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La cosmologie quantique

L'amas de galaxies RXC J0142.9+4438 photographié par le Télescope Spatial Hubble dans le cadre du sondage RELICS. Document NASA/ESA/HST/RELICS.

Les amas de galaxies ont-ils une origine quantique ?

Selon la théorie de l'Univers inflationnaire, l'Univers serait né il y a environ 13.8 milliards d'années au cours d'une inflation chaotique. Comme nous l'avons expliqué à propos de la cosmologie quantique, ce sont des fluctuations quantiques qui seraient à l'origine des perturbations de la densité d'énergie de l'Univers et auraient "semé" les germes ayant conduit à la formation des immenses halos de matière à l'origine des grandes structures cosmiques, les amas de galaxies, traces que les satellites micro-ondes dont Planck détectèrent sur la dernière surface de diffusion quelque 380000 ans après le Big Bang.

Depuis quelques années, des chercheurs se demandent s'il est possible de valider cette théorie, ou du moins d'avoir un indice que les amas de galaxies se sont formés à partir de fluctuations quantiques. Pour le savoir, un nouveau test pourrait déterminer si les grandes structures cosmiques ont des origines quantiques.

La cosmologie quantique prédit notamment que l'arrangement de toutes les galaxies à travers l'Univers a été fixé par des évènements se déroulant à l'échelle quantique une fraction de seconde après le Big Bang. Cependant, les partisans de cette théorie se sont jusqu'à présent heurtés à une question délicate : "l'expérience" de l'Univers n'étant pas reproductible et ne pouvant pas remonter le temps au-delà de quelques centaines de milliers d'années après le Big Bang, comment peut-on confirmer cette histoire quantique si nous ne pouvons voir aujourd'hui que les résultats macroscopiques ?

Selon le cosmologiste et théoricien des cordes Juan Maldacena de l'Institute for Advanced Study de Princeton, "La question de l'origine quantique de la structure cosmique est l'un des aspects les plus intéressants de toute la science" qui reste sans réponse. Mais de nouveaux travaux suggèrent que certains modèles de la distribution des galaxies pourraient mettre l'inflation à l'épreuve et offrir l'espoir d'une résolution.

Histoire de la formation des grandes structures cosmiques

L'inflation soutient le principe cosmologique (qui n'est pas une loi) en prédisant que nous devrions observer une distribution spatiale homogène et isotrope des galaxies partout où nous regardons dans le ciel. En théorie, ce caractère aléatoire signifie que les germes des galaxies se sont développés à partir d'une source également purement aléatoire : il s'agit des fluctuations du vide quantique. Ce vide quantique est une manifestation des champs quantiques qui remplissent l'Univers, même aux endroits où il est apparemment vide de matière jusqu'à l'échelle subatomique. Ces excitations de courte durée des champs ne manifestent en permanence et disparaissent aussi vite (plus la particule virtuelle est massive ou énergique plus elle est éphémère), créant une sorte d'écume quantique qui remplit virtuellement tout l'espace vide.

Sans le phénomène d'expansion cosmique, ces fluctuations quantiques ne présenteraient aucune structure stable dans le temps. Mais grâce à l'inflation, l'incroyable expansion exponentielle de l'Univers aurait permit à ces minuscules structures quantiques de grandir jusqu'à l'échelle macroscopique.

Au fur et à mesure de l'expansion de l'Univers, les fluctuations ont grandi et de ce fait ont finalement perdu la capacité de disparaître dans l'écume virtuelle du vide quantique. Passé un seuil critique d'énergie, elles ne pouvaient plus s'annihiler et se sont matérialisées pour de bon en devenant des particules réelles de matière. Notons que selon les derniers modèles, elles étaient déjà combinées à une certain pourcentage de matière sombre et froide (cf. le modèle ΛCDM). Mais pour ne pas alourdir le texte nous ne nous étendrons pas sur cette composante.

Ces particules matérielles, "classiques" pour reprendre le terme des physiciens, et plus ou moins massives ne suivent plus les lois de la mécanique quantique mais évoluent principalement selon les lois de la gravité comme le précise la théorie de la relativité générale. Ainsi, après la fin de l'inflation, cette matière figée aurait dû laisser son empreinte sous forme de motifs de densité supérieure ou inférieure à la moyenne dans la distribution uniforme de la matière présente dans tout l'Univers. Dans les régions de densité élevée où la matière se rassemblait sous l'effet de la gravité, ces germes de matière ont permit de former des galaxies qui ont ensuite fusionné pour former des amas de galaxies, donnant naissance à la structure à grande échelle de l'Univers.

Mais cette belle histoire de l'Univers s'est-elle réellement déroulée ainsi ? Il existe bien sûr d'autres théories. Dans l'une d'elles, plutôt que d'émerger d'une fluctuation plus probable que les autres du vide quantique, l'inflation aurait pu être déclenchée par des particules quantiques à longue vie mais qui manquent toujours à l'appel. Une autre théorie encore plus spéculative suggère qu'un processus survenu avant l'inflation aurait instauré un modèle classique dans l'Univers primordial que l'inflation amplifia mais qu'elle n'a pas créé. L'un ou l'autre de ces scénarii signifierait un changement radical dans notre compréhension de ce qui s'est produit dans les tout premiers instants de l'existence de l'Univers, ou de l'existence tout court puisqu'il semble que le temps soit apparu en même temps que l'Univers.

Des traces du monde quantique à l'échelle macroscopique

Depuis le développement de la théorie inflationnaire au début des années 1980, la plupart des cosmologistes et des théoriciens ont cherché à déterminer à quoi ressembleraient les preuves directes de l'origine du vide quantique et si elles pouvaient être mesurées. Vu la complexité du problème, on ne sera pas surpris d'apprendre que jusqu'à présent, personne n'a trouvé de réponse satisfaisante. Beaucoup de chercheurs doutent même que cette approche soit réaliste.

Le cosmologiste Olivier Doré et le physicien Roland de Putter, tous deux du JPL de la NASA ont étudié la possibilité de détecter cette éventuelle trace quantique et publièrent un article sur le sujet dans la "Physical Review D" en 2020. Ils estiment que trouver cette preuve observationnelle "est très difficile car c'est un très petit effet. L'inflation écraserait tout signe révélateur du vide quantique bien en dessous du niveau auquel les mesures réelles pourraient espérer les repérer. Il est difficile d'imaginer quelque chose qui pourrait être mesuré".

Il faut également savoir si ces preuves pourraient résider dans la "mousse quantique" chère à John Wheeler. Ici on considère des phénomènes qui se déroulent à l'échelle de Planck, c'est-à-dire où les relations d'incertitudes de Heisenberg règnent en maître. Dans ces conditions, certains chercheurs estiment qu'on peut oublier l'idée de rechercher des traces dans l'écume quantique.

Selon Cumrun Vafa de l'Université d'Harvard et son collègue Alek Bedroya, la réponse est a priori négative, et c'est aussi valable pour d'autres théories comme la théorie des cordes. Vafa et Bedroya ont proposé la "conjecture de censure trans-planckienne" ou TCC (cf. Vafa et Bedroya v2, v3, 2019). Ce principe affirme que le flou quantique qui règne à l'échelle de Planck sera toujours présent, extrêmement minuscule et quantique, même sous l'effet amplificateur de l'expansion de l'Univers. Si cette idée est vraie, elle implique des limites sur la quantité d'inflation qui pourrait se produire car trop d'inflation signifierait trop d'amplification des détails trans-planckiens. Il existerait donc des limites que même les physiciens les plus débridés ne peuvent pas franchir. Toutefois, ce n'est qu'une conjecture, c'est-à-dire une hypothèse fondée sur des motivations personnelles et au mieux sur des probabilités mais qui est loin d'être démontrée.

Mais il reste peut-être un espoir. Des chercheurs de la collaboration LIGO au MIT ont pu mesurer les effets des fluctuations quantiques sur des objets à l'échelle humaine, en particulier dans l'installation LIGO destinée à détecter des ondes gravitationnelles. Ce bruit quantique est suffisamment puissant pour déplacer des miroirs pesant 40 kg de 10-20 mètre (pour rappel l'atome d'hydrogène mesure 1010 mètre). Cette découverte va notamment permettre d'améliorer la sensibilité de LIGO.

A la recherche d'une trace primordiale

Si la majorité des physiciens estiment qu'on ne pourrait pas obtenir de preuves directes dans le vide quantique, les chercheurs peuvent aborder le problème à l'envers et rechercher la preuve du contraire, celle de l'origine du vide quantique. Doré et Maldacena qui ont également fait valoir que l'approche directe semble peu prometteuse, se réfèrent à une étude publiée dans les "Physical Review Letters" en 2020 (en PDF sur arXiv) par les cosmologistes Daniel Green de l'Université de Californie à San Diego et Rafael Porto du German Electron Synchrotron (DESY). Leur étude suggère que de telles preuves pourraient être à portée de main des chercheurs qui étudient les caractéristiques non aléatoires de la structure à grande échelle de l'Univers.

Diego et Porto rappellent que généralement on pense que la structure de l'Univers s'est formée à partir des fluctuations quantiques au cours d'une première période d'expansion accélérée. Pourtant, les cartes du rayonnement à 2.7 K que nous avons aujourd'hui ne permettent pas de distinguer les fluctuations quantiques primordiales des perturbations classiques; les données cosmologiques actuelles sont compatibles avec l'une ou l'autre possibilité.

Les deux auteurs soutiennent que la détection d'une fluctuation primordiale non aléatoire (non gaussienne) peut résoudre la situation actuelle et fournir un test décisif pour déterminer l'origine quantique des structures cosmiques. En effet, contrairement à la mécanique quantique, les fluctuations du vide quantique ne peuvent pas survenir dans les théories classiques et donc les corrélations classiques à longue portée doivent résulter de particules (réelles) à l'état initial. Techniquement, de façon similaire aux processus de diffusion dans l'espace plat, Green et Porto ont montré comment les principes de base exigent que ces particules se manifestent comme des pôles dans les fonctions à n points dans les configurations pliées (cf. le concept d'e-fold).

Suite à cette observation, et en supposant que les fluctuations sont corrélées à grande échelle et générées par l'évolution locale au cours d'une phase inflationnaire, on peut démontrer que le vide quantique était l'état initial. Dans le même esprit que les inégalités de Bell, on peut démontrer que cela peut être contourné si le principe de localité est abandonné, et tant pis pour Einstein.

Pour rappel, le nombre de e-fold (N) permet de calculer le facteur d'expansion de l'Univers entre deux instants, dans ce cas ci entre le début et la fin de l'inflation afin de rendre compte du taux de croissance du facteur d'échelle de l'Univers durant cette période de transition. Selon les cosmologistes, entre t0 et tCMB, le nombre de e-fold est d'environ 10. Mais puisque l'Univers est en expansion, la taille de l'univers observable, c'est-à-dire des volumes d'univers causalement connectés et donc homogénéisables augmentent au cours du temps. Inversement, ces volumes étaient plus petits dans le passé mais soulèvent le problème de l'horizon. Pour résoudre ce problème, en supposant que le modèle inflationnaire de l'Univers puisse être extrapolé jusqu'à l'échelle de la grande unification (GUT), les contraintes (densité d'énergie, température, effet Doppler, etc) montrent que l'horizon causal à l'époque de la GUT (10-35 s après le Big Bang) était ~60 fois plus petit que l'horizon causal actuel (ou que les e-fold se sont répétés ~60 fois), conduisant à une "longue" période inflationnaire.

Rappelons que pour obtenir ce nombre e60, les cosmologistes considèrent que si le décalage Doppler zf à la fin de l'inflation TGUT/To ~1028, alors N ≥ ln 1026 soit ~60 (cf. thèse de Julien Grain, 2015; thèse de Thomas Cailleteau, 2013; thèse de Alain Riazuelo, 2003).

Si en réalité nous vivons dans un univers inflationnaire dans lequel les galaxies se sont développées à partir du chaos quantique, alors nous devrions nous attendre à ce qu'elles soient dispersées au hasard dans l'espace. Les cosmologistes ont déjà trouvé des caractéristiques non aléatoires dans les structures à grande échelle. Mais ces observations peuvent s'expliquer par des processus post-inflationnaires tels que l'influence de la gravité ou même de la matière sombe et froide sur l'évolution des amas de galaxies. Le défi est de trouver des signes non aléatoires qui ne peuvent être expliqués que par des évènements survenus dans l'Univers primordial très précoce (avant l'époque de la GUT). De tels signes primordiaux pourraient révéler de fins détails sur le déroulement de l'inflation ou nous conduire à une image radicalement nouvelle de ce qui s'est passé pendant cette période.

Cartographie de la géométrie cosmique

Les chercheurs peuvent tester le caractère aléatoire de la distribution des galaxies en étudiant par exemple les formes géométriques qu'elles forment à petite échelle. Par exemple, trois galaxies forment un triangle dans le ciel (les galaxies dessinent les coins). La question est de savoir combien de fois trois autres galaxies choisies au hasard formeraient exactement le même triangle ?

Une recherche méthodique qui prendrait en compte chaque forme triangulaire et couvrirait chaque surface élémentaire du ciel pourrait éventuellement révéler si les cosmologistes peuvent s'attendre à trouver plus souvent des galaxies réparties au hasard dans une configuration à trois points particulière. L'existence d'un ou plusieurs triangles "préférentiels" ou une préférence pour toute autre forme géométrique suggérerait qu'il existe un motif non aléatoire. Les cosmologistes devraient alors se demander qu'est-ce qui pourrait engendrer une tel motif ?

Green et Porto soutiennent que si les "germes" primordiaux de la structure cosmique ne provenaient pas du vide quantique - s'ils se développaient plutôt à partir d'un état quantique non vide ou d'un état classique dont l'origine est antérieure à l'inflation - alors ces ingrédients supplémentaires changeraient la nature de ces "germes" initiaux. Ces nouveaux motifs se présenteraient comme des formes préférées révélatrices de la structure à grande échelle. Si les astronomes ne peuvent pas trouver la preuve que ces configurations se produisent plus souvent que le hasard ne le permettrait, alors la structure à grande échelle de l'Univers ne peut pas provenir de ces autres origines.

Selon Green, il y a un réel espoir que les astronomes verront les preuves que Porto et lui ont décrites, à condition qu'elles existent. La première étape consiste à détecter des motifs non aléatoires, qu'ils soient engendrés par l'inflation primordiale ou des processus ultérieurs. Pour ce faire, Porto estime qu'il faudra peut-être améliorer d'un facteur 100 la précision des méthodes actuelles de cartographie des positions des galaxies. C'est plus facile à dire qu'à faire mais sûrement plus facile à atteindre que de mesurer la taille minuscule des signaux quantiques étudiés par Doré et ses collègues.

Si les arpenteurs du ciel parviennent à détecter un phénomène non aléatoire, ils devront chercher ensuite des signes qui le relie à l'inflation plutôt qu'aux évènements ultérieurs. Cette étape est la principale difficulté du projet de Green. Mais même ici, il y a de l'espoir. Les types de formes préférées que Green et Porto ont étudiés devraient être aussi visibles que d'autres en raison des effets qui se sont produits plus tard au cours de l'évolution cosmique. Pour le dire simplement, ils seraient relativement faciles à voir comme un petit ajustement à une plus grande valeur. En l'absence de tout signe détectable d'évènement primordial non aléatoire, les théoriciens auront du mal à trouver des effets expérimentaux qui pourraient masquer ce qui devrait être un signe évident. Pour cette raison, l'absence de tout signe des formes préférées de Green et de Porto pourrait être une preuve en faveur de l'inflation et de l'origine quantique de la structure cosmique. Doré convient que la recherche de signes non aléatoires offre une perspective passionnante, car les mesures nécessaires, tout en n'étant pas garanties, semble faisables.

Au cours des cinq à dix prochaines années, les astronomes créeront des cartes sans précédent en haute résolution de la distribution des galaxies à partir de plusieurs sondages réalisés grâce aux télescopes de nouvelle génération, comme la mission spatiale SPHEREx de la NASA qui devrait être lancée en 2024. Bien que cette mission n'apporte pas la garantie de répondre à la question de l'origine quantique de l'Univers, Doré pense que le moment est venu d'envisager d'y répondre : "C'est difficile à prévoir, mais je pense que c'est une période très dynamique pour ces questions. Je pense qu'il y a beaucoup de nouvelles idées qui apparaissent et j'espère que quelque chose d'important va émerger".

Porto partage son avis : "Il y a beaucoup de données et beaucoup de travail à faire". Les chercheurs qui souhaitent démêler l'évolution de l'univers peuvent désormais apporter des outils issus de la physique des particules, du Big Data et de la recherche des ondes gravitationnelles. Lorsque vous mettez tout cela ensemble, qui sait ce qu'on peut découvrir. Selon Porto : "C'est le moment le plus excitant".

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