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La cosmologie cyclique conforme de Roger Penrose

Simulation des échos de deux ondes gravitationnelles émise lors de la fusion de trous noirs hypermassifs dans l'univers antérieur imprimés dans le fond diffus cosmologique à 2.7 K. Ce signal atteindrait au moins 15 μK. A ce jour, ce type d'anomalie n'a pas été détecté par WMAP et Planck. Document R.Penrose et al. (2010).

Un Univers a-t-il existé avant le Big Bang ?

Les scientifiques ont-ils trouvé des preuves d'un autre Univers ? En 2006, le physicien théoricien et mathématicien Roger Penrose de l'Université d'Oxford publia un bref article dans lequel il prétendait qu'il existe dans l'Univers le reliquat d'un ancien Univers existant avant le Big Bang. Il se basa sur la théorie appelée la cosmologie cyclique conforme ou CCC qu'il développa d'un point de vue théorique sur les plans thermodynamique (le problème de l'entropie) et géométrique.

Penrose remis cette théorie à jour en 2010 à partir des données de la mission WMAP puis en 2015 dans un article consacré au paradoxe de Fermi écrit en collaboration avec Vahe G. Gurzadyan, expert en physique mathématique à l'Institut de physique d'Erevan en Arménie. Entre-temps, il publia un livre intitulé "Les Cycles du Temps: Une nouvelle vision de l'Univers" (2013) dans lequel il développe sa vision de la cosmologie.

Enfin, en 2018 Penrose publia une 4e révision et une nouvelle prédiction de sa théorie en collaboration avec le mathématicien Daniel An de l'Université d'État de New York et le physicien théoricien Krzysztof Meissner de l'Université de Varsovie. Dans cet article à peine plus consistant que le premier (3 pages), les auteurs prétendent que le rayonnement cosmologique micro-onde à 2.7 K ou CMB contiendrait la trace physique du "trou noir fantôme" ("ghost black hole") représentant le rémanent de tous les trous noirs morts (comme il existe des rémanents de supernovae ou SNR) ayant fusionné et réduits à une seule singularité ultime marquant la fin d'une phase d'une version particulière de l'Univers oscillant ou cyclique qu'on peut appeler la théorie des multivers oscillants. Les chercheurs estiment que les gravitons et les photons sont produits par ce type de trous noir capable selon eux de créer les conditions d'un autre Big Bang et donc de créer un nouvel Univers (c'est le concept de "trou blanc").

Persuadés d'avoir raison, les chercheurs concluaient leur article en demandant à leurs collègues de modifier la théorie du Big Bang pour tenir compte de la théorie CCC des multivers oscillants. Mais nous allons voir que c'est un peu prématuré.

Qu'est ce que la cosmologie cyclique conforme ?

Sans entrer dans des démonstrations mathématiques, on peut imaginer ce modèle d'univers comme une extension de la géométrie courbe riemannienne dans laquelle l'univers plat et infini est représenté par la surface d'une sphère sur laquelle se déroule tous les évènements de l'espace-temps à une date donnée.

Comme les mathématiciens aiment les astuces, pour représenter l'évolution de l'univers, on peut imaginer qu'un évènement démarre au pôle Nord et s'étend vers le sud en formant un grand cercle qui s'étend dans un plan perpendiculaire à l'axe vertical de la sphère (par simplicité). A mesure que le temps s'écoule, le petit cercle grandit et progresse sur la sphère. A l'image de l'univers, si le plan est en expansion, le petit cercle va s'étendre et finira par se retrouver à l'infini. Il correspond toujours au petit cercle mais son échelle à changer de manière similaire à ce qu'on observe dans l'univers réel.

Notons également qu'on peut relier par un droite un point de la sphère situé au pôle à n'importe quel autre point de la sphère, y compris à l'infini. En revanche, si on suit la surface (géodésique) reliant ces deux points, la ligne droite sera déformée (arrondie) ainsi que la distance mais les angles seront conservés (cf. les modèles d'univers); il s'agit d'une transformation conforme. Autrement dit, comme tous les points sur la sphère sont identiques, on peut relier l'état final d'expansion infinie avec un autre état initial.

A partir de ce modèle et en tenant compte de la Relativité générale, Penrose n'utilise plus les transformations conformes de l'espace-temps comme astuce mais les considèrent comme un principe physique permettant de connecter l'état final d'expansion infinie de l'univers avec l'état initial (le Big Bang) sans la contrainte liée à une singularité initiale qui interdit ce genre de connexion, ce qui lui permet de prédire un évènement physique.

Seule contrainte, il faut que le modèle théorique décrive correctement l'état des particules élémentaires dans l'état final de l'univers et en particulier que les équations soient invariantes par des transformations conformes, ce qui signifie concrètement que ces particules n'aient pas de masse. Cela suggère déjà que dans un lointain avenir, toute la matière perdra ses propriétés et que les particules massives s'élimineront ou se neutraliseront. Dans une phase ultime à très haute température, l'influence du champs de Higgs (celui qui donne la masse aux particules) annulera ce qui reste de particules massives. A ce moment là, l'univers ne contiendra plus que des photons et des gravitons.

On peut illustrer cet univers cyclique conforme comme une succession de bons comme dans l'univers oscillant où les univers sphériques sont reliés par leur centre dans une infinité de plans, à l'image des transformations conformes (les fonctions holomorphes) en mathématiques. Chaque nouvel univers doit contenir la trace de l'univers précédent et voit également son entropie augmenter.

A voir  : Compactness and Stereographic Projection

Transformation stéréographique entre une sphère de Riemann et le plan

Before the Big Bang 7: An Eternal Cyclic Universe, CCC revisited & Twistor Theory

Les théories exotiques de Roger Penrose

Selon la théorie CCC, l'univers dans lequel nous vivons ne serait donc pas le premier à exister et le rayonnement cosmologique contiendrait la trace de ce phénomène. Selon cette théorie, les univers se développent et meurent en séquence. Les trous noirs hyperpermassifs qui annoncent la fin ultime d'un univers marquent également la naissance de l'univers suivant. Selon Penrose et ses collègues, les données récemment publiées par les missions WMAP et Planck soutiendraient cette hypothèse. Or nous verrons que cette affirmation est fausse.

L'avenir de l'univers en théorie CCC

Selon la théorie du Big Bang combinée à celle des trous noirs, dans un lointain avenir qui se chiffre en dizaines de milliards d'années voire davantage,  les trous noirs devraient progressivement perdre leur masse et s'évaporer à mesure que l'Univers se refroidit. A terme, ces trous noirs vont rétrécir. Finalement, ils atteindront une température et donc une taille où ils se désintègreront complètement dans une explosion d'énergie, laissant derrière eux une quantité énorme de particules sans masse. Sur ce point au moins Penrose et des collègues supportent les théories actuelles (ce qui n'est pas étonnant dans la mesure où Penrose étudia de près les mécanismes de rotation et d'effondrement gravitationnel des trous noirs entre 1969 et 1985 dans les pas de Hawking, Thorpe et Wheeler).

En raison d'une "bizarrerie" dans la théorie de la Relativité restreinte d'Einstein liée à la vitesse de la lumière, les particules sans masse ne sont pas soumises aux mêmes lois de la physique que les objets massifs. Cela signifie qu'elles existent dans l'univers sans produire d'interactions. Selon Daniel An, un univers rempli de gravitons ou de photons ne permettrait pas d'avoir la notion du temps ou de l’espace. Comme évoqué plus haut, selon la théorie CCC, cette particularité permet alors d'envisager une contraction de l'univers vers un état de densité infinie dans un espace-temps plat et infini. Parvenu dans cet état de désintégration et de chaos total et réduit à un seul trou noir hypermassif, l'Univers post-trou noir ressemblerait à l’état extrêmement condensé et pressurisé du Big Bang. Dans des conditions similaires, le résultat est similaire. Concrètement, une nouveau Big Bang peut alors se produire, conduisant à la formation d'un nouvel univers obéissant au modèle de multivers oscillant.

Selon Penrose, la preuve de l’existence de ce trou noir dans le rayonnement cosmologique n’est pas la singularité elle-même, mais le rayonnement qu'elle émit tout au long de son existence dans l'univers antérieur et dont l'écho s'est propagé jusqu'à l'époque actuelle dans le rayonnement à 2.7 K. Autrement dit, Penrose pense avoir trouvé des preuves de ce phénomène dans ce qu'il appelle les trous noirs ou "points de Hawking".

Dans l'article référencé (ainsi que celui de 2010), Penrose publia les résultats de l'analyse statistique de différentes régions du ciel et mis en évidence des régions où les galaxies et la lumière des étoiles ne submergent pas le rayonnement cosmologique. Ces données qui représentent l'empreinte du passé furent ensuite comparées à des régions du ciel où la distribution des fréquences micro-ondes correspond aux prédictions si des "points de Hawking" existent. Ces données furent ensuite comparées à des données d'un rayonnement cosmologique artificiel aléatoire. Cela permit d'exclure la possibilité que certains des "points de Hawking" se soient formés par hasard comme une conséquence des effets du rayonnement cosmologique. Etant donné que les signaux générés aléatoirement ne pouvaient pas imiter ces "points de Hawking", cela suggérerait fortement qu'ils provenaient effectivement d'un trou noir éteint.

Que faut-il penser de cette théorie ?

La proposition de Penrose et ses collègues a pour le moins suscité des réaction hostiles de la part de la communauté scientifique. En fait la plupart des chercheurs recusent cette théorie et ont démontré que les données prouvaient simplement que les "points de Hawking" étaient le résultat du bruit. En effet, contrairement à ce que prétendent Penrose et Gurzadyan l'analyse des données de la mission Planck n'a pas permis de trouver la signature de l'écho de ce trou noir fantôme hypothétique ou d'une signature provenant a priori des ondes gravitationnelles émises à l'infini par les dernières fusions de trous noirs hypermassifs formés dans le précédent univers. Autrement dit, les "données" ne sont pas significatives et ne prouvent certainement pas la réalité de la théorie des multivers oscillants.

Ceci dit, pour ne pas totalement décevoir nos chercheurs, on peut admettre que ces émissions existent peut être mais résident sous le seuil de détection des instruments actuels.

En fait, leur hypothèse présente une difficulté majeure : ni Penrose ni les physiciens théoriciens et les astrophysiciens ne peuvent la valider faute de preuve. Or une théorie qui n'est pas validée reste une hypothèse de travail qui en vaut une autre. Et justement, nous avons la théorie du Big Bang qui a été validée à maintes reprises et qui jusqu'à preuve du contraire fonctionne très bien. De plus, on ignore si ce "trou noir fantôme" né dans l'hypothétique univers précédent présente les mêmes caractéristiques qu'un trou noir de notre univers et en particulier s'il obéit aux mêmes lois et émet le même spectre de rayonnements. Qui pourrait prétendre connaître les lois d'un univers ayant disparu ?

Cela fait beaucoup d'inconnues. Faute d'observation et de modèles cosmologique et astrophysique complets de ces entités, rien ni personne ne peut garantir l'exactitude de la théorie de Penrose. C'est donc une théorie 100% spéculative et les scientifiques n'aiment pas trop cela, même si certains sont visiblement prêts à la supporter quelques décennies, le temps de recueillir des preuves. En effet, si les chercheurs pouvaient trouver des preuves dans l'Univers (il en faudra plus qu'une seule), la théorie CCC serait considérée comme correcte par la communauté scientifique.

Pour plus d'informations

Des univers multiples, Aurélien Barrau, Dunod, 2014/2017

La renaissance du Temps, Lee Smolin, Dunod, 2014

Les Cycles du temps: Une nouvelle vision de l'Univers, Roger Penrose, Odile Jacob, 2013.

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