Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

La création de l'Univers

Allégorie du Big Bang. Document T.Lombry.

Rappel historique (I)

La cosmologie, la science qui étudie l'évolution de l'Univers pris dans son ensemble, remonte à l'éveil de l'astronomie, en Mésopotamie et en Egypte, mais aucune preuve observationnelle ne permettait de confirmer les postulats. A l'époque de Platon par exemple la "Science" n'existait pas et la véritable connaissance était de nature philosophique, la compréhension de la "cause première", s'alliant au besoin mais le plus souvent aucune expérimentation.

Il faudra pratiquement attendre le XVIIe siècle et le développement des techniques d'observations pour que les philosophes, physiciens et astronomes proposent leur conception de l'Univers, à travers des hommes tels Descartes, Newton, Wright, Kant, Mach et consorts. Plusieurs théories ont vu le jour mais bien peu apportaient une réponse analytique, les outils théoriques et de mesure étant inexistants ou à peine ébauchés. Au fil du temps, dans les laboratoires ou l'oeil rivé à l'oculaire des télescopes, les physiciens et les astronomes accumulèrent une charge d'évènements considérables à expliquer.

Tout bascula au début du XXe siècle lorsque les théories furent progressivement étayées par les observations de l'univers dans le rayonnement radioélectrique puis infrarouge. En l'espace de quelques décennies toutes les croyances primitives ont été balayées. Ces faits expérimentaux permirent aux cosmologistes de travailler sur des modèles d'Univers. Ceux-ci, quelquefois à l'avant-garde de la science et moyennant certaines incertitudes sont en parfait accord avec les observations.

L'expansion de l'Univers

La véritable cosmologie date du XXe siècle. Toutes les conceptions antérieures, malgré un bon sens évident étaient empiriques. Les astronomes se basaient tout au plus sur des observations trop imprécises ou à la limite de la résolution de leurs instruments que pour réellement poser les jalons d'une étude scientifique.

En travaillant sur les spectres de celle qu'on dénommait encore la "nébuleuse d'Andromède" M31, en 1912 l'astronome américain Vesto Slipher nota un léger décalage de ses raies d’absorption par rapport à l'état stationnaire d'un élément équivalent mesuré en laboratoire. En deux ans il déterminera les décalages Doppler d'une quinzaine de "nébuleuses spirales". Mais il n'exploita pas ses observations. Pourtant ces "redshifts" ou décalages vers le rouge des systèmes de raies indiquaient que certaines galaxies s'éloignaient de nous - de la Voie Lactée - à plus de 1800 km/s.

A gauche, la fameuse galaxie d'Andromède, M31. Située à 2.5 millions d'années-lumière, cette galaxie est visible à l'oeil nu telle un petite tache diffuse parmi les étoiles. A droite, le décalage Doppler observé dans le spectre d'absorption de quelques galaxies distantes. Documents Maurizio Cabibbo et Francesco Di Biase et Humason/Hale Observatories.

Les études sur les spectres s'étalèrent sur dix années si bien qu'avant la découverte de la "récession des galaxies", une première théorie cosmologique fut proposée en 1917 par Willem de Sitter : le modèle stationnaire[1]. En fait, l'univers mathématique de Sitter ne contient pas de matière, il n'y a pas de mouvement. Mais il suffit d'y incorporer quelques particules pour créer des perturbations; le modèle s'anime, devient instable suite à l'effet gravitationnel, imposant le rapprochement ou la fuite des éléments proportionnellement à leur distance. Il devient dynamique. Voyons comment on obtient cet important résultat.

Dans un Univers homogène et isotrope, à courbure constante, l'intervalle ds2 entre deux évènements obéit à la métrique FRW. Il s'agit d'un référentiel synchrone dans lequel la coordonnée temporelle est le temps propre ou temps cosmique (comobile). Dans la métrique FRW, où r, Φ et θ sont les coordonnées sphériques comobiles, l'intervalle ds2 vaut :

Notons que certains auteurs simplifient la relation en remplaçant la métrique sur la sphère (dθ2+sin2Φdθ2) par dΩ2.

Puisqu'il est convenu que l'Univers est isotrope (mais cela fut démontré par la suite), l'élément de longueur ds2 ne dépend pas des angles Φ et θ mais uniquement du facteur d'échelle R(t).

Le rayon de courbure Rc (en valeur absolue) affecte les distances dans l'intervalle dr, de telle manière que 2 points sont séparés d'une distance dl égale à :

                  

Si on pose |k| = 1/Rc2, cette équation admet trois solutions :

k  =  0, l'espace est euclidien (plat) et ouvert, c'est-à-dire à courbure nulle

k  =  1, l'espace est sphérique et fermé

k  = -1, l'espace est hyperbolique et ouvert

Notons qu'on peut introduire un changement de coordonnées pour calculer la distance comobile χ (le "c" grec) dont l'unité de longueur suit l'expansion de l'Univers.

Ainsi, pour k = 0, r = χ/Ro

k =  1, r = sin (χ/Ro)

k = -1, r = sinh(χ/Ro).

Nous verrons lors de l'estimation de la distance des galaxies que c'est une manière très commode pour déterminer leur distance actuelle (plutôt qu'à l'époque à laquelle on les observe). On y reviendra à propos de la découverte des galaxies les plus lointaines.

En posant le principe de la relativité générale, Einstein transposa ces formules dans l'équation tensorielle du champ gravitationnel, afin de décrire la courbure de l'espace-temps :

Le premier terme en [t-2] est la courbure du temps, le second terme (k) est la courbure de l'espace.

Mettons-nous à la place d'Einstein. Il sait que cette équation est dynamique car elle est construite à partir des équations de la gravitation qui donne sa forme et la dynamique de l'espace-temps. En d'autres termes, si elle représente l'Univers réel et s'il contient de la matière, celle-ci obéit aux lois de la gravitation. Cela signifie aussi que dR/dt serait positif, que l'Univers serait en expansion. L'Univers aurait donc connu un début avec toutes les conséquences que cela impose.

Einstein alla à l’observatoire du Mont Wilson et demanda aux astronomes s’ils avaient détecté un mouvement global de récession des galaxies. Mais à cette époque, on réalisait à peine les premiers spectres extragalactiques si bien que les astronomes lui répondirent qu'ils n’avaient encore rien détecté de particulier. Einstein n'étant pas astronome, il en conclut que l'Univers était statique.

A gauche, le télescope Hooker de 2.5 m (100") du Mont Wilson permit à Edwin Hubble d'inventer la loi qui porte aujourd'hui son nom et codécouverte par George Lemaître. A sa droite, Einstein, visitant l'observatoire du Mont Wilson en 1931 en compagnie des astronomes Edwin Hubble (3e rang à gauche), Walther Mayer, Walter Adams, Arthur King et William Campbell. A droite du centre, Einstein portant l'oeil à l'oculaire du télescope Hooker en compagnie d'Hubble en 1931. A droite, l'état actuel du télescope qui est toujours utilisé. Documents Mt Wilson, D.R. et Tom Bejgrowicz.

Rejetant la solution de ses équations, pour résoudre cette difficulté Einstein imagina alors un principe d'isotropie, où la métrique était invariable, le rayon de courbure de l'Univers étant constant. Il introduisit une nouvelle force capable de résister à l'attraction gravitationnelle, la force de répulsion gravitationnelle du vide, appelée la constante cosmologique. Très faible, elle ne se manifeste que sur de grandes distances cosmologiques. En effet, à grande échelle l'énergie du vide a un effet gravitationnel non négligeable sur la géométrie de l'Univers. Plus la constante cosmologique est grande, plus les distorsions spatio-temporelles sont évidentes sur la distance considérée.

Cette constante cosmologique[2] Λ avait déjà été utilisée par Friedmann mais elle nécessitait un choix particulier de conditions initiales pour se conformer à l'Univers statique d’Einstein, son équation s'écrivant alors :

Cette constante Λ impose dR/dt = 0 et du même coup l'Univers se vide de matière puisque celle-ci n'a plus aucun effet et ne courbe plus l'espace-temps. Il était aussi fermé, c'est-à-dire qu'en partant droit devant lui, un observateur situé à la surface de l'Univers reviendrait à son point de départ après avoir parcouru une circonférence complète (en théorie, car en pratique il n'aurait probablement jamais le temps de terminer son tour). Einstein rejoignait l'idée du philosophe autrichien Ernst Mach qui recherchait une théorie du champ totale capable d'unifier les propriétés d'inertie de la matière et la distribution d'énergie dans l'Univers.

Malheureusement pour Einstein, Friedmann[3] démontra à partir de 1922 qu'en supprimant la constante cosmologique il apportait de nombreuses solutions au problème des décalages spectraux analysé par Hubble (cf. la loi de Hubble-Lemaître). L'Univers restait homogène et isotrope mais au lieu d'être fermé et statique il devint dynamique, affecté d'un mouvement d'expansion. Friedmann expliqua le déplacement des raies observé dans les spectres obtenus par Slipher et Hubble en considérant que les spectres des galaxies offraient un décalage spectral d'autant plus important qu'elles étaient éloignées. Friedmann corrigea la théorie d'Einstein en liant le rayon de courbure de l'Univers à une fonction simple du temps : t1/2 si la densité de l'énergie est supérieure à la densité de la matière, t2/3 si la matière prédomine, conformément à la relativité générale. Il s'ensuit qu'à un moment déterminé du passé, l'Univers s'est trouvé concentré en un point unique.

Dans le nouveau modèle d'Univers de Friedmann, si la densité de la matière est supérieure à la densité critique, l'espace se courbe sur lui-même permettant aux lignes parallèles de converger. Plus significatif, dans ce cas la gravité peut ralentir l'expansion de l'Univers et le forcer à décélérer jusqu'à entraîner une phase de contraction dénommée le "Big Crunch". Dans ce cas l'Univers devient elliptique et fermé.

Le facteur de décélération permettant à l'Univers de se contracter est égal au rapport du rayon de courbure actuel de l'Univers sur le rayon de courbure estimé. Il est fixé à 1/2. Il signifie qu'en deçà de 0.5 la décélération est assez faible pour que l'expansion se poursuive indéfiniment. Obéissant à la loi de Hubble-Lemaître, dans ce cas la vitesse des galaxies dépasse la vitesse de libération. La densité de la matière devient négligeable et la taille de l'Univers augmente proportionnellement à la puissance 2/3 du temps.

Les acteurs des années 1920 (I)

Willem de Sitter, Alexandre Friedmann et Albert Einstein.

Einstein, certain que les équations qui décrivaient l'état de l’Univers devaient avoir une solution statique, indépendante du temps, pensa que l'article de Friedmann était erroné. A la mi-septembre 1922, la revue allemande "Zeitschrift für Physik" reçut cette petite note d'Einstein qui disait d'une manière quelque peu hautaine selon l'appréciation du Pr V.A. Fock, "que les résultats de Friedmann semblaient suspicieux et qu’il y trouva une erreur; après correction, la solution de Friedmann se réduit à celle [de l'état] stationnaire"[4].

Informé de l'avis d'Einstein par son collègue Krutkov alors aux Pays-Bas, Friedmann écrivit une lettre à Einstein en décembre 1922, dans laquelle il développa ses calculs et présenta la preuve de l'exactitude de ses résultats, demandant à Einstein s'il lui était possible de publier un addendum à sa note précédente ou un extrait de sa présente lettre. Il semble qu'Einstein n'ait pas attaché beaucoup d'importance à cette lettre, étant quasiment certain que Friedmann s'était trompé.

En mai 1923, Krutkov rencontra Einstein chez Paul Ehrenfest, à Leiden et finit par persuader Einstein que Friedmann avait raison. Immédiatement après sa rencontre, Einstein envoya la note suivante aux "Zeitschrift für Physik"[5] : "A propos de l'article de Friedmann “Sur la courbure de l’espace”. Ma note précédente a critiqué l'article mentionné ci-dessus. Toutefois, la lettre de Friedmann qui m'a été communiquée par M.Krutkov a éclairci le fait que ma critique était fondée sur un mauvais calcul. Je crois que les résultats de Friedmann sont corrects et jettent une nouvelle lumière [sur ce problème]. On a trouvé que les équations du champ autorisent, en plus des solutions statiques, des solutions dynamiques (c'est-à-dire variable dans le temps) de la structure de l’espace."

Cette solution sera confirmée par les observations précises d’Edwin Hubble qui devait démontrer en 1927 que le décalage vers le rouge du spectre des galaxies représentait bel et bien un effet Doppler et ne souffrait aucun terme correcteur : l'Univers était bien en expansion et les galaxies suivaient ce mouvement par inertie. Comprenant que (dR/dt)/R > 0, Einstein reconnut qu'il avait fait "la plus grande erreur de sa vie."

Par la suite Einstein continua de reconnaître l'importance du travail de Friedmann dans le développement de la cosmologie moderne. Il écrivit notamment en 1931 : "Friedmann... fut le premier à débuter dans cette voie."

Prochain chapitre

L'atome primitif et l'Univers Einstein-de Sitter

Page 1 - 2 - 3 - 4 -


[1] W.de Sitter, Proc.K.Akadem.Amsterdam, 19, 1917, p1217; 20, 1917, p229.

[2] A.Einstein, Sitzungsberichte der köninglichen Preussischen Akademie der Wissenchaften zu Berlin, VI, 1917, p142.

[3] A.Friedmann, "Sur la courbure de l'espace", Zeitschrift für Physik, 10, 1922, p377.

[4] A.Sharov/I.Novikov, “Edwin Hubble, the discoverer of the Big Bang universe”, Cambridge University Press, 1993, p58

[5] A.Sharov/I.Novikov, “Edwin Hubble, the discoverer of the Big Bang universe”, op.cit., p59.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ