage en anglais) provoqués cette fois par une inversion thermique dans les basses couches, sous le niveau des yeux. C'est la raison pour laquelle le rayon vert associé à un faux mirage apparaît surtout depuis des sites élevés - en tout cas depuis un endroit où l'observateur est au-dessus de l'inversion - comme par exemple depuis l'Observatoire du Mont Wilson en Californie situé à 1740 m d'altitude et faisant face au bassin de Los Angeles, depuis l'Observatoire de l'ESO à Cerro Paranal (VLT) au Chili qui est situé à 2700 m d'altitude et à une centaine de kilomètres du Pacifique, depuis le Pic-du-Midi situé à 2877 m d'altitude ou encore depuis le sommet de l'Observatoire de Mauna Kea à Hawaii situé à 4707 m d'altitude. Mais nous verrons qu'il ne faut pas nécessairement escalader des montagnes et des sommets pour observer ce phénomène car avec un peu (et beaucoup) de chance vous pouvez l'observer en bordure de mer et notamment depuis les falaises de Dieppe en Normandie (mais aussi en pleine mer bien que cela soit très rare) où plusieurs notifications de rayons verts ont été enregistrées. Enfin, à la fin du XIXe siècle il faut rappeler que c'est Jules Verne dans son livre "Le rayon vert" (1882) qui attira l'attention des scientifiques français sur le sujet et qui rendit possible une discussion cohérente sur ce qui semblait encore être à cette époque l'un des derniers mythes populaires, à l'image des pierres qui tombait du ciel... Jules Verne décrit sa vision poétique du rayon vert : "Bientôt, le soleil disparut à demi derrière la ligne horizontale. Quelques jets lumineux, lancés comme des flèches d’or, vinrent frapper les premières roches de Staffa. En arrière, les falaises de Mull et la cime du Ben More s’empourprèrent d’une touche de feu. Enfin, il n’y eut plus qu’un mince segment de l’arc supérieur à l’affleurement de la mer. Le Rayon-Vert ! le Rayon-Vert ! » s’écrièrent d’une commune voix les frères Melvill, Bess et Parlridge, dont les regards, pendant un quart de seconde, s’étaient imprégnés de cette incomparable teinte de jade liquide. Seuls, Olivier et Helena n’avaient rien vu du phénomène, qui venait enfin d’apparaître après tant d’infructueuses observations ! Au moment où le soleil dardait son dernier rayon à travers l’espace, leurs regards se croisaient, ils s’oubliaient tous deux dans la même contemplation !… M ais Helena avait vu le rayon noir que lançaient les yeux du jeune homme ; Olivier, le rayon bleu échappé des yeux de la jeune fille !" Je me rappelle personnellement que dans les années 1970, j'entendais encore autour de moi des personnes dire que le rayon vert était un mythe. Les clichés et les rumeurs sont tenaces. Qu'est-ce que le rayon vert ? Le rayon vert peut apparaître sous six ou sept formes différentes dont deux sont relativement communes. Soit le rayon vert est visible quelques secondes avant ou après le coucher du Soleil soit il peut apparaître alors que le disque du Soleil est encore bien visible au-dessus de l'horizon comme en témoigne les images présentées dans cet article. Dans sa deuxième forme nous parlons bien de rayon vert car le disque solaire garde sa couleur ordinaire mais il peut être surmonté d'une tache verte ou légèrement cerclé d'un fin arc de cercle verdâtre. L'astronome américain Andrew T.Young de l'Université d'Etat de San Diego a réalisé une étude approfondie sur le sujet et est la personne la plus qualifiée pour nous l'expliquer. Il nous rappelle que la plupart des observations (2/3-3/4) concernent le rayon vert associé au mirage inférieur, c'est-à-dire associé à une inversion themique. Les autres observations concernent les flashes associés aux faux mirages, c'est-à-dire associés à un gradient superadiabatique. Les phénomènes restants comme le flash du sommet des nuages et le flash d'Alister Fraser sont mal connus et rares. Ils représentent moins de 1 % de toutes les observations.
L'effet de la réfraction Physiquement parlant le rayon vert s'explique par la combinaison de l'effet de la réfraction atmosphérique et d'une importante variation de température entre l'air et le sol. En fait les différentes couches de l'atmosphère terrestre jouent le rôle de prismes en décomposant la lumière du Soleil. En entrant dans l'atmosphère les rayons du Soleil sont réfractés en raison du freinage de la lumière qui pénètre dans un milieu de densité plus élevée. Elle subit une déviation car il existe une dépendance de l'indice de réfraction vis-à-vis de la longueur d'onde. C'est le même phénomène qui explique la réfraction d'un objet plongé à mi-longueur dans un liquide ou le phénomène de l'arc-en-ciel. Sachant que l'essentiel de l'atmosphère se concentre dans les premiers 5500 m au-dessus du sol, lorsque la lumière solaire vient de l'horizon elle doit traverser un volume d'air près de dix fois plus épais que la couche d'air que nous avons au-dessus de la tête. L'effet de la réfraction n'étant pas linéaire et il devient plus apparent à mesure que le Soleil descend sur l'horizon où il atteint son effet maximum lorsque les rayons solaires arrivent horizontalement.
Dans l'atmosphère terrestre la réfraction de la lumière ne représente qu'une faible déviation (1' à 45° du zénith) mais le phénomène est fortement amplifié lorsque la lumière traverse les basses couches de l'atmosphère où la déviation est décuplée sur l'horizon (33', soit un peu plus que le diamètre du Soleil). On compare parfois ce phénomène à l'effet grossissant produit par une lentille cylindrique horizontale; les couches laminaires d'une atmosphère calme fait alors office de loupe. Sur la réfraction se greffe ensuite le phénomène de la diffusion de la lumière. Les longueurs d'ondes les plus courtes subissent une réfraction très importante qui provoque une décomposition de la lumière blanche dans ses différentes couleurs primaires. Les rayons bleus sont fortement réfractés et sont diffusés par les molécules d'air tandis que les rayons verts et rouges le sont beaucoup moins, c'est la diffusion de Rayleigh. Près de l'horizon la combinaison plus ou moins équilibrée des couleurs vertes et rouges donnent au ciel de l'observateur une tonalité orange voire rosée lorsqu'un peu de bleu subsiste. C'est dame Nature qui nous offre une synthèse additive des couleurs que tous les photographes connaissent bien. Plus le Soleil est bas sur l'horizon plus la lumière parcourt une longue distance dans l'atmosphère et plus elle est diffusée, ne laissant parfois parvenir à l'observateur que les rayons rouges, donnant au ciel des couleurs enflammées comme en témoigne la galerie d'images des couchers de Soleil. Ceci est le cas d'école car en réalité comme nous l'avons expliqué des effets de mirage se greffent souvent sur ce phénomène et modifient l'aspect apparent du disque du Soleil et l'endroit où se manifeste le rayon vert. En de très rares circonstances et malgré la diffusion de la lumière bleue un rayon bleu peut apparaître comme en témoigne la simulation présentée ci-dessous. A lire : De Groene Straal, Pieter Feenstra Kuiper, 1926 (édition C.de Boer Jr., Helder, avec les planches couleurs)
En pratique, en présence de mirage au coucher du Soleil les longueurs d'onde les plus courtes (bleues et vertes) s'élèvent plus haut que les longueurs d'ondes plus longues (rouge) suite à la réfraction atmosphérique dans les basses couches. Dans ces conditions les rayons rouges peu réfractés peuvent se coucher et disparaître prématurément avant les rayons bleus et verts qui peuvent subsister alors que le Soleil est déjà sous l'horizon depuis quelques secondes. Si le limbe du Soleil est encore visible, sa partie supérieure ou l'appendice qui s'en est détachée par l'effet d'un mirage prend alors une couleur verte ou bleutée. Dans d'autres circonstances si la couleur rouge de l'atmosphère est accentuée le flash bleuté peut disparaître. Il ne reste alors que le rayon vert. Prochain chapitre Les conditions d'apparition du rayon vert
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